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À M. S. DE SACY

 

DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

Mon cher ami,

Permettez-moi de vous dédier ces pages, où votre nom revient plus d’une fois. Ne les lisez pas ; je ne suis point un classique, et ne veux point troubler de douces habitudes ; mais gardez ce volume dans un coin de votre bibliothèque, comme le souvenir d’un compagnon d’armes et d’un ami. Depuis dix ans enrôlé sous votre drapeau, je suis resté fidèle à notre mot d’ordre : Évangile et liberté. Plus j’avance dans la vie, plus cette devise me console et me soutient, plus j’essaye de faire partager notre commun espoir à ceux qui m’écoutent ou me lisent. C’est à ce titre, mon cher de Sacy, que j’ose vous offrir ce livre, et que j’ai la hardiesse de vous dire, en me cachant derrière Cicéron : Vale et me ama.

ÉDOUARD LABOULAYE.

Paris, 20 juin 1862,

Préface

Voici le troisième recueil d’articles que j’offre au public. La bienveillance avec laquelle on a reçu les Études contemporaines sur l’Allemagne et les pays slaves, ainsi que la Liberté religieuse, m’a enhardi à faire cette nouvelle collection. On y trouvera les mêmes idées et les mêmes espérances : ma foi n’a pas changé. Plus que jamais je crois au Dieu personnel, au Dieu consolateur ; plus que jamais je crois que le monde ne peut se passer ni de religion ni de liberté. S’il y a dans ce volume un caractère qui puisse le distinguer des autres, c’est peut-être que j’y ai mis plus de moi-même, que j’y ai dit avec plus d’abandon combien l’expérience et la vie me ramènent chaque jour davantage à l’Évangile et au Christ. Tous les systèmes qui chassent Dieu du monde et du cœur de l’homme me paraissent aussi faux en philosophie qu’en politique ; ce sont des doctrines de désespoir que je repousse de toutes les forces de mon âme, comme l’erreur et le danger de notre temps.

Un des grands malheurs de notre époque, c’est que l’Église catholique, troublée dans ses intérêts temporels, ou menacée dans ses privilèges politiques, se délie des idées modernes, et n’a que des anathèmes pour ces principes de 1789, d’où le salut lui viendra quelque jour. Il y a là un malentendu funeste, dont la religion ne souffre pas moins que la société. Rien, dans l’Évangile, ne justifie cette vaine terreur ; le christianisme est tout à la fois la religion et la philosophie de la liberté. C’est pour combattre cette erreur, c’est pour faire cesser ce divorce fatal que je suis souvent revenu sur les institutions des États-Unis. L’Amérique, si mal jugée en France, nous donne le spectacle d’une démocratie féconde, qui se réclame de l’Évangile, et fait du christianisme la condition essentielle de la liberté. Un peuple qui risque sa fortune pour rejeter loin de lui l’esclavage, c’est la plus grande chose que le dix-neuvième siècle aura vu. Voilà un exemple qu’il ne faut point laisser perdre, et que je signale à toutes les âmes pieuses, à tous les cœurs généreux qui ne veulent désespérer ni de Dieu ni de l’avenir.

Un recueil tel que celui-ci ne s’adresse qu’à un public peu nombreux ; mais s’il y a dans ce volume quelques pages qui puissent raffermir une foi ébranlée ou ranimer un libéralisme éteint, j’aurai reçu le seul prix que j’ambitionne, j’aurai servi la cause à laquelle j’ai dévoué ma vie.

Paris, 20 juin 1862.