EAN : 9782335050141
©Ligaran 2015
Nous interrompons aujourd’hui, la série de nos études générales, sur les civilisations primitives de l’extrême Orient, et les peuples du Monde ancien, issus de la souche brahmanique, pour publier le résultat des recherches que nous avons été à même de faire pendant notre séjour dans l’Inde, sur les sciences occultes, et les pratiques des initiés de la secte des Pitris, – en sanscrit, Esprits, Mânes des ancêtres. –
Ce livre n’est ni un traité de doctrine, ni un ouvrage de critique.
Nous n’avons pas à nous prononcer, pour ou contre, cette croyance aux Esprits, médiateurs et inspirateurs, que partagèrent tous les initiés des temples de l’antiquité, qui est encore aujourd’hui la clef de voûte, de l’enseignement philosophique et religieux des brahmes, et à laquelle, dans nos contrées d’Occident, quelques groupes de penseurs, de savants même, paraissent revenir.
Nous ne sommes ni un adopte, ni un ennemi de cette croyance, à ce compte nous pouvons écrire son histoire.
Un partisan convaincu, eût fait un livre de foi. Un adversaire acharné n’eût commis qu’une œuvre de dénigrement.
Nous nous bornerons à donner des textes, à exposer ce qui fut ; à traduire l’Agrouchada-Parikchai qui est le compendium philosophique des spirites indous, à dire ce que nous avons vu, et à enregistrer servilement les explications que nous avons reçues des brahmes.
Nous ferons une large part, aux phénomènes que produisent à volonté les fakirs, phénomènes dans lesquels les uns voient les manifestations d’une intervention supérieure, et que d’autres ne considèrent que comme le résultat d’un charlatanisme habile.
Sur ce point, nous ne dirons qu’un mot.
Les faits, simplement magnétiques, sont indiscutables, quelqu’extraordinaires qu’ils puissent paraître.
Quant aux faits, purement spirites, nous n’avons pu expliquer ceux dans lesquels nous avons été acteur ou spectateur, que par notre propre hallucination… à moins d’admettre une intervention occulte.
Nous raconterons impartialement les choses dont nous avons été témoin, sans prendre parti dans la querelle.
Les Égyptiens, les Kabalistes juifs, les peuples de la Finlande, l’école d’Alexandrie, Philon et ses disciples, les Gaulois, et les premiers chrétiens eux-mêmes connurent ces doctrines et, comme les Indous, les réservèrent à leurs initiés. Les anciens Chaldéens ne paraissent pas s’être élevés au-dessus des pratiques de magie et de sorcellerie vulgaires.
Une philosophie morale toute spéciale est née de là ; nous aurons à lui indiquer sa place dans le concert universel des croyances métaphysiques de l’humanité.
La veille du jour où le srâddha funéraire doit avoir lieu, ou bien le jour même, que celui qui donne le srâddha, invite d’une manière honorable au moins trois brahmes comme ceux qui ont été mentionnés.
Le brahme qui a été invité au srâddha des Mânes doit se rendre entièrement maître de ses sens : qu’il ne lise point la sainte Écriture mais récite seulement à voix basse les invocations qu’on est tenu de prononcer, ainsi doit faire également, celui par qui la cérémonie est célébrée.
Les esprits des ancêtres, à l’état invisible, accompagnent de tels brahmes invités ; sous une forme aérienne, ils les suivent et prennent place à côté d’eux lorsqu’ils s’asseyent.
MANOU, slocas 187-188-189, liv. III.
« Longtemps avant qu’elles se dépouillent de leur enveloppe mortelle, les âmes qui n’ont pratiqué que le bien, comme celles qui habitent le corps des sannyassis et des vanaprastha – anachorètes et cénobites, – acquièrent la faculté de converser avec les âmes qui les ont précédées au Swarga. C’est le signe pour les âmes que la série de leurs transmigrations sur la terre est terminée… »
(Texte de l’ancien Bagavatta cité dans le Proœmium de l’Agrouchada-Parikchai.)
« Souviens-toi mon fils qu’il n’y a qu’un seul Dieu, maître souverain et principe de toutes choses, et que tout Brahme doit l’adorer en secret. Mais sache aussi que c’est un mystère qui ne doit jamais être révélé au stupide vulgaire. Si tu le faisais il t’arriverait de grands malheurs. »
(Paroles que prononcent les Brahmes en recevant un initié, d’après Vrihaspati.)
Ce n’est pas dans les ouvrages religieux de l’antiquité, tels que les Védas, le Zend-Avesta, la Bible, qu’il faut aller chercher l’expression exacte des croyances élevées de leur époque.
Écrits pour être lus, ou plutôt chantés dans les temples, aux jours de grandes fêtes, ces Livres de la loi, conçus dans un but de domination sacerdotale, n’avaient point mission de livrer au vulgaire, le secret des sciences, dont les prêtres et les initiés occupaient leurs loisirs.
« Souviens-toi, mon fils, disaient les brahmes indous au néophyte, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, maître souverain et principe de toutes choses, et que tout brahme doit l’adorer en secret. Mais sache aussi que c’est un mystère qui ne doit jamais être révélé au stupide vulgaire. Si tu le faisais, il t’arriverait de grands malheurs. »
La même prohibition se montre à chaque pas dans Manou.
« La Sainte Syllane primitive, composée de trois lettres A-U-M, dans laquelle la Trinité védique est comprise, doit être gardée secrète… »
(Manou, liv. XI, sloca 265.)
Ces trois lettres symbolisaient tous les secrets de l’initiation aux sciences occultes.
L’Honover ou germe primordial que le Zend-Avesta définit ainsi :
« Le pur, le saint, le prompt Honover, je vous le dis clairement, ô sage Zoroastre ! existait avant le ciel, avant l’eau, avant la terre, avant les troupeaux, avant les arbres, avant le feu fils d’Ormuzd, avant l’homme pur, avant les Deous, avant tout le monde, il existait avant tous les biens… » ne devait-il pas être également expliqué dans son essence, qu’aux Mages seuls ? Le vulgaire ne pouvait même pas connaître l’existence de ce nom vénéré, sous peine d’être frappé de mort ou de folie.
La même défense était faite aux Kabalistes anciens, dans ce passage de la Mischna :
« Il est défendu d’expliquer à deux personnes l’histoire de la création ; même à une seule l’histoire de la Mercaba – ou histoire du char qui traitait des attributs de l’Être irrévélé ; – si cependant c’est un homme sage ou intelligent par lui-même, il est permis de lui en confier le sommaire des chapitres. »
Nous empruntons à l’éminent hébraïsant A. Franck, de l’Institut, l’explication de ce curieux passage de la Kabale hébraïque. On va voir s’affirmer celle opinion que nous venons d’émettre, que l’expression exacte des croyances, des castes sacerdotales et des initiés ne se rencontrait pas dans les ouvrages dont la lecture était permise à la foule.
Évidemment il ne peut être ici question du texte de la Genèse, ni de celui d’Ézéchiel, où le prophète raconte la vision qu’il eut sur les bords du fleuve Chébar.
L’Écriture tout entière était, pour ainsi dire, dans la bouche de tout le monde ; de temps immémorial, les observateurs les plus scrupuleux de toutes les traditions, se font un devoir de la parcourir dans leur temple, au moins une fois dans une année. Moïse lui-même ne cesse de recommander l’étude de la loi, par laquelle on entend universellement le Pentateuque. Esdras, après le retour de la captivité de Babylone, la lut à haute voix devant tout le peuple assemblé. Il est également impossible que les paraboles que nous venons de citer, expriment la défense de donner au récit de la création, et à la vision d’Ézéchiel, une explication quelconque, de chercher à les comprendre soi-même, et de les faire comprendre aux autres. Il s’agit d’une interprétation ou plutôt d’une doctrine connue, mais enseignée avec mystère ; d’une science non moins arrêtée dans sa forme que dans ses principes, puisqu’on sait comment elle se divise, puisqu’on nous la montre partagée en plusieurs chapitres dont chacun est précédé d’un sommaire. Or il faut remarquer que la vision d’Ézéchiel ne nous offre rien de semblable ; elle remplit non pas plusieurs chapitres, mais un seul, précisément celui qui vient le premier dans les œuvres attribuées à ce prophète.
Nous voyons de plus que cette doctrine secrète comprenait deux parties à laquelle on n’accorde pas la même importance : car l’une peut être enseignée à deux personnes, l’autre ne peut jamais être divulguée tout entière, même à une seule, quand elle devrait satisfaire aux sévères conditions qu’on impose.
Si nous en croyons Maïmonides, qui, étranger à la Kabale, n’en pouvait cependant pas nier l’existence, la première moitié, celle qui a pour titre : Histoire de la Genèse ou de la Création, enseignait la science de la nature. La seconde, qu’on appelle Mercaba ou Histoire du char, renfermait un traité de théologie. Cette opinion a été adoptée par tous les kabalistes.
Voici un autre passage où le même fait nous apparaît d’une manière non moins évidente :
« Rabbi Jochanan dit un jour à Rabi Éliézer : Viens que je t’enseigne la Mercaba. Alors ce dernier répondit : Je ne suis pas assez vieux pour cela. Quand il fut devenu vieux, Rabi Jochanan mourut, et quelque temps après Rabi Assi étant venu lui dire à son tour : Viens que je t’enseigne la Mercaba, il répliqua : Si je m’en étais cru digne, je l’aurais déjà apprise de Rabi Jochanan ton maître. »
On voit par ces mots que pour être initié à cette science mystérieuse de la Mercaba, il ne suffisait pas de se distinguer par l’intelligence et une éminente position, il fallait encore avoir atteint un âge assez avancé, et même lorsqu’on remplissait cette condition, également observée par les kabalistes modernes, on ne se croyait pas toujours assez sûr ou de son intelligence ou de sa force morale pour accepter le poids de ces secrets redoutés, qui n’étaient pas absolument sans péril pour la foi positive, pour l’observance matérielle de la loi religieuse. En voici un curieux exemple rapporté par le Thalmud lui-même dans un langage allégorique dont il nous donne ensuite l’explication.
« D’après ce que nos maîtres nous ont enseigné, il y en a quatre qui sont entrés dans le jardin de délices, et voici leurs noms : Ben Asaï, Ben Zoma, Acher et Rabi Akiba.
Ben Asaï regarda d’un œil curieux et perdit la vie. On peut lui appliquer ce verset de l’Écriture : C’est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints.
Ben Zoma regarda aussi, mais il perdit la raison, et son sort justifie cette parabole du sage : Avez-vous trouvé du miel ? mangez-en ce qui vous suffit, de peur qu’en ayant pris avec excès vous ne le rejetiez.
Acher lit des ravages dans les plantations.
Enfin Akiba était entré en paix et sortit en paix, car le saint dont le nom soit béni avait dit : Qu’on épargne ce vieillard, il est digne de servir avec gloire. »
« Il n’est guère possible de prendre ce texte à la lettre, et de supposer qu’il s’agit ici d’une vision matérielle des splendeurs d’une autre vie ; car d’abord il est sans exemple que le Talmud, en parlant du Paradis, emploie le terme tout à fait mystique dont il fait usage dans ces lignes ; ensuite comment admettre qu’après avoir contemplé de son vivant les puissances qui attendent dans le ciel les élus, on en perde la foi ou la raison, comme il arrive à deux personnages de cette légende. Il faut donc reconnaître avec les autorités les plus respectées de la Synagogue, que le jardin de délices, où sont entrés les quatre docteurs n’est autre chose que cette science mystérieuse dont nous avons parlé, science terrible pour les faibles intelligences, puisqu’elle peut les conduire à la folie… »
Ce n’est pas sans motifs que nous n’avons rien voulu retrancher de cette longue citation ; en outre qu’elle soutient notre proposition avec une incontestable autorité, elle nous permet de faire un rapprochement bien extraordinaire entre les doctrines des anciens kabalistes hébraïques et celles des Indous sectateurs des Pitris – esprits. – Ces derniers en effet, ainsi que nous le verrons bientôt, n’admettaient à l’initiation, dans les temps anciens que des vieillards, et leur livre de science, l’Agrouchada-Parikchai, comme les livres des premiers kabalistes, le récit de la création, la Mercaba, et en dernier lieu le Zohar, est divisé en trois parties, traitant :
1° Des attributs de Dieu ;
2° Du monde ;
3 De l’âme humaine.
Dans une 4e partie, l’Agrouchada-Parikchai expose les relations entre elles des âmes universelles, indique les modes d’évocation à employer pour obtenir que les pitris consentent à se manifester aux hommes, et à leur enseigner les vérités immortelles, selon le degré plus ou moins élevé de perfection que chacun de ces esprits a conquis par ses bonnes œuvres.
Les ouvrages de kabale hébraïque, et notamment le Zohar, ne contiennent pas cette quatrième partie, non que les kabalistes n’aient pas admis ces relations des âmes, désincarnées, avec les âmes qui n’ont pas encore dépouillé leurs enveloppes mortelles, l’âme de Samuel évoquée devant Saül par la pythonisse d’Endor et les nombreuses apparitions bibliques sont là pour prouver la croyance par le fait. Mais ils en faisaient l’objet de l’initiation du second degré, et ces terribles secrets devaient s’enseigner de vive voix seulement dans les asiles mystérieux des temples.
Ce n’est pas l’étude de Dieu et du monde qui pouvait conduire à la folie les faibles intelligences dont parle le passage du Talmud que nous venons de citer, mais bien les pratiques kabbalistiques d’évocation de l’initiation suprême.
« Quiconque, dit le Talmud, a été instruit de ce secret et le garde avec vigilance dans un cœur pur, peut compter sur l’amour de Dieu et sur la faveur des hommes ; son nom inspire le respect, sa science ne craint pas l’oubli, et il se trouve l’héritier de deux mondes, celui où nous vivons maintenant et le monde à venir. »
Comment pouvait-on connaître les secrets du monde à venir, si l’on ne recevait pas les communications de ceux qui l’habitaient déjà.
Nous verrons que le Zohar des kabalistes, et l’Agrouchada-Parikchai des Indous professent les mêmes idées sur le germe primordial Dieu, le monde et l’âme. Nous inclinons donc à croire que nous sommes bien dans le vrai, lorsque nous pensons que l’enseignement des pratiques, que ne craint pas de dévoiler l’ouvrage indou, se donnait pour ainsi dire à l’oreille chez les anciens Thanaïms du judaïsme.
Il y a du reste des pagodes dans l’Inde, où cette quatrième partie de l’Agrouchada est séparée des trois autres, et forme pour ainsi dire un livre à part, ce qui prêterait à supposer qu’elle n’était révélée qu’en dernier lieu, et à un petit nombre d’adeptes seulement.
Ajoutons que kabalistes en Judée, et sectateurs des Pitris dans l’Inde se servaient de la même expression pour désigner un adepte des sciences occultes :
Il est entré au jardin de délices !
Aucun ouvrage de doctrine ne nous est parvenu des Égyptiens et des anciens Chaldéens sur ces matières, mais les fragments d’inscriptions que nous possédons prouvent qu’une initiation supérieure exista également chez ces deux peuples. Le grand nom, le nom mystérieux, le nom suprême, qui n’était connu que d’Ea, ne devait jamais être prononcé.
Ainsi, il est hors de doute que l’initiation, dans l’antiquité, ne fut pas la connaissance des grands ouvrages religieux de l’époque, Védas, Zend-Avesta, Bible, etc., que tout le monde étudiait, mais bien l’accession d’un petit nombre de prêtres et de savants à une science occulte qui avait sa genèse, sa théologie, sa philosophie et ses pratiques particulières, dont la révélation était interdite au vulgaire.
L’Inde a conservé toutes les richesses manuscrites de sa civilisation primitive, ses initiés n’ont abandonné aucune des croyances et des pratiques anciennes.
Nous allons donc pouvoir soulever complètement le voile de l’initiation brahmanique.
Puis après avoir comparé les doctrines philosophiques des adeptes des Pitris, avec celles des kabalistes juifs, nous dirons par quels points de contact les initiés des autres nations de l’antiquité se rattachent aux initiésdes pagodes indoues.
Avant d’entrer dans le vif de notre sujet, il nous paraît utile de dire quelques mots des brahmes. Nous ne soulèverons pas la question, si controversée dans la science, de leur véritable origine. Les uns, dans l’intérêt de leurs doctrines ethnographiques, les font venir des plaines stériles et désolées qui s’étendent de l’est de la Caspienne aux rives de l’Oxus. D’autres, d’accord avec les livres sacrés et les pundits de l’Inde, les font naître dans la contrée comprise entre le Gange et l’Indus d’un côté, et le Godavery et la Kristnah de l’autre. Sur la première de ces hypothèses nous avons dit autre part : « Un pareil système paraîtra singulier pour ne pas dire plus… lorsque on saura que cette contrée que l’on donne comme le berceau de la race antique des Indous, ne possède pas une ruine, pas un souvenir, pas le moindre vestige qui puissent donner une base ethnographique à cette opinion. Ni monuments, ni traditions d’aucunes sortes, voilà le bilan de cette terre qui aurait produit la civilisation la plus étonnante des temps anciens. C’est à un point qu’il serait tout aussi logique de faire sortir les Aryas ou Brahmes des plaines sablonneuses du Sahara.
« Un avenir prochain fera table rase de toutes ces élucubrations issues du cerveau des Allemands, dans un but facile à dévoiler. Nos voisins ne font pas de la recherche de la vérité absolue l’objectif de leur science, ils n’ont en vue que l’intérêt de leur race, qui selon eux est destinée à dominer le monde.
Faire aller des peuples blonds à cheveux dorés de l’est de la Mer Caspienne dans l’Inde, créer des espèces de Germains sur l’Oxus pour les envoyer conquérir le Gange, attribuer les Vedas et Manou aux races du Nord en les enlevant aux races du Sud… Tout cela sert admirablement leurs projets. Leurs ancêtres auraient ainsi dominé tout l’Orient, toutes les civilisations anciennes seraient sorties d’eux… à leur tour ils vont dominer le monde moderne, et préparer les civilisations de l’avenir… Que l’on ne croie pas à un rêve, à un parti pris de notre part, cela s’enseigne dans toutes les Universités d’Allemagne : la jeunesse écoute avec enthousiasme ces leçons dans lesquelles on nomme les Aryas-Indous, les vieux Germains de l’Oxus et du Gange, et on la prépare ainsi à jouer le même rôle de conquête en Europe.
La lutte contre la France désarmée et surprise a grisé à un tel point nos voisins des bords du Rhin qu’ils se croient poussés en avant par une sorte de fatalisme naturaliste que leurs professeurs extraient à grands renforts du syllogisme, du jeu des forces physiques, seul dieu qui domine le monde dans cette science prétendue nouvelle.
On leur dit à ces jeunes gens que l’homme se développe parles seules forces matérielles…, qu’il y a fatalement des races supérieures qui ont le droit de dominer le monde ; que les Germains descendant des Aryas sont à tous les points de vue physiologiques et scientifiques supérieurs aux autres peuples, et qu’ils ont le droit par conséquent d’imposer par la force leur direction… déjà ils disent leur domination.
« Et tout le monde répète en Allemagne avec le professeur Schopenhauer :
Dans le monde de l’homme comme dans le règne animal, ce qui règne c’est la force et non le droit. Le droit n’est que la mesure de la puissance de chacun. »
C’est donc pour les besoins des Germains, pour montrer qu’ils ont toujours été la race supérieure que les savants des bords de la Sprée font venir les brahmes des bords de l’Oxus.
La seconde opinion qui fait naître les Brahmes dans les plaines centrales de l’Indoustan, a pour elle les réalités historiques et géographiques, l’autorité de tous les savants Pundits et de Manou dont on connaît le texte célèbre.
Couroukchetra, Matsya, et le pays de Boutchala qui recevra aussi le nom de Canya-Cobja (montagne de la vierge), Souraswaca, aussi appelé Mathoura, forment la contrée voisine de celle de Brahmavarta, pays des hommes vertueux, c’est-à-dire des Brahmes. »
Ces contrées sont enfermées dans le quadrilatère formé par les quatre fleuves que nous venons de nommer. Nous n’insistons pas, aussi bien n’avons-nous pas l’intention de discuter dans cet ouvrage des problèmes d’ethnographie, mais bien d’exposer des conceptions religieuses.
Manou le législateur, issu des temples de l’Inde, donne aux Brahmes une origine divine :
Pour la propagation de la race humaine, de sa bouche, de son bras, de sa cuisse, de son pied, le souverain Maître produisit le brahme prêtre, – le Xchatrya roi, – le Vaysia marchand, – le Soudra esclave.
Par son origine qu’il tire du membre le plus noble, parce qu’il est né le premier, parce qu’il possède la Sainte Écriture, le Brahme est de droit seigneur de toute la création.
Tout ce que le monde renferme est la propriété du Brahme ; par sa primogéniture et sa naissance éminente, il a droit à tout ce qui existe.
Le brahme ne mange que ce qui lui appartient, ne reçoit, comme vêtement, que ce qui est déjà à lui, en faisant l’aumône, avec la chose d’autrui, il ne donne que ce qui lui appartient. C’est par la générosité des brahmes que les autres hommes jouissent des biens de ce monde. »
MANOU, liv. 1er.
Le droit divin est né de là.
Pendant plusieurs milliers d’années, les Brahmes-prêtres gouvernèrent l’Inde sans conteste. Les rois, ou pour mieux dire les chefs, n’étaient que leurs mandataires, la masse du peuple qu’un troupeau docile, dont le produit entretenait le luxe et l’oisiveté des hautes classes. Dans les temples, immenses dépôts sacerdotaux de richesses qu’accumulait le travail des déshérités, les prêtres apparaissaient aux yeux de la foule éblouie, couverts de vêtements magnifiques, ils se prosternaient devant les idoles de bois, de granit et de bronze qu’ils avaient inventées, donnant eux-mêmes, en riant sous cape, l’exemple de la soumission aux plus ridicules superstitions. Ces sacrifices accomplis dans un intérêt de domination temporelle, le Vaysia et le Soudra retournaient à la terre, les chefs à leurs plaisirs ; et les prêtres rentraient dans leurs mystérieuses demeures, où ils se livraient à l’étude des sciences et des plus hautes spéculations philosophiques et religieuses. L’heure vint où les xchatrias ou rois, se servirent du peuple pour secouer le joug théocratique, mais dès qu’ils eurent vaincu le prêtre, et pris le titre de seigneurs de la terre, ils abandonnèrent leurs alliés de la veille, et dirent aux Brahmes :
« Prêchez aux peuples que nous sommes les élus de Dieu et nous vous comblerons de richesses et de privilèges. »
L’alliance se fit sur cette base… et depuis vingt mille ans et plus, le soudra, le servum pecus, le peuple n’est pas encore parvenu à la rompre.
Réduits à un rôle purement religieux, les brahmes employèrent toute leur puissance à maintenir la foule dans l’ignorance et le respect, et se défiant même de l’ambition qui pourrait porter, un jour ou l’autre, quelque membre de leur propre caste à soulever les classes serviles à son profit ; ils mirent le secret de leurs croyances, de leurs principes, de leurs sciences sous la sauvegarde de l’initiation, n’admettant aux révélations suprêmes, que ceux qui pouvaient réaliser quarante ans de noviciat et d’obéissance passive.
L’initiation comportait trois degrés.
Dans le premier étaient formés tous les brahmes du culte vulgaire, et les desservants des pagodes chargés d’exploiter la crédulité de la foule. On leur apprenait à commenter les trois premiers livres des védas, à diriger les cérémonies, à accomplir les sacrifices ; ces brahmes du premier degré étaient en communion constante avec le peuple, ils étaient ses directeurs immédiats, ses gourous.
Le second degré comprenait les exorcistes, les devins, les prophètes, les évocateurs d’esprits qui, à de certains moments difficiles, étaient chargés d’agir sur l’imagination des masses, par des phénomènes surnaturels. Ils lisaient et commentaient l’Atharva-Veda, recueil de conjurations magiques.
Dans le troisième degré, les brahmes n’avaient plus de relations directes avec la foule, l’étude de toutes les forces physiques et surnaturelles de l’univers était leur seule occupation, et quand ils se manifestaient au dehors, c’était toujours par des phénomènes terrifiants et de loin. Suivant le célèbre sorite sanscrit, les dieux et les esprits étaient à leur disposition.
Tout ce qui existe, est au pouvoir des dieux.
Les dieux, sont au pouvoir des conjurations magiques.
Les conjurations magiques, sont au pouvoir des brahmes.
Donc les dieux, sont au pouvoir des brahmes.
On ne pouvait parvenir au degré supérieur, sans avoir passé par les deux premiers, ou se faisait un travail d’épuration d’après la valeur et l’intelligence des sujets.
Jamais machine de défense sociale ne fut mieux combinée, ce serait à rendre jaloux nos doctrinaires modernes les plus libres de préjugés…
Tout ce qui était trop intelligent, sans souplesse de caractère, restait noyé au milieu des fanatiques du premier degré, où nul excès d’ambition ne pouvait être à craindre. Ce bas clergé, si nous pouvons employer cette expression, n’était pas beaucoup au-dessus du niveau des autres Indous, dont il partageait les superstitions, qu’il enseignait peut-être de bonne foi. Cantonnés dans les pratiques ordinaires du culte, on n’avait pas à redouter de lui de ces indépendances de pensée qui n’arrivent d’ordinaire qu’avec la science. Ce n’était qu’au bout de vingt ans que l’on pouvait, par le choix, sortir de cet ordre pour passer dans le second, où le voile des sciences occultes commençait à se soulever ; et le même laps de temps était nécessaire, pour franchir les mystérieuses barrières du troisième. Les initiés de cette classe étudiaient l’Agrouchada-Parikchai ou Livre des esprits.
Au-dessus de ce dernier degré d’initiation se trouvait encore un conseil supérieur, présidé par le Brahmatma, chef suprême de tous les initiés.
Ce pontificat ne pouvait être exercé que par un brahme ayant dépassé quatre-vingts ans. Il était seul gardien de la formule élevée, résumé de toute science, contenue dans les trois lettres mystiques,
Qui signifiaient création, conservation, transformation. Seul il la commentait en présence des initiés.
Enfermé dans un immense palais, entouré de vingt-et-une enceintes, le brahmatma ne se montrait à la foule qu’une fois l’an, avec un tel cérémonial et une telle pompe, que ceux qui parvenaient à l’apercevoir, s’en retournaient l’imagination frappée, comme s’ils avaient été en présence d’un Dieu.
Le vulgaire le croyait immortel.
Et de fait, pour conserver cette croyance dans l’esprit des masses, ni la mort du brahmatma, ni l’élection du nouveau, n’étaient jamais connues d’elles. Tout se passait dans le silence des temples, les seuls initiés du troisième degré concouraient à cette nomination, et l’élu ne pouvait être choisi que parmi les membres du conseil suprême.
Quiconque parmi les initiés du troisième degré révélait à un profane une seule des vérités, un seul des secrets confiés à sa garde était mis à mort. Celui qui avait reçu la confidence subissait le même sort.
Enfin pour couronner cet habile système, il existait un mot supérieur encore au monosyllabe mystérieux – A U M – qui rendait celui qui en possédait la clef presqu’égal à Brahma. Le brahmatma seul la possédait, et la transmettait dans un coffre scellé à son successeur.
Ce mot inconnu, dont aucun pouvoir humain ne pourrait, encore aujourd’hui que l’autorité brahmanique est tombée sous les invasions mongoles et européennes, aujourd’hui que chaque pagode a son brahmatma, obtenir la révélation, était gravé dans un triangle d’or et conservé dans un sanctuaire du temple d’Asgartha, dont le brahmatma avait seul les clefs. Aussi portait-il sur sa tiare deux clefs croisées, soutenues par deux brahmes agenouillés, signe du précieux dépôt dont il avait la garde.
Ce mot et ce triangle étaient gravés sur le chaton de la bague que portait ce chef religieux comme un des signes de sa dignité ; il était également encadré dans un soleil d’or sur l’autel, où chaque matin le pontife suprême offrait le sacrifice du sarvameda ou sacrifice à toutes les forces de la nature. »
À la mort du brahmatma, son corps était brûlé sur un trépied d’or, et ses cendres secrètement jetées dans le Gange. Si, malgré toutes les précautions, le bruit s’en accréditait au dehors, les prêtres répandaient habilement le bruit que le chef suprême était monté pour quelque temps au swarga-ciel, dans la fumée des sacrifices, mais qu’il ne tarderait pas à revenir sur la terre.
Sous les nombreuses révolutions qui ont si profondément troublé la situation sociale et religieuse de l’Inde, le brahmanisme ne possède plus de chef suprême ; chaque pagode a ses initiés des trois degrés, et son brahmatma particulier ; et les chefs de ces temples sont souvent en hostilités ouvertes les uns avec les autres ; cette décomposition n’a cependant pas atteint les croyances, et nous allons voir, en étudiant les différents modes en usage dans les trois classes d’initiation, que les brahmes indous, sont restés observateurs immuables de leurs vieilles prescriptions religieuses.
Dès qu’une brahmine vient d’accoucher, son mari note avec soin sur ses tablettes l’heure, le jour, l’an, l’époque et l’étoile sous laquelle l’enfant vient de venir au monde ; il porte ces renseignements à l’astronome de la pagode, qui tire l’horoscope du nouveau-né. Neuf jours après, on dresse une estrade entourée de fleurs et de feuillage, sur laquelle la mère vient s’asseoir avec son enfant sur les bras.
Un brahme pourohita, – officiant de la première classe des initiés, – vient alors faire devant l’estrade le poudja ou sacrifice à Vischnou. Il verse un peu d’eau lustrale sur la tête de l’enfant, et dans le creux de la main du père et de la mère, qui la boivent, et il asperge avec le même liquide tous les assistants.
Le père apporte alors un plat de terre, de bronze ou d’argent, suivant sa fortune, sur lequel se trouve un peu de bétel et un présent qu’il offre au pourohita.
Par cette cérémonie l’enfant est purifié de toutes les souillures qu’il a apportées avec lui à sa naissance.
À partir de ce moment, la mère qui, depuis l’accouchement, est restée dans une chambre séparée, doit vivre encore dix jours dans un lieu retiré, et ce n’est qu’au bout de ce temps qu’il lui est permis de sortir et de se rendre au temple pour s’y purifier elle-même de ses souillures.
Il est inutile de faire remarquer la concordance de ces coutumes avec celles du judaïsme en pareil cas.
Douze jours après a lieu la cérémonie de la dation du nom, ou nahma-carma.
Après avoir orné la maison comme pour une fête, on invite tous les parents et les amis de la caste brahme seulement. Le père, après avoir fait une oblation au feu et aux neuf principales divinités qui président aux planètes, transcrit avec un pinceau sur une tablette de bois, l’horoscope de son fils, qui a été tiré à la pagode, avec le nom qu’il veut lui donner.
Ceci fait, il prononce trois fois, à haute voix, le nom qu’il vient d’écrire, puis, lorsque tous les assistants l’ont répété avec lui, il termine par les paroles suivantes :
« Que le nom de Brahma soit béni, celui-ci est mon fils et il s’appellera Narayana (ou tout autre nom), écoutez bien afin qu’on s’en souvienne. »
Il sort alors de la maison et, suivi de tout le cortège, il plante dans son jardin ou sur le devant de la maison un cocotier, un tamarinier ou un palmier, suivant le pays, en disant :
Au nom du puissant et juste Brahma, vous tous qui êtes ici présents, gardez la mémoire de ceci, cet arbre a été planté le jour de Narayana, en la trente-cinquième année du Ve siècle lunaire de la troisième époque divine » ou toute autre date, ceci n’est, le lecteur le comprend, qu’une simple formule.
La cérémonie terminée, un grand repas réunit tous les assistants, et avant leur départ, le père fait cadeau à chacun d’eux, d’une coupe en bois de cèdre ou de sandal, sur laquelle est gravé l’horoscope, ou plus généralement le chiffre de l’enfant.
Ce cadeau a pour but de constater l’état de l’enfant, si plus tard des contestations venaient à s’élever sur la légitimité de sa naissance. Appelés devant le tribunal de la caste, les témoins se présenteraient leur coupe à la main en disant :
« Au nom du puissant et juste Brahma, ce que ma bouche va dire est conforme à la vérité. Cette coupe m’a été donnée par Covinda, le jour de Narayana, en la trente-cinquième année du Ve siècle lunaire de la troisième époque divine. Narayana est bien le fils de Covinda. »
Le brahme pourohita qui assiste à la cérémonie, offre alors un sacrifice aux Pitris, ou esprits des ancêtres, pour les prier de protéger le nouveau-né.
Le père distribue ensuite du bétel aux assistants et fait un cadeau proportionné à son état de fortune au prêtre officiant.
Lorsque l’enfant entre dans son septième mois, on lui donne pour la première fois du riz à manger. Cette fête prend le nom d’Anna-Prassana.
Comme pour les autres cérémonies, le père invite tous ses parents et amis, et fait venir un brahme officiant de la pagode. Après un bain général dans l’étang des ablutions, sur lequel le Pourohita a répandu quelques gouttes d’eau lustrale, tous les conviés vont se placer sur une estrade garnie de branches d’arbres pourvues de leurs fruits, et le prêtre offre un sacrifice, aux esprits lunaires protecteurs de la famille.
Pendant ce temps-là : les femmes chantent des cantiques de circonstance, et font pour la première fois au-dessus de la tête de l’enfant, la cérémonie de l’Aratty, qui a la propriété d’éloigner les mauvais esprits.
Le prêtre bénit alors le cordon brahmanique, signe de caste, que l’on va pour la première fois attacher autour des hanches de l’enfant. On verse ensuite dans la bouche de ce dernier un peu de bouillie de riz, et tout le monde s’assied pour le repas.
Cette cérémonie se termine comme les autres par des distributions de bétel et un présent au prêtre officiant.
Dès que l’enfant a atteint l’âge de trois ans, on lui fait le Tchaoula ou la Tonsure.
Cette fête, est beaucoup plus solennelle que celles qui précèdent, car pour la première fois l’enfant peut en y assistant, balbutier le nom de la Divinité, et ceux des esprits protecteurs du foyer.
Après avoir baigné, et paré l’enfant avec un collier et des bracelets de perles de corail et de sandal entremêlées, on le conduit sous un pandal, sorte de dais formé par des arbres apportés à cet effet, et des fleurs de toute espèce ; les parents et les invités l’entourent, et le prêtre offre une oblation à tous les Pitris, ou mânes des ancêtres de la famille, dans les deux branches paternelles et maternelles. On apporte la statue de Siva-Lingam, image de la fécondation perpétuelle que l’on couvre de fleurs et de fruits.
Alors commence l’office du barbier. Après s’être incliné devant le Dieu, au milieu des chants des femmes qu’accompagnent les musiciens de la pagode, il rase la tête de l’enfant en lui laissant par derrière une petite mèche de cheveux qui ne doit jamais être coupée.
Pendant celle opération, des parentes de l’enfant font l’aratty sur la tête des assistants, pour conjurer la présence des mauvais esprits, et tout le monde garde un religieux silence.
Son office terminé, le barbier se relire emportant son salaire qui consiste en une certaine quantité de riz, et le prêtre purifie l’enfant, de la souillure que lui a imprimé l’impur contact du barbier.
On fait de nouveau la toilette de l’enfant, et après un nouveau bain dans l’étang sacré des ablutions, destiné à lui rendre propice tous les esprits et les génies des plantes auxquels ce jour-là est consacré, un repas et des présents, comme toujours, terminent la cérémonie.
Jusqu’à l’âge de neuf ans accomplis, le jeune brahme va rester aux mains des femmes, attendant le moment de commencer son noviciat.