A.R. : Arrêté royal
AGR : Archives générales du Royaume
APC : Annales parlementaires. Chambre des représentants
APS : Annales parlementaires. Sénat
CEPAG : Commission pour l’étude des problèmes d’après-guerre
DG : Direction générale
DGA : Direction générale de l’Administration
DGB : Direction générale « économique » (dont le nom évolue au fil des années ; actuellement Direction générale des Affaires bilatérales)
DGM : Direction générale des Affaires multilatérales et de la Mondialisation (anciennement DGP)
DGP : Direction générale de la Politique
DPC : Documents parlementaires. Chambre des représentants
DPS : Documents parlementaires. Sénat
FPHS : Fonds Paul-Henri Spaak
IEV : Institut Émile Vandervelde
KULeuven : Katholieke Universiteit Leuven
M.B. : Moniteur belge
PNB : Produit national brut
POB : Parti ouvrier belge
SDN : Société des Nations
SNCB : Société nationale des chemins de fer belges
SPFAE : Service public fédéral Affaires étrangères
UCL : Université catholique de Louvain
UGent : Universiteit Gent
VUB : Vrije Universiteit Brussel
À Bruxelles, la révolution d’août 1830 modifie le paysage politique de l’Europe tracé par les grandes puissances en 1815 suite à la défaite de Napoléon Bonaparte. Les dirigeants politiques, jeunes et novices, qui avaient proclamé l’indépendance de leur nouvel État, sont d’emblée confrontés à la réserve, et dans certains cas même à la vive hostilité, des dirigeants européens. Sur la carte, la Belgique se trouve effectivement à un endroit sensible de l’équilibre européen. Ainsi, dès le départ, la révolution d’août a une portée européenne. Il importe donc de construire et de consolider le nouvel État sur le terrain international et d’adopter une position diplomatique susceptible de s’attirer des appuis extérieurs. D’autre part, il convient également de garantir à cet État une assise interne, politique, économique et sociale, stable.
Un État ne peut exister sans politique étrangère. Dans le cas de la Belgique, c’est dès le départ particulièrement vrai : la reconnaissance internationale ne peut être accordée que si le nouvel État s’avère politiquement stable et économiquement indépendant. Ce lien étroit des aspects intérieurs et internationaux sera déterminant dans l’organisation et le contenu de la politique internationale du nouvel État. Mais l’évolution du ministère des Affaires étrangères sera tout autant dictée par la nécessité de s’adapter à un environnement international en mutation. Un regard sur le passé est souvent instructif pour mettre le présent en perspective.
Le précurseur de l’actuel Service Public Fédéral (SPF) Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement fut créé le 18 novembre 1830 sous la direction de Sylvain Van de Weyer. Ce livre retrace le parcours de ce ministère au fil de l’histoire du pays : son évolution au rythme de la politique internationale, mais aussi son adaptation aux profonds changements de l’environnement social et politique intérieur. La création d’un ministère des Affaires étrangères, avec son administration centrale, s’accompagne nécessairement de l’ouverture réciproque de postes diplomatiques et consulaires et du recrutement d’agents spécialisés.
Un certain nombre de thèmes reviennent périodiquement au cours des décennies. Notamment, et sa fréquence est significative, celui de savoir si la Belgique défend de manière appropriée ses intérêts économiques à travers le monde. Si la diplomatie économique n’occupe pas toujours une place prépondérante à l’avant-scène de l’activité diplomatique, elle n’en reste pas moins, fréquemment, un motif de réorganisation interne du ministère. Il est frappant de constater que les doutes relatifs à la diplomatie belge portent souvent sur l’efficacité du ministère et de ses diplomates à assurer valablement la défense de ces intérêts.
Un deuxième thème récurrent est celui des relations (parfois difficiles) avec les autres protagonistes dans la gestion des rapports avec l’étranger. Celles-ci n’ont jamais été la prérogative exclusive de la diplomatie. Cette dernière a toujours dû composer avec d’autres acteurs. Le souci du ministère des Affaires étrangères de concilier l’unité de la politique menée avec la pluralité des acteurs a été constant.
Les institutions sont faites d’hommes et de femmes. Ce livre s’attache aussi à la manière dont le ministère et son personnel se sont adaptés aux changements de société, tant sur le plan institutionnel que mental. Une administration (même dans l’une de ses branches les plus fermées) subit l’influence du milieu social, au sens large, dans lequel elle évolue. Elle ne peut demeurer repliée sur elle-même. L’environnement, dans lequel elle inscrit son action, l’imprègne progressivement, même si c’est bien souvent avec retard, et l’amène à réaliser certaines transformations, signes de son adaptation au milieu. Mais les individus ont aussi leur importance. À certains moments, il apparaîtra que des personnes particulières ont joué un rôle non négligeable dans la manière de déterminer la politique étrangère d’un pays.
Ce livre constitue la première histoire scientifique du ministère des Affaires étrangères. La politique étrangère proprement dite n’y sera pas traitée de manière systématique. Pour cela, nous renvoyons à l’ouvrage de Rik Coolsaet, België en zijn buitenlandse politiek 1830-2015 (publié en néerlandais aux éditions Van Halewyck, 2014). Notre étude de l’évolution de ce ministère intègre plusieurs disciplines, en particulier les sciences historiques, politiques et administratives. Une série d’archives ont été pour la première fois rendues accessibles, en vue de cette recherche, au ministère des Affaires étrangères. D’autres sources ont également été largement sollicitées : les Annales parlementaires, des archives privées d’hommes politiques ou de diplomates, et les procès-verbaux du Conseil des ministres.
Nous adressons nos sincères remerciements à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce livre. Quantité d’entretiens avec des témoins et des protagonistes nous ont permis d’enrichir et d’approfondir notre connaissance du monde diplomatique en apportant des éléments qu’aucun document d’archives n’a consignés. Les auteurs tiennent dès lors à exprimer nommément leurs remerciements à (cités par ordre alphabétique) : Dirk Achten, Étienne Davignon, Jan De Bock, Philippe de Schoutheete, Jan Grauls, Aristide Michel, Skander Nasra, Alex Reyn, Paul Rietjens, Johan Swinnen, Raf Van Hellemont, Rudi Veestraeten, Hugo Verbist, Bert Versmessen et Marc Vinck. Notre reconnaissance s’adresse également à tous les fonctionnaires et diplomates du SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement qui, pour des raisons diverses, souhaitent rester anonymes. Il va de soi qu’aucun d’entre eux n’est responsable des interprétations, conclusions et éventuelles erreurs contenues dans ce livre, qui sont du ressort des seuls auteurs.
L’ouverture des archives du ministère des Affaires étrangères n’a été rendue possible qu’avec le soutien enthousiaste de feue Françoise Peemans, directrice des Archives diplomatiques, et de ses assistants Didier Amaury, Pierre Dandoy et de leurs collègues.
Notre gratitude va également à Michel Erkens, de la bibliothèque du SPF Affaires étrangères, pour son infatigable quête de documents publiés. Le travail de collecte documentaire de nos collaborateurs directs à l’Université de Gand et à l’Université catholique de Louvain mérite toute notre reconnaissance. Nos remerciements particuliers s’adressent ainsi à Luc De Keyser et Tania De Vos, de la bibliothèque du Département des Sciences politiques (UGent) et à Julien Dufour et Stéphanie Hocq, assistants de recherche (UCL).
Vincent Delcorps a eu l’amabilité d’étudier minutieusement les différents chiffres concernant la présence de nobles dans le corps diplomatique et de les présenter de manière cohérente tout au long de ce livre. Vincent Delannoy nous a, quant à lui, gratifiés de l’excellente traduction de la troisième partie de cet ouvrage : qu’il en soit vivement remercié. Cette même reconnaissance s’adresse à André Querton, directeur des éditions Mardaga, ainsi qu’à ses collaboratrices Clotilde Guislain et Laurence Waterkeyn. Sans leur soutien assidu, cette publication n’aurait jamais pu voir le jour.
Au-delà, cette publication n’a été rendue possible que grâce au soutien financier du SPF Affaires étrangères ; de la Fondation Louvain, en la personne de sa secrétaire générale Caroline Mouligneau ; et de Guy de Cordes au nom du legs De Merre. En même temps que les marques de notre estime, nous leur adressons nos sincères remerciements.
Rik Coolsaet
Vincent Dujardin
Claude Roosens
Septembre 2014
« Les provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande, constituent un État indépendant. » Cette déclaration du gouvernement provisoire, le 4 octobre 1830, marque la naissance de l’État belge. La révolution de 1830 a éclaté sur fond de crise économique, sociale, politique et sous l’influence des événements de Paris. Le chômage, la pauvreté, la famine… provoquent une série d’actions violentes. Les pillages, les incendies, les vols prennent les autorités au dépourvu, principalement à Bruxelles. Les symboles du pouvoir et de la richesse sont directement menacés. La bourgeoisie prend sa propre défense en mains ; elle se substitue aux autorités en mettant sur pied la garde civile afin de désarmer la révolte populaire. Le mouvement devient politique.
Confrontée aux événements révolutionnaires qui marquent sa naissance, la Belgique (les autorités qui tentent de contrôler le mouvement en tout cas) dut très rapidement, alors même que la défaite du pouvoir hollandais apparaissait, pour assurer un minimum de stabilité et de sécurité, organiser le pouvoir, mettre en place les structures politico-administratives, constitutives de l’État. Ce fut, en un premier temps, la « commission de sûreté publique », créée le 8 septembre 1830, le « Gouvernement provisoire » ensuite, à partir du 26 septembre, avec, en son sein, un comité central qui détient quasiment tous les pouvoirs et qui est composé de quatre membres : Charles Rogier, Louis de Potter, Sylvain Van de Weyer et le comte Félix de Mérode. Signes de l’affermissement de l’État, des comités spécialisés apparaissent1, dont le comité diplomatique, institué le 18 novembre 1830, que préside Sylvain Van de Weyer avec, à ses côtés, les comtes de Celles et d’Arschot et MM. Destrivaux et Nothomb, membres du Congrès National. M. Letten les rejoindra ensuite. Ce comité diplomatique constitue, en fait, l’ébauche du ministère des Affaires étrangères2.
On sait combien la question belge revêtit immédiatement une dimension internationale ; elle était au centre des préoccupations européennes. La révolution et la proclamation de l’indépendance représentaient une violation de l’équilibre européen tel que les puissances l’avaient rebâti en 1815. Il s’imposait donc, d’une part, de construire et consolider le nouvel État sur le terrain international et d’adopter une position diplomatique susceptible de s’attirer des appuis extérieurs et, d’autre part, de garantir à cet État une assise interne, politique, économique et sociale, stable. La Constitution elle-même, dans son texte initial (adopté le 7 février 1831), et ses révisions ultérieures y pourvurent, fournissant le cadre institutionnel interne et fixant diverses bases utiles à la vie internationale, relatives à l’indépendance de l’État, au territoire et à ses frontières, aux compétences du roi, aux traités. L’appareil politico-administratif apparut rapidement comme indispensable ; il devait fournir l’aide nécessaire à la réalisation et au maintien de l’intérêt national.
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Dans le premier gouvernement de la Régence (26 février 1831), S. Van de Weyer détient le portefeuille des Affaires étrangères3. Le ministre succède au président du comité diplomatique. Un département ministériel existe aux côtés de ceux de la Guerre, des Finances, de l’Intérieur et de la Justice. Encore faut-il l’organiser, le doter de structures, en fixer le périmètre des attributions, en définir les compétences et l’animer en fonction des objectifs qu’on lui donne, c’est-à-dire au fond le situer dans les grandes orientations de l’État. Le ministère sert la politique étrangère définie par l’Exécutif et contrôlée par le Parlement. Son évolution, les transformations et les adaptations qu’il connaît sont nécessairement en liaison avec les changements internes et externes de son environnement spatial et temporel.
Il faut attendre 1846 pour disposer d’un premier arrêté organique du ministère, dans sa partie « administration centrale ». Les évolutions intervenues avant 1846 ne sont cependant pas inintéressantes à observer. C’est ainsi que, par un arrêté du 5 mars 18314, la direction de la Marine est organisée : le ministre des Affaires étrangères en est chargé à titre provisoire, un ministre propre à ce service n’étant pas apparu nécessaire5. Quelques mois plus tard, les questions relatives à la noblesse et l’administration de l’ordre de Léopold sont également inscrites dans les attributions du ministère6. La répartition des domaines de compétence évolue au cours du temps. Elle exprime l’apparition de nouveaux pôles d’intérêt (exemple : colonies, coopération au développement…) en même temps que la naissance de réflexions nouvelles quant à l’importance respective de ces domaines.
Le secrétaire général incarne le cœur administratif de tout ministère. On ne s’étonne donc pas de trouver, dès août 1831, un arrêté du Régent définissant ses compétences, le faisant apparaître comme la plaque tournante de l’ensemble : il répartit le travail entre les services, correspond avec les légations, tient « le journal secret », dispose de la signature du ministre en son absence. Il est donc bien l’homme-clé du ministère. J.-B. Nothomb fut le premier à occuper ce poste. Il y demeura du 1er mars 1831 au 13 janvier 18377.
À cette date, le 13 janvier 1837, le chevalier de Theux de Meylandt devient ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Il remplace le comte de Muelenaere. Le ministère connaît déjà à cette époque une organisation, peu complexe si on la compare à celle de la période contemporaine, mais au sein de laquelle les grandes divisions apparaissent. Le cabinet du ministre assure son secrétariat particulier ; ce cabinet allait, au cours du temps, connaître un développement considérable tant dans sa composition que dans ses compétences. Ce qui n’alla pas sans poser de sérieux problèmes dans ses relations avec l’administration. À côté de ce service « politique », le secrétariat général, institution que la Belgique connaît de manière permanente – en fait, elle existait déjà depuis 1814 à l’intérieur du royaume des Pays-Bas –, à la différence d’autres États, apparaît à la tête de la structure administrative. Trois divisions soutiennent – en gros, elles s’établissent entre 1831 et 1840 – cet ensemble administratif. La première est chargée des affaires politiques et diplomatiques et des renseignements de nature confidentielle ; la deuxième gère les traités de commerce et les affaires commerciales ; la troisième se voit confier les grands services logistiques : la comptabilité, les finances, les passeports, les légalisations, les consulats (dont on peut s’étonner qu’ils ne relèvent pas de la deuxième division).
Quand J. Lebeau devient ministre des Affaires étrangères, le 18 avril 1840, alors que l’administration de la Marine est de nouveau rattachée aux Affaires étrangères8, diverses évolutions interviennent dans l’organisation du département, à travers, notamment, la transformation des divisions en directions. L’Almanach de la Cour de 1841 nous fournit les indications suivantes. Outre le secrétariat général que dirige le baron Émile de T’Serclaes et dont les compétences demeurent, pour l’essentiel, celles définies en 1831, trois directions composent l’administration ; leurs compétences se précisent. La première, qui a à sa tête M. Constant Materne, s’occupe des Affaires politiques (instructions, correspondance diplomatique, négociations, traités, exécution des traités…) et des renseignements confidentiels (demandes d’extradition, lettres de notification, de rappel et de recréance, audiences diplomatiques, privilèges diplomatiques). La deuxième direction – M. Laurent Veydt en est le directeur – suit les affaires commerciales (instructions, négociations, traités, renseignements et correspondance), les consulats (organisation, interprétation des lois, correspondance avec les consuls, mouvements des postes, du commerce, lettres d’exequatur…) et les affaires litigieuses (droits de succession dans les rapports internationaux, questions de navigation et de commerce…). La troisième direction – M. Turbot est directeur de la chancellerie et de la comptabilité – continue à assurer la comptabilité et les matières diverses que sont les passeports, les légalisations, l’état civil, les actes judiciaires, etc.9
Expression de la place occupée dans la vie de l’État par certaines questions, comme le commerce et l’organisation consulaire, cette évolution traduit bien l’adaptation progressive de l’État aux exigences de son développement et de sa participation à la vie internationale. Avant l’arrêté de 1846, on mentionnera encore le rattachement aux Affaires étrangères de la troisième division du ministère de l’Intérieur : elle forme, aux Affaires étrangères, une quatrième direction, celle du Commerce intérieur ; la deuxième direction s’occupant, quant à elle, du Commerce extérieur.
Avec l’arrêté royal du 21 novembre 184610, le ministère des Affaires étrangères reçoit, dans une réorganisation générale des grandes administrations de l’État (en fait, à l’exception notable du ministère des Travaux publics, chargé des chemins de fer, le cadre ministériel ne concerne que les grands secteurs de la Puissance publique : Intérieur, Justice, Finances, Affaires étrangères, Guerre), un premier cadre organique effectif. Il s’agit, comme l’indique le texte lui-même, d’« introduire dans l’organisation actuelle du ministère […] les améliorations que l’expérience a indiquées et fixer le cadre du personnel, les attributions, les traitements, les règles d’admission et d’avancement11 ».
Étant donné la stabilité, à tout le moins organisationnelle, qui marqua le ministère jusqu’à la Première Guerre mondiale en tout cas, il nous semble justifié de considérer la structure institutionnelle de 1846 comme une base solide à partir de laquelle on peut envisager l’évolution de chacune des entités qui la composent. On notera cependant, dès à présent, que d’autres repères chronologiques seront pris en compte : 1873 (arrêté royal du 11 décembre de coordination des modifications intervenues depuis 1846 et ayant pour but « d’assurer de nouvelles garanties à la marche prompte et régulière des divers services » du département), 1880, 1895, 1912… notamment.
Entité difficile à cerner, objet de nombreuses contestations et interprétations divergentes, le cabinet ministériel ne fait l’objet d’une première réglementation qu’avec l’arrêté organique du 7 août 1839. Avant cela, seuls des arrêtés organiques propres à certains ministères l’évoquaient. Ainsi, comme le mentionne l’Almanach de Belgique 1830-1840, existe-t-il au ministère des Affaires étrangères depuis 1836 à tout le moins : le comte L. de Baillet, attaché, en est le responsable. L’arrêté royal du 21 novembre 1846 donne à ce responsable (il s’agit à cette époque du baron O. de T’Serclaes) le titre de « secrétaire particulier ». Le ministre le choisit soit dans l’administration centrale, soit en dehors de celle-ci (dans cette hypothèse, il est nommé par le roi). Ses attributions revêtent un caractère particulier en ce qu’elles concernent directement le ministre. À celles définies dès 1846 (réception et ouverture des dépêches, correspondance particulière, demandes d’audience, affaires de nature confidentielle, affaires que le ministre se réserve et recherches ou études propres à faciliter le travail du ministre), s’ajoutent, en 1873, la revue de la presse – la recherche de l’information et, par la suite, une sensibilisation à l’opinion –, la garde et la traduction du chiffre – le développement et la promotion des communications s’imposent –, et l’entretien des collections et de la bibliothèque du cabinet – la formulation et la défense des positions belges en matière internationale supposent un appui érudit et scientifique. Fin 190512 s’y adjoindront « l’indicateur général d’entrée, l’enregistrement de toutes les pièces ».
Bien que l’arrêté royal du 9 mars 1912 mentionne encore explicitement que « le cabinet du ministre est dirigé par un fonctionnaire qui porte le titre soit de chef du cabinet, soit de secrétaire particulier », la distinction n’est cependant pas sans importance. Quant au traitement tout d’abord. En effet, si, en 1873, l’article 15 de l’arrêté royal du 11 décembre mentionne que « le traitement du chef de cabinet ou secrétaire particulier du ministre est fixé par l’arrêté de nomination, il varie cependant de 3 000 à 5 000 francs » : en 1912, l’article 17 de l’arrêté royal du 27 février, précise : « Le traitement du fonctionnaire qui dirige le cabinet du ministre varie de 4 000 à 6 000 francs, s’il porte le titre de secrétaire particulier, et de 6 500 à 9 000 francs s’il a le grade de chef de cabinet. » Quant aux attributions ensuite. En effet, l’arrêté royal du 11 décembre 1873 spécifie que la qualité de « chef de service » revient au fonctionnaire qui porte le titre de chef de cabinet (et elle n’est pas attribuée au secrétaire particulier). Cette disposition permet en fait au ministre de désigner son chef de cabinet comme remplaçant du secrétaire général lorsque celui-ci est absent ou empêché (art. 9).
L’examen de l’évolution qu’a connue la fonction permet de dégager quelques observations. Les cabinets du XIXe siècle n’ont pas tout d’abord ce caractère pléthorique que beaucoup reprochent aux actuels. Deux, trois personnes les composent. À côté du chef du cabinet – on remarquera qu’il n’y a plus de secrétaire particulier après 1870 – apparaissent un ou deux attachés ou un chef de bureau et un chef de division. La liste des chefs de cabinet permet d’observer que, si la fonction présente fréquemment un lien direct et personnel avec le ministre, il arrive qu’un chef de cabinet assiste successivement plusieurs ministres. C’est le cas, par exemple, du comte C. Vander Straten Ponthoz qui fut chef de cabinet des ministres de Caraman Chimay (1884-1892) et de Mérode-Westerloo (1892-1895). La fonction revêt cependant bien un caractère personnel, marqué par l’engagement au service d’une personne et de projets politiques. On constate également que ces chefs de cabinet sont aussi bien issus de l’administration centrale que des services extérieurs. Ceci est vrai pour la période avant 1870. Par la suite, les chefs de cabinet sont majoritairement issus de la carrière extérieure. Seuls MM. L. van der Elst (chef de cabinet des ministres de Burlet [1895-1896] et de Favereau [1896-1906]) et H. Costermans sont issus de l’intérieur13.
Même s’il ne dispose pas de toutes les attributions qui reviennent au Permanent Secretary britannique, le secrétaire général représente un élément essentiel de la structure administrative ministérielle belge. Présent dans l’ensemble des ministères depuis la création de l’État, il y dispose de compétences importantes. Le ministère des Affaires étrangères, on l’a vu, est celui qui va, le premier, bénéficier de dispositions réglementaires plutôt précises en la matière. Quelques personnalités ayant occupé la fonction ont particulièrement marqué son exercice et ont imprimé leur marque personnelle sur la politique étrangère du pays. Il suffit de citer, pour la période qui nous concerne, le nom du baron Auguste Lambermont. En charge pendant plus de 40 ans, son action alla bien au-delà de la gestion et de la coordination administrative. Son rôle politique en fait un des grands acteurs de la politique étrangère belge14. Les ministres passent…, le secrétaire général demeure.
Aux attributions précisées dès 183115 (réception des dépêches, renvoi de celles qui concernent les affaires courantes aux différentes divisions et remise des autres au ministre ; correspondance avec les légations belges ; tenue du journal secret et des archives secrètes ; certification des pièces pour copie conforme ; toute attribution déléguée par le ministre ; signature du ministre en son absence), l’arrêté organique de 1846 en ajoute d’autres et précise le cadre administratif avec le support duquel il les exerce. Placé sous la responsabilité du ministre, le secrétaire général dispose d’une autorité hiérarchique sur les différents responsables de l’administration. Il coordonne, surveille l’ensemble. L’article 6 de l’arrêté du 21 novembre 1846 exprime clairement cette tâche : « Le secrétaire général distribue et surveille le travail des différentes parties du département. Les chefs de service lui remettent, sauf les cas d’urgence, toutes les affaires traitées dans leurs bureaux respectifs. Il les soumet au ministre avec ses observations s’il y a lieu. Il signe pour le ministre, quand celui-ci est absent ou empêché, les actes de la correspondance journalière. » Il joue en quelque sorte le rôle de chef du personnel de l’administration centrale. Il soumet, en effet, au ministre, toute proposition concernant ce personnel : création ou suppression d’emplois, nominations, avancements et démissions… Le développement de l’administration conduisit, en 1872, à la création du comité des chefs de service de l’administration centrale. À composition variable suivant les questions à débattre, ce comité apparut nécessaire pour coordonner les affaires relevant de plusieurs directions ainsi que pour la préparation des questions touchant au personnel16. La latitude avec laquelle le secrétaire général peut exercer ses charges est évidemment fonction de l’état de ses relations avec le ministre et le cabinet de celui-ci. La nature de sa personnalité joue un rôle déterminant dans l’équilibre à trouver entre orientation politique et administration.
Deux « bureaux », établis par l’arrêté royal de 1846, le composent : le bureau d’enregistrement et d’expédition17 et le bureau des ordres et de la noblesse18. La première de ces entités gère l’indicateur (toutes les pièces entrantes et sortantes, et leur distribution), assure la conservation et le classement des arrêtés royaux et ministériels, des traités et conventions et des documents parlementaires. Elle tient également le registre du personnel (le sommier-contrôle). Suivant l’arrêté, le cadre de ce bureau comprend un chef de bureau, deux commis et cinq expéditionnaires. Cette entité existera en tant que telle jusqu’à la Première Guerre. Les arrêtés royaux du 30 décembre 190519 et du 27 février 191220 – le premier s’occupant des « recherches et études destinées à faciliter le travail du secrétaire général et du personnel de l’administration centrale », le second ayant « transcription et collationnement ; expédition des lettres, pièces et paquets ; correspondance… » pour tâches – expriment cependant bien l’évolution intervenue, suite à la charge grandissante du travail, en répartissant les tâches entre ces deux bureaux.
La seconde de ces entités, le bureau des ordres et de la noblesse, est en charge de la gestion de l’ordre de Léopold, des titres de noblesse, de la bibliothèque du ministère et des archives générales. Un chef de bureau et deux commis en assurent le fonctionnement. Cette entité connaîtra divers changements au long du siècle. C’est ainsi qu’un bureau des archives réapparaît en tant que tel en 1868 pour devenir, en 1873, la division des archives, des traductions et de la bibliothèque21, en même temps qu’apparaît la division des ordres et de la noblesse. On remarquera que figure dans les compétences de la première de ces divisions la « revue de la presse étrangère ». En 1875, les deux entités portent le titre de direction. Le service des ordres et de la noblesse relève, à partir de 189622, de la direction politique pour revenir, en 1912, au secrétariat général. La direction des archives, des traductions et de la bibliothèque subsistera, en tant que telle, jusqu’en 1905, date à laquelle elle réintègre le secrétariat général. Elle est, durant cette période, composée de deux bureaux dont l’un est chargé de la « traite africaine » et de la « correspondance relative à l’exécution de l’article 82 de l’Acte général de Bruxelles et publication du recueil annuel prévu pour cet article »23.
Organe central au sein du ministère, le secrétariat général allait, par la suite, être l’objet de nombreuses discussions et susciter bien des réflexions quant à la place à lui reconnaître. Premier fonctionnaire du ministère, coordinateur de l’action administrative, le secrétaire général peut être le garant de l’« autonomie » de l’administration par rapport aux partis et autres influences extérieures, en même temps que le soutien, voire l’inspirateur, des projets politiques du ministre. Le tout sera fonction de la relation de confiance établie entre les hommes.
Le rôle général assuré par le cabinet et le secrétariat général devait nécessairement être complété par un ensemble de structures dédiées à l’exercice journalier et technique du suivi direct des questions politiques, économiques et de gestion de l’ensemble des activités du ministère. C’est ainsi que l’arrêté royal du 21 novembre 1846 établit les grandes directions : politique, du commerce extérieur et des consulats, du commerce intérieur, de la comptabilité, et de la chancellerie et de la marine.
Succédant à la première division (affaires politiques et diplomatiques), devenue première direction en 1840, la direction politique fondée par l’arrêté royal du 21 novembre 1846 reçoit des compétences larges relatives à la conduite de la politique étrangère (instructions, correspondance diplomatique, négociations, traités…) et à la vie diplomatique (renseignements confidentiels, lettres de créance, de rappel, protocole, audiences, privilèges, personnel diplomatique, traduction des pièces et documents écrits dans une autre langue que le français – cette dernière compétence est transférée, en 1860, au bureau des ordres et de la noblesse).
Une réorganisation ultérieure établit deux bureaux, au sein de la direction, aux compétences clairement précisées24, avant qu’en 1896 le service des ordres et de la noblesse, qui relevait jusque-là du secrétariat général, n’intègre la direction politique y formant le deuxième bureau25.
À partir de 1905, la direction devient une direction générale, comprenant deux divisions : celle des Affaires publiques et celle des ordres et de la noblesse26. En 1912, l’arrêté royal du 27 février qui réorganise l’ensemble du ministère crée une troisième section au sein de la direction générale, signe de l’apparition de nouvelles préoccupations et de l’augmentation des tâches à assurer qui en résulte : la section des Affaires coloniales27. Alors que les deux autres sections ne voient guère de changement les affecter, les Affaires coloniales sont chargées des « questions concernant les relations politiques de la colonie du Congo avec les puissances étrangères. Négociation et conclusion des arrangements qui concernent les limites de la colonie. Interprétation et exécution de l’acte de Berlin et des autres actes internationaux collectifs qui concernent le bassin conventionnel du Congo. » En vertu de la charte coloniale de 1908, réglant le transfert de la souveraineté de l’État indépendant du Congo à la Belgique, c’est en effet le ministère des Affaires étrangères du royaume qui a dans ses attributions « les relations de la Belgique avec les puissances étrangères au sujet de la Colonie », tandis que le ministère des Colonies, créé dès 190828 également, veille à la gestion « interne » du Congo. La question des relations extérieures du Congo donnera cependant lieu à de nombreuses tensions entre ministères des Affaires étrangères et des Colonies29. Le ministère des Colonies, dirigé dès 1908 par Jules Renkin, est organisé sur le modèle des autres ministères belges (cabinet du ministre et administration générale divisée en directions générales et directions) mais s’en distingue en ce qu’il relève à la fois du droit belge et du droit de la Colonie (l’administrateur général des colonies a, par exemple, des attributions plus étendues qu’un secrétaire général). Il comporte diverses directions témoignant de l’importante palette de ses compétences : justice, agriculture, commerce, travaux publics, enseignement, etc.30
Si l’existence de l’État belge était directement liée à la situation politique, intérieure et internationale – le rôle du ministère des Affaires étrangères était donc bien indispensable –, sa survie et son développement apparurent immédiatement dépendants de son économie, son commerce, ses industries, ses finances. La préoccupation du « commerce » s’imposa d’elle-même. Les relations économiques extérieures devinrent très vite une assise essentielle de l’État. Dès la création du ministère, les traités de commerce, la correspondance avec les consuls, la marine furent pris en compte. Un deuxième bureau, chargé des consulats, existe dès 1831. P. Nayer en est le responsable. Lorsqu’en 1837 est créée la deuxième division, chargée des traités de commerce et des affaires commerciales, il en devient le directeur. En 1841, cette division est transformée en direction, ayant compétence pour les affaires commerciales, les consulats et les affaires litigieuses31. L’arrêté royal fondateur du 21 novembre 1846 établit, en la matière, deux directions, celle du commerce extérieur et des consulats et celle du commerce intérieur. La première assure la correspondance avec les agents sur les questions d’intérêt commercial et maritime, les consulats : immunité, personnel, lettres de provision et d’exequatur. La seconde est en charge du commerce intérieur : correspondance interne relative aux intérêts commerciaux du pays, questions liées à la navigation et à la pêche, chambres et bourses du commerce.
En 1860, l’arrêté royal du 30 avril32 crée, à partir des deux anciennes directions, une direction unique, la direction du commerce et des consulats, divisée en deux sections : du commerce intérieur d’une part, des consulats d’autre part33. Les diverses modifications apportées à cette structure, en 1861, 1880, 1882, 189534 et 1905 notamment, entraînent une précision en même temps qu’une complexité croissante dans la définition des compétences. Quand, en 190535, le service devient direction générale du Commerce et des Consulats, deux divisions le composent : législation et consulats pour l’une, faits commerciaux pour l’autre. L’examen des compétences traduit à la fois un élargissement du domaine d’intervention dû à une adaptation de l’évolution même du contenu des relations économiques internationales en même temps qu’une nouvelle manière de travailler : l’administration fournit une information de plus en plus riche qu’elle est chargée de collecter. On voit ainsi l’arrêté royal du 27 février 1912 préciser que la direction a dans ses compétences « les lois et règlements relatifs aux émigrants ; les mesures destinées à guider les Belges dans leur expatriation […] ; la surveillance des opérations des agents d’émigration ; la visite des logements des émigrants ; la visite médicale des émigrants avant leur départ, etc. ». La direction comprend aussi un « bureau officiel des renseignements commerciaux » : il détient les rapports commerciaux des agents, il assure l’envoi aux consuls des renseignements sur la situation industrielle et commerciale de la Belgique, il possède des collections d’échantillons des produits commerciaux étrangers, des collections de livres, journaux et autres publications étrangères pouvant intéresser le commerce et l’industrie belges.
L’importance de cette direction n’est pas à souligner. Elle représente le cœur de l’activité extérieure du ministère. On ne s’étonne pas dès lors qu’elle soit celle qui reçoive le plus grand nombre d’agents : à la fin du siècle, on en dénombre une vingtaine, soit le double, voire le triple de chacune des autres directions.
Outre ces deux grandes directions, directement en charge des attributions essentielles du ministère – les relations politiques et économiques internationales –, un autre secteur compose l’administration centrale des Affaires étrangères : celui de la comptabilité et de la chancellerie. C’est sur base de la troisième division (comptabilité, finances, légalisation, consultation) en place depuis 1832 qu’en 1841 apparaît une troisième direction qui devient, en 1846, la division de la comptabilité et de la chancellerie36. Elle est en charge de la gestion du budget du ministère, des traitements des fonctionnaires, des divers frais (voyages, courrier…, des légalisations [visas, passeports], … ainsi que des « dépenses secrètes »), bref la gestion de l’intendance et de la logistique. En 1855, elle devient bien une direction, comprenant un bureau de la comptabilité et un bureau de la chancellerie. En 1866, cette structure est remplacée par une direction de la chancellerie et une direction de la comptabilité. Cette dernière est transférée, en 191037 à la direction générale de la chancellerie dont elle constitue désormais une section. La chancellerie a dans ses attributions ce qui, d’une manière générale, concerne les individus (nationalité, état civil, état des personnes…), tandis que la comptabilité s’occupe de tout ce qui relève des aspects financier et matériel relatifs au fonctionnement des Affaires étrangères.
On notera encore qu’une direction (direction générale à partir de 1905) du contentieux et du protocole apparaît en 1896. Comme son titre l’indique, elle gère les questions relatives au protocole dont on connaît l’importance aux Affaires étrangères, ainsi que les études des questions de droit international privé et autres actes diplomatiques ne concernant pas les relations politiques, le commerce et la navigation.
Assurer le fonctionnement de ces structures administratives suppose une politique du personnel. Du recrutement jusqu’à la retraite, le suivi du personnel est confié aujourd’hui à un service propre, spécialisé dans ces compétences pour lesquelles une formation large est requise. On ne peut pas parler, au sens actuel, d’une politique du personnel pour la période qui nous concerne. Quelques règles et principes sont cependant en vigueur dans ce qui s’apparente davantage à une gestion qu’à une réelle politique du personnel.
C’est le secrétaire général qui est responsable du personnel de l’administration centrale pour lequel la comptabilité intervient également. Le secrétaire général propose aux ministres les ouvertures ou suppressions d’emplois, les nominations, les avancements. La comptabilité s’occupe, quant à elle, des traitements, des pensions, de l’aide aux anciens fonctionnaires.
Le personnel, encore très limité dans les premiers temps – une trentaine de personnes en 1845 –, devient de plus en plus important. En 1875, on compte 42 fonctionnaires. Les affaires à gérer, les services à créer, les changements dans les compétences… ne peuvent être examinés ici. En 1879, 51 personnes occupent ce cadre de l’administration centrale, 72 en 1895, 83 en 1903, 96 en 1910 et 98 en 1912. Comme on l’a vu, la direction du commerce et des consulats comprend relativement le plus grand nombre de fonctionnaires. Ce qui traduit bien les priorités que l’on se donne. Après elle, la chancellerie et la comptabilité disposent également d’un service plutôt bien étoffé. Avec l’augmentation du nombre de fonctionnaires se développe également la réglementation les concernant. Petit à petit, la fonction s’organise38.
Dans l’organisation institutionnelle et dans les processus décisionnels de politique étrangère, le roi occupe une position cardinale tout au long du XIXe siècle. Tant les nécessités conjoncturelles que le statut international du pays expliquent ce rôle central joué par le souverain. La politique internationale représente véritablement, avec les nuances qu’il faut souligner en fonction des questions abordées et des circonstances, un domaine réservé au roi. Le roi y agit de manière indépendante, menant ainsi une politique largement personnelle.
Cette politique, Léopold Ier la conduisit grâce à des intermédiaires précieux, comme, au sein de l’Administration centrale, le baron Auguste Lambermont, et divers agents actifs des services extérieurs parmi lesquels certains sont des interlocuteurs privilégiés. Ses relations de cour le servent énormément. L’Internationale des souverains est une réalité à cette époque et Léopold Ier utilise ce réseau de relations personnelles et familiales (avec la Cour britannique notamment). Il se déplace auprès de la reine Victoria, Louis-Philippe, Napoléon III ; il reçoit les diplomates accrédités à Bruxelles, il entretient une correspondance suivie avec les Grands.
Si la grande politique, celle qui concerne la paix, l’équilibre européen, la sécurité, demeure son terrain d’action réservé, le Roi exerce en fait un contrôle direct sur toute la politique étrangère. L’influence personnelle qu’il assure sur les dirigeants étrangers lui permet bien souvent de faire prévaloir son point de vue propre. Un ministre qui serait en désaccord ne pourra tenir longtemps sinon il sera démissionné ou se retirera de lui-même. Le Roi considère que ses démarches l’emportent, en influence, sur l’action du ministère et de ses diplomates. Il utilise d’ailleurs directement ces derniers, passant au-dessus du ministre. Cet interventionnisme dans l’action diplomatique voit le Roi entretenir des correspondances avec les agents en poste, sans référence au ministre, ou même désigner un agent appelé à se substituer en quelque sorte à l’agent officiellement en place. Un cas est resté célèbre à cet égard. Alors que Firmin Rogier, frère de Charles Rogier, était chef de poste à Paris, le Roi, qui le considérait comme incompétent, souhaitait le remplacer par le prince de Chimay, homme de confiance du Souverain. Le gouvernement refusant ce changement, le Roi n’hésita pas à envoyer à Paris le prince de Chimay, auquel il confiait toutes les affaires importantes à traiter avec Paris. Cet événement ne fut pas sans influence dans la démission du cabinet De Brouckère en 1858. Ces interventions personnelles seront appelées à se réduire, tout en ne changeant pas fondamentalement l’attitude du Roi, lorsque l’on passera au système de gouvernement de parti. La force de l’unité gouvernementale et la nécessité d’obtenir l’accord des Chambres pour l’engagement financier nécessaire à certaines actions donneront au ministre la capacité d’apporter, en certaines circonstances, une réponse négative au Roi. Cette affirmation du gouvernement se manifesta clairement à propos de l’expédition en Chine, envisagée par les Anglais et les Français. Alors que le duc de Brabant poussait à une participation belge, le Roi soutint, par divers contacts avec Napoléon III notamment, l’initiative. Le refus du gouvernement qui, ayant appris, par des indiscrétions rapportées depuis Paris, cette intervention du Roi, fit valoir des raisons financières et empêcha ainsi le Roi de mener à bien ce projet.
À côté de ce rôle critique, le gouvernement sut aussi, en certaines circonstances, s’affirmer sur le terrain de la politique étrangère en prenant directement en mains la conduite d’une grande négociation. On voit combien le rôle de Lambermont fut déterminant dans le rachat du péage de l’Escaut en 1863. L’intervention du Roi ne fut qu’accessoire dans cette opération qui fut certainement l’une des plus importantes de la diplomatie belge du XIXe siècle.
Le roi agit donc quasiment à titre personnel dans le domaine qu’il se réserve. Ceci ne signifie pas qu’il ne prend pas en considération les intérêts belges – du moins la perception qu’il en a – ni qu’il ne tient pas compte de la politique du gouvernement. Le colloque avec ses ministres s’inscrit dans le processus de prise de décision. Sous Léopold Ier, et encore sous Léopold II, le roi représente le passage obligé de toute grande décision. Les rapports entre le roi et ses ministres sont plus étroits qu’aujourd’hui. Une conception orléaniste de la monarchie prévaut. Ce qui n’altère pas la nature constitutionnelle de la monarchie à propos de laquelle le principe de la responsabilité ministérielle s’applique. L’évolution se situe donc plutôt dans le degré d’initiative et d’autonomie reconnu à chaque branche de l’exécutif.
Souverain constitutionnel – la vie parlementaire occupe une place croissante – Léopold II bénéficie de l’héritage de Léopold Ier. Il ne s’inscrit cependant pas purement et simplement dans la ligne de son prédécesseur. Mise à part la politique coloniale à l’égard du Congo (on concédera volontiers que cette part est loin d’être négligeable), Léopold II ne mène pas une grande politique étrangère semblable à celle de son prédécesseur. La conduite de la politique étrangère devient de plus en plus l’apanage du ministre des Affaires étrangères. L’accord ne sera pas toujours parfait entre les deux branches de l’exécutif. Mais la légalité aura toujours le dernier mot. Léopold II s’efforce de conserver le contrôle de la politique étrangère. Il demeure, en tout cas, maître de tous les instruments dont disposait son père. Les rapports étroits qu’il entretient avec les Grands, son contrôle de l’outil diplomatique belge, le dévouement de certains hauts fonctionnaires représentent autant de moyens d’action dont il sait se servir.
Le baron Lambermont, personnage-clé de la politique étrangère belge, demeure l’homme de confiance et de liaison, le conseiller du Roi, jusqu’en 1882 en tout cas, lorsqu’intervient une rupture entre eux à propos du Congo et des décrets adoptés à ce sujet. Le Roi continue, par ailleurs, à utiliser les diplomates belges à l’étranger. Le double circuit ministère-agents diplomatiques et Palais-agents diplomatiques reste bien en place. Il est, sous Léopold II, mis au service de la politique africaine (et des autres initiatives coloniales qu’il envisage). L’affaire congolaise releva de son seul domaine personnel même si son ambition était bien, au départ, de donner un empire colonial à la Belgique. Néanmoins, sa double personnalité, chef d’État et particulier, ne pouvait supprimer le lien avec l’État. Tant que l’action des diplomates dont il se servait dans le cadre de ses projets personnels pouvait être séparée de celle de l’État, la confusion ne posait guère de problème. Il n’en fut cependant pas toujours ainsi. Si cette question coloniale ne relevait pas de la politique étrangère de l’État, la mise au service d’intérêts privés de l’outil diplomatique belge témoignait de la capacité du Roi à garder le contrôle de ce secteur de l’activité publique.
1. Ils concernent l’Intérieur, les Finances, la Guerre. Ces trois comités sont institués dès le 27 septembre 1830. Le comité de la Justice est créé le 10 octobre 1830.
2. On remarquera que l’appellation « Affaires étrangères