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À Arnaud, le I de ma vie.

Merci à Jean-Luc Luciani pour son soutien.

ISBN : 978-2-51102-440-9
© 2013, Version numérique Primento et Alice Editions

Ce livre a été réalisé par Primento, le partenaire numérique des éditeurs

Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie, microfilm ou support numérique ou digital, est strictement interdite.

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I.

Je ne sais pas écrire. C’est dit. Pourtant, j’adorerais. Faire mieux que le petit mot du matin quand je pars en retard. Celui que je pose entre le bol de café vide et la serviette en boule pour dire : « Je pars. Bisous. À plus ! » Ça, je maîtrise. Il faut dire que c’est le seul moyen de parler à ma mère. Elle dort toujours quand je me lève.

C’est comme ça depuis deux ans. Depuis que nous nous sommes installées toutes les deux au numéro 2 de la rue des Alouettes, au deuxième étage d’un immeuble en briques rouges au cœur de Paris. Deux, deux, deux et encore deux. C’est devenu notre chiffre fétiche. Avant, c’était le trois. Mais c’est fini. Mon père est allé s’installer ailleurs. Sans nous. Et nous sans lui.

Depuis, maman a trouvé un nouveau travail, avec de nouveaux horaires. Et notre nouvelle vie a commencé.

Maman a tenu à mettre nos deux prénoms – encore deux – sur la sonnette : Mélie et Iris Plune. Elle a repris son nom de jeune fille, son nom d’avant papa. Celui auquel il suffit d’enlever un « p » pour s’envoler vers la lune. Elle a dit qu’il n’y avait pas assez de place pour mettre le mien. Celui de papa, justement. C’est vrai qu’il est plus long – il s’appelle, enfin, je m’appelle Iris Célodine – mais il est joli aussi. Je n’ai rien osé dire, la situation était assez difficile comme ça. Et puis, maman était tellement triste, à l’époque. Malgré ses exclamations devant le salon minuscule, la cuisine riquiqui et ma chambre confetti. Quand j’ai su qu’elle allait dormir dans le salon, entre le buffet et le rocking-chair, sur un vieux canapé-lit défoncé, j’ai failli pleurer. Mais, si elle ne pleurait pas, ce n’était quand même pas à moi de commencer.

C’est vrai qu’au début ça n’a pas été facile.

Mais on s’est vite organisées. « On est des filles super organisées », aime répéter maman, surtout quand, justement, ça part dans tous les sens. Le linge qui s’empile dans la salle de bains, celui à laver, celui à sécher, celui à repasser, même si cette dernière option est le plus souvent vouée à l’échec. Le frigo qui crie famine et les placards qui se vident trop vite. La poussière qui nappe les meubles aussi sûrement que la chantilly le chocolat…

Le seul problème, finalement, c’est moi. Parce que, quand maman a retrouvé du travail, ce n’était pas des horaires de bureau. Dans la restauration, surtout à Paris, les heures s’allongent comme des élastiques ! D’où la super-maman-combine pour me tailler sur mesure un emploi du temps de ministre.

*

De 16 heures 30 à 17 heures 30, il y a Madame Lépine.

Elle habite au rez-de-chaussée. C’est la concierge de notre immeuble, la dame « je-sais-tout-je-m’occupe-de-tout ». Madame Lépine, son prénom, c’est Edmonde. Mais elle ne l’aime pas assez pour l’entendre. « Il fait tout défraîchi. Appelle-moi Ed ! Comme un mec ! » La première fois qu’elle m’a dit ça, je n’ai même pas été étonnée, avec ses deux poings sur les hanches, ses cheveux « plus courts tu meurs » et sa salopette grise. Elle m’a tapée dans la main et est partie d’un grand éclat de rire. Depuis ce jour-là, on est amie-amie. Je lui raconte tout, elle me raconte tout. Et on fait la paire.

Moi, ça m’arrange qu’elle soit partout tout le temps. Quand je vais chez elle, et j’y vais souvent, j’ai droit à tous les potins. Elle connaît tout l’immeuble. Ceux qui y habitent sont tous ses amis, même si ses commentaires ne les ménagent pas. Après, elle dessine des cercles avec les voisins, les commerçants de la rue, et ceux du quartier. Ed, c’est un peu une page Facebook à elle toute seule.

C’est chez elle que je goûte et que je fais mes devoirs. Enfin, que j’essaie, parce qu’avec sa télé et son moulin à paroles en musique d’ambiance, ce n’est pas le plus facile. En plus, moi, je souffle par dessus, alors forcément les ailes tournent à se décrocher la langue… et les devoirs finissent souvent aux oubliettes.

Mais j’aime trop son chocolat, qu’elle fait fondre à la casserole, parce que les poudres « c’est bon pour les machines à laver pas pour les estomacs », et ses tartines géantes de confiture maison aux drôles de couleurs. Elle invente des mélanges et crée des nouveaux goûts. Je suis sa testeuse en chef et je mets des notes sur son cahier spécial recettes. La confiture tomates-pruneaux a ma préférence. Elle en a toujours un pot d’avance.

Après le goûter et les devoirs, il faut bien que je la laisse travailler un peu, alors je grimpe jusqu’à mon deuxième étage, toujours par l’escalier. L’ascenseur me fait peur : entrer dedans, c’est comme s’enfermer dans une cage toute noire. Et ça me coupe le sifflet. Monter les marches, au contraire, me permet de continuer ce que je suis en train de me raconter. C’est l’heure où je croise Pipo et son maître au bout de la laisse. C’est le monsieur du premier, celui qui est toujours élégant. Il me salue en enlevant son chapeau :

— Bonjour, Mademoiselle Iris.

— B’jour M’sieur.

Je fais une caresse à son chien qui frétille des oreilles. Il a deux yeux d’amour qui me font craquer à chaque fois. Maman, elle l’aime beaucoup parce qu’il n’aboie jamais. Ed, elle, ne dit rien parce que ce Monsieur-là est un « de » quelque-chose. Il a un nom à rallonge avec une particule qui le tient à l’écart des simples mortels. Ed, elle en a plein la bouche quand elle parle de lui. Qu’il vient de telle famille, qu’il est cousin d’un tel. Il est de la « haute », de cette catégorie de personnes qu’on se contente de regarder d’en bas. Prince, comte, duc ou baron, moi je m’en moque. Il n’y a que son chien qui m’intéresse. Mais Ed, je sais qu’elle râle quand Pipo fait des tatouages de boue sur son carrelage tout propre. Seulement, elle le fait en douce…