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« Les jeunes et le crime » est un thème qui interpelle toute la société, comme le démontrent d’importantes études réalisées sur ce sujet récurrent. La télévision (Addik TV, RTBF, 13e Rue, chaîne de NBC Universal…) a même récemment programmé un cycle dont un épisode s’intitulait « L’école du crime », soit une plongée dans la délinquance des jeunes abordée par des étudiants en criminologie de l’Université de Montréal.
Si ce thème intéresse au plus haut degré le monde judiciaire et les criminologues en particulier, c’est parce qu’il touche de nombreux points de la vie sociétale : relations familiales, de voisinage, scolaires…, toxicomanie, bandes urbaines, armes, prostitution, « tournantes », alcoolisme, vols avec violences…
De plus, chaque parent n’est pas à l’abri d’un enfant qui « dévie » du « droit chemin » et ce, même, dans ce qu’il est convenu d’appeler les « bonnes familles ».
Comment et pourquoi certains jeunes peuvent-ils devenir de dangereux délinquants, voire des criminels ?
À la fin de l’année 2012, j’ai assisté à un procès à la Cour d’assises de la Capitale assez révélateur sur cette épineuse question.
Deux hommes, Joffrey P. (32 ans au moment des faits) et Turi B. (27 ans), alias Ervin B., Erwin B., Arjon C., Frgys C., Durin N. !, étaient accusés d’un braquage (plus de 31 000 euros, dont une grosse partie appartenait aux pensionnaires) dans une maison de repos de l’Assistance publique et, surtout, d’avoir sur la conscience la mort d’Hubert B., ouvrier qui travaillait dans l’établissement, et blessé grièvement Stéphane E., employé à la comptabilité, selon l’acte d’accusation.
À travers ce procès, fort médiatisé compte tenu de la rareté de ce genre d’événement en pareil lieu, c’est le déroulement de tout le passé de délinquance avérée des deux accusés qu’il m’est apparu nécessaire de relater dans le cadre du présent ouvrage en introduction à d’autres procès consacrés à de jeunes présumés criminels.
Branle-bas de combat au palais de justice de la Capitale : vitres brisées par vandalisme, minutieuses fouilles corporelles des journalistes et spectateurs, tension extrême parmi l’assemblée (« Joffrey P. est considéré comme dangereux », disait-on), détecteur de métaux, renforcement des effectifs des forces de l’ordre, suspension d’audience, fouille des lieux, plus particulièrement du box des accusés, remplacement d’un juré tombé malade…
Dans la vaste salle d’audience, des proches (le père, trop malade, ne put se déplacer) d’Hubert B., étaient aux premiers rangs, les accusés refusant d’être filmés et photographiés, une dizaine d’avocats (accusés et parties civiles) prenant place dans le prétoire.
Le procès débuta avec retard compte tenu des incidents mentionnés ci-dessus et du retard dans l’acheminement des accusés depuis la prison !
Dans le box, à gauche, il y avait Turi B., visage émacié et veste noire. À ses côtés, Joffrey P., grand, fort, veste brune, lançant de nombreux regards dans la salle.
Il a fallu plus d’une heure à l’avocat général pour lire l’acte d’accusation. À l’issue de cette lecture, on nota deux interventions :
Me D., avocat de Turi B. :
– Ce qui vient d’être lu est la thèse du Parquet, pas la nôtre !
Me C., conseil de Joffrey P. :
– Notre client est en aveu, mais il y a des nuances dans les faits qui lui sont reprochés !
Le président de la Cour d’assises de la Capitale, Monsieur H., pouvait entamer les interrogatoires des deux accusés, alors qu’il venait, comme toutes les parties, de jeter un coup d’œil sur les pièces à conviction : casques, chaussures, gilet, gants, sac noir, revolver calibre 22, quatre écouvillons (petites brosses médicales) de prélèvements d’empreintes palmaires, divers documents bancaires…
Joffrey P. se leva et répondit du tac au tac au magistrat :
– Cette expédition a mal tourné !
– Oh, oui !
– Après avoir nié les faits, vous avez reconnu être à deux dans cette affaire.
– C’est ça, Turi et moi. Je l’ai connu en prison.
– Puis, vous avez été en semi-liberté ou semi-détention, ce qui revient au même.
– Je cherchais un emploi pour ma future réinsertion.
– Avez-vous une spécialité ?
– Non !
– Votre casier judiciaire est lourd !
– J’avais 18 ans quand je suis entré pour la première fois en prison !
– Vous avez été condamné à une peine de neuf ans d’emprisonnement pour prise d’otage, et vous étiez en récidive !, vol à l’aide de violences ou de menaces, avec effraction, avec arme, avec véhicule volé, également une récidive, vol à l’aide de violences ou menaces, avec effraction, en bande, avec arme, avec effraction, encore en récidive !, vol à l’aide de violences, en bande, avec arme, avec véhicule, toujours en récidive !
Remous dans la salle…
– Et, encore, en récidive : association de malfaiteurs, privation de liberté illégale et arbitraire, sur faux ordre, avec costume ou non d’un agent de l’autorité publique ou avec menace de mort, etc.
– Je fumais beaucoup de cannabis…
– Venons-en aux faits de la maison de retraite !
– Stéphane E. (la deuxième victime, blessée à l’abdomen lors du braquage, et qui, à présent, souffre d’une incapacité permanente), que je côtoyais dans une salle de sports, m’avait demandé que j’attaque cette maison de retraite et que l’on partage le butin selon un certain pourcentage. Mais, il a réfléchi et il s’est rétracté. Moi, j’avais les informations !
– C’est votre déclaration, pas celle de Stéphane E. ! Et vous avez aussi connu l’autre victime, Hubert B. (décédé suite à ses blessures à l’abdomen et au thorax, malgré une intervention chirurgicale en urgence et un traitement intensif), dans cette salle de sports…
– Mais, je ne savais pas qu’il travaillait dans cette maison ! Si j’avais su, cette affaire n’aurait pas eu lieu.
– Qui a apporté l’arme ?
– Je ne sais pas. Je n’avais pas d’arme. Ce n’était pas la mienne. C’est Turi qui s’en est occupé. L’attaque avait été préparée une semaine avant les faits (alors qu’il était en semi-liberté de 8 à 20 heures). J’ai fait plusieurs hold-up dans ma vie et cela s’était toujours bien passé… Moi, dans la présente affaire, je n’étais que chauffeur de la moto. Nous avons partagé l’argent chez mes parents, qui étaient absents.
– Avez-vous fait un examen de conscience depuis ces faits ?
– J’ai fait partie d’une bande dans la capitale, mais cette fois-ci cela a été trop loin. Bien sûr, il y avait toujours un risque…
– Votre personnalité et votre parcours de vie n’ont pas été analysés par les psys, car vous n’avez pas voulu les rencontrer. À part votre mauvais casier judiciaire, on n’a donc pas grand-chose vous concernant…
– (D’une traite) Mes parents, séparés, viennent me voir en prison. Je suis père d’une petite fille. Je l’ai vue une dizaine de fois durant mes congés pénitentiaires mais, depuis mes nouveaux déboires, sa maman ne veut plus que je la voie. J’ai été à l’école jusqu’à 15-16 ans. J’étais dyslexique et j’ai été placé dans une école spécialisée, mais j’ai très mal vécu ça. Je suis devenu portier de nuit.
– Vous avez le gabarit pour !
– À présent, je suis servant à la prison (celui qui est chargé de servir les repas aux autres détenus).
Ce fut au tour de Turi B. (aux cinq autres identités !), de répondre aux questions du président :
– Vous avez noué une relation affective avec une assistante sociale à la prison et vous gardiez un contact avec Joffrey P., mais, quelle est la séquence des faits proprement dits ? Et l’arme ?
– C’est moi qui me la suis procurée auprès de Gitans…
– Quand ?
– Peu de temps avant les faits. Comme j’ai beaucoup vécu en prison, je savais que les Gitans fournissent des armes… Je me suis fait passer pour un policier, puis je leur ai dit pourquoi j’étais venu, mais que je n’avais pas d’argent… Un accord a quand même été trouvé pour 500 euros.
– Vous l’avez essayée ?
– Non. Les Gitans m’avaient laissé sous-entendre que ce n’était pas un jouet.
– Elle était prête à l’emploi, quoi !
– Je suis venu dans la capitale et Joffrey m’expliqua que c’était une maison pour personnes âgées. Je lui ai répondu : « On va se faire maudire en faisant ça ! ». Il m’a demandé si je croyais en Dieu…
– La suite ?
– Il m’a indiqué le bureau et m’a dit : « Tu n’auras pas à faire usage de cette arme. » Aujourd’hui, je suis cuit comme Joffrey, d’ailleurs. Ce qui s’est passé est un incident. Au départ, on voulait juste se faire un peu d’argent.
– Poursuivez !
– J’ai sorti mon flingue quand j’ai vu qu’une personne s’approchait… J’ai fait un maximum pour ne pas retourner en prison. À vrai dire, pour ne pas faire usage de mon arme…
– Le flingue, comme vous dites, c’est un revolver et son barillet est muni de six emplacements pour disposer les balles.
– J’ai perdu mon contrôle, ça a foiré. Quand j’ai vu Monsieur Hubert B. venir sur moi avec une chaise… J’ai eu trois personnes face à moi… Je me suis senti pris au piège… Cela devenait de plus en plus chaud… Après, j’ai été sous le choc !
Me M., avocat de parties civiles, est intervenu :
– Vous n’avez pas pensé déposer l’arme, de ne pas insister, de vous rendre ?
– Je pensais que cette affaire allait être simple. J’ai eu un manque de réflexion, j’ai tiré pour faire peur. C’est parti spontanément !
Qui est Turi B. ?
L’acte d’accusation répondait brièvement à cette question (au contraire de Joffrey P., rappelons-le) :
« Ayant quitté l’Albanie à l’âge de 16 ans, il aurait transité par l’Italie, la France, la Belgique… Il a purgé une peine de quatre ans et demi de prison, a été expulsé vers son pays d’origine, a à nouveau quitté celui-ci, est retourné en prison…
Selon son frère, ce sont ses mauvaises fréquentations qui auraient fait qu’il tourne mal. Ce n’était pas un meneur, mais un homme intelligent et très influençable.
Il avait été condamné à trois ans d’emprisonnement du chef de vol à l’aide d’effraction, d’escalade ou de fausses clefs, vol, vol à l’aide d’effraction (tentative)… »
Un Turi B. qui avait déclaré aux enquêteurs sa version de la manière suivante :
« J’ai pensé à une chose, que j’allais faire le maximum pour ne pas retourner en prison. Le comptable (Stéphane E.) s’est approché de moi pour s’emparer de l’arme, je l’ai repoussé avec mon pied. Il a pris une chaise, je lui ai dit : « Ne m’obligez pas à tirer. »
Celui qui est mort (Hubert B.) s’approchait en faisant des gestes d’attaque en kickboxing. Je lui ai dit : « Ne m’oblige pas à tirer », j’ai tiré en l’air mais il n’a pas reculé. Il a pris la chaise, il me l’a lancée et j’ai évité. Je tire un deuxième coup, à côté Je crois que c’est à ce moment-là qu’ils se sont mutuellement encouragés et se sont jetés sur moi. J’ai tiré deux coups rapides. Personne ne s’est écroulé (…) le comptable s’est ensuite approché de moi, j’ai abaissé l’arme pour lui tirer dans la jambe, mais je ne sais pas où il a été touché. Il est tombé à terre ».
D., ingénieur civil en balistique, est venu devant la Cour en tant qu’expert :
– Merci de vérifier si l’arme que nous vous proposons n’est pas chargée ! lui dit le président.
– (Après vérification) Les deux projectiles qui ont traversé le corps d’Hubert B. ont bien été tirés par l’arme que vous me présentez, car chaque fois on retrouve la « signature » de celle-ci sur les projectiles.
– Parlez-nous davantage de cette arme.
– Le diamètre d’un projectile est de 5,6 mm. Il n’y a pas de sécurité à ce révolver et dès qu’il est chargé, il est prêt à tirer…
– …ce revolver était, naguère, catalogué d’arme de défense alors qu’il n’était utilisé que pour attaquer les gens ! lança le président.
– On peut tirer six fois d’affilée en simple action, mais il faut déployer une certaine force pour pousser sur la gâchette. À peu près six kilos pour faire partir le coup. La vitesse du projectile est de 290 m par seconde avec une énergie supérieure au seuil de mortalité.
Un moment exceptionnel a suivi cette déclaration : la projection, quasiment image après image, du film du braquage pris par les caméras de surveillance de la maison de retraite.
Le commentaire fut le suivant :
« Il est 11 heures 15, on aperçoit un hall d’entrée, deux portes vitrées, un comptoir. Soudain, on voit une table projetée sur le sol, l’« auteur » (Turi B.) est encadré par deux personnages (les victimes).
L’auteur tient son arme des deux mains, il est presque au corps à corps avec Hubert B.
Stéphane E. arrive en faisant des gestes de kickboxing, puis il s’écarte et Hubert B. se dirige à nouveau vers Turi.
Hubert B. lève le bras gauche, il se tient un côté, a-t-il été touché à ce moment-là ?
Stéphane E. revient avec courage à l’attaque et donne un coup de pied à l’agresseur. Celui-ci a le bras tendu… ».
Fin de la séquence, qui a été suivie avec intérêt par les deux accusés…
Une fois n’est pas coutume, l’exposé de l’expert-psychiatre, le docteur B., fut particulièrement fouillé et bien documenté. Durant deux heures, le spécialiste s’est penché sur le cas de Turi B., puisque Joffrey P. avait refusé cette expertise.
– L’accusé relève-t-il bien de la loi pénale et non de la loi de défense sociale ? interrogea le président.
– En d’autres termes, pouvait-il être jugé, voire puni, et non soigné en milieu d’internement, « ce qui est un droit d’humanité » ? L’accusé Turi B. n’est pas débile, ni dément, il n’a pas eu de perte de fonctions. Il ne relève pas de la psychiatrie. Lors de notre rencontre, la première chose qu’il a dite : « Ce n’est pas mon vrai nom. J’ai pris un faux nom dès l’âge de 16 ans. » Il a reconnu les faits d’emblée : « Le hold-up a mal tourné ». Il les a racontés dans tous les détails, également à la psychologue : « Notre intention était juste de prendre l’argent. » Joffrey P. a fourni l’arme.
Importants remous parmi les avocats et les journalistes face à cette nouvelle version, puisque Joffrey P. avait toujours déclaré n’être aucunement lié à cette arme et que Turi B. avait confirmé l’avoir achetée à des Gitans.
Le président de la Cour d’assises de la Capitale a relu le rapport à ce sujet et l’expert-psychiatre revint sur sa déclaration :
– Turi B. a dit « il » a été chercher l’arme. J’ai compris que c’était son complice, il y a eu ambiguïté.
– Je me suis peut-être mal expliqué au psychiatre, mais c’est bien moi qui ai été chercher l’arme, confirma Turi B. depuis son box.
– Le malentendu est dissipé ! lança le président. Vérifiez-vous tous les détails dans le dossier, docteur ?
– Ce n’est pas dans notre mission. Ceci précisé, ce que l’accusé Turi B. nous a dit semblait cohérent, mais je ne suis pas un enquêteur.
– Venons-en, alors, à votre mission !
– Turi B. a exprimé des regrets et il voulait en faire part aux parents de la victime : « C’est un péché devant Dieu, mais c’est le destin qui en a voulu ainsi. »
– C’était une manière de se défausser ?
– À la reconstitution, j’ai constaté que son agressivité « venait de l’extérieur », venait des « autres », donc, effectivement, il s’est un peu défaussé par rapport aux circonstances.
– Et sa personnalité ?
– Il est le dernier de neuf enfants, le père est décédé alors que Turi B. avait 3 ans. Il n’a pas de souvenirs de son enfance. Il quitta son pays à l’âge de 16 ans sur un zodiac et arriva en Grèce. Il transita par différents pays et il choisit d’autres noms. Il a vécu dans la clandestinité, s’est mis à voler des voitures dès l’an 2000. Il était donc dans un certain « milieu » : vols, reventes… Il est devenu père au moment où il entrait en prison. Le couple se brisa. Il fut condamné à dix ans de prison et a été libéré au bout de quatre années. Il fut expulsé, se retrouva en Chine, revint en Europe « pour voir mon fils », dit-il.
En prison, il tomba amoureux d’une assistante sociale. Ils vécurent ensemble et elle perdit son emploi pour « faute grave ». Ils rencontrèrent des difficultés financières… Turi B. avait besoin d’argent et ce fut le braquage avec Joffrey P.
– Et son examen mental ?
– Il avait un discours rationnel, il a reconnu ses actes. Sa biographie est celle d’un délinquant, ce qu’il nie. Il s’est dit « voleur par nécessité ».
Les tests montrèrent que Turi B. a des préoccupations narcissiques, des difficultés à se situer, des fragilités relationnelles, des ambivalences…
– Vos conclusions ?
– Turi B. présente une personnalité « limite », mais on n’est pas en présence d’un véritable psychopathe. Ceci dit, tous les psychopathes ne sont pas en prison, certains réussissent même dans la société !
– Et l’absence du père ? demanda une jurée.
– Il y a des quantités de personnes qui perdent leur père et n’ont pas de tendance à la délinquance.
– Et en cas de précarité ? demanda encore un membre du jury.
– Il y a eu répétition de faits délictueux et la loi lui a été plusieurs fois rappelée, or il recommença ! Une habitude s’était installée, il avait une mentalité délinquante pour s’en sortir.
– Et sa tentative de suicide ? interrogea-t-on encore.
– Je ne suis pas au courant.
– Au début de l’affaire… C’était en prison…, bafouilla Turi B. Mais, c’était un acte égoïste.
– Narcisse qui était atteint ? suggéra le président à l’expert-psychiatre.
– Il y a de ça, mais d’après ce qu’il dit, il s’est rendu compte que cela était égoïste.
Ce procès de Cour d’assises était assez explicite quant à la « chute » de deux jeunes dans les tourbillons de la criminalité, selon ma perception, mais, hasard ou non, au même moment, je recevais une très longue (plus de quatre pages) présentation, sous forme de communiqué de presse, d’un ouvrage consacré au rôle du père dans la société, au féminisme, à l’enfant-roi…, écrit par l’auteur Jean Gabard aux Éditions de Paris (2011) et qui avait déjà eu les honneurs de France Inter, France Bleu, RTBF-TV, France 2, TPS Star, Direct 8…
Je me suis quelque peu attardé sur ce document et en j’en ai extrait plusieurs passages qui, ajoutés à la relation dudit procès des braqueurs de la maison de repos, me paraissaient d’un certain intérêt dans ce débat de fond.
Cela permet-il de mieux comprendre, je n’ai pas dit « pardonner », différentes actions débattues aux assises et, d’une manière générale, dans la société ? Ou, de manière sous-entendue, d’aborder, sous une autre forme, l’immense difficulté à tenter de débrouiller l’écheveau ?
Voici quelques extraits :
« Pendant des millénaires et pratiquement dans l’ensemble des sociétés, alors même que le géniteur restait « incertus » (incertain, indécis, douteux…), le statut de père était connu et reconnu. L’homme identifié comme tel savait parfaitement le comportement qu’il devait adopter. Il lui suffisait d’appliquer ce qui lui avait été appris par ses parents et qui se transmettait de générations en générations. Les rôles de chacun étaient fixés et les règles nécessaires à la survie du groupe ne souffraient aucune discussion.
» (…) les hommes, habitués pendant des siècles à décider d’avoir un enfant ou pas, sont aujourd’hui souvent dépendants du choix de la femme. De nombreux hommes ne sont plus que des géniteurs. Ils n’élèvent pas l’enfant qu’ils ont eu avec la génitrice (le géniteur peut être identifié grâce aux empreintes génétiques, mais, désormais, qui est la génitrice ? Celle qui donne un ovocyte, ou un embryon ? Celle qui prête son utérus, porte et accouche ?) soit qu’ils n’en connaissent pas l’existence, soit qu’ils ne l’ont pas reconnu, soit qu’ils n’ont pas été acceptés ou qu’ils ont été rejetés.
» Le père a aussi une dimension affective. Il peut ne pas être le géniteur mais il est reconnu par l’enfant comme celui qui l’élève et qui lui donne l’affection. C’est celui que l’enfant appelle « papa » et qui contribue à lui donner l’image de l’homme. Ce rôle de papa a été pendant très longtemps délaissé au profit de la fonction d’autorité donnée à l’homme. Il gardait une certaine distance et préférait laisser à la maman la tâche de s’occuper de l’enfant. Arrivé à « l’âge de raison », celui-ci était ensuite enlevé des mains des femmes pour entrer dans le camp des hommes où lui étaient inculquées les valeurs dites masculines qui devaient le distinguer du sexe dit faible.
» Aujourd’hui, ces rôles traditionnels sont rejetés et l’homme moderne se doit, au contraire, de jouer les mêmes rôles que la maman. Pour cela, il lui est demandé de déconstruire son éducation machiste et de développer ses qualités autrefois qualifiées de féminines.
» Ce « papa » moderne est appliqué et même tellement soucieux de sortir des stéréotypes qu’il a tendance à rejeter ou à oublier la fonction symbolique d’autorité trop souvent assimilée au rôle autoritaire et sexiste du mâle dominant. (…) Il n’est plus le père qui faisait sa loi mais celui qui doit s’appliquer à l’assumer, à la respecter lui-même et enfin à la dire à l’enfant. Il n’est plus le détenteur d’un pouvoir comme dominant mais le tiers qui seul peut et doit effectuer la difficile mais nécessaire séparation entre la maman et l’enfant. Pour le faire entrer dans cette fonction de père, la maman qui accepte la fonction symbolique de mère doit valoriser celui qui au départ n’est qu’un « étranger » pour l’enfant.
» Le père ne sera jamais parfait mais n’est-il pas préférable d’avoir un « mauvais » père que pas de père du tout ?
» De plus en plus d’enfants sont élevés par des mamans et des papas attentionnés mais très peu confrontés à des personnes dans la fonction de père. Ils font partie de ces enfants que l’on appelle des enfants-rois, des enfants gâchés sans père et sans repère. Ces enfants sont très souvent des enfants qui n’ont pas intégré les limites, qui restent hors la loi. Ils sont dans la toute-puissance persuadés de pouvoir changer l’ordre du monde plutôt que leurs envies. En manque de manque, ils veulent tout, tout de suite, et restent perpétuellement insatisfaits. Ils rejettent le passé et ne se projettent pas dans l’avenir. L’absence de cadre les angoisse et ils ont besoin pour se trouver une identité de provoquer, d’adopter des conduites à risques.
Incapables d’accepter la moindre règle et la moindre frustration, ils sont souvent extrêmement difficiles à gérer dans la famille où ils tyrannisent leurs parents, à l’école où ils ne peuvent apprendre, en société où ils multiplient les incivilités ou même les délits. »
Si, à la lecture des propos de l’auteur Jean Gabard, les fonctions symboliques de mère et de père peuvent déjà apparaître comme « problématiques », que dire, alors, lorsque les parents font défaut ou se transforment en bourreaux pour leurs enfants ?
Les relations de certains procès dans les pages suivantes vont malheureusement confirmer cette autre interrogation majeure, au-delà desdits propos de Jean Gabard (néanmoins, voir ci-après).
Il faut encore savoir que, dans certaines législations en vigueur en Europe, des sanctions (amende, emprisonnement de quelques jours…) sont prises à l’égard de parents qui « manifestent un désintérêt caractérisé pour l’éducation de leur enfant », voire obligés de suivre un « stage parental afin de mieux assurer leur mission éducationnelle dans l’avenir. »
Ces mesures semblent parcimonieuses ou totalement oubliées par la Justice où elles pourraient être appliquées.
Je me dois donc de revenir quelque peu sur Jean Gabard qui, dans divers milieux du mouvement laïque, est devenu « l’affaire Gabard » et qui démontre, aussi, la complexité de la problématique.
Une émission télévisée « En quête de sens » (« La pensée et les hommes » sur « La Une ») a mis le feu aux poudres au point de, je cite le quotidien « Le Soir », « remuer les consciences libres-exaministes ».
Le problème ?
Jean Gabard est considéré comme « masculiniste », ce qui ne correspondrait pas du tout avec « le combat émancipateur de féministes convaincues… »
Je cite encore le quotidien : « À entendre Jean Gabard, le féminisme est une forme d’extrémisme et est dangereux pour la société et l’équilibre familial. Il est donc temps de rendre au père ses vertus patriarcales, sans en revenir pour autant au modèle autoritaire de la famille traditionnelle où papa travaille et maman récure. »
Comment, dans tout ce contexte, débrouiller l’écheveau, doivent se demander les jurés et magistrats confrontés à pareil implicite questionnement et, bien sûr, tout un chacun ?
Peut-il exister une réponse à ce questionnement ?
Au fil de plusieurs procès, j’avais constaté qu’il était fait référence, à maintes reprises, à l’ouvrage « Père manquant, fils manqué » de Guy Corneau aux Éditions de l’Homme (1989), voire au « Réseau Hommes », dont il est le fondateur (ensuite, il initia le « Réseau Femmes »).
À savoir :
Pour le livre (que j’ai lu) :
« Un ouvrage capital sur le sens de la masculinité contemporaine et sur les rapports père-fils.
Cet ouvrage ne traite pas seulement de l’absence physique du père ; il s’interroge sur le silence qui isole aujourd’hui les pères des fils et qui donne à ces derniers l’impression d’avoir été mal « paternés ».
Et si ces pères manquants avaient inévitablement engendré des fils manqués ?
Cette question cruciale a amené Guy Corneau à se demander pourquoi la condition d’homme est si inconfortable aujourd’hui, pourquoi les hommes ont peur de l’intimité, pourquoi ils redoutent cette agressivité qu’ils refoulent au plus profond d’eux-mêmes, pourquoi ils se sentent obligés de jouer les héros, les éternels adolescents, les séducteurs, les bons garçons… pourquoi il est si difficile de devenir un homme à part entière dans nos sociétés où les rites initiatiques de l’adolescence ont disparu.
Ce livre est important parce qu’il rompt le silence. Pour les fils manqués, c’est la seule façon de guérir le père blessé en eux. »
Pour le « Réseau Hommes » (j’ai assisté à de nombreuses réunions) :
« L’objet de l’association « Réseau Hommes » est de fédérer des groupes d’hommes autogérés, où chacun peut vivre sa masculinité d’une manière authentique parmi d’autres hommes, développer sa capacité à s’exprimer, et construire son autonomie dans un contexte harmonieux.
Les hommes de ces groupes de parole autonomes se rencontrent régulièrement et à leur rythme, dans l’intimité de leur groupe, pour parler, écouter et partager sur les thèmes de leur choix, en dehors de tout dogme et de tout courant politique ou confessionnel.
Chaque groupe constitue un espace de parole, d’écoute et de partage, un espace entre hommes, en totale confidentialité. C’est pour chacun une occasion exceptionnelle de partager ses rêves, ses peurs … sa vie quotidienne. Le groupe devient un espace de soutien pour chacun, un lieu de fraternité et de développement créant une autre façon de vivre sa vie d’homme dans un nouveau rayonnement avec soi et avec ses proches. »
Exemple d’un thème (mensuel, annuel…) débattu dans un groupe « Réseau Hommes » : « Être père aujourd’hui : quels rôles, quels besoins, quelles trouvailles, quels bonheurs ? »
Puissent ces quelques lignes, comme les suivantes, d’ailleurs, apporter des informations à qui de droit.
Ainsi, tout ne doit pas être présenté de manière négative, pessimiste, voire funeste, quand on évoque les moyens mis en œuvre face à ce problème de société important qu’est la « dérive » de certains jeunes.
Heureusement, il existe des initiatives qui doivent (re) donner de l’espoir, aussi bien aux jeunes qu’à leurs parents, qu’aux citoyens.
André Colpin, est un artisan et artiste pluridisciplinaire (peintre, taille-doucier, graveur, imprimeur…) qui habite dans la région de Bergerac, mais qui fut, aussi, enseignant-éducateur dans l’enseignement dit spécial, en Belgique.
Dans « Les Coulisses de l’Art », une émission radiophonique de RVB (Aquitaine), il a expliqué, fin 2012, son approche de ces jeunes en difficulté :
– On m’avait confié des enfants, presque des adultes, qui avaient un problème pédagogique. On les classait comme « retardés », « arriérés »…
Cependant, il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir devant moi des élèves qui avaient un coefficient intellectuel supérieur au mien, mais, ils s’ennuyaient face à la manière d’enseigner et la pédagogie classique.
(…) Cependant, il existe une autre intelligence : celle des mains ! Cette autre intelligence m’a complètement orienté vers le Compagnonnage. Là, j’ai trouvé une issue pour ces jeunes que l’on disait incapables de faire des études, mais qui ont abouti à des métiers d’excellence, à des métiers de gestes…
(…) À vrai dire, dans cet enseignement spécial, le dessin est une source d’informations très précieuse : ces jeunes à problèmes confiaient à la feuille à papier ce qu’ils ne confiaient pas aux psys !
Ce cours de dessin et de travaux pratiques était devenu une cheville vraiment ouvrière dans l’orientation professionnelle qui allait s’en suivre pour ces jeunes.