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Meurtres au féminin
Le présent ouvrage propose des affaires criminelles dont les procès ont eu lieu récemment.
Les choses ont-elles changé en trois ou quatre années ?
Oui, quant à la fréquence des procès : on constate une augmentation incessante, lancinante et catastrophique de ceux-ci.
Ainsi, certaines Cours d’assises qui, il y a une dizaine d’années seulement, « fonctionnaient » à raison d’une session par quinzaine ou par mois, sont aujourd’hui (année 2012-2013) obligées de programmer des procès toutes les semaines, en croisant les doigts qu’il n’y ait pas d’incidents majeurs nécessitant des retards ou reports, d’où une modification d’un calendrier de plus en plus serré.
La sacro-sainte volonté de juger dans des délais raisonnables (la Cour européenne des Droits de l’Homme établie à Strasbourg veille au grain à ce sujet) est parfois battue en brèche face à cette réalité de « terrain », peu ou pas connue de certains décideurs politiques.
Ceci étant précisé, il n’y a rien de changé au niveau de l’« ambiance » qui se déroule dans ce type de procédure judiciaire.
Les salles des pas perdus restent toujours des cours des miracles avec leurs lots de tristesse, surtout dans le chef des victimes ou des familles de condamnés, de joies, parfois difficilement contenues, émanant d’acquittés, d’attitudes « neutres » de journalistes et chroniqueurs judiciaires, ou déplacées, choquantes, émotives, colériques, angéliques, poujadistes… des habituelles personnes qui suivent ces procès d’assises comme elles regardent des séries télévisées, les « Julie Lescaut », « Experts : Miami », « Esprits criminels », « Inspecteur Barnaby », « Mentalist »… !
À l’exception de nouveaux magistrats et avocats, rien n’a donc fondamentalement changé dans cette ambiance si particulière aux assises.
Mêmes armoires aux pièces à conviction, mêmes places pour les accusés (le « box »), les jurés, les témoins, le public. Mêmes attitudes théâtrales de certains avocats et, sur le fond des affaires, rien de nouveau.
Ainsi, lors du dernier trimestre 2012 et au début de 2013, les Cours d’assises ont accueilli des affaires comparables en horreur, en désolation, en misère humaine, en bestialité… à celles d’il y a une, deux, trois décennies, voire davantage.
En octobre 2012 :
- deux braqueurs d’une bijouterie répondirent de coups de feu mortels tout en impliquant un complice qui avait disparu dans la nature ;
- jugement programmé d’un « zonard » qui avait tué de cinq coups de couteau un « paumé » (termes repris dans l’acte d’accusation) ;
- un jeune avait battu à mort sa compagne enceinte ;
- un toxicomane a tué à coups de hache son colocataire.
En novembre 2012 :
- jugement d’un sanglant règlement de comptes dans le milieu forain ;
- un homme avait tué l’amant de son épouse ;
- un fils avait tué sa propre mère à coups de poings suite à une dispute familiale.
En décembre 2012 :
- dramatique agression dans un home de personnes âgées au motif de faire main basse sur de l’argent supposé être dans un coffre ;
- déjà condamné pour le meurtre de son épouse, un homme d’âge mûr avait récidivé peu après sa libération et tué une jeune fille de 20 ans ;
- un villageois avait tué son voisin… qui photographiait son habitation.
Au début de 2013 :
- une jeune de 20 ans avait étranglé une jeune femme de 26 ans et abandonné son corps à l’arrière d’une maison ;
- un trentenaire avait étouffé son père, atteint par la maladie d’Alzheimer ;
- un père avait étranglé son fils « parce qu’il ne supportait pas la séparation avec sa compagne »…
Et, pourtant, des assises toujours différentes !
Néanmoins, chaque affaire reste différente à travers la personnalité des protagonistes, dans les circonstances des drames, dans leurs contextes, dans la qualité (ou non) des enquêtes et des plaidoiries…
Voici, pour illustrer mes propos (dans ce cas-ci, une femme en est la victime), la relation d’une séance de Cour d’assises à laquelle j’ai assisté avant le bouclage du présent ouvrage.
L’accusé, Salvatore, ancien électricien, est âgé de 70 ans. La présidente de la Cour d’assises prend la parole :
- L’audience est reprise, Mesdames et Messieurs ! Faites entrer le premier témoin. Bonjour, Monsieur. Vous êtes bien Monsieur Franck, 48 ans, ouvrier ?
- C’est exact.
- Veuillez prêter serment.
- Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité.
- Connaissiez-vous l’accusé, ici présent ? Êtes-vous parent, allié ou attaché à son service ?
- C’est un ancien collègue. J’ai travaillé une quinzaine d’années avec lui. C’était un homme avec un grand cœur, plein de bonne volonté, compétent.
- Et son caractère ?
- Très gentil, correct, patient, taiseux, aimable.
- Pas de défauts ?
- Têtu !
- Son épouse (58 ans) travaillait aussi avec lui, donc avec vous, dans le même établissement. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
- Elle était concierge, c’était une gentille femme, mais elle criait trop.
- Se confiait-elle sur sa vie de couple ? Était-elle séductrice ?
- Elle criait pour tout et pour rien…
- Persistez-vous dans vos déclarations ?
- Oui, Madame la présidente.
- Merci d’être venu témoigner. Faites entrer le deuxième témoin !
À la barre, un électricien de 35 ans, autre collègue de l’accusé.
- Salvatore était sympa, c’était un homme simple, travailleur. J’ai du respect pour lui.
- Et son épouse Micheline ?
- Quelqu’un de bien ! Je ne les ai jamais vus se disputer.
- Merci pour votre témoignage.
Troisième témoin : un ouvrier de 41 ans, également un ancien collègue de Salvatore. C’est une personne originaire d’Asie, son élocution n’est pas aisée.
- J’allais boire un verre avec lui de temps en temps.
- Un petit verre ou plusieurs ?
- Un ou deux. Salvatore était calme, un peu têtu parfois…
- Et son épouse ?
- Très gentille, aussi. Mais, Salvatore était plus calme qu’elle.
- Vous a-t-il parlé de problèmes conjugaux ?
- Je ne me souviens plus.
- Vous avez déclaré aux enquêteurs qu’après leur procédure de divorce…
- (…)
- On ne divorce pas quand tout va bien et qu’on s’aime… Bref, elle vous aurait dit qu’elle allait rejoindre un homme plus jeune qu’elle dans le Sud de la France.
- J’ai entendu cette conversation alors qu’elle était à une autre table que moi.
- Et Salvatore, comment était-il à ce moment-là ?
- Je ne me souviens plus…
Le quatrième témoin, dit de moralité, est Anthony, 30 ans, électricien et encore un collègue de l’accusé.
- Salvatore était très serviable, correct, agréable, respectueux. Il m’avait pris sous son aile en tant qu’ancien de service. C’était un ami et il l’est resté.
- Et son épouse ?
- Pas méchante, mais avec du caractère, hein ! Elle râlait souvent. Salvatore m’avait confié avoir des problèmes de couple. Des histoires de correspondance sur internet. Je l’ai vu décliner de plus en plus. C’était moral et pas à cause de son âge ! Elle voulait partir de la maison et il en était touché.
- Poursuivez !
- Je suis à 200 % avec Salvatore. Il était à bout pour faire « ça »… Je ne le croyais pas capable de faire « ça »…
Faire « ça » ?
Salvatore, le gentil, le brave, le calme au casier judiciaire vierge, a étranglé à mort son épouse, la gentille mais râleuse, parfois colérique et criarde, Micheline.
A-t-il été provoqué par la quinquagénaire ? S’agissait-il de « force irrésistible et imprévisible » lors de l’étranglement ? D’un meurtre ou d’un assassinat (crime prémédité) ?
Salvatore a été reconnu coupable « sur toute la ligne ». Il a écopé de trois ans de prison avec sursis.
En quelque sorte, il est sorti « libre » du box !
Le thème du présent ouvrage est consacré aux « Crimes au Feminin ».
Elles étaient ouvrières, employées, mères, parfois grands-mères, cheffes d’entreprises, étudiantes, célibataires, jolies, nanties, menues, miséreuses, timides, délurées, désagréables, jeunes, très âgées…
Toutes faisaient partie de la société dite « normale » et nous les avions peut-être croisées dans une grande surface, à l’école de nos enfants ou petits-enfants, au cinéma, dans le métro… sans qu’elles aient attiré notre attention de manière particulière.
Et, pourtant, toutes se sont retrouvées dans le box d’une Cour d’assises car, toutes ont fini par tuer.
Elles ont tué leur propre enfant, une rivale, un parent proche, un amant, leur mari… en les étranglant, empoisonnant, massacrant à coups de couteau ou de hache.
Ce livre, ce sont autant de « tranches de vie et de mort », véritables reflets de notre société, qui font le quotidien de procès moins médiatisés que les affaires Dutroux, Fourniret, Cons-Boutboul, que le génocide du Rwanda, que les procédures lancées contre des islamistes, contre des tueurs en série…
Leur évocation est assurément un document exceptionnel de « vérité », alors que certaines condamnées ont retrouvé totalement ou partiellement la société et d’autres poursuivent leur peine derrière les barreaux.
Leur évocation veut, aussi, montrer que cela n’arrive pas « qu’aux autres » et qu’il est souvent pénible d’assumer la « fonction » de victime quand on sait que notre système judiciaire se base sur le principe que c’est elle (via le ministère public et/ou la partie civile) qui doit démontrer la culpabilité de la personne accusée.
À ce sujet, lors d’un procès vécu il y a quelques semaines à peine, un avocat de la défense rappela à juste titre à l’avocat général :
- La charge de la preuve incombe au ministère public, ne l’oubliez pas !
Justement, le procès de Salvatore fut un très bon exemple de la difficulté de juger et, comme il est établi dans « Meurtres au féminin », de pouvoir compter sur l’éclairage d’« experts » psychiatres, par exemple.
Dans le box, il y a deux accusés qui ne manient quasiment pas la langue française, d’où la nécessité d’avoir en permanence à leurs côtés des traducteurs.
Ces deux accusés, G. et K., sont considérés comme dangereux par les autorités judiciaires au point qu’elles ont renforcé les contrôles du public (fouilles, passages au détecteur de métaux, relevés des identités).
G. est grand et mince, le visage émacié, chemise à carreaux, le regard souvent fixé sur les magistrats et les jurés, alors que K. est fort, baraqué, et que ses yeux ne cessent de dévisager des gens dans le public.
Ce procès est celui de ces deux hommes accusés d’avoir tué un bijoutier lors d’un braquage et de laisser son frère handicapé à vie.
- C’est pas moi ! prétend G., à peine sorti de prison où il purgea une vingtaine d’années pour vols, violences, hold-up et assassinat.
- Ce n’est pas moi, non plus ! surenchérit K.
- Qui a tiré, alors ? demande le président.
- C’est « l’autre », disent–ils en chœur.
« L’autre » ? Ce serait le troisième personnage de la bande… mais qui s’est envolé dans la nature. Ou, plutôt, qui a échappé aux forces de l’ordre.
- Qui est « l’autre » ?
Alors, ici, c’est l’étalage dans toute sa « splendeur » de l’omerta.
Un autre exemple de ce silence est apporté par l’avocate générale, une magistrate qui, visiblement, n’a pas froid aux yeux et qui ne se laisse pas du tout décontenancer par la pesante ambiance qui plane sur le procès, plus particulièrement sur ses épaules puisqu’elle soutient l’accusation de manière aussi ferme que déterminée.
Parler d’elle dans le cadre de mon ouvrage, c’est, en quelque sorte, rendre hommage à un travail au féminin guère aisé en pareilles circonstances, comme il le sera aussi dans le chapitre « Une relation mère-fils entre les accusés ? » avec Odette R., avocate générale, qui n’hésitera pas à faire retentir le bruit assourdissant d’un pistolet électrique afin de mieux asseoir sa démonstration.
- C’est le flou le plus absolu dans les déclarations des deux accusés, or une enquête démontre que K. a connu un personnage d’une bande criminelle organisée qui l’a contacté, lance avec aplomb l’avocate générale.
- C’est une connaissance visuelle ! On a toujours la connaissance de quelqu’un d’autre, répond l’un des deux avocats de K.
- Flou artistique ? Pourtant, il y a des détails sur les moments, durées comprises, du contact, relève le président. Il y a parfois des enquêteurs et des policiers qui sont plus futés que d’autres. Je dis ça, je dis rien…
- Questionnez mon client à ce sujet ! lance le deuxième conseil de K.
- Que dites-vous de tout ça, Monsieur K. ?
- Dans une salle de sports, il y avait des photos de personnalités connues qui l’ont fréquentée. Parmi elles, figurait la photo de ce personnage…
- L’avez-vous rencontré ?
- À la remise des prix sportifs, j’ai vu son père…
L’omerta propose parfois des variantes… Et la vérité, dite judiciaire, dans ce cas ? Elle se repose, à des degrés divers, sur un « outil » : l’expertise.
Les experts psychiatres pourront-ils éclairer la Justice dans cette affaire où, rappelons-le, il y eut mort d’homme et l’envoi en « enfer sur terre » de son frère, handicapé jusqu’à son dernier souffle ?
- Le magistrat instructeur a désigné conjointement deux experts psychiatres, précise le président. Présentez-vous !
- Je suis le docteur Octave V., psychiatre, j’ai 83 ans (voir, ci-après, le procès « Les Amants diaboliques ont-ils craqué ? », où cet expert fut également appelé par la Justice). On nous a demandé si les accusés étaient en situation de maladie mentale au moment des faits. Un déséquilibre grave, en somme. La reconstitution ne nous a pas donné l’impression d’une maladie mentale chez eux.
Ensuite, nous nous sommes basés sur ce qu’ils nous dirent lors de notre rencontre à la prison. Parfois, ils nous mentaient, bien sûr.
- Je suis le docteur Denis K., 67 ans, psychiatre et psychanalyste. Voici nos conclusions au sujet de K.
Il est né en 1984. Il dit avoir terminé ses études secondaires, mais nous restons dans l’expectative à ce sujet. Il n’a pas fait de prison avant les faits.
Quand il a rencontré G., il n’imaginait pas que c’était un braquage mais bien un « travail » dans le cadre de sa recherche d’emploi. C’est un grand naïf. Ses propos ne sont pas anormaux. Il n’est pas maniaque, pas dépressif, pas psychopathique, il n’a pas de névrose, du moins pour ce qu’il a voulu nous raconter. Sa manière de parler (pour rappel, les deux accusés ne parlent et ne comprennent pas le français et ces experts eurent recours à des interprètes !) est posée, il n’a rien dit des faits en eux-mêmes.
Son silence ? Peur de représailles ? Collaborateur occasionnel ? Il a l’air mieux intégré dans la société que G.
- Votre diagnostic ?
- Pas de trouble mental et aucune pathologie psychologique.
Le docteur Octave V. aborde le cas de G.
- Il est né en 1969. Il voulait devenir ajusteur, mais à 14 ans, il fut emprisonné pour vol. Il a passé de multiples années derrière les barreaux.
Il a de nombreux tatouages sur le corps faits en prison.
Il est cohérent dans ses propos et sa personnalité est structurée. On peut exclure toute dimension de psychose.
Il parle par monosyllabes, il n’est pas loquace, il est plutôt taiseux.
Il n’est ni mythomane ni pervers, il a un profil de délinquant pas de psychopathe.
Il n’y avait pas de déséquilibre mental au moment des faits !
Une remarque commune aux deux experts :
- Les coauteurs du braquage disent s’être rencontrés par hasard le jour des faits.
Voici, donc, le résultat de l’observation, uniquement visuelle, des deux accusés lors de la reconstitution du braquage et de la tuerie, et d’une seule visite en prison avec interprète interposé !
Comme le veut la procédure, le président demanda à toutes les parties si elles avaient des questions supplémentaires à poser aux deux experts psychiatres. L’avocate générale déclina l’invitation…
Ce sujet de la crédibilité de pareille « expertise » est encore abordé dans le chapitre suivant avant, bien entendu, d’emmener le lecteur au cœur de prétoires pour « vivre » ce genre de situation et, surtout, afin de se rendre compte de l’extrême difficulté de juger qui en découle, sans, toutefois, se focaliser sur cet aspect du problème : il y a tant d’autres angles à approcher, comme ledit lecteur va le découvrir.
Les deux accusés, G. et K., ont été acquittés du meurtre du bijoutier mais déclarés coupables de vol avec violence. G. a été condamné à dix-neuf ans de prison et K. à dix-sept.
Pierre Guelff.
1- Sources utilisées (autres que celles spécifiées dans le texte) : “Manuel du rédacteur judiciaire” par Félix Canivez (Institut pour Journalistes) et Portail Justice.
À de nombreuses reprises dans « Crimes au féminin », il est question d’experts psychiatres ou neuropsychiatres, éventuellement secondés par des psychologues, requis par la Justice pour porter une sorte de diagnostic sur l’état mental et psychologique des accusées. Cette procédure déborde souvent sur une analyse « morale » de leur comportement au moment des faits, voire avant et après ceux-ci.
Parfois, lors de procès, diverses parties, dont des chroniqueurs judicaires, sont abasourdis par les conclusions de ces experts ; d’autrefois, ces derniers sont salués pour leur travail empreint d’une grande rigueur scientifique.
Alors que les contacts (généralement, en milieu carcéral) sont de quelques heures à peine, des experts psychiatres émettent des diagnostics du style « traits paranoïaques », « traits hystériques », « type psychotique », « pas déséquilibrée mentale ni débile », « négativisme fallacieux », « structure névrotique et hystérique », « état permanent de névrose hystérique » à l’égard d’accusées (et d’accusés, aussi !).
Peut-on considérer ces expertises « expéditives » comme véritablement crédibles ?
C’est que le sujet est particulièrement délicat, et des magistrats et jurés populaires sont quelquefois subjugués par les dépositions de ces experts.
Des personnes qui n’ont pas toujours bonne presse dans les prétoires : « mal payés comme ils le sont par la Justice, ils ne doivent pas avoir une « grosse » clientèle privée pour remplir cette tâche. »
Sous-entendu, ce n’est pas l’« élite » de la profession qui se présente aux procès, nonobstant certains psychiatres appelés par divers avocats pour contrecarrer (ou appuyer, mais c’est plutôt rare) le rapport de leurs confrères dits « experts ».
Bien entendu, il faut raison garder, et, surtout, ne pas établir un amalgame entre toutes ces personnes qui gravitent dans le giron des Cours d’assises.
Néanmoins, dans la suite de ce livre, le lecteur va découvrir, avec stupeur, certains comportements et diverses analyses de ces « experts » psychiatres…
La célèbre criminologue Marie-Andrée Bertrand écrivait dans « La femme et le crime » (Université de Montréal), publié en 1979, que les affaires concernant les femmes condamnées pour « des crimes contre la morale et l’ordre public (5 %), des crimes de violence contre les personnes (5 %) et des affaires (criminelles) liées aux drogues (4 %) », étaient « insignifiantes » dans la population qui purge des peines.
Plus de trois décennies plus tard, les chiffres cités ont tendance à se maintenir, malgré le constat d’une hausse dans certains pays (sauf au Canada), mais celle-ci reste quand même marginale.
Marie-Andrée Bertrand expliquait, également, la très nette infériorité des meurtrières par rapport aux hommes, de la manière suivante : « L’absence relative des femmes et des filles de la criminalité connue s’explique aussi par leur invisibilité, conséquence des rôles qui leur sont prescrits. Travail domestique qui se déroule sans témoin, ou double tâche (travail et foyer) qui les tient efficacement à l’écart des lieux où s’élabore le pouvoir, où se forgent les lois, où se décident les politiques ».
Aujourd’hui, le processus criminel au féminin est davantage étudié, plus spécifiquement au niveau des mères qui tuent leurs enfants, comme nous allons le voir ci-dessous.
Pareillement que pour la rédaction de « Charleroi-Bagdad, parcours d’une kamikaze » et « Histoires de crimes », j’ai demandé à un collectif de psychologues (exerçant principalement la relation d’aide), qui sont des spécialistes plus spécifiquement attachés aux relations familiales et affectives, de se pencher de manière synthétique, tout en allant à l’essentiel, sur le sujet de « Crimes au féminin », mais, surtout en prenant du recul par rapport aux procès qui y sont développés.
Certes, il aurait peut-être été normal de donner des exemples de criminelles bien précis : une mère a étranglé sa fille, l’a découpée et a ensuite dissimulé les morceaux dans son congélateur, ou, également, cette jeune femme qui tua de 200 (oui, 200 !) coups de couteau un invalide avec qui elle cohabitait, la raison de ce massacre avancée était « parce que leur relation se dégradait, qu’elle ne supportait plus cet homme et qu’elle avait « envie » de tuer ! ».
Il aurait également été normal de poser des questions « classiques », du genre : « Y a-t-il, selon vous, des différences majeures dans l’approche de l’acte criminel perpétré par un homme ou par une femme ? » ou « Ménage à trois : fantasme typiquement féminin ? » ou, encore, « Peut-on commettre un crime de « sang-froid » quand, comme le décrivait un expert neuropsychiatre, l’accusée avait une « parfaite notion du bien et du mal ? ».
Le Collectif que j’ai sollicité a emprunté une direction qui m’agrée dans l’analyse de la notion de « criminelles » et je vous la partage avant d’entrer de plain-pied dans l’univers des Cours d’assises.
- Chacun d’entre nous a une violence naturelle (innée) nécessaire à la survie de l’individu.
- À savoir ? ai-je demandé de préciser audit Collectif.
- Ceci nous permet d’affronter la vie, les dangers relationnels, ne pas se laisser faire, s’affirmer, contester, prendre sa place dans la société… Un bébé a aussi cette force naturelle et va pleurer fort pour se manifester face à l’existence qui n’est pas forcément tendre avec lui.
Mais, chez tout être humain, l’intégration de cette violence innée n’est jamais totale ni parfaite.
- Que faire dans ce cas ?
- En principe, chacun doit prendre conscience de sa propre agressivité, de sa frustration, de sa colère, de son impuissance…, car ces ressentis peuvent donc provoquer de la violence.
- Qu’il y a lieu de canaliser, alors.
- Oui, effectivement, en faisant du sport, en dialoguant, en interpellant la personne avec qui on a un problème, en peignant, en chantant…
Cette prise de conscience permet de s’adapter aux contraintes de la vie, c’est une adéquation (adaptation parfaite) entre la personne et les aléas de l’existence, dans le but que l’individu puisse faire face à la réalité de la vie et adapter ses comportements en fonction des circonstances extérieures et de son vécu intérieur.
- Quand y a-t-il un risque de problème grave ?
- Quand la personne n’a pas conscience de ces ressentis violents. Cela peut devenir un « volcan qui crache sa lave » et, alors, il est difficile d’arrêter ce flot dévastateur.
- D’où le passage à l’acte ?
- C’est la présence d’une violence latente non intégrée mentalement qui fait que certains individus passent à l’acte, d’autres pouvant être extrêmement passifs, d’autres, encore, pouvant devenir toxicomanes, alcooliques…
Il faut savoir que des carences d’intégration peuvent faire le lit de beaucoup de déboires relationnels !
Ces personnes « perturbées », très fragilisées psychiquement, empreintes d’une pauvreté psychique, d’une immaturité affective, ne parviennent pas à trouver des voies spontanées et positives d’intégration, d’où la priorité qui doit être mise sur la prévention en santé mentale.
- De quoi s’agit-il ?
- Chaque individu doit pouvoir intégrer cette violence naturelle et avoir des relations harmonieuses et adéquates, c’est évident. (C’est, peut-être, grâce à cette prévention que les chiffres canadiens de la criminalité sont en baisse : voir le chapitre « Statistiques »).
- Que penser de l’héritage parental, dans ces cas ?
- Souvent on retrouve, chez les parents d’une personne ayant commis un acte criminel, le fait qu’eux-mêmes n’ont pas intégrés suffisamment et consciemment cette violence naturelle
L’enfant « capte » cette fragilité chez les parents et cela l’angoisse également. Cette angoisse importante peut donc susciter des actes violents.
À défaut de conscientisation, des actes violents vont surgir pour éliminer cette inquiétude et ils vont découler sur des drames.
- Et, que penser, alors, des parents qui tuent leur propre enfant ?
- On a beaucoup de mal à imaginer que des parents puissent être « toxiques » à l’égard de leur enfant, c’est vrai.
- Et, pourtant…
- Certains parents déclarent avoir tué leur propre enfant afin de le protéger d’une réalité qu’eux ressentaient trop menaçante.
- Quel genre de réalité ?
- Leur vie au quotidien, du moins ce qu’ils en ressentaient. La vie de leur enfant était alors complètement confondue avec leur peur personnelle.
- Attardons-nous quelque peu sur ces cas qui reviennent à plusieurs reprises dans « Crimes au Féminin » : des enfants tués par leur mère ou qui l’ont été par le mari ou le compagnon de celle-ci, sous leur œil « indifférent » ou parce qu’elle était « soumise », est-il souvent avancé lors des procès.
- Visiblement, au Collectif, vous êtes en relative symbiose avec la psychologue clinicienne et psychanalyste, Sophie Marinopoulos, qui exerce à l’Hôpital Mère-Enfants du CHU de Nantes et qui est auteure de « Infanticides et néonaticides »2 (Programme yakapa - Ministère de la Communauté française), puisque plusieurs éléments de cet opuscule ont attiré une particulière attention de votre part. Néanmoins, tout d’abord, que signifie le terme « néonaticide » ?
- Il s’agit d’un terme utilisé la première fois en 1970 par le psychiatre Philipp J. Resnick, celui qui écrivit : « Il n’y a pas de crime plus difficile à comprendre que le meurtre d’un enfant par ses propres parents. Néanmoins, les meurtres d’enfants remontent à la nuit des temps. Dans les raisons sont inclus le contrôle de la population, l’illégitimité, l’incapacité maternelle… ».
À vrai dire, le terme « néonaticide » concerne un homicide commis sur un enfant né depuis moins de vingt-quatre heures. Ce crime est généralement commis par la mère. De récentes statistiques évaluent à 2,1 % de néonaticides pour 100 000 naissances.
- Bien entendu, il n’est pas question de sous-estimer, de banaliser, de minimiser, voire de pardonner la personne qui s’adonne à pareil homicide, mais tenter de comprendre ce geste que d’aucuns qualifient « d’acte criminel qu’absolument rien ne peut excuser ».
- C’est que, dans cet acte qui fait dire que la mère (ou le père) est un monstre, il y a une partie qui se perd à notre compréhension ou qui nous échappe totalement : on ne peut pas toujours admettre ou cautionner une théorie qui avancerait comme seul argument majeur une « explication rationnelle ».
- À savoir ?
- Des raisons socio-économiques, familiales, sociétales… Il y a lieu de rappeler, croyons-nous, qu’un être humain est aussi fait de vie affective et émotionnelle, parfois intense, qu’il existe, également, « une réalité psychique silencieuse ».
Comme il est bien indiqué dans l’opuscule, « les motifs apparents de ces meurtres, désignés sous les termes de « séparation », « conflit conjugal », « déprime », « mésentente », « énervement », « soucis de la vie » ou encore « incompréhension rationnelle », ne peuvent pas nous suffire. »
- Il est également fait état de parents « félicides ». Que signifie ce mot ?
- Il s’agit de meurtre commis par le parent sur l’enfant au-delà de sa naissance. Il y a le félicide altruiste qui est assimilé au suicide, qui consiste à tuer ses enfants pour ne pas les abandonner, le félicide psychotique, le félicide paternel dans le doute de paternité, le félicide accidentel dans la maltraitance, le félicide par vengeance, syndrome de Médée (où l’enfant est réduit à la condition d’objet de vengeance vis-à-vis de l’ancien conjoint).
« C’est la part infantile blessée et non construite de l’adulte parent qui peut tuer et la pauvreté sociale ne doit pas être confondue avec la pauvreté psychique. »3
- Très souvent, on entend dire qu’il n’y avait pas de signaux d’alerte ou de motifs tangibles à ce que telle ou telle mère tue son enfant (ou le laisse être martyrisé(e) par un tiers)…
- Comment ne pas être d’accord avec ce constat : « On disait cette mère sans histoire alors que son histoire était sans vie » ?
- Peut-on, aussi, parler de folie ?
- Vous savez, on peut être normal puis, soudain, être en rupture avec la réalité !
- Peut-on avoir un rôle de prévention dans les cas de mères néonaticides et de celles qui dénient leurs grossesses ?
- Il ne faut pas tomber dans la « prédiction » qui consiste à dire qu’une femme qui a été violée dans sa jeunesse est une criminelle en puissance.
- Alors, quelle conclusion ?
- « L’être humain est toujours mû par des forces aveugles »4, c’est une évidence qui devrait aussi être comprise chez les rationalistes les plus « durs ». Nous sommes totalement d’accord avec Sophie Marinopoulos lorsqu’elle dit qu’on ne naît pas mère néonaticide…
- On en revient, donc, à l’intégration de la violence innée ?
- Oui, certainement, mais également au fait qu’il y a une histoire de vie à bâtir, et, surtout, à admettre la reconnaissance du principe que la vérité peut nous échapper.
2- Marinopoulos, S., Infanticides et néonaticides, Bruxelles, Éd. Frédéric Delcor - Ministère de la Communauté, 2010.
3- Idem, p.26.
4- Idem, p.61.
Nous sommes à deux jours de l’été, il est 2 heures du matin, quand des gendarmes découvrent, flottant à la surface des eaux noirâtres d’un canal de province, le corps sans vie de Daniel L., 33 ans.
Le malheureux a les mains et les pieds liés et il est lesté d’une pierre. Visiblement, celle-ci n’est pas suffisamment lourde que pour entraîner le cadavre au fond de la voie d’eau artificielle creusée pour la navigation.
Le médecin légiste appelé sur place est catégorique : « La victime a été jetée dans le canal alors qu’elle était encore vivante ! ».
L’enquête débute et trois personnes sont rapidement arrêtées : Yvan S., Marie A., sa maîtresse qui est aussi l’épouse de la victime, et Freddy X., un ami du premier suspect.
Ils sont accusés d’assassinat, crime prémédité, et avouent certains faits à des degrés divers, mais avec de sérieuses nuances dans les versions.
Les faits se sont déroulés quelques dizaines d’heures avant la découverte macabre.