HEURTELOUP.
MARQUIS DE LAROCHE-TOURMEL.
MUSIGNOL.
MAURICE DE PLOUNIDEC.
GUÉRASSIN.
L’ABBÉ BOURSET.
VÉTILLÉ, médecin principal.
LUC.
JEAN-LOU.
ROGER.
COMTESSE DE PLOUNIDEC.
ÉTIENNETTE.
EUGÉNIE HEURTELOUP.
HUGUETTE.
LA CLAUDIE.
CLÉO.
LA MARIOTTE.
LA CHOUTE.
PAULETTE.
NOTA : Cette pièce faisant jusqu’à nouvel ordre l’objet de conventions particulières, MM les Directeurs sont avisés qu’ils ne pourront la monter sans une autorisation spéciale de l’auteur ou de son représentant, M. R. Gangnat, Agent-Général de la Société des Auteurs.
Au château de Plounidec, en Bretagne
Le grand salon du château. – Au premier plan, à droite, une porte donnant sur une pièce du château. – Immédiatement près de la porte un bouton de sonnerie électrique. – Au-dessus de la porte, au deuxième plan, adossé au mur, un meuble-secrétaire, avec une chaise devant. – À gauche premier plan, une cheminée surmontée d’un portrait enchâssé dans la boiserie. – Au deuxième plan, grand pan coupé au centre duquel s’ouvre une vaste baie donnant de plain-pied sur une terrasse avec vue sur la mer. – Au fond à gauche une grande porte vitrée à quatre vantaux donnant sur le hall du château. – À droite de cette porte, séparée par un pan de mur, une porte assez grande mais à un seul vantail donnant sur la chambre de Maurice. – Tout le fond du hall est vitré permettant de voir le parc dont il est séparé par la balustrade du perron. Face à la porte vitrée du salon, porte vitrée au fond du hall permettant d’accéder dans le parc. – Dans le salon, près et à gauche de la cheminée, un petit fauteuil tourné presque dos au public. – Au-dessus, près et à droite de la cheminée, une chaise longue un osier, avec des coussins. – Un peu au-dessus à droite de la chaise-longue une grande table ronde sur laquelle sont des journaux, des jeux, des ouvrages de dames. – Au milieu une vasque avec des fleurs. – Devant la table un tabouret carré pour s’asseoir. – À droite de la table, un fauteuil ; à gauche entre la chaise-longue et la table, et un peu au-dessus, une chaise dite « fumeuse » avec accoudoir, le siège face au public. – À droite, presque au milieu de la scène un petit meuble « tricoteuse », avec, à sa gauche, un petit fauteuil ; à sa droite une bergère. – Dans la tricoteuse, les trois journaux catholiques dont il sera question ; des pelotes de laine, un ouvrage au tricot. – Au fond, de chaque côté de la porte vitrée, adossée au mur, une chaise à haut dossier. – Lustre en cristal au plafond. – Sur la terrasse, un ou deux fauteuils d’osier ; un télescope sur son trépied. – La banne de la baie est à moitié descendue. – Dans le hall à gauche, grande table d’antichambre recouverte d’un tapis. – Il fait grand soleil dehors. – Toutes les entrées des gens venant de l’intérieur du château, se feront par la droite du hall. – Les entrées venant de l’extérieur se feront naturellement par la porte du fond du hall.
NOTA : Toutes les indications sont prises de la gauche du spectateur placé censément au centre de la salle ; « un tel passe à droite ; un tel passe à gauche », signifiera donc qu’un tel sera à droite, qu’un tel sera à gauche du spectateur. Même l’expression « un tel est à gauche d’un tel » indiquera qu’un tel est à gauche de cet un tel par rapport à ce même spectateur, alors qu’en réalité et par rapport à lui il sera à sa droite. Cependant quand les indications, au lieu de : « à la droite de… à gauche de… », porteront : « à la droite de… à la gauche de… », il est évident qu’il s’agira alors de la gauche et de la droite réelle, du personnage désigné.
La comtesse, puis Eugénie, puis la Claudie, puis le marquis. Dans le hall, Luc, deux valets de pied.
Au lever du rideau, la scène est un instant vide. Dans le hall, on voit passer un valet en livrée qui vient vite dire deux mots à Luc le maître d’hôtel et repart aussitôt. Au même instant, toujours dans le hall, paraît Eugénie Heurtoloup portant un flacon de sels et une burette de vinaigre ; elle arrive d’un pas rapide, comme une personne pressée d’apporter une chose qu’on attend.
De l’éther !… vite, apporte de l’éther !
Elle rentre dans la chambre dont la porte reste ouverte.
Bon !… Se cognant presque dans la Claudie qui accourt une houle d’eau chaude à la main. La Claudie !…
Madame ?…
Vite ! dans la pharmacie de Madame… de l’éther !
Oui, madame.
Allez, donnez-moi ça ! Elle prend la boule des mains de la Claudie. Courez !
Oui, madame.
Elle sort en courant.
Luc ! Luc ! Il appuie sur le bouton électrique qui est près de la porte ; voyant Eugénie qui se dirige vers la chambre. Ah ! c’est le vinaigre ?… entrez, on l’attend.
Eugénie entre dans la chambre. – À l’extérieur, pendant ces dernières répliques, on a vu un deuxième valet remonter du perron tenant deux bouteilles enveloppées qu’il a remises à Luc. À ce moment sur le coup de sonnette, Luc paraît.
C’est monsieur le marquis qui a sonné ?
Oui. Avez-vous fait le nécessaire pour qu’on aille chercher le docteur au train de dix heures quarante ?
Oui, monsieur ! j’ai fait prévenir le cocher.
Bon. Indiquant les bouteilles. Qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est l’alcool à frictions pour M. Maurice.
Ah ! bon ! Allez les porter.
Oui, monsieur le marquis.
Il entre dans la pièce de droite.
Oh ! la-la ! la-la ! Il se laisse tomber sur le fauteuil à droite de la table et pousse un soupir d’épuisement.
Fffue !
Après quoi tranquillement il tire de sa poche un exemplaire du « Rire » et se met à regarder les images.
C’est l’alcool à frictions, madame la comtesse.
Ah ! posez ça là.
Oui, madame.
Luc ressort.
Dites donc, Luc ?
Monsieur le marquis ?
C’est toujours comme ça ici ?
Dam ! depuis quelque temps !… M. Maurice a, à propos de rien, des vapeurs : il s’en va et puis y revient… C’est l’âge qui veut ça !
C’est pas amusant, vous savez.
Eh ! non, monsieur le marquis, mais… on ne le fait pas pour s’amuser.
Évidemment !
Oui, monsieur le marquis, il remonte pendant que le marquis se replonge dans son journal. – Brusquement une réflexion lui traverse le cerveau, il redescend.
Ah !
Quoi ?
Ah ! Non, rien !… je vois que monsieur le marquis a de quoi lire… ! c’est parce que les journaux sont arrives !Prenant les journaux en question dans la tricoteuse. Si monsieur le marquis désirait… il y a la Croix du Finistère, le Réveil Catholique, la Renaissance de la Foi.
Non, merci… j’ai le Rire.
Enfin, ils sont là !… si monsieur le marquis voulait se distraire…
C’est ça, Luc ! merci.
Oui, monsieur le marquis.
Il sort
Eh bien, mon enfant chéri, c’est moi, ta maman.
Qu’est-ce qu’il y a eu donc ?
Rien, rien ! Ne parle pas ! Ne te fatigue pas.
Ah ! ah ! Je vois qu’il y a du mieux.
En passant devant la tricoteuse, il se débarrasse de l’exemplaire du Rire préalablement plié en deux dans le sens de la longueur, en le déposant sur le tas des autres journaux. – Au moment d’arriver à la porte de la chambre, il s’arrête en voyant paraître la comtesse.
Là, tu vas être bien raisonnable et te reposer un peu. À Eugénie qui paraît à la porte. Va ! passe, toi !Elle la fait passer devant elle ; puis à Maurice toujours invisible au spectateur. Je ferme la porte pour que tu n’entendes pas de bruit.
Elle ferme la porte.
Eh ! bien ? ça va mieux ?
Oui, pour le moment ; mais c’est égal, tout cela m’inquiète bien.
Heureusement encore que cette indisposition l’a pris à cette heure-ci : il a pu au moins assister à l’office.
Ah ! oui… ça c’est de la veine !
Enfin, qu’est-ce qu’il peut avoir ? C’est un solide gaillard cependant ! Pourquoi, depuis quelque temps, ces faiblesses à propos de rien ? ces syncopes ? et puis cette nervosité, cette tristesse que rien ne justifie ?
Eh ! tu ne veux pas le croire ! Je te dis que cet enfant est trop confit en dévotion.
Oh !
Mais oui ! mais oui ! tout ça l’exalte, lui tape sur le système nerveux.
Non, tu entends ton frère ? il voudrait faire croire que c’est le zèle religieux de Maurice qui est cause…
Quelle hérésie !
Je dis… je dis qu’à un âge où un jeune homme a besoin de développer son corps par l’hygiène, par l’exercice, par la gymnastique et par… tout ce que vous voudrez, ça n’est vraiment pas le moment pour lui de s’étioler dans les méditations, les claustrations, les mortifications et autres choses déprimantes en « tion ». Ah ! la ! la ! lorsque j’avais son âge, moi, je ne pensais pas à toutes ces choses-là… Quand je voyais une jolie fille… !
Il esquisse un geste significatif.
Onfroy !
C’est possible ! Mais au moins je me portais bien.
Il se lève et va a la cheminée.
Ah ! tiens, laisse cet hérétique de côté, ma chère : et pour ce qui est de ton fils, tranquillise-toi : j’ai brûlé ce matin à son intention un cierge sur l’autel de Saint Antoine de Padoue, ainsi… !
Oui ?
Quoi ? quoi, « Saint Antoine de Padoue » ? C’est pas sa partie, ça : il est pour les objets perdus.
Eh bien ?
Eh bien ! Maurice n’a rien perdu que je sache… Entre chair et cuir. si même on devait lui reprocher quelque chose…
Il remonte par la gauche de la table à hauteur de la baie.
Rien perdu ! et sa santé ?
Ah ! pardon ! C’est juste ! Saint Antoine la lui retrouvera.
Absolument.
Oui ; eh ! bien, si vous voulez bien, en attendant, moi je vais vous amener un ami, qui, sans contrarier en rien l’action de Saint Antoine de Padoue, s’efforcera de concourir parallèlement au rétablissement de notre cher Maurice : c’est le docteur Vétillé, médecin principal dans l’armée, actuellement à Concarneau. J’ai reçu une dépêche il y a une heure m’annonçant son arrivée par le train de dix heures quarante…
Vraiment ? se levant. Oh ! Mais as-tu dit qu’on envoie une voiture le prendre à la gare ?
Je me suis permis !… et il sera ici dans une demi-heure.
C’est gentil, Onfroy, ce que tu as fait là.
Pendant ce qui suit, la comtesse va par le fond, jusqu’à la porte de droite qu’elle ouvre doucement pour voir ce que fait son fils.
Évidemment, comme frère, vous valez mieux que comme chrétien.
N’est-ce pas ? Pour un démon, je ne suis pas un trop mauvais diable.
Il s’assied dos au public sur le tabouret devant la table et crayonne pour passer le temps, sur des papiers qu’il trouve devant lui.
Il dort !
Ah ! bien, c’est bon ça !
Les mêmes, la Claudie.
La Claudie paraît, l’air dépité, un litre à la main.
Madame la comtesse…
Te voilà, toi ! D’où arrives-tu ?
Je ne trouve pas l’éther.
Allons donc ? Il est bien temps !
J’ai bien trouvé cette bouteille.
Qu’est-ce que c’est ?
Je ne sais pas ! Ça ne peut pas remplacer ?
Du sirop antiscorbutique. Ah ! ça tu es folle ? Non, non, ça ne peut pas remplacer.
Elle passe au 2.
C’est tout de même du médicament.
Ah ! tu es bien restée paysanne ! Allons, va-t’en !
Oui, madame la comtesse.
Ah ! La Claudie se sentant rappelée, s’arrête aussitôt.
Et puis je voulais t’avertir : demain tu entreras à mon orphelinat de Kenogan.
Moi ?
Oui, toi !… tu seras attachée à la lingerie…
Oh !… madame me renvoie ?
Je ne te renvoie pas : je te change d’emploi, voilà tout.
Oh ! mais pourquoi ?
Ah !… Parce que j’en ai décidé ainsi ; je n’ai pas d’explication à te donner.
Oh ! je vois bien que madame la comtesse ne m’a pas encore pardonné le bal forain du 15 août.
Eh ! il ne s’agit pas de ça !
Oh ! si ; tout ça, parce qu’on a dit à madame que j’avais dansé avec un cuirassier… qui était dans les dragons.
Vous avez dansé avec un dragon !
Qui était dans les cuirassiers ! Oui, madame ! pour ça !
Oh !… un dragon !… et à cheval ! oh !
Bah ! tant qu’il ne l’a pas dragonnée.
Je t’en prie, toi, ne te mêle pas !… À la Claudie. Je te répète, mon enfant, qu’il n’y a pas l’ombre de disgrâce dans la mesure que je prends. Mais je ne dois pas oublier que j’ai charge d’âme ! tu es orpheline ; c’est moi qui t’ai élevée : j’ai pour devoir de veiller sur toi. Or, ce penchant que tu sembles manifester pour le plaisir m’est un avertissement ; tu arrives à un âge où la vie est pleine d’embûches pour une jeune fille ; et si elle n’a pas en elle une rigidité de principes suffisante pour y parer, elle y tombe fatalement un jour ou l’autre. Eh ! bien, je ne l’entends pas ainsi ; et pour commencer, il est urgent que je te retire à la promiscuité de l’office. Tu me comprends, n’est-ce pas ?
La Claudie qui écoute tout ce discours avec de grands yeux ahuris, fait un signe affirmatif de la tête que dément l’expression de sa physionomie.
Mais pas un mot ! Tu lui parles chinois !
N’importe ! Qu’il lui suffise de savoir qu’où je l’envoie, elle sera parfaitement heureuse…. dans une atmosphère d’honnêteté, de sainteté, à l’abri du mal et de la tentation, au milieu de bonnes sœurs…
Ohé ! Ohé !
Et elle y restera jusqu’à son mariage, où de ce fait ma responsabilité se trouvera dégagée.
Vous voyez, mon enfant, que c’est au contraire de la reconnaissance que vous devez à madame la comtesse pour la sollicitude qu’elle a pour vous.
La Claudie approuve de la tête sans conviction.
Tu parles !
Il gagne la cheminée.
Remerciez donc votre maîtresse.
Merci, madame.
À la bonne heure.
J’ajoute que s’il te plaît de te marier tout de suite, il y a Jeannick qui ne demande qu’à t’épouser ; c’est un honnête homme, un bon cocher, et un excellent chrétien : j’approuverai cette union.
Mais… il est vieux !
Vieux !
Ah ! ça, ma pauvre enfant ! Que demandez-vous donc au mariage ?
Mais… un jeune !
Voilà !… Voilà, ce penchant pour les futilités que je redoute.
Ben, tiens !
C’est bien, ma fille ! ne perdons pas de temps à discuter ; tu peux te retirer ; je n’ai plus besoin de toi.
La Claudie sort avec humeur.