À Jacques Noël et Gérard Karpinski
Melmoth rencontre Zigomar
Hommage d’un amoureux de la Belle Époque
Dans le duel séculaire Angleterre-France, il fallait bien un jour confronter Sherlock Holmes et la fantasmatique souris d’hôtel, qui choisit pour la circonstance le visage de Musidora, l’inoubliable interprète du feuilleton cinématographique Les Vampires. Nous avons donc d’un côté le grand détective victorien à la mine sévère, de l’autre une séduisante cambrioleuse, véritable type de Parisienne friponne, effrontée, délicieusement indécente. Bien que contemporains ils n’étaient pas faits, en principe, pour se rencontrer, évoluant dans des sphères de fantaisie si différentes, si spécifiquement nationales. Tout les oppose : l’ordre anglican et le désordre latin, la rigueur désincarnée se heurtant au trouble sensuel, à ce désir canaille qui passe à portée de main, puis disparaît au moment même où pourrait naître l’espoir fiévreux d’une mauvaise fréquentation, autant redoutée que souhaitée. Pendant que le premier arpente d’un pas décidé les ruelles d’un Londres éternellement chapeauté de brouillard, la seconde trotte menu sur le zinc glissant des toits de Paname, d’une cheminée à l’autre, éclairée d’un rayon de lune, jusqu’au Palace où sommeille la proie convoitée. Un cliquetis des rossignols et le chien assis se rend, ouvrant sur une bouche d’ombre dans laquelle elle s’engouffre avec légèreté. Comme un succube indifférent elle s’approche du dormeur, le déleste d’un trop-plein de valeurs, et repart sans un bruit, laissant juste dans son sillage la fragrance d’un parfum têtu.
Gérard Dôle réunit la souris d’hôtel et le détective dans ce volume, comme si cela allait de soi, faisant fi de leurs singuliers parcours parallèles auxquels lui-même a déjà contribué, puisqu’il est l’auteur de Fleur-de-Lupin, souris d’hôtel (Paris : Collection Mysteras, 1980) et de la nouvelle holmésienne « The Witch of Greenwich » (in Michael Kurland : My Sherlock Holmes – Untold Stories of the Great Detective, New York : St. Martin’s Minotaur, 2003).
Sherlock Holmes, auréolé d’une renommée sans égale, soumis à une glose incessante, on croit le connaître. Cependant, l’image donnée ici du roi des détectives est très personnelle et, sans être irrévérencieuse, nous renvoie avec un zeste d’humour en plus à la saga allemande des Welt-Detektiv, ces « Dossiers secrets » apocryphes des années 1900, à l’origine de la série Harry Dickson. Donc, un Holmes plus continental, moins rigide, secondé par un jeune assistant nommé Harry Taxon alias Sid Morau — anagramme de Musidora —, tantôt fille, tantôt garçon.
Elle, la belle voleuse trop fugace, on a juste aperçu sa silhouette ténébreuse et saisi un frottement de soie qui électrise l’imagination. C’est la raison pour laquelle nous nous penchons avec ravissement sur sa personne pour la dévoiler, aussi complètement que possible.
Au tout début du XXe siècle, la cambrioleuse nocturne qu’on ne nomme pas encore « souris d’hôtel », commence à vraiment s’émanciper en affirmant sa révolte, comme nous le rappelle un article de Jean de Paris dans le Figaro du 26 septembre 1903, intitulé « Deux cambrioleuses » : « Jusqu’à présent les femmes s’étaient bornées à servir de complices et d’aides aux cambrioleurs. Il était rare qu’elles opérassent elles-mêmes. En voici deux qu’on vient d’arrêter en flagrant délit. Ce sont les filles Lucie Marge, âgée de vingt et un ans, et Marie Rozé, du même âge. Elles s’étaient introduites à l’aide de fausses clefs chez M. Salon, cartonnier, rue de Malte, et, munies d’un attirail complet de cambrioleur, elles étaient en train d’opérer quand on les a surprises. Elles ont déclaré qu’elles étaient anarchistes et qu’elles n’appelaient pas ce qu’elles font un vol, mais une récupération du prolétariat sur le capital. » Selon Georges Normandy (in Jean Lorrain, Paris : Vald. Rasmussen Éditeur, 1927), le romancier Jean Lorrain est l’inventeur du vocable « rat d’hôtel » dont « souris d’hôtel » est la déclinaison. L’attribution semble généreuse. Si Lorrain a popularisé ce surnom avec la nouvelle « Le Rat d’hôtel » publiée en 1904 — recueillie dans Des Belles et des Bêtes (La Renaissance du Livre, « In Extenso », s.d. [vers 1918]) —, lui-même l’attribue, en exergue et dans le texte, à la demi-mondaine Eugénie Fougère qui avait été assassinée et soulagée de tous ses bijoux dans la nuit du 19 au 20 septembre 1903, à Aix-les-Bains où elle se trouvait en villégiature. L’affaire fit grand bruit. Le Petit Journal illustré n° 672 du 4 octobre 1903, y consacra sa une, et, début d’une piste, l’on prêta à la victime les propos suivants, prononcés la veille de sa mort : « J’en ai assez de ce rat d’hôtel. »
Eugène Villiod, détective privé célèbre en son temps1, nous éclaire sur le sujet dans son ouvrage Comment on nous vole – Comment on nous tue (Paris : Maison d’Édition, « Les Plaies sociales », 1905). D’abord, il précise bien que le terme « rat d’hôtel » est une invention de journalistes, et ensuite, y consacrant un chapitre, fournit une belle définition de cette activité délictuelle et même parfois criminelle, essentiellement masculine dans la mesure où il ne cite pas une seule fois la consœur du « rat ». Ce texte nous apprend notamment que la fameuse tenue noire, si romanesque — qui semblait tout droit sortie d’un feuilleton — , fut d’abord, dans la vie réelle, celle du rat d’hôtel, avant d’être celle de la souris d’hôtel de fiction. Et Villiod de préciser : « Le rat d’hôtel dispose, pour accomplir ses méfaits, de tout un attirail peu volumineux, facile à dissimuler, et où chaque objet est agencé pour une destination bien déterminée. Il a un maillot fin, tout noir ou gris noir, qu’il porte à même la peau, et qu’il endosse dès que le moment de marcher est venu. Cet accoutrement est complété par une cagoule de soie qui lui cache complètement la tête et le visage, et n’a d’ouvertures qu’à la hauteur du nez, de la bouche et des yeux. […] Le maillot noir et la cagoule dont il est revêtu non seulement lui permettront de passer plus facilement inaperçu en se confondant avec les objets environnants, dans l’obscurité, mais encore, en masquant complètement son visage, empêcheront que sa victime puisse avoir aucun indice permettant de le reconnaître. » À l’appui de sa description, le détective Villiod annexe un hors-texte photographique représentant un grand gaillard moustachu enveloppé de la tête aux pieds d’un collant noir, qui s’apprête à réduire une inoffensive dormeuse avec son assommoir fait d’une peau d’anguille bourrée de sable fin mêlé de grenaille de plomb. À n’en pas douter, ce costume « près du corps » qui mettait en valeur la virile musculature, devait plaire énormément à Jean Lorrain. Par simple extrapolation, on va passer d’une symbolique homosexuelle masculine au comble de la séduction féminine.
Une chose est certaine, l’image inquiétante de la créature en noir commence petit à petit à s’imposer dans le grand public, une revue aussi connue que Je sais tout (Lafitte) consacrant un article illustré aux « Rats et souris d’hôtel », dans son n° 40 du 15 mai 1908. Si le texte qui, en introduction, attribue le nom « admirablement trouvé » de rat d’hôtel à Jean Lorrain, emprunte largement au livre de Villiod, il nous informe cependant sur celle qui est vraisemblablement la souris d’hôtel « historique », la grande inspiratrice des romanciers : Amélie Condemine, dite comtesse de Monteil. Bien que connaissant ses coupables activités, la police mit, paraît-il, dix-sept ans pour la prendre sur le fait. On comprend alors pourquoi elle devint une légende de la pègre que l’article anonyme de Je sais tout rapproche fortuitement du limier de Baker Street : « La fameuse souris d’hôtel, la comtesse de Monteil, est une exception dans la profession. Mais quelle physionomie balzacienne ! L’amour du jeu la perdit. Elle jetait royalement sur le tapis cinquante mille francs dans la même soirée, tandis que son mari habitait une chambre d’hôtel meublé à quarante-cinq francs par mois. Chef de bande, elle mit en coupe réglée les hôtels de la Côte d’Azur, agissant avec une habileté si merveilleuse que Sherlock Holmes l’eût sans doute admirée. »
Avec son livre « réclame » à compte d’auteur, Eugène Villiod avait tout intérêt à forcer le trait pour installer un sentiment d’insécurité et justifier ainsi le recours préventif à un détective si renseigné qu’il est à même de vous protéger. Aussi, il convient de se reporter à l’ouvrage de référence pour ces années-là : le Manuel de Police Scientifique (Paris : Félix Alcan – Lausanne : Librairie Payot & Cie, 1911) de R.-A. Reiss, professeur à l’Université de Lausanne. Ce traité, préfacé par Louis Lépine, préfet de Police de Paris, consacre dans son volume I : « Vols et homicides », un chapitre aux « Rats d’hôtel ou voleurs d’hôtel de la haute pègre » et plus spécifiquement un passage aux « Rats d’hôtel féminins »: « L’élément féminin est assez fréquent dans le monde des rats d’hôtel. Les femmes servent de complices, comme cette Sylveria qui travaillait, avec Ochoa, dans les grands hôtels de la Côte d’Azur, de Baden-Baden, etc. et qui fut prise avec son compagnon, à Milan, en mai 1910, par des inspecteurs de la Sûreté française. D’autres, comme la prétendue comtesse de Monteil (la souris d’hôtel), opèrent seules à leur propre compte. » Le professeur Reiss émet quelques réserves quant à l’habillement consacré du rat d’hôtel : « Lorsque le rat opère la nuit, il s’habille d’un pyjama de couleur sombre. Ch., par exemple, travaillait dans un pyjama de couleur aubergine. Les fameux maillots noirs, au moins actuellement, ne sont pas employés par ces voleurs. Un rat d’hôtel fameux nous a même déclaré que les maillots noirs étaient le produit de la fantaisie de femmes apeurées. Et en effet, le voleur surpris en maillot noir dans le corridor d’hôtel, ce qui peut toujours arriver, est immédiatement reconnu comme tel ; s’il est en pyjama, par contre, vêtement de nuit qui est actuellement très à la mode, on croira que, pris d’un malaise, il se rend aux cabinets. Nous ne savons pas exactement si le maillot noir a été en réalité utilisé autrefois par les rats d’hôtel. C’est possible, mais ce qu’on peut affirmer, c’est qu’à l’heure actuelle ils ne se revêtent pas d’un costume aussi compromettant, alors qu’ils ont à leur disposition un habillement aussi parfait et surtout aussi courant que le pyjama de couleur foncée. »
Qu’il soit homme ou femme, en maillot noir ou non, le rat d’hôtel constituait à cette époque un trouble important susceptible d’entraîner des complications diplomatiques, les victimes étant la plupart du temps des notables ou de riches étrangers. C’est ainsi que le 24 octobre 1913, soit quelques jours après l’interpellation du rat d’hôtel Urbain-Marius Thaust recherché depuis vingt-deux ans « par toutes les polices du monde et par la Sûreté Générale »2, le directeur de la Police judiciaire Mouton adressait une circulaire à tous les commissaires de la ville de Paris et des communes du ressort : « La Direction de la Sûreté Générale signale l’intérêt qu’il y aurait à ce que les vols commis à Paris par des “rats d’hôtel”, soient portés à sa connaissance. La plupart des malfaiteurs de cette catégorie, sont en effet des internationaux qui opèrent habituellement dans les villes d’eaux et stations hivernales. Beaucoup d’entre eux sont connus du Contrôle Général des Services de Recherches au Ministère de l’Intérieur, lequel pourra dans bien des cas, fournir des renseignements utiles sur les auteurs des vols de ce genre, qu’ils aient été identifiés et arrêtés ou non. En conséquence, chaque fois que vous aurez à traiter des affaires de cette nature, je vous prie d’en informer d’extrême urgence, la Direction de la Police Judiciaire. Il appartiendra à ce service de se mettre en rapport avec le Contrôle Général des Recherches au Ministère de l’Intérieur et de servir ainsi à la coordination des efforts et des renseignements, en vue d’une répression rigoureuse de ces vols. »
Romanciers et cinéastes français ne pouvaient ignorer un sujet si prometteur, et immédiatement ils se mirent à l’œuvre. Énigmatique et fatale, la souris d’hôtel est passée à ses débuts par mains de maîtres : Louis Feuillade chez Gaumont, et Raphaël Kirchner à la Librairie de l’Estampe. Tous deux serrèrent ses formes généreuses dans un collant noir où seuls affleurent des yeux charbonneux débordant de vaines promesses. À cette belle époque, elle représente une femme libre que n’embarrasse aucun préjugé, l’interdit développant ses envies. Ceux qui ne savent pas pourraient la qualifier de « demi-vierge », en référence à ces « chastes frôleuses » dont parle Marcel Prévost, mais ce serait réduire considérablement sa personnalité. Qui est-elle ? Irma, Georgina, Maud, Fleur-de-Lupin et bien d’autres.
Le cinéma montre son engouement pour les rats et souris d’hôtel en produisant une série de courts-métrages : Rat d’hôtel (1909, Pathé), Les Rats d’hôtel (1910) de Pierre Bressol, Souris d’hôtel (1911) de Georges Denola, avec Mistinguett, Rigadin rat d’hôtel (1912, Pathé) de Georges Monca.
Avec les épisodes de Fantômas3 (1913-1914), Louis Feuillade (1873-1925) consacre le maillot noir du rat d’hôtel comme tenue de prédilection du génie du crime et de ses acolytes4, lui donnant un rayonnement inattendu, et la sinistre vêture sert même de déguisement occasionnel à l’intrépide journaliste Fandor, lors d’un mémorable bal masqué où les Fantômas semblent se multiplier. Bien oublieux du mérite de Feuillade, Marcel Allain, coauteur survivant de la série initiale des romans, rappelle cette façon de voir Fantômas et la développe avec grande précision plus de quarante ans après, dans un signalement destiné à Pierre Tabary, le dessinateur de la BD quotidienne « Fantômas » (in Paris Journal, 1957-1958, agence de presse Opera Mundi) : « Fantômas en cagoule est légendaire. Sa silhouette est immuable. Contrairement à ce que l’on a vu dans les films français, Fantômas en cagoule est essentiellement vêtu de vêtements collants (et jamais de cape ou autres vêtements flottants). Il porte, en somme, la tenue du rat d’hôtel. La tête entière, visage et cou, disparaît sous une étoffe noire qui colle aux traits (pratiquement les artistes se servent pour la cagoule d’un bas de femme dans lequel ils enfoncent le visage). Deux trous seulement permettent de voir le flamboiement des yeux. Le buste est vêtu d’une chemise, noire aussi, assez collante, qui se raccorde à la cagoule […] Comme pantalon un collant noir, sans aucun pli, qui moule les cuisses, les jambes (pratiquement les interprètes se servent d’une caleçon Rasurel). Les mains sont gantées de noir et joignent avec les manches de chemise. Les pieds sont chaussés de chaussons montants, noirs. »5 Alors qu’il a dessiné la quasi-totalité des couvertures de Fantômas, Gino Starace6 ne représente qu’une seule fois le grand criminel dans la tenue noire qui lui colle encore à la peau aujourd’hui. Pour La Disparition de Fandor (Fantômas n° 16, 1912), l’artiste compose une scène où l’on voit un rat d’hôtel s’extirpant, tel un serpent, de sous le lit dans lequel dort paisiblement une ravissante jeune fille au teint virginal. Il contemple sa proie, une main agrippée aux draps tiédis, l’autre serrant fort le stylet italien à lame courte et triangulaire que la plupart de ces criminels, nous dit Villiod, « ont la coquetterie d’acheter cher, pour qu’elle ait un certain cachet artistique ». Comment ne pas voir dans cette iconographie, au-delà du vol envisagé, le message subliminal de l’innocence en danger, de l’intimité violée ? D’autant plus que Starace a pris quelques libertés avec le sujet qu’il est censé illustrer, ajoutant (le stylet dans la main du rat) et supprimant (le compagnon dans le lit de la dormeuse) plusieurs éléments, dans le but probable d’accentuer le trouble équivoque de la situation. Une femme seule, comme offerte, est forcément plus vulnérable. Cette dramaturgie de l’image remplace avantageusement le vaudeville — l’épouse infidèle, le mari trop confiant, et l’amant caché dans le placard — que nous donne à lire le chapitre XI, sobrement intitulé « Rat d’hôtel ». Bien entendu, il ne s’agit pas d’un quelconque rat d’hôtel, mais de ce qu’il y a de plus terrible : « L’homme était vêtu des pieds à la tête d’un extraordinaire costume. Son corps était moulé dans un maillot de laine noire dont le col remontait jusqu’à son visage qui disparaissait entièrement sous une cagoule, une cagoule noire. Ah ! certes, le personnage était légendaire, la silhouette était fameuse, silhouette de nuit, silhouette de crime, silhouette de meurtre ; si le maillot noir eût pu faire croire à un ordinaire rat d’hôtel, la cagoule, de forme bien particulière, ne pouvait permettre l’hésitation, l’individu qui se trouvait dans la chambre de Guillaume, c’était Fantômas, c’était le terrifiant bandit, c’était le Maître de l’Épouvante ! »
C’est dans Les Vampires du même Feuillade, célèbre feuilleton cinématographique en dix épisodes7, diffusé pour la première fois au cours des années 1915 et 1916 sur l’écran du Gaumont-Palace, « le plus grand cinéma du monde », que Musidora (pseudonyme de Jeanne Roques, 18848-1957) va devenir pour l’éternité l’image même de la souris d’hôtel, de la femme qui entreprend et porte bien haut le drapeau de la transgression. Avec le temps, l’actrice et son rôle ont fusionné à tel point que Musidora, en personne, a fini par remplacer dans la mémoire collective le personnage d’Irma Vep, effaçant presque, de ce fait, le reste de sa carrière cinématographique9. En 1923, Louis Aragon écrivait à quel point il n’aimait pas Feuillade, reconnaissant cependant aux Vampires un intérêt particulier : « Mais d’admirables acteurs, et le choix d’un sujet qui tombait par hasard à pic, à cette époque, firent de ce qui aurait pu être une platitude l’une des épopées qui marquèrent, plus vivement que la Marne ou Verdun, l’esprit de quelques hommes. […] À cette magie, à cette attraction, s’ajoutait le charme d’une grande révélation sexuelle. Les théâtres étaient ou fermés ou entrouverts à peine. Le Moulin Rouge venait de flamber. Dans cet incendie qui pouvait être un désastre pour la sensualité de milliers de jeunes gens, que restait-il qui donnât sa forme et son sceau aux désirs d’un peuple naissant ? Il appartint au maillot noir de Musidora de préparer à la France des pères de famille et des insurgés. »10 Musidora entre en scène au troisième épisode, mais ce n’est qu’au sixième (Les Yeux qui fascinent) qu’elle prend pour la première et dernière fois l’apparence provocante qui la rendra célèbre, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle fait sensation avec sa tenue de soie noire portée comme une seconde peau. Même si elle tente de s’y faire passer pour un jeune homme, nos yeux ne sauraient être abusés. Ses formes pleines, conformes aux canons de beauté de l’époque, expriment la plénitude des sens. Cette scène mythique, où elle vole un plan dans une chambre d’hôtel, dure moins de deux minutes, sur six heures trente de projection. Cela suffira pour qu’une légende fasse son chemin. Dès 1916, Les Vampires deviennent par l’entremise de George Meirs (1878-1962), à la Librairie Contemporaine de Paris, un roman à suivre de sept livraisons mensuelles : quatre volumes (La Tête coupée, Le Spectre, Les Yeux qui fascinent, Satanas) et trois fascicules (Le Maître de la foudre, L’Homme des poisons, Les Noces sanglantes). La fameuse scène relatée ci-dessus, figure au chapitre VI (« Des désagréments et des risques du métier de rat d’hôtel » du volume III des Vampires). Pas une fois le romancier ne parle de « souris d’hôtel », mais décrit avec complaisance Irma Vep « moulée dans son seyant maillot noir», évoquant notamment « la plénitude gracieuse de ses lignes ».
Pas loin d’un siècle plus tard, le romancier Gérard Dôle fait sienne la nouvelle personnalité de Musidora — celle qui amalgame l’actrice et son rôle d’Irma Vep — et lui offre, en prenant parfois quelques menues libertés temporelles, quelques aventures mystérieuses au cours desquelles elle côtoie le petit monde bohème de Paris au tournant du siècle. La souris d’hôtel est de retour, mutine, un peu voleuse bien sûr, mais plus du tout criminelle.
Sans prétendre avoir identifié l’œuvre de fiction fondatrice du personnage idéalisé de la souris d’hôtel, reconnaissons au moins que le roman La Dame aux « ouistitis » — Souvenirs d’une « souris d’hôtel » de Georges Le Faure (1856-1953), paru en 1908 dans la collection « Le Livre Populaire » de Fayard, s’inscrit dans une notoriété lui permettant de revendiquer le titre de pionnier. Et s’il s’avère qu’il n’est pas, dans l’absolu, le tout premier, il n’en est pas loin car l’éditeur a cru bon de placarder sur l’image de couverture signée Gino Starace, pour la compréhension d’un titre qui, à son avis, méritait explication, les définitions de Souris d’hôtel : « Surnom dont la police désigne les femmes qui se font une spécialité de dévaliser les chambres de voyageurs. » et de Ouistitis : « Nom donné dans l’argot de la cambriole aux minuscules instruments qui servent à faire, de l’extérieur, tourner les clés dans les serrures des appartements. » Le roman sera réédité par Fayard en 1953 — édition revue et incomplète —, avec le titre beaucoup plus sobre de Rat d’hôtel, en cela davantage conforme au contenu puisqu’il peut s’appliquer au complice de la « souris », un gentleman-cambrioleur dont le rôle est prédominant. L’émancipation de la femme a ses limites, et il lui faut encore, semble-t-il, de mâles épaules à proximité. De toute façon, cette souris d’hôtel n’a rien d’une militante, étant bien trop mondaine ou simplement coquette, bien trop sensible aux égards de toute nature, pour revendiquer autre chose que de profiter égoïstement de la vie et de tous ses plaisirs. La Dame aux « ouistitis » n’est pas un roman et encore moins un recueil de souvenirs, mais une suite de dix d’histoires11 indépendantes les unes des autres, contant les exploits du roi de la cambriole Fabrice Levrot — constamment poursuivi par l’inspecteur Furet de la Sûreté — et, dans une moindre mesure, ceux de la jolie Roumaine Georgina Vénasco. C’est elle, la souris d’hôtel, très peu à l’œuvre, et il faut attendre longtemps pour apprendre enfin qu’elle revêt le fameux costume de travail, le maillot de soie noire complété d’un capuchon percé de deux trous pour les yeux. Starace la représentera ainsi sur la couverture, avec son portrait en médaillon, afin de montrer à quel point elle est séduisante.
Antonin Reschal (pseudonyme d’Antonin Arnaud, 1874-1935) était déjà l’auteur de Désirs pervers et De la volupté au tombeau : le journal d’un amant, lorsqu’il fit paraître en 1909 chez Albin Michel, le roman Maud, femme du monde cambrioleuse, à l’érotisme bien convenable mais cependant rehaussé par certaines illustrations hors-texte de Raphaël Kirchner (1876-1917). Ce dernier a su représenter la sensualité avec un grand raffinement, et sa souris d’hôtel emmaillotée, qu’on pourrait croire nue dans la pénombre d’un escalier, est exemplaire. Son apport au texte étant indéniable, Reschal s’en souviendra quelque temps plus tard, alors qu’il est lui-même éditeur à l’enseigne de la Librairie de l’Estampe, et lui demandera de réaliser une série de cartes postales « artistiques » (1914-1916) ayant pour sujet l’ensorcelante voleuse. Maud, c’est Madame la comtesse Maud de Fréjeville, une jeune femme délaissée par son vieux mari, narcissique et futile, oisive et dépendante, qui a de grands besoins d’argent pour assurer son train de vie dispendieux. Elle est tout le contraire d’une aventurière, et en cela fort différente de Georgina Vénasco. Autant celle-ci fait preuve d’indépendance et d’initiative, autant Maud s’en remet totalement à son amant qui d’abord éveille ses sens, ensuite la dévergonde, puis la débarrasse de ses principes de classe en faisant son éducation de voleuse. Elle commence à prendre plaisir à sa déchéance, et échappe ainsi à une vie monotone, sans oublier pour autant de quel monde elle est issue : « Plutôt le vol que la médiocrité». Le passage à l’acte lui procure une ivresse mêlant intimement la nécessité à la volupté, l’argent et le sexe. Curieusement, elle demeurera une souris d’hôtel velléitaire, puisque après voir revêtu « l’enveloppe impudique » des rats d’hôtel — le terme « souris d’hôtel » n’est jamais employé —, l’opération sera annulée en raison d’un événement imprévu et cocasse : l’intervention malheureuse d’un autre rat d’hôtel. Son amant la complimentera tout de même : « Ce vêtement, pour toi, n’est pas la livrée du cambrioleur, mais plutôt l’accessoire frivole d’une pécheresse voluptueuse…», ce qui est une façon d’affirmer la vraie raison d’être de ce « costume immoral ». Albin Michel annonçait à paraître prochainement Les Derniers Exploits de Maud, un volume n’ayant vraisemblablement jamais vu le jour.
Illustration originale de Raphaël Kirchner pour Maud, femme du monde cambrioleuse (Paris : Albin Michel, 1909).
Si Mademoiselle X…, souris d’hôtel de Maurice Vaucaire (Versailles, 1865- ?) et Marcel Luguet a bien été publié vers 1918 dans la collection illustrée « In Extenso » de La Renaissance du Livre (Paris), il semblerait que ce court roman soit paru initialement en 1910, comme précisé laconiquement dans la présentation de l’un des auteurs, information étayée par divers éléments du texte. Quoi qu’il en soit, l’édition « In Extenso » est illustrée par Émile Maîtrejean (1882-1955) à qui l’on doit aussi, notamment, les illustrations des Mémoires d’un cambrioleur retiré des affaires (Albin Michel, 1922) d’Arnould Galopin. Mademoiselle X…, souris d’hôtel est un récit plein de légèreté, ponctué par une sévère pointe d’amertume, le drame final étant, semble-t-il, la seule solution envisageable pour un baisser de rideau sur tant de joyeuse amoralité. Raymonde G…, la demoiselle X… en question, nous raconte avec impertinence, depuis la cellule où elle purge une peine d’emprisonnement de quinze mois pour faits de vol, les épisodes marquants de sa jeune carrière de souris d’hôtel. Elle fut une adolescente éprise de liberté, lisant Mendès et Jean Lorrain, qui reçut de son père, joueur de cartes professionnel, une éducation pragmatique résumée par ce principe : « Le bien des sots est la propriété des gens de mérite. » Et du mérite, Raymonde n’en manque pas, car elle écume consciencieusement les villes d’eaux, les unes après les autres, ce qui nous vaut quelques anecdotes savoureuses. Une nuit, alors qu’elle est surprise par sa victime, un vieux libidineux à face de gorille, elle doit payer de sa personne la liberté compromise. Un simple aléa quand on est une souris. Cette scène torride constitue un sujet d’élection pour le réalisateur anonyme du court métrage pornographique Le Chat dans la souricière (Repris dans le DVD L’Anthologie érotique du cinéma clandestin, vol. 2, Paris : Éditions Astarté, « Archives d’Éros », s.d. [2007]), tourné vers 1920 et certainement à l’usage des maisons closes. Une autre fois, Mademoiselle X… est à son tour visitée nuitamment dans sa chambre, l’intrus étant une pitoyable et vieille souris d’hôtel, à l’allure cocasse : « Un jersey noir, tout rougi à l’usage, sur un dos rond et une poitrine flasque. Un cou cordé, crasseux. Des gros pieds ronds dans des chaussures de feutre. Une culotte noire de cycliste comme on a honte d’en porter aujourd’hui, et si comique sur ses grosses hanches ! » Éminemment sympathique, Mademoiselle X… n’a qu’un défaut, elle est amoureuse, et c’est ce qui la perdra. Elle en mourra.
En 1927 sort le long métrage Souris d’hôtel, une réalisation d’Adelqui Millar produite par les films Albatros. Ica de Lenkeffy y tient le rôle de Rita la souris d’hôtel. Ce film est tiré de Souris d’hôtel (Paris : Librairie Théâtrale, 1927), une comédie en quatre actes de Marcel Gerbidon et Paul Armont, représentée pour la première fois au Théâtre Édouard VII, le 28 janvier 1927, avec Andrée Spinelly dans le rôle principal. Lorsqu’un personnage sulfureux à la notoriété établie tombe dans le vaudeville et les bons sentiments, il y a fort à craindre que sa fin ne soit proche, car on se relève difficilement de pareille avanie. Souris d’hôtel marque bien la fin d’un cycle populaire qui aura duré une vingtaine d’années. Le mythe du maillot noir s’étiole à la fin de cette décennie12, la pauvre souris d’hôtel rentre dans le rang pour devenir une femme respectable, puis, n’en doutons pas, une mère de famille débordée. Le rêve est détruit et le conformisme bourgeois triomphe. En mourant dans la violence, Irma Vep, elle au moins, assuma jusqu’au bout tous ses choix, se préservant du moindre compromis, du plus petit renoncement qui aurait dénaturé son image.
Quelques résurgences anecdotiques13 ne changent rien à l’affaire. Aussi, nous terminerons avec deux œuvres marquantes et tardives, mais dont les racines sont bien implantées à la grande époque de la souris d’hôtel. D’abord un texte prémonitoire quant à l’improbable association du grand détective anglais et de la cambrioleuse : L’« Hôtel des Trois Pèlerins », titre du fascicule Harry Dickson n° 128, paru en décembre 1934. La couverture d’Alfred Roloff (1879-1951) fut conçue à l’origine pour illustrer Die Gräfin mit den Silberzangen (1908, La comtesse aux pinces [-monseigneur] d’argent), l’aventure n° 76 de la série « Sherlock Holmes » allemande Aus den Geheimakten des Welt-Detektivs (1907-1911). C’est donc le locataire du 221b Baker Street — et non le « Sherlock Holmes américain » du 111b — qu’on aperçoit en train de maîtriser une souris d’hôtel en pleine action, et la tenue de cette dernière se signale par sa pruderie. Elle a passé sur son maillot noir, une robe tout aussi noire qui dissimule évidemment ses charmantes rondeurs, qu’on jugea peut-être inconvenantes pour le public visé. La légende ne laisse aucun doute sur les activités de la demoiselle : « La lumière inonda le hall et Harry Dickson se vit devant une souris d’hôtel en parfait uniforme de campagne. » Le récit allemand — dont une traduction fidèle est publiée dans le Harry Dickson hollandais n° 128 : De valsche gravin (La fausse comtesse) — s’inspire d’une actualité récente, car la comtesse Angela Manola qui sévit en tant que souris d’hôtel sur la Côte d’Azur, est à l’évidence un compromis entre les « historiques » Sylveria et comtesse de Monteil. En se fondant sur cette couverture surannée, Jean Ray écrit donc, près de vingt-cinq ans après, L’« Hôtel des Trois Pèlerins ». Il se hâte de justifier l’illustration imposée par l’éditeur, dans un chapitre premier intitulé « La Souris d’hôtel », mais fait abstraction de sa tenue si austère en ne retenant que le maillot noir et les chaussures de feutre. Comme la souris se révèle justicière, cela nous ramène de plain-pied au sujet même du recueil de Gérard Dôle.
Au diable la pondération de l’essayiste, et clamons bien fort que Judex14 (1963) de Georges Franju (1912-1987) est un chef-d’œuvre de fantastique onirique et de poésie. Diana Monti, personnage vénéneux interprété par Musidora chez Louis Feuillade (Judex, 1916), porte ici la célèbre tenue d’Irma Vep, et il faut voir Francine Bergé revêtue du maillot noir, cambriolant une demeure ou s’enfuyant par les toits, pour comprendre toute la magie de ce monde feuilletonesque dont la grande noblesse était seulement d’émouvoir. Franju rend un ultime hommage à la souris d’hôtel (Gayle Hunnicutt) — elle est poursuivie par la police sur les toits de Paris — dans Nuits rouges (1974), une sorte de Fantômas qui ne dit pas son nom, et dont une version télévisée fut diffusée par TF1 en huit épisodes de cinquante-deux minutes, au cours des mois de juillet et août 1975, sous le titre L’Homme sans visage.
Macfarlane et maillot noir vont s’approcher, collaborer, s’apprécier sans réellement se connaître. À moins que le dupe feigne de n’avoir rien remarqué en raison d’un impérieux motif, son propre intérêt, car il a certainement plus à gagner en fermant les yeux sur l’identité réelle de ce précieux collaborateur, qu’à dénoncer une situation peut-être équivoque, mais où chacun trouve un bénéfice. Ainsi, Holmes, qu’il ne faut peut-être point trop mésestimer, pourra toujours faire l’étonné, le moment venu.
FRANÇOIS DUCOS
1. Un comble ! Sa carte de visite à deux volets le représente en gentleman-cambrioleur — portant cape et loup noirs — dessiné par Cappiello. La légende « Qui suis-je ? » renvoie à son nom, à son adresse (37, boulevard Malesherbes, Paris) et à ses spécialités de détective.
2. Le journal Le Matin du 21 octobre 1913, consacre un article assez long à l’arrestation de Marius Thaust « Le doyen des rats d’hôtel ». Il est notamment précisé que le prudent personnage cachait sa barbe et ses cheveux blancs d’un voile noir, et qu’il vivait « comme un bourgeois rangé dans un pavillon à Bois-Colombes, “se faisant” de 2500 à 3000 francs par mois dans les hôtels des villes d’eaux, sur la Riviera, en Suisse et à Paris ».
3. Fantômas en coffret DVD : Tristar Home Video, 1999.
4. Zigomar (1911), Zigomar contre Nick Carter (1912) et Zigomar, peau d’anguille (1913), réalisés par Victorin Jasset, annoncent le Fantômas de Feuillade, mais si le terrible Zigomar et sa bande des Z portent eux aussi la cagoule, le reste du corps est totalement dissimulé par une longue toge aux larges manches.
5. Citation extraite de « Indications pour typer les personnages principaux » (in Fantômas vol. 1, Robert Laffont, « Bouquins », 1987).
6. Gino Starace, l’illustrateur de « Fantômas », par Alfu, Patrice Caillot et François Ducos, Amiens : Encrage, « Portraits », 1987.
7. Les Vampires : 1 - La Tête coupée, 2 - La Bague qui tue, 3 - Le Cryptogramme rouge, 4 - Le Spectre, 5 - L’Évasion du mort, 6 - Les Yeux qui fascinent, 7 - Satanas, 8 - Le Maître de la foudre, 9 - L’Homme des poisons, 10 - Les Noces sanglantes.
Les Vampires sont disponibles en deux versions DVD : l’une américaine chez Image (1998) avec intertitres en anglais, l’autre, française et plus récente (Gaumont, 2006) est le résultat d’une restauration réalisée par la Cinémathèque Française sous la direction de Jacques Champreux.
8. Selon certaines sources, l’année de naissance serait 1889.
9. Voir Musidora par Francis Lacassin (Anthologie du Cinéma n° 59, Supplément à L’Avant-Scène du Cinéma n° 108 de novembre 1970) et Musidora la dixième muse par Patrick Cazals (Éditions Henri Veyrier, 1978).
10. Citation tirée de « Les Vampires », in Projet d’histoire littéraire contemporaine (Gallimard, « Digraphe », 1994).
11. La Dame aux « ouistitis » – Souvenirs d’une « souris d’hôtel » : « Le Scandale du Metropolitan Hôtel », « Lettres de femme », « Robe rose et soulier rouge », « La Maison hantée », « La Victoire de White Star », « Le Diamond Soleil » [Non repris dans Rat d’hôtel], « La Bande des Têtes à l’huile », « Le Triomphe de la belle Georgina », « Les Émaux du duc de Croizilles », « Le Charcutier » [Non repris dans Rat d’hôtel].
12. Le fameux maillot noir fera un retour remarqué en devenant la tenue préférée de Zakimort (personnage de BD populaire italienne créé en 1965), l’uniforme « bodysuit » de plusieurs super-héroïnes des comic books américains, telles Catwoman (DC Comics) ou Sydney Taine (Nightside, Marvel), et devenu cuir, il n’a jamais cessé d’alimenter l’imaginaire fétichiste qui passe d’abord par Carlo et John Willie (1902-1962). Ce dernier a d’ailleurs représenté une souris d’hôtel en maillot noir et talons aiguilles (« The Burglar » [La cambrioleuse]), ce dessin figurant dans la revue Bizarre (1946) et au chapitre « John Willie, A Most Bizarre Life » de Dian Hanson’s : The History of Men’s Magazines, Vol. 2 [From Post-War to 1959], Taschen, 2004.
13. À titre d’exemples, citons Souris d’hôtel de Pierre Mariel (Paris : Librairie contemporaine, « Le roman du dimanche » n° 34, 1932) ; Le Rayon sensuel de Marcelle Valencia (Paris : Éditions Prima, « Collection Gauloise » n° 188, 1932) ; « Souris d’hôtel » de C.V. (in Sensations n° 5, Lyon, 1948) ; Pas d’oseille pour la souris d’Andy Logan/Jerry Lewray (Paris : Société d’Éditions Générales, « Allô! Police », 1966). Et quelques films : La Rue sans loi (1950) de Claude Dolbert [d’après Dubout], avec Nathalie Nattier (la souris fatale) [DVD René Château, 2005] ; Garou-Garou, le passe-muraille (1950) de Jean Boyer [d’après Marcel Aymé], avec Joan Greenwood (la souris convenable) ; La Main au collet (To Catch a Thief, 1955) d’Alfred Hitchcock, avec Brigitte Auber (la souris sous influence) [DVD Paramount] ; Irma Vep (1996) d’Olivier Assayas, avec Maggie Cheung (la souris orientale) [DVD 2Good, 2003].
14. Coffret double DVD Georges Franju [Judex – Nuits rouges], Éditions des Cahiers du Cinéma, s.d. [2007].
Saviez-vous, mon cher, me confia Musidora, un soir que nous sortions de l’Ambigu où se donnaient Les Triomphes de Sherlock Holmes, que je l’ai connu ? Je veux parler, bien sûr, de l’être de chair et de sang, de l’homme qui a réellement existé et vécu à Londres jadis. Car je me moque bien du limier de fantaisie que William Gillette1 rendit célèbre en le campant au théâtre avec brio. Saviez-vous aussi que chez M. Sherlock Holmes, le vrai, qui n’a jamais connu de docteur Watson, se succédèrent plusieurs grooms ou chasseurs dont certains sont devenus ses élèves ? Le premier en date fut un cockney couvert de taches de rousseur qui se prénommait Billy. C’est ce petit frispoulet de Charles2 qui le remplaça, un loustic pas plus haut que trois pommes qui ne quitta Baker Street que pour grimper sur les planches et se tailler ensuite la part du lion au cinématographe sous le nom de Charlot. On m’a parlé aussi d’un jeune freluquet que je n’ai pas connu, qui resta longtemps au service du détective, et qui, lui, n’hésita pas à prendre le pseudonyme de Harry Dickson vers la fin des années vingt quand, à son tour, il embrassa la profession. En ce qui me concerne, j’ai modestement assuré l’intérim entre Billy et Charlie pendant toute une saison. Je crois me souvenir que c’était en 1900.
Mais déjà, à Paris, selon que la nuit fut plus ou moins avancée, tantôt je portais le loup de velours, le maillot noir et les chaussons feutrés pour me glisser sans bruit le long des couloirs obscurs des palaces de la Madeleine, tantôt je me parais de froufrous et de tralalas pour le quadrille ou le chahut sous les lampes à arc du Moulin de la Galette. À Londres, où j’étais partie me faire oublier de Nini3, je me fabriquai pareillement deux personnages fort dissemblables. Parfois j’adoptais la jupe et le chemisier stricts de l’ingénue dactylographe, parfois la pelisse richement fourrée du jeune fashionable. Ce rôle-là m’était d’autant plus facile que j’avais longtemps été un vrai garçon manqué. J’épousais si bien l’allure et les façons du gandin avec son costume du bon faiseur que je me mis au défi de déjouer la perspicacité du roi des détectives.
Je me rendis donc à Baker Street, chez l’ennemi juré d’Arsène Lupin, mon grand modèle, qui l’avait ironiquement rebaptisé Herlock Sholmès et je lui présentai une longue lettre de recommandation de M. Ducos, chef de la Sûreté parisienne. Elle était fausse, vous vous en doutez. Je m’étais en outre nantie d’une identité fantaisiste, « Sid Morau », qui n’était autre que l’anagramme de Musidora. Le détective qui prononçait mon nom : « Morrow », avec un accent très britannique, me questionna sur ce « Sid » qui sonnait à ses oreilles comme l’abrégé de « Sidney », prénom cher à la gentry de la vieille Albion.
– Non, Monsieur, répondis-je avec aplomb, Sid est bien français. C’est à la fois la première syllabe et la dernière de deux noms de baptême distincts. Cela vous surprend, je le constate. Puis-je me permettre de vous éclairer ?
Et sur un signe d’assentiment de mon célèbre interlocuteur qui m’observait avec attention depuis le début de notre entretien, je servis un boniment du diable, au risque de tout faire échouer. Bah ! J’ai toujours aimé le jeu de roulette.
– Marie, ma chère maman, qui désirait tant une fille, dis-je, accoucha de faux jumeaux : ma sœur et moi. Papa, voulant lui être agréable, chercha et trouva un compromis satisfaisant. On nous baptisa : elle Sidonie et moi Alcide. Néanmoins, dans la pratique, on nous appelait indistinctement Sid. Combien de fois notre mère ne nous a-t-elle répété que ce prénom tronqué expliquait les traits tant féminins que masculins qu’elle décelait en chacun de nous ! Quant à Morau, continuai-je, il passe pour une variante orthographique de Moreau, un grand peintre de chez nous que la République vient d’honorer de funérailles nationales. Ce cher Gustave, dont nos tantes conservent pieusement les toiles magnifiques, était notre parrain.
Quelles blagues ! Eh bien, me croirez-vous ? le détective n’y vit que du bleu. Il crut que j’étais réellement un fils de famille français, travaillé par les problèmes d’une fin d’adolescence difficile. Alors, me poussant du faux-col, plutôt que de postuler à l’emploi de chasseur, je lui demandai hardiment de me prendre comme élève. Sa réponse ne fut pas longue à venir. Je lui faisais si bonne impression qu’il accepta. Hourra ! J’avais décroché la timbale et gagné le coquetier.
Or, comme je prenais chapeau et manteau, puisqu’il était entendu que je ne débuterais que le lendemain, il m’arrêta d’un geste et me dit, d’un ton où perçait une once d’embarras :
– Un instant, s’il vous plaît. Je ne puis vous le cacher plus longtemps, il y a dans tout cela un détail… un détail d’importance well