D’habitude, en septembre, la Touraine était verdoyante. Là, dans une atmosphère étouffante de canicule, elle tirait plutôt vers le jaune paille.
Tout était sec ; des bosquets aux bocages, de la cime des arbres aux lits des rivières… sec, sec, sec.
La Loire tirait la langue, l’Indre suçait ses cailloux et le Cher se morfondait de ressembler à un ruisseau.
Les rivières avaient soif ; les hommes et les bêtes aussi !
En marchant dans les brumes de chaleur, les deux silhouettes ondulantes soulevaient un nuage de poussière. Une poussière de cinéma qui restait un moment en suspens derrière eux dans une immobilité lourde. Pas un souffle d’air, rien ; une inertie totale.
Jo Balako, le plus petit des deux, paraissait ridicule à côté de son compagnon. Il faut dire que Georges était immense, une vraie montagne. Mais il avait grandi trop vite, son cerveau n’avait pas suivi.
– C’est clair, c’est bien !
– Ne t’emballe pas, Georges : on ne va pas rester bien longtemps.
Jo souleva son chapeau pour s’essuyer le front.
– Juste le temps de récupérer ce qui est à moi.
– Je sais Jo… mais c’est clair et c’est bien !
Jo voulut expliquer davantage à Georges mais autant battre de la crème fouettée !
Balako se passa la langue sur les lèvres. En y repensant, il n’en revenait toujours pas. Leur évasion de la prison de Fresnes… leur cavale insensée pour échapper aux barrages de police puis toute cette route parcourue à pied ! Ils s’en étaient sortis ; ils étaient vivants et libres et Jo avait bien l’intention d’en profiter !
Écrasés par ce soleil de plomb, les vergers se dressaient à présent face à eux, immenses et tranquilles, d’une immobilité parfaite.
Après avoir contemplé les allées de pommiers parfaitement alignés, les deux hommes rebroussèrent chemin pour se diriger vers la ferme qui se détachait d’entre les arbres, là-bas.
Le souffle faible du vent chaud n’atteignait pas l’étang qui dormait de son eau pesante. Affolées par le passage de ces deux intrus mal rasés et dépenaillés, quelques corneilles s’envolèrent en criant dans un bruit désordonné de battements d’ailes.
– Fait chaud, Jo…
Georges passa la main, une main énorme, sur son front pour éponger la transpiration.
– Oui, dit Jo pour le rassurer, mais crois-moi, je connais bien la région et ça ne va pas durer. Dès que nous entrerons dans la deuxième quinzaine de septembre, il y a de fortes chances que le soleil dégringole en flotte… et je ne sais pas ce qui est pire : le soleil ou la pluie !
Les deux compagnons atteignirent enfin le bâtiment.
Dans la cour de la ferme, des poules avançaient paresseusement en dodelinant de la tête. C’est bête, une poule… C’est rigolo, aussi. Georges les regardait en souriant comme un enfant.
Dans l’enceinte de la ferme, un vieux puits de pierres semblait monter la garde devant la maison, des beuglements s’élevaient de l’étable, un gros tracteur faisait la sieste à l’ombre d’un hangar… Jo interpella une petite fille qui jouait dans la poussière de l’autre côté de la cour.
– Ho, petite, ton père est là ?
La gamine ne répondit pas. Elle se contenta de hocher la tête en désignant la bâtisse du doigt.
Jo se tourna vers Georges :
– C’est bien compris, hein Georges ? Tu ne dis rien, tu me laisses parler… et si on te demande d’où on vient, tu réponds qu’on arrive de Provence… Le reste, je m’en occupe.
Georges fronça les sourcils pour montrer qu’il avait compris.
Les deux hommes se dirigèrent vers la maison pour y entrer. Il faisait frais à l’intérieur. Avec la fraîcheur, la pénombre accueillit les nouveaux venus. Le contraste était saisissant. Interdit de séjour dans la grande demeure aux volets fermés, le soleil n’y avait aucun pouvoir.
Éblouis par la puissante luminosité extérieure, les deux hommes ne distinguaient plus rien dans cette obscurité soudaine.
– Y’a quelqu’un ?
Une voix grasse leur répondit sur la gauche.
– C’est pour quoi ?
Jo avança de quelques pas pour pouvoir distinguer son interlocuteur. Ses yeux s’habituaient lentement à la pénombre.
– Nous venons pour la cueillette… c’est vous le patron ?
L’homme répondit sur un ton méchant.
– Oui, c’est moi. La cueillette commence le 9 septembre…