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Au comte Antoine de La Rochefoucauld Grand prieur du temple Archonte de la Rose ϯ Croix

FRÈRE D’ŒUVRE,

 

Votre nom ancien et brillant, qu’il rayonne au fronton de l’œuvre préférée ; pour tenants, je lui attribue et mon amitié la plus vive et mon admiration formelle.

En notre restauration de la Rose ϯ Croix du Temple, Votre honneur est extrême : il passe le mien.

Je Vous ai apporté un rêve d’idéal militant et Vous l’avez réalisé.

Pendant la récente clameur du journalisme, ma fortune toujours extrême, à dextre comme à senestre, voulut que Vous lussiez mon esthétique ; Vous y avez retrouvé la Vôtre écrite et motivée.

À notre première rencontre ne semblait-il pas que l’un révélait à l’autre sa propre pensée. Quelques heures suffirent à la conjugaison de nos verbes, à un pacte qui déjà intéresse toute la culture occidentale.

Votre enthousiasme se prolongea en courage du genre le plus rare dans ce pays. Avec quelle sérénité impavide Vous avez reçu ce baptême de l’injure, sacrement de l’enfer que Paris impose à toute chevalerie de lumière !

Descendant de la plus anéantie des races humaines, sans pays, sans prestige, j’étais forcé à être grand, sous peine de ne pas être.

Mais Vous, comblé des faveurs de la naissance, Vous pouviez, comme un simple d’Orléans, aller de l’écurie au cercle, appliqué seulement au sport et à l’adultère, à l’instar de Votre faubourg.

Non ! l’art se révéla à Vos yeux d’œlohite la seule aristie, et, prenant des pinceaux, Vous avez eu du talent comme un manant ; Vous qu’un si beau nom autorisait à la paresse décorative.

Ici commence ce mérite que Vous deviez étendre jusqu’à la gloire.

À ce point d’horizon intellectuel il Vous apparut que les hommes, les temps et les lieux valent ou s’inanisent, dans la proportion même où ils adorent la Beauté.

Un zèle singulier Vous visita, palpitant en Votre âme, et l’agrandit en hauteur jusqu’à la notion abstraite.

Nos mains s’unirent non pas en émulation mutuelle, mais en un vœu de lumière, en une prise de Rose ϯ Croix.

Délivrer le saint sépulcre où depuis la Renaissance la Beauté salvatrice est ensevelie, défendre les pèlerins qui portent encore le bourdon de l’idéaliste et porter, à la face du siècle, les couleurs du ciel : voilà l’œuvre où nos deux entités se résolvent en un même effort.

Entre la noble entreprise de Bayreuth et la geste de la Rose ϯ Croix, comme de Vous à Louis de Bavière, il y a une ressemblance.

Là-bas et ici, l’idée de fête intellectuelle se manifeste selon une même formule.

« La religion s’est faite art pour parler aux masses : L’art se fera religion pour parler au petit nombre. »

Bayreuth est le temple d’un seul génie, et Louis de Bavière n’adora l’art que dans un art et une œuvre uniques.

Accomplissant selon l’ordre du théâtre ce que je conçois je n’atteindrai pas la magie du daimon de Walfried ; et Vous-même ne pourrez de longtemps donner la réalisation inouïe de Bayreuth.

Mais, de même que je suis à cette hauteur où mon œuvre personnelle ne me représente que l’autorité nécessaire à me dévouer pour l’autrui esthétique, et à le servir en le guidant ; de même Vous aimez le beau mystiquement et en Dieu.

La Rose ϯ Croix du Temple célèbre non pas les rites d’un art et d’un artiste, mais le culte intégral de tous les arts et de tous les maîtres.

Là réside sa beauté ; là se base sa force.

Le scrupule dans les moyens, la sagesse envers les tentations de l’immédiat toujours imparfait, embarrasseront peut-être la geste esthétique de 1892.

N’importe ! Pour la première fois, depuis trois cents ans, les beaux-arts, impérieusement subordonnés à la plus inflexible métaphysique, se manifesteront ; à la fois traditionnels par leur essence, et modernes, actuels, en avant, par la préférence donnée à toute nouveauté technique qui ne disconvient pas aux normes magiques.

Je Vous promets le respect des siècles pour un tel programme, qui soulèvera sans doute la seule blague du sale boulevard.

Ainsi, Grand Prieur, Votre noble rôle passe celui de Louis II, qui éleva un temple, certes à un demi-Dieu, tandis que Vous dédiez un Panthéon à toutes les gloires, tandis que Vous ouvrez un asile à tous les fervents.

La Rose ϯ Croix du Temple réalise la divine charité et envers les Signorelli et les Palestrina et envers les Marsile et les d’Olivet, ranimant leurs autels déserts ou éteints ; et aussi allumant pour les jeunes nautes de l’éternel Argo, ce phare sauveur qui s’appela la Magie pour l’Orient, Elensis pour la Grèce, et Rome pour les chrétiens d’avant 1600.

Tout verbe a un cerveau et un cœur lorsqu’il se fait chair, se manifestant ; si mon atavisme d’intellectualité et ce que j’ai souffert pour l’idéal me valent cet honneur sans égal d’être la pensée de l’ordre : Vous, par le sublime enthousiasme qui Vous meut, Vous êtes le cœur, le cher cœur de la Rose ϯ Croix.

Vous êtes le Siegfried esthète qui tuera le dragon du réel ; ou plutôt, car le catholicisme domine nos élans comme le symbole de Wagner, Vous êtes, non pas ce héros que Vigny méprisa parmi ses ancêtres et si fréquent dans l’histoire de Votre noble maison ; Vous êtes le chevalier de Montsalvat, l’envoyé du Graal.

Ah ! le salut de Gurnemanz, je Vous le dois. Vainement les Falsolt et les Fafner, les Abérich et les Mime, les Telramund et les Ortrude emmêleront leurs sales mains pour arrêter Vos pas, hurleront de leur vilaine voix pour étourdir Votre prière.

Voyez, voyez le Beauséant se dérouler noir et blanc, le Saint-Graal y rougeoie et la Rose crucifère palpite des ailes mêmes du Saint-Esprit qui l’insuffle.

Sur le blanc manteau, la bave des journaleux fait des franges d’argent ; à chaque combat, le miracle du Graal rougeoie plus vivement et la Rose enchante de son parfum la croix consolée.

Ô mon noble pair, le journalisme en sa caverne dresse et agite pour notre effroi, un monstre terrible ? non, la blague ; non, le ridicule.

Ô niais méchants, quel que soit le sort humain de notre œuvre, elle est réalisée dans le ciel, pour le siècle infini.

Au lendemain de la mort, l’archange Arthus nous recevra à la table ronde du Paraclet.

Votre gloire, Ami, est aux mains des anges et non pas des boulevardiers.

Avec une sérénité que seul un rayon du Saint-Esprit peut épandre sur une œuvre mortelle ;

Au nom de Joseph d’Arimathie, notre père de piété, au nom de Dante, notre père de pensée, au nom de Hugues des Païens, notre père d’action :

Vous qui venez au moment où l’Idéalité succombe sous la calomnie de toute une époque, je Vous salue pour la gloire éternelle, – le Lohengrin de l’idéal !

SAR MÉRODACK PELADAN.

Paris, octobre 1891.

Prière de Saint Thomas d’Aquin

TRÈS PROPRE À PRÉMUNIR LE LECTEUR CONTRE LES ERREURS
POSSIBLES DE CE LIVRE

Creator ineffabilis, qui verus fons luminis et sapientiæ diceris, infundere digneris super intellectus mei tenebras tuæ radium charitatis duplices, in quibus natus sum, a me removens tenebras, peccatum scilicet et ignorantiam. Qui linguas infantium facis esse disertas, linguam meam erudias, atque in labiis meis gratiam tuæ benedictionis infundas. Da mihi intelligendi acumen, retinendi capacitatem, interpretandi subtilitatem, addiscendi facilitatem, loquendi gratiam copiosam : ingressum instruas, progressum dirigas, egressum compleas. Per Christum Dominum nostrum. Amen.

Élenctique

Je crois et je proclame que l’Église catholique, apostolique et romaine est la Vérité. Je fais profession d’en être le fils et je lui promets mon intelligence et mon sang.

Je reconnais l’infaillibilité du Pape prononçant sur le dogme « Ex cathedra » et « urbi et orbi ».

Quoique ma conscience et ma science ne reprochent aucune hétérodoxie, je suis prêt à brûler mon œuvre de mes propres mains, si Pierre l’infaillible la jugeait mauvaise ou intempestive.

S.I.P.

Aux ancêtres

Ta gloire, ô Babilou, je l’ai manifestée.

Par la vertu de mon art, la lèvre humaine prononce de nouveau le nom de tes dieux.

Ta doctrine, ô Kaldée, j’ai songé nuit et jour à la restaurer, et voici que j’élève la première enceinte et la première terrasse de la grande tour : L’AMPHITHÉÂTRE DES SCIENCES MORTES.

Poète, j’ai dit tes belles nuits de science pieuse, pays des patriarches, terre d’Abram et de Mosché.

J’ai fait la lamentation sur toi, Mérodack Beladan, dernier Sar de l’histoire.

Que ta sagesseRace auguste, ma Race, rivale des Égyptes, qui éduqua le Kelte et d’où sortit Orphée !

Que ta sagesse qui a donné des prêtres à tous les peuples, ô toi qui par les Tosques fit renaître Babylou à Florence,que ta sagesse, Race de la pensée, Race de Léonard et du Danteque ta sagesse m’illumine.

Le nabi d’Israël a semé sur toi les paroles du néant, les paroles qui tuent, les paroles qui ensevelissent, terre des Kaldéens !

Mais voilà que le dernier Sar a confessé Jésus et son Église : et par le Tout-Puissant crucifié, par le nom et par le signe qui sauvèrent le monde : au nom du Dieu, seul Dieu, qui descend dans l’hostie :

Lazare Kaldéen, révélation première, Lazare du mystère antique, lève-toiet marche convertir ou confondre les Aryas Barbares.

Et toi, taureau ailé à face humaine, qui si longtemps veilla au seuil de mes palais, dresse-toi au seuil de l’œuvre.

Esprit de la terre, souviens-t’en !

Esprit du ciel, souviens-t’en ! !

SAR MÉRODACK PELADAN.

Au jeune homme contemporain

Voici le livre qui manqua à ma vingtième année.

Reçois, M. F., ce don précieux que te fait non l’expérience de mes trente ans, celle même du génie humain.

Ne cherche pas si tel précepte m’appartient ou si je l’emprunte à Pythagore. Est-il le meilleur ? Suis-le !

Tous les fils de cette Prostitution qu’on nomme Journalisme le détourneront de mon enseignement : ceux même que j’ai initiés contesteront ma science, et toi-même, déçu de ne pas trouver ici ce clair-obscur de l’idée qui la rend stérile, mais combien séduisante, lu l’écarteras.

Jamais on ne publia un livre avec une égale indifférence de son destin : j’accomplis une promesse tacite, je répare le mal que j’ai pu faire, malgré ma très pure intention.

Avant 1881, la Magie était absente de la culture française : je lui ai rendu la lumière et la gloire, non par des traités téméraires et dangereux, mais sous une forme d’art qui n’engageait pas la sainte science en mes possibles écarts.

J’ai révélé la Magie, c’est-à-dire je lui ai donné l’accommodation contemporaine. À ceux que le Mérodack du vice suprême a égarés, à ceux qui sont venus me demander d’achever en eux le travail confus né de me lire, j’offre cette méthode pratique d’automagification.

Pour obéir à mon seigneur Jésus, j’ai charitablement établi mon ascèse dans un sens général et moyen qui la rendit praticable au pauvre comme au riche, à l’artiste comme au mondain : seuls le prêtre et le soldat sont exclus. L’un parce qu’il appartient à l’Église dont je ne suis moi-même que le fils dévoué ; l’autre parce qu’il appartient à l’Absurde, et qu’il sortirait de ce livre déserteur ou réfractaire.

J’avertis encore ceux qui président aux infamies collectives que j’enseigne le mépris des droits et des devoirs du citoyen.

Par mon père, le chevalier Adrien Peladan, affilié dès 1840 à la néo-templerie des Genoude, des Lourdoueix, qui, cinquante années tint la plume au clair pour l’Église contre les parpaillots, pour le Roy contre la canaille,j’appartiens à la suite de Hugues des Païens.

Par mon frère, le docteur Peladan qui était avec Simon Brugal, de la dernière branche des Rose ϯ Croix, dite de Toulouse, comme les Aroux, les D’Orient, les vicomtes de Lapasse – et qui pratiqua la médecine occulte, sans rémunération – je procède de Rosencreuz.

Par mon œuvre, je suis le doyen de la Magie contemporaine ; par mon nom et mon Verbe, j’appartiens à la race sacrée des Kaldéens, mais j’appartiens surtout à Pierre, mon suzerain et au saint Ordre qui m’a commis son destin.

Que ma volonté de lumière soit bénie de vous, mon Dieu et que mon œuvre vaille pour mon salut,et le tien lecteur.

Ainsi soit-il !

Le septénaire du sortir du siècle

FINIS LATINORUM.

(Épigraphe de l’éthopée la Décadence latine, 1881.)

Nous ne croyons ni au progrès, ni au salut. À la race latine, qui va mourir nous préparons une dernière splendeur, afin d’éblouir et d’adoucir

Soyons le Tout-Passé en face du Tout-Paris. Soyons l’enthousiasme, en face de la blague. Soyons des patriciens, en face de la canaille. Soyons nous-mêmes, et que nos personnalités, réfractaires au milieu où elles se meuvent, triomphent du péché et du public.

(Figaro du 2 septembre 1891, Manifeste de la Rose ϯ Croix.)

ILe néophite

Le premier soin de l’homme supérieur, dès qu’il est conscient de lui-même, réside à sculpter, à ciseler son être moral : la théorie de la perfection chrétienne n’est que l’initiation sublimée.

Oui, l’homme a le devoir et le pouvoir de se créer une seconde fois, selon le bien. On demande quel est le but de la vie : il ne peut être, pour l’homme qui pense, que l’occasion et le moyen de faire un chef-d’œuvre de ce bloc d’âme que Dieu lui a donné à travailler ; et comme la plupart ne songent pas à accomplir cette seule œuvre commandée, l’enfer, devenu nécessaire, sera peuplé par les entêtés pervers qui n’auront pas voulu se recréer. Le ciel peut se définir la corporation du bien ; on n’y entre qu’après avoir fait son chef-d’œuvre, c’est-à-dire après avoir soi-même séparé « la terre du feu, le subtil de l’épais », comme dit la Table d’Émeraude, avoir enfin dégagé son âme de la gangue des instincts et tiré par l’effort religieux ou magique une statue du bloc qu’on était. (Le Vice suprême, Dentu, 1882 ; premier roman de l’éthopée la Décadence latine.)

Nom divin :

Sacrement : Baptême.

Vertu : Foi.

Don : Crainte de Dieu.

Béatitude : Pauvreté d’esprit.

Œuvre : Instruire.

Ange : Michaël.

Arcane : L’Unité.

Planète : Samas.

 

Le premier sacrement de l’Église signifie lavage et nous purifie de l’originel péché. À son premier effort, la Magie dégage l’individu de toutes les scories que l’éducation stratifie sur la personnalité, afin que prenant conscience de lui-même, il puisse rendre par son effort la grâce prolifique : l’effort tenant ici le sens plus étendu du mot « mérite ».

L’Église nous donne le baptême sans que nous soyons en état de le désirer ; la magie ne nous donne le mystère que si nous sommes conscients du baptême : elle vient sommer le baptisé de faire les œuvres d’enfant de l’Église et d’enfant du Mystère, à la fois.

En prenant ce livre tu as heurté ton coude et renversé un fragile bibelot, souvenir d’un cher être disparu. Alors, tristement tu as évoqué et à mesure que le souvenir s’est déroulé, tu as pensé à la faiblesse de ton cœur tout à l’heure plein d’oubli, maintenant plein de peine, et, ta mélancolie s’élevant, cette idée a surgi que l’homme est une nef désemparée dès que souffle le vent d’une passion où même la brise d’un souvenir. Analyse : le heurt, sensation ; le regret, sentiment ; l’idée générale, spiritualité.

Autant de claviers que tu enfermes, autant de clefs où la vie s’écrit en toi. Tu es donc corps, âme, esprit : saint Thomas te le dit comme Paracelse.

Comprendras-tu maintenant, si je t’annonce que ce livre t’enseignera le gouvernement de ton âme.

Objecterais-tu que ta famille t’en a parlé, t’en a dégoûté ou que l’Église te l’enseigne.

L’Église a donné le chef-d’œuvre de l’animisme passif ; elle t’a dit d’obéir à ton père et à ton curé ; mais si tu es destiné à un destin d’exception, ton père et ton curé ne peuvent te conduire ; ils ne le peuvent pas par dignité même : car il faut te donner des conseils de complice, t’inciter à des hardiesses périlleuses.

Je t’ai promis de t’apprendre Comment on devient Mage.

Sais-tu ce qu’on entend par cette expression « cet homme est un caractère » ? Eh bien, un mage est d’abord cela. Jusqu’ici la pédagogie hermétique t’a parlé de toute-puissance, de faire de l’or, des talismans et des charmes : ce sont des impostures, tu ne seras jamais que le roi spirituel d’un corps et d’une âme ; mais si tu y parviens, si ton esprit fait du corps un esclave et de l’âme un ministre intègre, alors tu agiras sur autrui dans la proportion même ou tu auras agi sur toi.

Ne cherche pas d’autre mesure du pouvoir magique que celle de ton pouvoir intérieur : ni d’autre procédé pour juger un être, que la lumière qu’il répand. Se perfectionner pour devenir lumineux, et comme le soleil, échauffer la vie idéale latente autour de soi, voilà tout le mystère de la plus haute initiation.

Le catholicisme, cette religion parfaite, comme ses sœurs aînées imparfaites, se base sur le plan animique, avec d’autant plus de raison que la spiritualité est un phénomène presque rare ; tandis que l’essence de la religion la fixe au point où le plus grand nombre peut converger. Toute vie et toute heure de la vie comportent la divine charité ; combien peu d’existences et de moments dans ces existences où l’intellectualité ait lieu ! Même pour le génie, même pour le mage, l’inspiration éployée et la méditation planante ne sont jamais coutumières, tandis que sans cesse leur âme, comme celle du simple, est en action, en option. Voici donc un cours d’affectivité idéale que j’entreprends. « Quoi, diras-tu, je serai mage, le jour où je saurai sentir d’une certaine sorte ? » Oui, M. F., car le jour où tu auras bridé l’instinct et dressé ton cœur selon le rite de clarté, tu n’auras plus que quelques volumes à lire ; je te les réduirai en un seul, si les barbares de France ne m’entravent point. Crois dès à présent que les exercices animiques que tu vas lire représentent d’inouïes difficultés, et que tel dont la pensée t’éblouit, n’est en intimité qu’une volonté sans cesse défaillante et une âme à la cape.

Tu as vingt ans, tu habites une ville prétendument civilisée ; hier, tu étais empoisonné moralement par la Locuste nationale, l’Université ; demain tu seras livré à la torture, également nationale. Collégien de la veille, prochain soldat, entre la chiourme d’où tu sors et celle où tu vas entrer aujourd’hui, sens-tu en toi l’impériosité d’un être fier, es-tu quelqu’un ou bien une chose sociale ?

À peine lavé du matricule lycéen, promis au matricule de la caserne, victime du professeur, bientôt victime de l’officier, veux-tu la dignité, la véritable, l’honneur, le vrai, dis, les veux-tu ? Tu te troubles, ami : je te semble le mauvais génie et mes paroles de rébellion te font peur, et tu crois que je veux d’abord t’apprendre la haine.

Ô mon ami, assure-toi : je te dirai à qui porter ton respect, à qui vouer ton amour. Mais il faut que tu renonces au collectif pour naître à la personnalité.

La Société est une entreprise anonyme pour la vie à émotions réduites. Né en France, considère la France comme une agence Cook. Descendu du breack universitaire, le caporal va succéder au pion, et puis tu seras avocat, c’est-à-dire un scélérat, complice de tous les crimes, recéleur de tous les vols, participant à toutes infamies ; entre le mal et la justice, tu jetteras le jeu de l’acteur, le mensonge de la femme, la mauvaise foi du protestant ; ta gloire sera de faire innocent le coupable ; et telle est l’injustice humaine, que toi l’empêcheur de justice, tu es utile. Te borneras-tu au rôle de complice, de compère des bandits ? oh ! non. Fils de bourgeois, ton jeu d’acteur, tes mensonges de femme, ta mauvaise foi de protestant, ton cynisme de journaliste, tout cela tu le dois à ton pays. Raté et paresseux, ignorant et creux, à quoi es-tu bon ? la totale incapacité où te mènera-t-elle ? Eh ! tu n’hésites pas, les affaires de ton pays, patriote, le sort de la cité, ô citoyen, voilà la matière où tu vas épuiser ta canaillerie : tu n’as plus à fausser le jugement de trois ennuyés ou la somnolence d’un jury, tu n’as qu’à recracher un mélange de Robespierre et de Prudhomme, pour être député par le peuple : ensuite la chefferie de l’État n’est plus qu’une question de nullité et le portefeuille une question de bassesse. Si tu sais te tenir comme un jeune premier de chef-lieu, tu peux être ambassadeur, ou diriger les Beaux-Arts.

Avocat sans cause ou candidat sans collège, que feras-tu ? La Société t’a donné deux brevets d’aptitude supérieure ; bachelier, licencié, tu ne sourcilleras pas, tu seras journaliste ; en ce métier on fume, on boit et on voit beaucoup de monde, et cela ressemblerait à la prostitution, s’il n’y avait la considération en plus.

Jadis un journalisme existait, politique ; le progrès a marché, il y a le pollutionnel ! tu peux choisir entre la fausse nouvelle et la fausse littérature, entre le reportage et le chantage. Les honnêtes, les vaillants, ceux qui ne t’estiment pas, tu peux les insulter, tu es le prêtre de l’opinion. Cependant si tu dépasses tes confrères en proxénétat apprends l’escrime ; le duel est la dernière raison d’être du sacripant civilisé, et pour le boulevard, un monsieur qui se bat est toujours assez propre. La presse ayant hérité de la féodalité, en être reste le seul moyen de toucher des dîmes. Tu auras ta place sur toutes banquettes de théâtre et de railway et même la poignée de mains des honnêtes gens, parce que leur œuvre et leur pain dépendent de ton humeur.

Si j’ai insisté sur ces deux criminalités, de l’avocat et du journaliste, c’est qu’elles rendent insusceptibles de devenir mage, car dans le premier cas, tu fausses des notions délibérément, dans le second tu es l’entrepreneur de ténèbres, le proxène universel : ce sont les deux plaies de l’époque.

Militaire, tu ne peux être mage ; l’obéissance passive rend indignes ceux qui l’imposent et ceux qui la supportent. Militaire, tu es toujours un possible criminel, puisque tu es souvent exposé à voler et tuer pour un intérêt collectif, à profaner les idoles et même le temple du vrai Dieu, comme en 1880.

Vois déjà deux conditions de ce catéchuménat.

Ne jamais mentir, ne jamais se servir du Verbe, mais le servir ; et d’un autre côté, ne subir que le Verbe à principe divin.

« Mais, diras-tu, que dois-je faire ? » Ce que ta sécurité, d’accord avec ton idéalité, te conseillera.

Si tu portes un uniforme comme un vaincu, tu souffres et la souffrance te défend de la souillure ; si tu le portes aisément tu n’es pas digne de le quitter.

La Société ouvre à la jeunesse des lupanars sans volupté, des écoles sans Dieu ; elle offre à ton activité des carrières avilissantes ; elle propose à ton âge mûr des honneurs ridicules. J’interviens et te dis : Jeune homme, isole-toi pour grandir.

Par ta triple nature, tu as à vivre des sensations, des sentiments et des idées : pour parvenir à la portée idéale, il faut d’abord que tu te transposes l’instinct en sentiment ; c’est-à-dire que tu deviennes incapable d’un plaisir sans imagination.

Ici se place l’opération la plus difficile pour toi ; il s’agit de t’analyser, pour découvrir ta vocation et par là connaître ce que tu dois fomenter et ce que tu dois restreindre :

La personnalité humaine, pour mes ancêtres se prismait en sept astralités, chacune correspondante à une vocation.

Samas : Soleil, moi absolu expansif.

Sin : Lune, moi intermittent réceptif.

Adar : Saturne, moi absolu résorbé.

Merodack : Jupiter, moi rayonnant.

Nergal : Mars, moi tyrannique.

Istar : Vénus, moi séductif.

Nebo : Mercure, moi égoïste, pénétrant les autres.

Ès-tu blond, à peau citrine, la vue délicate, la main petite, le nez noble sans ampleur, confiant en toi-même et sans besoin de suffrage ?

Ès-tu blafard, la tête ronde, l’œil saillant, capricieux, rêveur, tendre ou pervers, paresseux, tout changeant ?

Ès-tu grand, lent, bilieux, sombre, soupçonneux, sectaire et penseur ?

Ès-tu gras, rose, vaniteux et bon, goutteux, déjà un peu chauve, généreux comme ambitieux ?

Ès-tu efféminé, seulement ouvert aux impressions nerveuses, sans idée ni effort ?

Ès-tu petit, souple, aux doigts pointus, habile à tout, sans cœur que pour toi-même ?

Pour plus de clarté, Léonard est un type de solarien ; Beethoven de lunarien ; Michel-Ange, Dante et Wagner de saturniens, Rubens et Titien de jupitérien ; Ribera de marsien ; Raphaël de vénusien etc.

Mais ces grands hommes ont chacun deux planètes secondaires.

Le solarien est destiné à la gloire et au malheur en amour. Le lunarien poète ou musicien doit choisir un parti de vie errante et aventureuse.

Le saturnien, type du fondateur d’ordre, est désigné aux grands travaux de la science et de la foi.

Le jupitérien naît pour les fonctions sociales et la pontification en toutes choses.

Le marsien représente les actifs, les violents.

Le vénusien les passifs et les passionnés.

Le mercurien les habiles, les anormaux et les égoïstes pratiques.

L’espace de plus amples désignations, je ne l’ai pas.

Pour plus de détails, je te renvoie à mon astrologie kaldéenne. Voici seulement une indication des sept méthodes de l’individualisme :

Méthode solaire : dans la vie, apparaître pour donner une œuvre, dire une parole et disparaître. Attendre d’être connu pour vouloir être aimé ; vivre seul sans intimes, et tout demander à la gloire.

Méthode saturnienne : résorption physique et morale, chasteté, contemplativité, vie à l’écart jusqu’à des circonstances mûres pour un seul éclat dans la vie et très lentement préparé.

Méthode marsienne : impériosité et violence, coup hardi, procédé affronteur et irréfléchi : impossibilité de penser.

 

Le faste de la Lune, la poésie ; le néfaste, perversité.

Le faste de Jupiter, les honneurs ; le néfaste, l’égoïsme.

Le faste de Mars, l’activité ; le néfaste, brutalité.

Samas doit se tempérer en Nebo

Siu – en Samas

Adar – en Sin

Mérodack – en Adar

Istar – en Nergal

Nergal – en Mérodack.

Nebo – en Istar.

Au reste, quelle que soit ton astralité, ce livre donne des commandements généraux qui conviennent à la pluralité des natures. Cependant, si tu es lunarien, vénusien ou marsien, tu ne saurais trouver ton équilibre en toi-même, tu ne feras bien que ce que tu feras en second. Au contraire, si tu es Soleil, Jupiter et surtout Saturne, tu ne dois accepter que le premier rôle en tout. Si tu es Mercure, tu peux passer de l’actif au passif sans t’élever en aucun sens.

Je t’en ai dit assez pour que tu puisses, me lisant, saisir le degré où tel point de mon enseignement se peut appliquer à toi. Quant aux sept péchés collectifs, aux sept habitudes néfastes de la vie moderne, tu dois y renoncer absolument ; un seul conservé suffit à stériliser tous tes efforts vers la lumière, car un seul suffit à te solidariser avec tes contemporains, et dès lors tu souffrirais sans grandir entre la routine sociale et l’individualisme qui se disputeraient ta volonté.