Contrats & Patrimoine
De nombreuses thèses de droit privé restent méconnues par défaut de publication.
L’objectif de la collection Contrat&Patrimoine est de faire connaître aux praticiens la richesse de certaines d’entre elles en en faisant la synthèse, en développant un de leurs points novateurs et en les confrontant à d’autres thèses soutenues par des juristes tant français que belges.
Sous la direction de :
Christophe JAMIN est secrétaire général de la Revue trimestrielle de droit civil, membre du comité de rédaction des Archives de philosophie du droit et de l’Advisory Board de la European Private Law Review, ainsi que membre associé de l’Académie internationale de droit comparé.
Bernard TILLEMAN est professeur ordinaire de la KULeuven/KULAK et directeur du Centre de méthodologie de droit.
Alain VERBEKE est professeur ordinaire aux Universités de Leuven et Tilburg, avocat-associé au barreau de Bruxelles, directeur à l’Institut du Droit des Contrats et co-directeur au Center for Construction Law.
Pierre-Yves VERKINDT est professeur à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
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© Groupe Larcier s.a., 2014
Éditions Larcier
Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
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Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
ISSN : 2030-6563
EAN : 978-2-8044-6793-7
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
Avant-propos
PARTIE I – À LA RECHERCHE DES MANIFESTATIONS DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRISE (CYCLE DE SÉMINAIRES)
Chapitre I – La reconnaissance du patrimoine de l’entreprise
Entreprise et patrimoine : deux notions qui s’ignorent ?
JEAN PAILLUSSEAU
Le patrimoine de l’entreprise en droit fiscal
MARC COTTINI
Chapitre II – L’extension du patrimoine de l’entreprise
Le concept de valeur : moteur de la reconnaissance des nouveaux biens de l’entreprise ? Point de vue du comptable et du financier
FRÉDÉRIC ROMON
La valeur, moteur des nouveaux biens de l’entreprise
WILLIAM DROSS
La patrimonialisation des contrats de l’entreprise
DIDIER FERRIER
La patrimonialisation des informations, du savoir-faire et des investissements
EDITH BLARY-CLÉMENT
PARTIE II – LE PATRIMOINE DE L’ENTREPRISE : VERS UN PATRIMOINE AFFECTÉ ? (COLLOQUE)
Propos comparatistes : les expériences étrangères de patrimoines affectés
PHILIPPA PATERNOT
Chapitre I – Intérêt pratique du patrimoine affecté à l’entreprise
S’affranchir des contraintes de la personnalité morale
DANIEL BERT
La protection des nouvelles valeurs de l’entreprise : un droit en devenir
MARIE MALAURIE-VIGNAL et MARINE BIGOT-DESTREGUIL
Les inconvénients : bilan de l’EIRL
SAFIA KHERBOUCHE
Chapitre II – Implications conceptuelles du patrimoine affecté à l’entreprise
Quelle place pour le fonds de commerce ?
AUDE DENIZOT
Quelle place pour le patrimoine personnel ?
BRUNO DONDERO et JULIEN DELVALLÉE
Quelle place pour le passif ?
ROMAIN BOFFA
Rapport de synthèse
BERNARD SAINTOURENS
Le présent ouvrage est le fruit d’une recherche collective qui a pris la forme d’un cycle de séminaires suivi d’un colloque. L’idée de cette étude est née du constat d’une discordance entre les discours économique et juridique sur les biens et dettes. L’affectation de ces biens et dettes à l’entreprise constitue assurément une réalité économique, pouvant être traduite par l’idée d’un patrimoine de l’entreprise. Mais le patrimoine est avant tout un concept juridique dont le ciment traditionnel est la personne. Peut-il dès lors être rattaché directement à l’entreprise sans passer par le détour d’une personne physique ou morale ?
Le rapprochement des deux concepts de patrimoine et d’entreprise peut paraître osé. Il suffit de feuilleter un ouvrage de droit commercial ou de droit des affaires pour constater qu’il y est question, non pas du patrimoine de l’entreprise, mais seulement de ses biens. Même les ouvrages les plus centrés sur l’entreprise ne lui imputent pas de patrimoine propre. « Le patrimoine de l’entreprise » apparaît tout au plus comme un intitulé commode pour introduire l’étude de biens spécifiques, et plus spécialement celle du fonds de commerce. On sait cependant que ce dernier est loin d’avoir la portée d’un patrimoine. Il ne regroupe qu’une partie des biens de l’entreprise, les biens mobiliers, et ne correspond à aucun passif propre.
Si le droit commercial ne connaît pas le patrimoine de l’entreprise, c’est en réalité parce qu’il est lui-même fidèle aux principes du droit civil. Nourri par la théorie subjective du patrimoine d’Aubry et Rau, il rattache le patrimoine à la personnalité juridique dont est dépourvue l’entreprise. Le droit commercial part en conséquence de l’entrepreneur, et non de l’entreprise. Certes, cette dernière a fini par accéder à la vie juridique, notamment en droit européen. Mais en dépit de son grand rayonnement économique, l’entreprise demeure éclipsée dans l’univers juridique par la personne qui l’exploite. Il y a bien une notion juridique d’entreprise, mais elle n’a jamais dépassé le stade de « sujet de droit naissant », mis en évidence par la thèse de Michel Despax il y a déjà plus d’un demi-siècle. La théorie civiliste du patrimoine conduit dès lors à écarter toute idée de patrimoine de l’entreprise.
L’évolution législative récente montre cependant que les axiomes du droit civil ne sont pas irrémédiablement figés. Sous le poids des impératifs économiques et de l’internationalisation des échanges, le législateur a cherché à doter le droit français de mécanismes juridiques inspirés des droits anglo-saxons. L’idée de patrimoine d’affectation a ainsi fait une entrée remarquée en droit civil comme en droit commercial. C’est elle, d’abord, qui fait l’originalité de la fiducie française consacrée par la loi du 19 février 2007, véritable patrimoine d’affection spécialement dédié et séparé du patrimoine personnel du fiduciaire. Puis la loi du 15 juin 2010 a créé le statut d’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée), afin de satisfaire à la revendication des commerçants et artisans individuels, désireux de mettre leurs biens personnels à l’abri des dettes de leurs créanciers professionnels, sans pour autant créer une société. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée se retrouve ainsi à la tête d’au moins deux patrimoines : son patrimoine personnel pour ses biens et dettes extraprofessionnels et son patrimoine affecté pour ses biens et dettes professionnels, voire plus en cas de pluriactivité. C’est là, à notre sens, une consécration directe du patrimoine de l’entreprise, même si l’initiale « E » désigne l’entrepreneur. La preuve en est que l’article L. 526-17 du Code de commerce organise une transmission universelle du patrimoine affecté entre vifs, débouchant sur la reprise des dettes par le cessionnaire sans aucune novation. L’entreprise se détache alors de l’entrepreneur et poursuit sa vie propre entre les mains du cessionnaire.
Malgré leurs évidentes différences, l’EIRL et la fiducie ont ceci en commun de permettre la constitution d’un patrimoine d’affectation sans qu’il soit besoin de donner naissance à une personne morale. Tous deux assurent l’isolement de biens et dettes qui forment ainsi un patrimoine dédié à l’entreprise. Dès lors, il devient possible de penser le patrimoine non plus uniquement en termes de personne mais davantage en termes d’affectation.1 L’entreprise constituant une affectation de premier choix, elle pourrait être perçue comme le point d’imputation de l’affectation du patrimoine. C’est cette hypothèse que le présent ouvrage se propose d’étudier.
La première partie de l’ouvrage présente le résultat d’une démarche analytique et disciplinaire, consistant à prendre la mesure de la réception en droit positif d’un phénomène économique : le patrimoine de l’entreprise. La réflexion est à la fois économique et juridique. Elle mêle le discours de spécialistes en économie, gestion et comptabilité, mieux à même de décrire l’objet de la réception et l’avis des juristes, premiers concernés par la consécration du patrimoine de l’entreprise en tant que notion juridique. Elle se prolonge, par ailleurs, au sein même des disciplines juridiques dont certaines branches, tel le pragmatique droit fiscal, se sont très tôt ouvertes au concept de patrimoine de l’entreprise.
Deux approches complémentaires ont été successivement empruntées, répondant à deux manières d’appréhender le patrimoine. La première a consisté à traiter la question de l’émergence du patrimoine de l’entreprise, envisagé comme contenant. Il s’est agi de rechercher, en dehors de la fiducie et de l’EIRL, l’existence de manifestations d’un patrimoine affecté à l’entreprise, dans le souci de déterminer l’apport réel de ces nouveaux mécanismes : sont-ce de simples phénomènes isolés et purement exceptionnels, ou des étapes supplémentaires dans la consécration du patrimoine de l’entreprise ? La réflexion s’est ensuite orientée vers l’extension du patrimoine de l’entreprise, envisagé cette fois comme un contenu. On sait que l’entreprise aspire à la patrimonialisation des nouvelles valeurs qu’elle utilise ou crée, comme les contrats de distribution, les œuvres et contrats permettant sa présence sur internet, ou encore les informations et le savoir-faire. Le lien entre ces nouvelles valeurs et l’entreprise suffit-il à les faire entrer dans son patrimoine ? Le propos était d’étudier comment leur affectation à l’entreprise pouvait générer leur protection et leur patrimonialisation.
La seconde partie de l’ouvrage, plus prospective, aborde la question de la possibilité et de l’opportunité de l’extension de la technique du patrimoine affecté à toutes les entreprises. De lege lata, seul l’entrepreneur individuel peut adopter le statut d’EIRL. Mais il n’est pas interdit, de lege feranda, d’envisager la poursuite de l’évolution législative en faveur des personnes morales sachant que la fiducie est d’ores et déjà ouverte à tous et que le transfert de propriété au fiduciaire ne fait pas obstacle à l’exploitation de l’entreprise par le constituant, dès lors qu’il en conserve l’usage. Il y a assurément matière à réfléchir à l’utilisation de la technique du patrimoine affecté par l’entreprise, quelle que soit sa forme juridique. Pourrait-elle, par exemple, servir pour une société commerciale d’alternative à la création d’une filiale à 100 % ? Les inconvénients prêtés à l’EIRL, tels que le manque de crédit ou la trop grande complexité du cloisonnement patrimonial, seraient-ils encore problématiques pour un grand groupe de sociétés ? Parce que le recours à la technique du patrimoine affecté permet une économie de moyens par rapport à la création d’une personne morale, la question de sa généralisation se pose assez naturellement.
L’angle retenu pour cette réflexion est résolument celui de l’entreprise, destinataire et utilisatrice potentielle du patrimoine affecté.
Si les contributions s’appuient sur le régime de l’EIRL, à ce jour expérimentation la plus emblématique du patrimoine de l’entreprise, le programme de recherches aura aussi permis de mettre à l’épreuve, au-delà des spécificités de l’EIRL, l’idée même du patrimoine de l’entreprise. Il n’est pas certain que leur avenir soit nécessairement lié, l’EIRL ne constituant qu’un régime de patrimoine de l’entreprise parmi d’autres possibles. L’avènement de la fiducie et de l’EIRL ouvre indéniablement de vastes perspectives.
Edith Blary-Clément et Frédéric Planckeel
1. V. notamment P. BERLIOZ, « L’affectation au cœur du patrimoine », RTD civ., 2011, p. 635.