Saynètes et monologues, édité par Tresse de 1877 à 1882, regroupe six volumes de textes courts en vogue dans le Paris des cercles littéraires d’avant-garde comme dans les soirées mondaines. Un répertoire de dialogues, monologues, saynètes, comédies et opérettes portés à un art véritable, dont la modernité apparaît avec évidence, et dans lequel se côtoient Charles Cros, Paul Arène, Nina de Villard, Charles de Sivry, Théodore de Banville, Eugène Labiche, Charles Monselet ou encore Villiers de L’Isle Adam.
Le présent ouvrage a été sélectionné parmi les textes publiés dans Saynètes et monologues. De nombreux titres de cette fresque sont disponibles auprès de la majorité des librairies en ligne.
Conférence à deux voix par M. Georges Richard
Personnages
Anatole Cramoisan.
Albert du Valpinson.
Un garçon de théâtre.
Le garçon de théâtre, balayant la scène, s’arrête et regarde sa montre.
Huit heures et demie et le spectacle est annoncé pour huit heures. C’est toujours comme ça. On affiche, dimanche prochain représentation extraordinaire donnée par les premiers artistes, des premiers théâtres de Paris ; de bonnes blagues ! Alors, on lit sur l’affiche : « M. Alfred, premier rôle du théâtre de la Porte-Saint-Martin, mademoiselle Valentine, premier sujet de la Comédie-Française, M. Arthur, premier sujet de l’Odéon, M. Auguste, premier sujet du théâtre des Variétés, mademoiselle Laura de Senneville, premier sujet de… » Celle-là, c’est une cocotte, elle joue les vicomtesses à la Tour d’Auvergne et fait deux cuirs tous les quinze mots, et le public donne là-dedans !… des bonnes blagues ! Moi, ça m’est égal, ces jours-là je gagne six francs, et ma tante qui tient la buvette, fait ses petites affaires. Par exemple, il y a des fois où c’est vraiment drôle, le public est dans la salle, il attend une heure, une heure et demie, et… les premiers sujets ne viennent pas, ils ont manqué le train, ça fait un vacarme !… la buraliste rend l’argent… et je perds mes six francs. Au fond ça m’est égal, parce que la buvette marche toujours ; le public est furieux, alors, il a soif, on va se calmer au café, et ma tante fait toujours ses petites affaires. (Regardant sa montre.) Huit heures trois quarts, ils ne sont pas encore arrivés, hum !… C’est inquiétant… je crois bien que nous n’en verrons pas épais aujourd’hui, des premiers sujets. Ils m’amusent ces gaillards-là ; à les en croire, ces troupes-là, ça serait comme qui dirait un régiment où il n’y a que des colonels !… Je vas boire un bock chez ma tante ! (Il met son balai sur l’épaule et sort en disant :) Des bonnes blagues tout ça, des bonnes blagues !…