EAN : 9782335003840
©Ligaran 2015
Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff.
Malgré le déclin du soleil, la chaleur restait accablante dans cette région de l’Afrique voisine de l’équateur, et chacun de nous se sentait lourdement incommodé par l’orageuse température, que ne modifiait aucune brise.
Devant moi s’étendait l’immense place des Trophées, située au cœur même d’Éjur, imposante capitale formée de cases sans nombre et baignée par l’océan Atlantique, dont j’entendais à ma gauche les lointains mugissements.
Le carré parfait de l’esplanade était tracé de tous côtés par une rangée de sycomores centenaires ; des armes piquées profondément dans l’écorce de chaque fût supportaient des têtes coupées, des oripeaux, des parures de toute sorte entassés là par Talou VII ou par ses ancêtres au retour de maintes triomphantes campagnes.
À ma droite, devant le point médian de la rangée d’arbres, s’élevait, semblable à un guignol géant, certain théâtre rouge, sur le fronton duquel les mots « Club des Incomparables », composant trois lignes en lettres d’argent, étaient brillamment environnés de larges rayons d’or épanouis dans toutes les directions comme autour d’un soleil.
Sur la scène, actuellement visible, une table et une chaise paraissaient destinées à un conférencier. Plusieurs portraits sans cadre épingles à la toile de fond étaient soulignés par une étiquette explicative ainsi conçue : « Électeurs de Brandebourg ».
Plus près de moi, dans l’alignement du théâtre rouge, se dressait un large socle en bois sur lequel, debout et penché, Naïr, jeune nègre de vingt ans à peine, se livrait à un absorbant travail. À sa droite, deux piquets plantés chacun sur un angle du socle se trouvaient reliés à leur extrémité supérieure par une longue et souple ficelle, qui se courbait sous le poids de trois objets suspendus à la file et distinctement exposés comme des lots de tombola. Le premier article n’était autre qu’un chapeau melon dont la calotte noire portait ce mot : « PINCÉE » inscrit en majuscules blanchâtres ; puis venait un gant de Suède gris foncé tourné du côté de la paume et orné d’un « C » superficiellement tracé a la craie ; en dernier lieu se balançait une légère feuille de parchemin qui, chargée d’hiéroglyphes étranges, montrait comme en-tête un dessin assez grossier représentant cinq personnages volontairement ridiculisés par l’attitude générale et par l’exagération des traits.
Prisonnier sur son socle, Naïr avait le pied droit retenu par un entrelacement de cordages épais engendrant un véritable collet étroitement fixé à la solide plate-forme ; semblable à une statue vivante, il faisait des gestes lents et ponctuels en murmurant avec rapidité des suites de mots appris par cœur. Devant lui, posée sur un support de forme spéciale, une fragile pyramide faite de trois pans d’écorce soudés ensemble captivait toute son attention ; la base, tournée de son côté mais sensiblement surélevée, lui servait de métier à tisser ; sur une annexe du support, il trouvait à portée de sa main une provision de cosses de fruits extérieurement garnies d’une substance végétale grisâtre rappelant le cocon des larves prêtes à se transformer en chrysalides. En pinçant avec deux doigts un fragment de ces délicates enveloppes et en ramenant lentement sa main à lui, le jeune homme créait un lien extensible pareil aux fils de la Vierge qui, à l’époque du renouveau, s’élongent dans les bois ; ces filaments imperceptibles lui servaient à composer un ouvrage de fée subtil et complexe, car ses deux mains travaillaient avec une agilité sans pareille, croisant, nouant, enchevêtrant de toutes manières les ligaments de rêve qui s’amalgamaient gracieusement. Les phrases qu’il récitait sans voix servaient à réglementer ses manigances périlleuses et précises ; la moindre erreur pouvait causer à l’ensemble un préjudice irrémédiable, et, sans l’aide-mémoire automatique fourni par certain formulaire retenu mot à mot, Naïr n’aurait jamais atteint son but.
En bas, vers la droite, d’autres pyramides couchées au bord du piédestal, le sommet en arrière, permettaient d’apprécier l’effet du travail après son complet achèvement ; la base, debout et visible, était finement indiquée par un tissu presque inexistant, plus ténu qu’une toile d’araignée. Au fond de chaque pyramide, une fleur rouge fixée par la tige attirait puissamment le regard derrière l’imperceptible voile de la trame aérienne.
Non loin de la scène des Incomparables, à droite de l’acteur, deux piquets distants de quatre à cinq pieds supportaient un appareil en mouvement ; sur le plus proche pointait un long pivot, autour duquel une bande de parchemin jaunâtre se serrait en épais rouleau ; clouée solidement au plus éloigné, une planchette carrée posée en plate-forme servait de base à un cylindre vertical mû avec lenteur par un mécanisme d’horlogerie.
La bande jaunâtre, se déployant sans rupture d’alignement sur toute la longueur de l’intervalle, venait enlacer le cylindre, qui, tournant sur lui-même, la tirait sans cesse de son côté, au détriment du lointain pivot entraîné de force dans le mouvement giratoire.
Sur le parchemin, des groupes de guerriers sauvages, dessinés à gros traits, se succédaient dans les poses les plus diverses ; telle colonne, courant à une vitesse folle, semblait poursuivre quelque ennemi en fuite ; telle autre, embusquée derrière un talus, attendait patiemment l’occasion de se montrer ; ici, deux phalanges égales par le nombre luttaient corps à corps avec acharnement ; là, des troupes fraîches s’élançaient avec de grands gestes pour aller se jeter bravement dans une lointaine mêlée. Le défilé continuel offrait sans cesse de nouvelles surprises stratégiques grâce à la multiplicité infinie des effets obtenus.
En face de moi, à l’autre extrémité de l’esplanade, s’étendait une sorte d’autel précédé de plusieurs marches que recouvrait un moelleux tapis ; une couche de peinture blanche veinée de lignes bleuâtres donnait à l’ensemble, vu de loin, une apparence de marbre.
Sur la table sacrée, figurée par une longue planchette placée à mi-hauteur de l’édifice et cachée par un linge, on voyait un rectangle de parchemin maculé d’hiéroglyphes et mis debout près d’une épaisse burette remplie d’huile. À côté, une feuille plus grande, faite d’un fort papier de luxe, portait ce titre soigneusement tracé en gothique : « Maison régnante de Ponukélé-Drelchkaff » ; sous l’en-tête, un portrait rond, sorte de miniature finement coloriée, représentait deux jeunes Espagnoles de treize à quatorze ans coiffées de la mantille nationale – deux sœurs jumelles à en juger par la ressemblance parfaite de leurs visages ; au premier abord, l’image semblait faire partie intégrante du document ; mais à la suite d’une observation plus attentive on découvrait une étroite bande de mousseline transparente, qui, se collant à la fois sur le pourtour du disque peint et sur la surface du solide vélin, rendait aussi parfaite que possible la soudure des deux objets, en réalité indépendants l’un de l’autre ; à gauche de la double effigie, ce nom « SOUANN » s’étalait en grosses majuscules ; en dessous, le reste de la feuille était rempli par une nomenclature généalogique comprenant deux branches distinctes, parallèlement issues des deux gracieuses Ibériennes qui en formaient le suprême sommet ; une de ces lignées se terminait par le mot « Extinction », dont les caractères, presque aussi importants que ceux du titre, visaient brutalement à l’effet ; l’autre, au contraire, descendant un peu moins bas que sa voisine, semblait défier l’avenir par l’absence de toute barre d’arrêt.
Près de l’autel, vers la droite, verdissait un palmier gigantesque, dont l’admirable épanouissement attestait le grand âge ; un écriteau, accroché au tronc, présentait cette phrase commémorative : « Restauration de l’empereur Talou IV sur le trône de ses pères ». Abrité par les palmes, de côté, un pieu fiché en terre portait un œuf mollet sur la plate-forme carrée fournie par son sommet.
À gauche, pareillement distante de l’autel, une haute plante, vieille et lamentable, faisait un triste pendant au palmier resplendissant ; c’était un caoutchouc à bout de sève et presque tombé en pourriture. Une litière de branchages, posée dans son ombre, soutenait à plat le cadavre du roi nègre Yaour IX, classiquement costumé en Marguerite de Faust, avec une robe en laine rose à courte aumônière et une épaisse perruque blonde, dont les grandes nattes, passées par-dessus ses épaules, lui venaient jusqu’à mi-jambes.
Adossé à ma gauche contre la rangée de sycomores et faisant face au théâtre rouge, un bâtiment couleur de pierre rappelait en miniature la Bourse de Paris.
Entre cet édifice et l’angle nord-ouest de l’esplanade, s’alignaient plusieurs statues de grandeur naturelle.
La première évoquait un homme atteint mortellement par une arme enfoncée dans son cœur. Instinctivement les deux mains se portaient vers la blessure, pendant que les jambes fléchissaient sous le poids du corps rejeté en arrière et prêt à s’effondrer. La statue était noire et semblait, au premier coup d’œil, faite d’un seul bloc ; mais le regard, peu à peu, découvrait une foule de rainures tracées en tous sens et formant généralement de nombreux groupes parallèles. L’œuvre, en réalité, se trouvait composée uniquement d’innombrables baleines de corset coupées et fléchies suivant les besoins du modelage. Des clous à tête plate, dont la pointe devait sans doute se recourber intérieurement, soudaient entre elles ces souples lamelles qui se juxtaposaient avec art sans jamais laisser place au moindre interstice. La figure elle-même, avec tous ses détails d’expression douloureuse et angoissée, n’était faite que de tronçons bien ajustés reproduisant fidèlement la forme du nez, des lèvres, des arcades sourcilières et du globe oculaire. Le manche de l’arme plongée dans le cœur du mourant donnait une impression de grande difficulté vaincue, grâce à l’élégance de la poignée, dans laquelle on retrouvait les traces de deux ou trois baleines coupées en courts fragments arrondis comme des anneaux. Le corps musculeux, les bras crispés, les jambes nerveuses et à demi ployées, tout semblait palpiter ou souffrir, par suite du galbe saisissant et parfait donné aux invariables lamelles sombres.
Les pieds de la statue reposaient sur un véhicule très simple, dont la plate-forme basse et les quatre roues étaient fabriquées avec d’autres baleines noires ingénieusement combinées. Deux rails étroits, faits d’une substance crue, rougeâtre et gélatineuse, qui n’était autre que du mou de veau, s’alignaient sur une surface de bois noirci et donnaient, par leur modelé sinon par leur couleur, l’illusion exacte d’une portion de voie ferrée ; c’est sur eux que s’adaptaient, sans les écraser, les quatre roues immobiles.
Le plancher carrossable formait la partie supérieure d’un piédestal en bois, complètement noir, dont la face principale montrait une inscription blanche conçue en ces termes : « La Mort de l’Ilote Saridakis. » En dessous, toujours en caractères neigeux, on voyait cette figure, moitié grecque moitié française, accompagnée d’une fine accolade :
DUEL { ὴστον ἥστην
À côté de l’ilote un buste de penseur aux sourcils froncés portait une expression d’intense et féconde méditation. Sur le socle on lisait ce nom :
EMMANUEL KANT
Ensuite venait un groupe sculptural figurant une scène émouvante. Un cavalier à mine farouche de sbire semblait questionner une religieuse placée debout contre la porte de son couvent. Au second plan, qui se terminait en bas-relief, d’autres hommes d’armes, montés sur des chevaux bouillants, attendaient un ordre de leur chef. Sur la base, le titre suivant gravé en lettres creuses : « Le Mensonge de la Nonne Perpétue » était suivi de cette phrase interrogative : « Est-ce ici que se cachent les fugitifs ? »
Plus loin une curieuse évocation, accompagnée de ces mots explicatifs : « Le Régent s’inclinant devant Louis XV », montrait Philippe d’Orléans respectueusement courbé devant l’enfant-roi, qui, âgé d’une dizaine d’années, gardait une pose pleine de majesté naturelle et inconsciente.
Contrastant avec l’ilote, le buste et les deux sujets complexes offraient l’aspect de la terre cuite.
Norbert Montalescot, calme et vigilant, se promenait au milieu de ses œuvres, surveillant spécialement l’ilote, dont la fragilité rendait plus redoutable le contact indiscret de quelque passant.
Après la dernière statue, s’élevait une petite logette sans issues, dont les quatre parois, de largeur pareille, étaient faites d’une épaisse toile noire engendrant sans doute une obscurité absolue. Le toit, légèrement incliné suivant une pente unique, se composait d’étranges feuillets de livre, jaunis par le temps et taillés en forme de tuiles ; le texte, assez large et exclusivement anglais, était pâli ou parfois effacé, mais certaines pages, dont le haut restait visible, portaient ce titre : The Fair Maid of Perth, encore nettement tracé. Au milieu de la toiture se découpait un judas clos hermétiquement, qui, en guise de vitrage, montrait les mêmes feuillets colorés par l’usure et la vieillesse. L’ensemble de la légère couverture devait répandre au-dessous de lui une lumière jaunâtre et diffuse pleine de reposante douceur.
Une sorte d’accord, rappelant, mais en très atténué, le timbre des instruments de cuivre, s’échappait à intervalles réguliers du centre de la logette, en donnant le sentiment exact d’une respiration musicale.
Juste en face de Naïr, une pierre tombale, placée dans l’alignement de la Bourse, servait de support aux différentes pièces d’un uniforme de zouave. Un fusil et des cartouchières se joignaient à cette défroque militaire, destinée, selon toute apparence, à perpétuer pieusement la mémoire de l’enseveli.
Dressé verticalement derrière la dalle funéraire, un panneau tapissé d’étoffe noire offrait au regard une série de douze aquarelles, disposées trois par trois sur quatre rangs pareils étagés symétriquement. Grâce à la similitude des personnages, cette suite de tableaux paraissait se rattacher à quelque récit dramatique. Au-dessus de chaque image on lisait, en guise de titre, quelques mots tracés au pinceau.
Sur la première feuille, un sous-officier et une femme blonde en toilette tapageuse étaient campés au fond d’une luxueuse Victoria ; ces mots « Flore et l’adjudant Lécurou » indiquaient sommairement le couple.
Ensuite venait la « Représentation de Dédale », figurée par une large scène sur laquelle un chanteur en draperies grecques semblait donner toute sa voix ; au premier rang d’une avant-scène, on retrouvait l’adjudant assis à côté de Flore, qui braquait sa lorgnette du côté de l’artiste.
Dans la « Consultation », une vieille femme vêtue d’une ample rotonde attirait l’attention de Flore sur un planisphère céleste épingle au mur et tendait doctoralement l’index vers la constellation du Cancer.
La « Correspondance secrète », commençant une deuxième rangée d’épreuves, montrait la femme en rotonde offrant à Flore une de ces grilles spéciales qui, nécessaires pour déchiffrer certains cryptogrammes, se composent d’une simple feuille de carton bizarrement ajourée.
Le « Signal » avait pour décor la terrasse d’un café presque désert, devant lequel un zouave brun, attablé sans compagnon, désignait au garçon un large bourdon mû au faîte d’une église voisine ; en dessous, on lisait ce dialogue bref : « Garçon, qu’est-ce que cette sonnerie de cloche ? – C’est le Salut. – Alors, servez-moi un arlequin. »
La « Jalousie de l’Adjudant » évoquait une cour de caserne où Lécurou, levant quatre doigts de la main droite, semblait adresser une furieuse semonce au zouave déjà vu sur l’image précédente ; la scène était brutalement accompagnée de cette phrase d’argot militaire : « Quatre crans ! »
Placée en tête de la troisième rangée, la « Rébellion du Bravo » introduisait dans l’intrigue un zouave très blond qui, refusant d’exécuter un ordre de Lécurou, répondait ce seul mot « Non ! » inscrit sous l’aquarelle.
La « Mort du Coupable », soulignée par le commandement « Joue ! », se composait d’un peloton d’exécution visant, sous les ordres de l’adjudant, le cœur du zouave aux cheveux d’or.
Dans le « Prêt usuraire », la femme en rotonde réapparaissait pour tendre plusieurs billets de banque à Flore, qui, assise devant un bureau, semblait signer quelque reconnaissance de dette.
La rangée finale débutait par la « Police au Tripot ». Cette fois, un large balcon, d’où Flore se précipitait dans le vide, laissait voir, par certaine fenêtre ouverte, une grande table à jeu, entourée de pontes fort effarés par l’arrivée intempestive de plusieurs personnages vêtus de noir.
L’avant-dernier tableau, intitulé « La Morgue », présentait de face un cadavre de femme exposé derrière un vitrage et couché sur une dalle ; au fond, une châtelaine d’argent accrochée fort en évidence se tendait sous le poids d’une montre précieuse.
Enfin, le « Soufflet fatal » terminait la série par un paysage nocturne ; dans la pénombre on voyait le zouave brun giflant l’adjudant Lécurou, tandis qu’au loin, se détachant sur une forêt de mâts, une sorte de pancarte éclairée par un puissant réverbère montrait ces trois mots : « Port de Bougie ».
Derrière moi, fournissant un pendant à l’autel, une sombre bâtisse rectangulaire de très petites dimensions avait pour façade une grille légère aux minces barreaux de bois peints en noir ; quatre détenus, deux hommes et deux femmes de race indigène, erraient silencieusement à l’intérieur de cette prison exiguë ; au-dessus de la grille, le mot « Dépôt » était inscrit en lettres rougeâtres.
À mes côtés se tenait le groupe nombreux des passagers du Lyncée, attendant debout l’apparition du défilé promis.
Bientôt un bruit de pas se fit entendre ; tous les regards se tournèrent vers la gauche, et par le coin sud-ouest de l’esplanade on vit s’avancer un étrange et pompeux cortège.
En tête, les trente-six fils de l’empereur, groupés par ordre de taille sur six rangs, composaient une phalange nègre présentant différents âges entre trois et quinze ans. Fogar, l’aîné de tous, placé derrière parmi les plus grands, portait dans ses bras un immense cube de bois, transformé en dé à jouer par un complet badigeonnage blanc semé de rondelles creuses peintes en noir. Sur un signe de Rao, indigène chargé de surveiller l’évolution du défilé, la troupe d’enfants se mit à longer à pas lents le côté de l’esplanade occupé par la Bourse.
Après eux venaient, en séduisante théorie, les dix épouses du souverain, gracieuses Ponukéléiennes remplies d’attraits et de beauté.
Enfin, l’empereur Talou VII parut, curieusement accoutré en chanteuse de café-concert, avec sa robe bleue décolletée formant, par-derrière, une longue traîne, sur laquelle le numéro « 472 » se détachait en chiffres noirs. Sa face de nègre, pleine d’une énergie sauvage, ne manquait pas d’un certain caractère, sous le contraste de sa perruque féminine aux magnifiques cheveux blonds soigneusement ondulés. Il guidait par la main sa fille Sirdah, svelte enfant de dix-huit ans dont les yeux convergents se voilaient de taies épaisses, et dont le front noir portait une envie rouge affectant la forme d’un minuscule corset étoilé de traits jaunes.
Derrière, marchaient les troupes ponukéléiennes, composées de superbes guerriers au teint d’ébène, lourdement armés sous leurs parures de plumes et d’amulettes.
Le cortège suivait peu à peu la même direction que le groupe d’enfants.
En passant devant la sépulture du zouave, Sirdah, qui sans doute avait compté ses pas, s’approcha soudain de la pierre tombale, sur laquelle ses lèvres déposèrent doucement un long baiser empreint de la plus pure tendresse. Ce pieux devoir accompli, la jeune aveugle reprit affectueusement la main de son père.
Sur le point d’atteindre l’extrémité de l’esplanade, les fils de l’empereur, dirigés par Rao, tournèrent à droite pour longer le côté nord du vaste quadrilatère ; parvenus à l’angle opposé, ils évoluèrent une seconde fois et redescendirent vers nous, tandis que le défilé, toujours alimenté à sa source par de nombreuses cohortes, suivait exactement leurs traces.
À la fin, les derniers guerriers noirs ayant fait leur entrée au moment où l’avant-garde enfantine touchait la limite sud, Rao fit dégager les abords de l’autel, et tous les nouveaux venus se massèrent en bon ordre sur les deux faces latérales, le visage tourné vers le point central de la place.
De tous côtés, une foule nègre, formée par la population d’Éjur, s’était rassemblée derrière les sycomores pour prendre sa part de l’attirant spectacle.
Toujours réunis sur six rangs, les fils de l’empereur, gagnant le milieu de l’esplanade, s’arrêtèrent face à l’autel.
Rao prit dans les bras de Fogar le monstrueux dé à jouer, qu’il balança plusieurs fois pour le jeter en l’air de toute sa force ; l’énorme cube, haut de cinquante centimètres, monta en tournoyant, masse blanche mouchetée de noir, puis, décrivant une courbe très fermée, vint rouler sur le sol avant de se poser. D’un coup d’œil, Rao lut le numéro deux sur la face supérieure, et, s’avançant vers la docile phalange, montra du doigt le second rang, qui seul demeura en place ; le reste du groupe, ramassant le dé, courut se mêler à la foule des guerriers.
Talou, à pas lents, rejoignit alors les élus que le sort venait de désigner pour lui servir de pages. Bientôt, au milieu d’un profond silence, l’empereur se dirigeait majestueusement vers l’autel, escorté des six enfants privilégiés, qui portaient à pleines mains la traîne de sa robe.
Après avoir gravi les quelques marches conduisant à la table sommairement garnie, Talou fit approcher Rao, qui tenait à deux mains, en le présentant à l’envers, le lourd manteau du sacre. L’empereur, se baissant, entra sa tête et ses bras dans trois ouvertures ménagées au milieu du tissu, dont les larges plis, en retombant, l’enveloppèrent bientôt jusqu’aux pieds.
Ainsi paré, le monarque se tourna orgueilleusement vers l’assemblée comme pour offrir à tous les regards son nouveau costume.
L’étoffe, riche et soyeuse, figurait une grande carte de l’Afrique, avec indications principales de lacs, de fleuves et de montagnes.
Le jaune pâle des terres tranchait sur le bleu nuancé de la mer, qui s’étendait de tous côtés aussi loin que l’exigeait la forme générale du vêtement.
De fines zébrures d’argent rayaient en zigzags courbes et harmonieux la surface de l’Océan, afin d’évoquer, par une sorte de schéma, la continuelle ondulation des vagues.
Seule, la moitié sud du continent était visible entre le cou et les chevilles de l’empereur.
Sur la côte occidentale, un point noir, accompagné de ce nom « Éjur », était situé près de l’embouchure d’un fleuve dont la source, assez avant dans l’est, sortait d’un massif montagneux.
Des deux côtés du vaste cours d’eau, une immense tache rouge représentait les États du tout-puissant Talou.
En manière de flatterie, l’auteur du modèle avait reculé indéfiniment les limites d’ailleurs mal connues de l’imposante contrée soumise à un seul sceptre ; le carmin éclatant, largement distribué au nord et à l’est, s’étendait au sud jusqu’à la pointe terminale, où les mots « Cap de Bonne-Espérance » s’étalaient en grosses lettres noires.
Au bout d’un moment, Talou se retourna vers l’autel ; dans son dos, l’autre portion de l’étole montrait la partie nord de l’Afrique tombant à l’envers au milieu du même encadrement maritime.
La minute solennelle approchait.
Le monarque, d’une voix forte, commença la lecture du texte indigène tracé à l’aide d’hiéroglyphes sur la feuille de parchemin dressée au milieu de la table étroite.
C’était une sorte de bulle par laquelle, en vertu de son pouvoir religieux, Talou, déjà empereur du Ponukélé, se sacrait lui-même roi du Drelchkaff.
La proclamation achevée, le souverain prit la burette destinée à figurer la sainte ampoule, et, se plaçant de profil, répandit de l’huile sur l’extrémité de sa main, pour se graisser ensuite le front avec le bout des doigts.
Il remit aussitôt le flacon à son poste, et, descendant les degrés de l’autel, atteignit en quelques pas la litière de feuillage ombragée par le caoutchouc. Là, le pied posé sur le cadavre d’Yaour, il poussa un long soupir de joie, levant triomphalement la tête comme pour humilier devant tous la dépouille du défunt roi.
En revenant après cet acte orgueilleux, il rendit à Rao l’épais manteau promptement enlevé.
Escorté de ses six fils qui, de nouveau, soulevaient sa traîne, il marcha lentement dans notre direction, puis tourna vers le théâtre des Incomparables pour se ranger devant la foule.
À ce moment les épouses de l’empereur s’avancèrent jusqu’au milieu de l’esplanade.
Rao les rejoignit bientôt, chargé d’une lourde terrine qu’il posa sur le sol parmi elles.
Les dix jeunes femmes s’affalèrent ensemble autour du récipient, plein d’un épais aliment noirâtre qu’elles mangèrent avec appétit en employant la main pour le monter jusqu’à leurs lèvres.
Au bout de quelques minutes, la terrine, entièrement vide, fut remportée par Rao, et les négresses, rassasiées, se mirent en place pour la Luenn’chétuz, danse religieuse qui, fort en honneur dans le pays, était spécialement réservée aux grandes solennités.
Elles commencèrent par quelques lentes évolutions mêlées de mouvements souples et onduleux.
De temps à autre elles laissaient échapper par leur bouche, largement ouverte, de formidables renvois qui, bientôt, se multiplièrent avec une prodigieuse rapidité. Au lieu de dissimuler ces bruits répugnants, elles les faisaient épanouir avec force, paraissant rivaliser par l’éclat et la sonorité à obtenir.
Ce chœur général accompagnant, en guise de musique, la pavane calme et gracieuse, nous révéla les vertus toutes particulières de la substance inconnue qu’elles venaient d’absorber.
Peu à peu la danse s’anima et prit un caractère fantastique, tandis que les renvois, en un puissant crescendo, augmentaient sans cesse leur fréquence et leur intensité.
Il y eut un moment d’impressionnante apogée, durant lequel les bruits secs et assourdissants rythmaient une diabolique sarabande ; les ballerines fiévreuses, échevelées, secouées par leurs terribles rots ainsi que par des coups de poing, se croisaient, se poursuivaient, se contorsionnaient en tous sens, comme prises de vertigineux délire.
Puis tout se calma progressivement, et, après un long diminuendo, le ballet s’acheva sur un groupement d’apothéose, souligné par un accord final éternisé en point d’orgue.
Bientôt, les jeunes femmes, encore agitées par des hoquets tardifs, regagnèrent à pas lents leur place primitive.
Pendant l’exécution de la Luenn’chétuz, Rao s’était dirigé vers le côté sud de l’esplanade pour ouvrir la prison à un groupe de race noire comprenant une femme et deux hommes.
Maintenant une recluse seule errait encore derrière la grille épaisse.
Rao, se frayant un passage au milieu de nous, conduisit jusqu’à l’endroit piétiné par la danse les trois nouveaux venus, dont les mains étaient liées en avant.
Un silence angoissé pesait sur l’assemblée entière, émue par l’attente des supplices qu’allait subir le trio d’entravés.
Rao prit à sa ceinture une forte hache, dont la lame, bien affûtée, était faite en un bois étrange, aussi dur que le fer.
Plusieurs esclaves venaient de se joindre à lui pour l’assister dans sa besogne de bourreau.
Maintenu par eux, le traître Gaïz-dûh fut enjoint de s’agenouiller, la tête baissée, pendant que les deux autres condamnés demeuraient immobiles.
À deux mains Rao brandit sa hache et, par trois fois, frappa la nuque du traître. Au dernier coup la tête roula sur le sol.
L’emplacement était resté indemne de toute éclaboussure rouge, à cause du curieux bois tranchant qui, en pénétrant dans les chairs, produisait un effet d’immédiate coagulation sanguine, tout en aspirant les premières gouttes dont l’effusion ne pouvait être évitée.
Le chef et le tronc offraient sur leur partie sectionnée l’aspect écarlate et solide de certaines pièces de boucherie.
On pensait malgré soi à ces mannequins de féerie qui, habilement substitués à l’acteur grâce au double fond de quelque meuble, sont proprement découpés sur la scène en tronçons pourvus à l’avance d’un trompe-l’œil sanguinolent. Ici, la réalité du cadavre rendait impressionnante cette rougeur compacte habituellement due à l’art d’un pinceau.
Les esclaves emportèrent les restes de Gaïz-dûh, ainsi que la hache légèrement maculée.
Ils revinrent bientôt déposer devant Rao un brasier ardent où rougissaient, par la pointe, deux longues tiges en fer emmanchées dans de grossières poignées de bois.
Mossem, le deuxième condamné, fut agenouillé face à l’autel, la plante des pieds bien exposée et l’ongle des orteils touchant le sol.
Rao prit des mains d’un esclave certain rouleau de parchemin qu’il déploya largement ; c’était le faux acte mortuaire de Sirdah, tracé jadis par Mossem.
À l’aide d’une immense palme, un noir activait sans cesse le foyer, plein de vigueur et d’éclat.
Plaçant un genou en terre derrière le patient et tenant le parchemin dans sa main gauche, Rao saisit dans le brasier une tige brûlante dont il appuya la pointe sur l’un des talons offerts à sa vue.
La chair crépita, et Mossem, agrippé par les esclaves, se tordit de douleur.
Inexorable, Rao poursuivit sa tâche. C’était le texte même du parchemin qu’il copiait servilement sur le pied du faussaire.
Parfois il remettait dans le foyer la tige en service, pour prendre sa pareille, toute rutilante au sortir des braises.
Quand la plante gauche fut entièrement couverte d’hiéroglyphes, Rao continua l’opération sur le pied droit, employant toujours à tour de rôle les deux pointes de fer rouge promptes à se refroidir.
Mossem, étouffant de sourds rugissements, faisait de monstrueux efforts pour se soustraire à la torture.
Lorsque enfin l’acte mensonger fut recopié jusqu’au dernier signe, Rao, se relevant, ordonna aux esclaves de lâcher Mossem, qui, pris de convulsions terribles, expira sous nos yeux, terrassé par son long supplice.
Le corps fut emmené, ainsi que le parchemin et le brasier.
Revenus à leur poste, les esclaves s’emparèrent de Rul, Ponukéléienne étrangement belle, seule survivante de l’infortuné trio. La condamnée, dont les cheveux montraient de longues épingles d’or piquées en étoile, portait au-dessus de son pagne un corset de velours rouge à demi déchiré ; cet ensemble offrait une frappante ressemblance avec la marque bizarre inscrite au front de Sirdah.
Agenouillée dans le même sens que Mossem, l’orgueilleuse Rul tenta en vain une résistance désespérée.
Rao enleva de la chevelure une des épingles d’or, puis en appliqua perpendiculairement la pointe sur le dos de la patiente, choisissant, à droite, la rondelle de peau visible derrière le premier œillet du corset rouge au lacet noueux et usé ; puis, d’une poussée lente et régulière, il enfonça la tige aiguë, qui pénétra profondément dans la chair.
Aux cris provoqués par l’effroyable piqûre, Sirdah, reconnaissant la voix de sa mère, se jeta aux pieds de Talou pour implorer la clémence souveraine.
Aussitôt, comme pour prendre des ordres inattendus, Rao se tourna vers l’empereur, qui, d’un geste inflexible, lui commanda la continuation du supplice.
Une nouvelle épingle, prise dans les tresses noires, fut plantée dans le second œillet, et peu à peu la rangée entière se hérissa de brillantes tiges d’or ; recommencée à gauche, l’opération acheva de dégarnir la chevelure en comblant successivement toutes les rondelles à lacet.
Depuis un moment la malheureuse ne criait plus ; une des pointes, en atteignant le cœur, avait déterminé la mort.
Le cadavre, brusquement appréhendé, disparut comme les deux autres.
Relevant Sirdah muette et angoissée, Talou se dirigea vers les statues alignées près de la Bourse. Les guerriers s’écartèrent pour laisser le champ libre, et, promptement rejoint par notre groupe, l’empereur fit un signe à Norbert, qui, s’approchant de la logette, appela sa sœur à haute voix.
Bientôt le judas pratiqué dans la toiture se souleva lentement pour se rabattre en arrière, poussé de l’intérieur par la main fine de Louise Montalescot, qui, apparaissant par l’ouverture béante, semblait se hisser progressivement sur les degrés d’une échelle.
Soudain elle s’arrêta, émergeant à mi-corps, puis se tourna en face de nous. Elle était fort belle dans son travestissement d’officier, avec ses longues boucles blondes qui s’échappaient librement d’un étroit bonnet de police incliné sur l’oreille.
Son dolman bleu, moulant sa taille superbe, était orné, sur la droite, d’aiguillettes d’or fines et brillantes ; c’est de là que partait le discret accord entendu jusqu’alors à travers les parois de la logette et produit par la respiration même de la jeune femme grâce à une communication chirurgicale établie entre la base du poumon et l’ensemble des ganses recourbées servant à dissimuler de souples tubes libres et sonores. Les ferrets dorés, pendus au bout des aiguillettes comme des poids gracieusement allongés, étaient creux et munis intérieurement d’une lamelle vibrante. À chaque contraction du poumon une partie de l’air expiré passait par les conduits multiples et, mettant les lamelles en mouvement, provoquait une harmonieuse résonance.
Une pie apprivoisée se tenait, immobile, sur l’épaule gauche de la séduisante prisonnière.
Tout à coup, Louise aperçut le corps d’Yaour, toujours allongé dans sa robe de Gretchen à l’ombre du caoutchouc caduc. Une violente émotion se peignit sur ses traits, et, cachant ses yeux dans sa main, elle pleura nerveusement, la poitrine secouée par d’affreux sanglots qui accentuaient, en les précipitant, les accords de ses aiguillettes.
Talou, impatienté, prononça sévèrement quelques mots inintelligibles qui rappelèrent à l’ordre la malheureuse jeune femme.
Refrénant ses douloureuses angoisses, elle tendit sa main droite vers la pie, dont les deux pattes se posèrent avec empressement sur l’index brusquement offert.
D’un geste large, Louise allongea son bras comme pour lancer l’oiseau, qui, prenant son vol, vint s’abattre sur le sable, devant la statue de l’ilote.
Deux ouvertures à peine appréciables et distantes de plus d’un mètre étaient percées presque à ras de terre dans la face visible du socle noir.
La pie s’approcha de l’ouverture la plus lointaine, dans laquelle son bec pénétra subitement pour faire jouer quelque ressort intérieur.
Aussitôt, la plate-forme carrossable se mit à basculer lentement, s’enfonçant à gauche dans l’intérieur du socle pour s’élever à droite au-dessus de son niveau habituel.
L’équilibre étant rompu, le véhicule chargé de la statue tragique se déplaça doucement, sur les rails gélatineux, qui présentaient maintenant une pente assez sensible. Les quatre roues en lamelles noires se trouvaient préservées de tout déraillement par une bordure intérieure qui dépassait un peu leur jante solidement maintenue sur la voie.
Parvenu au bas de la courte descente, le wagonnet fut arrêté soudain par le bord du socle.
Pendant les quelques secondes consacrées au trajet, la pie, en sautillant, s’était transportée devant l’autre ouverture, au sein de laquelle son bec disparut vivement.
À la suite d’un déclenchement nouveau, le mouvement de bascule s’effectua en sens inverse. Le véhicule, hissé progressivement, – puis entraîné vers la droite par son propre poids, – roula sans aucun moteur sur la voie silencieuse et vint buter contre le bord opposé du socle, dont la paroi se dressait maintenant comme un obstacle devant la plate-forme descendue.
Le va-et-vient se reproduisit plusieurs fois, grâce à la manœuvre de la pie qui oscillait sans cesse d’une ouverture à l’autre. La statue de l’ilote restait soudée au véhicule, dont elle suivait tous les voyages, et l’ensemble était d’une légèreté telle que les rails, malgré leur inconsistance, n’offraient aucune trace d’aplatissement ni de cassure.
Talou voyait avec émerveillement le succès de la périlleuse expérience qu’il avait imaginée lui-même sans la croire réalisable.
La pie cessa d’elle-même son manège et atteignit en quelques coups d’ailes le buste d’Emmanuel Kant ; au sommet du support, pointait, à gauche, un petit perchoir sur lequel l’oiseau vint se poser.
Aussitôt, un puissant éclairage illumina l’intérieur du crâne, dont les parois, excessivement minces à partir de la ligne des sourcils, étaient douées d’une parfaite transparence.
On devinait la présence d’une foule de réflecteurs orientés en tous sens, tant les rayons ardents, figurant les flammes du génie, s’échappaient avec violence du foyer incandescent.
Souvent, la pie s’envolait pour redescendre immédiatement sur son perchoir, éteignant et rallumant sans cesse la calotte crânienne, qui seule brillait de mille feux, pendant que la figure, les oreilles et la nuque demeuraient obscures.
À chaque pesée il semblait qu’une idée transcendante naissait dans le cerveau soudain éblouissant du penseur.
Abandonnant le buste, l’oiseau s’abattit sur le large socle consacré au groupe de sbires ; ici, ce fut de nouveau le bec fureteur qui, introduit cette fois dans un mince boyau vertical, actionna certain mécanisme invisible et délicat.
À cette question : « Est-ce ici que se cachent les fugitifs ? » la nonne postée devant son couvent répondait : « Non » avec persistance, balançant la tête de droite et de gauche après chaque profond coup de bec donné par le volatile qui semblait picorer.
La pie toucha enfin la plate-forme, unie comme un plancher, sur laquelle s’élevaient les deux dernières statues ; la place choisie par l’intelligente bête représentait une fine rosace, qui s’enfonça d’un demi-pouce sous sa légère surcharge.
À l’instant même, le régent se courba plus profondément encore devant Louis XV, que cette politesse laissait impassible.
L’oiseau, bondissant sur place, détermina plusieurs saluts cérémonieux, puis regagna, en voletant, l’épaule de sa maîtresse.
Après un long regard jeté vers Yaour, Louise redescendit dans l’intérieur de la logette et ferma vivement le judas, comme pressée de se remettre à quelque mystérieuse besogne.