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Comédie en un acte et en prose représentée pour la première fois par les Comédiens-Italiens le 5 mars 1725

Personnages

IPHICRATE

ARLEQUIN

EUPHROSINE

CLÉANTIS

TRIVELIN

Des habitants de l’île.

La scène est dans l’île des Esclaves. Le théâtre représente une mer et des rochers d’un côté, et de l’autre quelques arbres et des maisons.

Scène première

Iphicrate s’avance tristement sur le théâtre avec Arlequin.

IPHICRATE, après avoir soupiré.

Arlequin !

ARLEQUIN, avec une bouteille de vin qu’il a à sa ceinture.

Mon patron !

IPHICRATE

Que deviendrons-nous dans cette île ?

ARLEQUIN

Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim ; voilà mon sentiment et notre histoire.

IPHICRATE

Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos camarades ont péri, et j’envie maintenant leur sort.

ARLEQUIN

Hélas ! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même commodité.

IPHICRATE

Dis-moi : quand notre vaisseau s’est brisé contre le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps de se jeter dans la chaloupe ; il est vrai que les vagues l’ont enveloppée : je ne sais ce qu’elle est devenue ; mais peut-être auront-ils eu le bonheur d’aborder en quelque endroit de l’île, et je suis d’avis que nous les cherchions.

ARLEQUIN

Cherchons, il n’y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous auparavant pour boire un petit coup d’eau-de-vie : j’ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j’en boirai les deux tiers, comme de raison, et puis je vous donnerai le reste.

IPHICRATE

Eh ! ne perdons point de temps ; suis-moi : ne négligeons rien pour nous tirer d’ici. Si je ne me sauve, je suis perdu ; je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l’île des Esclaves.

ARLEQUIN

Oh ! oh ! qu’est-ce que c’est que cette race-là ?

IPHICRATE

Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s’établir dans une île, et je crois que c’est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage.

ARLEQUIN

Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure ; je l’ai entendu dire aussi, mais on dit qu’ils ne font rien aux esclaves comme moi.

IPHICRATE

Cela est vrai.

ARLEQUIN

Eh ! encore vit-on.

IPHICRATE

Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie : Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ?

ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire.

Ah ! je vous plains de tout mon cœur, cela est juste.

IPHICRATE

Suis-moi donc.

ARLEQUIN siffle.

Hu, hu, hu.

IPHICRATE

Comment donc ! que veux-tu dire ?

ARLEQUIN, distrait, chante.

Tala ta lara.

IPHICRATE

Parle donc, as-tu perdu l’esprit ? à quoi penses-tu ?

ARLEQUIN, riant.

Ah, ah, ah, Monsieur Iphicrate, la drôle d’aventure ! je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais m’empêcher d’en rire.

IPHICRATE, à part les premiers mots.

(Le coquin abuse de ma situation ; j’ai mal fait de lui dire où nous sommes.) Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos ; marchons de ce côté.

ARLEQUIN

J’ai les jambes si engourdies.

IPHICRATE

Avançons, je t’en prie.

ARLEQUIN

Je t’en prie, je t’en prie ; comme vous êtes civil et poli ; c’est l’air du pays qui fait cela.

IPHICRATE

Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux.

ARLEQUIN, en badinant.

Badin, comme vous tournez cela !

Il chante :

L’embarquement est divin
Quand on vogue, vogue, vogue,
L’embarquement est divin,
Quand on vogue avec Catin.
IPHICRATE, retenant sa colère.

Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.

ARLEQUIN

Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m’en faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là ; et le gourdin est dans la chaloupe.

IPHICRATE

Eh ! ne sais-tu pas que je t’aime ?

ARLEQUIN
un peu ému.
indifféremment.

Esclave insolent !

riant.

Méconnais-tu ton maître, et n’es-tu plus mon esclave ?

se reculant d’un air sérieux.

Il s’éloigne.

au désespoir, courant après lui l’épée à la main.

Doucement, tes forces sont bien diminuées, car je ne t’obéis plus, prends-y garde.