Les textes mayas que nous présentons dans cet ouvrage sont issus, à l’exception de quelques extraits du Popol Vuh, de la tradition orale actuelle. C’est ce qui explique en partie l’hétérogénéité de l’ensemble. Certains récits, en effet, pourraient être rattachés à l’époque préhispanique tandis que pour d’autres, l’influence de motifs et de croyances européens est évidente.
La culture des peuples mayas évolue et s’adapte aux changements socio-économiques, c’est pourquoi nous avons voulu montrer une tradition orale évolutive et non un musée de paroles figées qui n’ont plus de sens pour les personnes qui les transmettent. De là, la disparité des récits et la juxtaposition de thèmes et de motifs. Si la plupart des histoires transportent le lecteur européen dans un monde de personnages et d’arguments inconnus, d’autres ne manquent pas de rappeler les fables de La Fontaine ou certains passages de la Bible. Pour comprendre cette disparité, il nous faut établir une chronologie. Un bref rappel historique nous y aidera.
Aujourd’hui, on dénombre vingt-huit peuples mayas qui se trouvent au Mexique (péninsule du Yucatan et Etat de Chiapas), au Belize, au Guatemala et à l’ouest du Salvador et du Honduras. Une zone équivalente à 60 % du territoire français. Les langues sont aussi nombreuses que les peuples et même si elles ont une parenté, leurs différences sont telles que bien des peuples mayas n’arrivent pas à se comprendre entre eux.
Les découvertes archéologiques faites jusqu’à nos jours permettent de penser que la civilisation maya commence à se développer au Mexique dans l’Etat de Veracruz autour de 500 av. J.-C. avant de s’étendre au sud.
On distingue deux étapes de développement. La première, dite période classique, va du IVe au Xe siècle. C’est alors que sont édifiées les grandes villes cérémonielles dont Palenque, Tikal, Bonompak, Chichen Itza font partie. Les arts plastiques et architecturaux ne sont pas les seuls à se développer. Les Mayas acquièrent des connaissances en mathématiques et en astronomie et découvrent le zéro bien avant les Arabes. Grâce à ces connaissances, les Mayas mettent en place un calendrier solaire quasi parfait. Ils élaborent également un système d’écriture glyptique qui reste en partie indéchiffré.
Les glyphes sont consignés sur des peaux de gibier ou sur du papier fait de fibres d’agaves ou d’écorce d’arbre (amate) qui constituent les codex, des sortes de livres qui se replient comme des paravents. Ils contiennent des prophéties, des mythes et des connaissances astronomiques ou médicinales sous forme de schémas. Les codex représentent des numéros et des dates. Des personnages et des objets sont dessinés de façon figurative. Parfois on utilise des symboles : la parole, par exemple, est symbolisée par une volute sortant de la bouche. Les glyphes ne délivrent pas à eux seuls la totalité du message, ils ont une fonction évocatrice et constituent en quelque sorte une base repère que vient compléter le discours mémorisé et transmis par le prêtre.
Néanmoins, toute la production artistique orale n’est pas seulement liée aux codex. Souvent, les nobles accueillent des poètes qui, s’accompagnant de musique, célèbrent la victoire des seigneurs. Ceux qui composent les chants vivent dans des temples et se consacrent aux louanges des dieux et des gouverneurs.
Les discours des anciens constituent une autre forme usuelle de tradition orale. Cette production didactique est constituée de proverbes, de paroles doctrinaires et de recommandations qui guident la vie des jeunes.
De la même façon, les discours mythiques sur l’origine du monde, des astres, des hommes et des dieux survivent souvent en dehors du cadre rigide des codex et étaient racontés, sous une forme moins codifiée, pendant les veillées familiales. Cette tradition a traversé les siècles et aujourd’hui encore, elle nous raconte comment les hommes ont été pétris dans la pâte de maïs, comment les dieux donnèrent l’intelligence et la parole aux hommes pour qu’ils leur rendent un culte en leur dédiant des offrandes et des prières…
On ne connaît toujours pas avec certitude les raisons (sécheresse, épidémies, épuisement des terres cultivées, guerre, développement d’autres voies de commerce…) qui ont conduit à l’abandon des villes au Xe siècle. Les habitants migrent vers d’autres zones. C’est le début de la période appelée postclassique qui durera jusqu’à environ 1525, date à laquelle les Espagnols sont déjà installés au Mexique et au Guatemala.
Cette deuxième période se caractérise par la décadence due, en grande partie, à la présence nahuatl (des villes telles que Chichen Itza sont habitées par des groupes toltèques d’origine nahuatl qui se mélangent aux Mayas). Les Nahuatls, originaires des hauts plateaux du Mexique, imposent un esprit guerrier et développent les sacrifices humains.
Au XVIe siècle, les Espagnols trouvent des groupes mayas divisés, essaimés et ruinés par les guerres permanentes. Les dissensions internes les empêchent de s’unir pour faire face aux conquistadors. Dans de telles conditions, la colonisation est aisée, de même que l’implantation de son système de contrôle politique et religieux. Les codex sont, pour la plupart, brûlés et les prêtres mayas, conservateurs de la mémoire et du patrimoine culturel de leur peuple, sont soit exterminés, soit contraints de feindre d’avoir oublié leurs traditions en adoptant le christianisme que l’épée du vainqueur espagnol leur impose. A partir de ce moment, la tradition orale se réfugie dans le champ cérémoniel qui parvient encore à échapper au contrôle inquisiteur des autorités coloniales ou encore dans la vie quotidienne.
En parallèle, on constate le phénomène suivant : des jeunes Indiens, guidés par des missionnaires, apprennent à écrire le maya en utilisant l’alphabet latin et ils transcrivent le contenu d’anciens codex. Cela est rendu possible grâce à la participation des vieux sages mayas qui acceptent de les éclairer par des explications. Ces sages leur racontent les mythes et les poèmes dont ils se souviennent. De nombreux textes sont ainsi rédigés. Entre autres, le Popol Vuh, probablement écrit entre 1551 et 1560 en quiché, langue maya du Guatemala. Les nobles quichés conservent le manuscrit jusqu’à ce que, entre 1702 et 1703, le père Ximenez, responsable de la paroisse de Chichicastenango, en ait connaissance. Le prêtre récupère le manuscrit, le copie et le traduit avant sa disparition.
Bien des années plus tard, un autre prêtre, Brasseur de Boubourg, découvre le manuscrit de Ximenez et le publie en français à Paris, en 1861, avec d’amples commentaires.
Il s’agit d’un recueil de mythes (la naissance du cosmos, du soleil, des quatre premiers hommes créés par les divinités à partir de la pâte de maïs) et de récits merveilleux : les aventures de géants insolents qui, se vantant de jouer à la balle avec les montagnes et de faire trembler le ciel, moururent les yeux crevés et les dents arrachées, à cause de leur gourmandise, ou périrent transformés en pierre. On y trouve le récit du voyage des jumeaux qui descendirent au séjour des ténèbres pour y affronter, au jeu de balle, les Seigneurs de la mort et périrent sacrifiés ; le récit qui relate comment une jeune fille s’approcha un jour de l’arbre auquel on avait pendu la tête d’un des deux frères et tant d’autres histoires qui ont fait et font partie de la vie, des croyances et de l’imaginaire des peuples mayas.
Il est impossible d’établir des généralités concernant les Mayas actuels. Leurs différences sont bien trop importantes : ils vivent sur un territoire couvrant cinq pays distincts dont les politiques indigénistes et les situations démographiques divergent. Au Mexique, par exemple, les Mayas représentent 80 % de la population du Yucatan mais au niveau national, ils ne constituent que 2 % de la population ; alors qu’au Guatemala, les Mayas sont près de 6 000 000, soit 60 % de la population nationale. Interviennent également les guerres et conflits internes de chaque pays où les Mayas se trouvent inévitablement impliqués. On se souviendra, entre autres, de la grande violence que connaît le Guatemala à partir de 1963 (naissance de la guérilla) qui trouve son paroxysme entre 1980 et 1990 avec les affrontements des troupes gouvernementales et des guérilleros. Des villages entiers sont rasés, les champs dévastés ou brûlés, les villageois indiens assassinés.
Les Mayas, comme à l’époque préhispanique, sont des paysans et le maïs constitue la base de leur alimentation. Ils s’intègrent peu à peu à l’Etat national et sont nombreux à accéder à l’enseignement secondaire et, dans quelques cas, à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, on trouve des Mayas parmi les instituteurs, les écrivains, les comptables, les avocats, les députés… Beaucoup demeurent néanmoins confinés dans la pauvreté et l’analphabétisme.
L’agriculture s’est également développée et, outre le maïs, les agriculteurs mayas se consacrent aussi à des cultures d’exportation plus rentables telle que celle des légumes ou du café. Si la tortilla et les haricots rouges constituent toujours la base de l’alimentation, de nouveaux aliments sont apparus à leurs côtés, parmi lesquels les inévitables coca-cola et chips.
Même s’ils vivent en communautés villageoises dont l’origine remonte à l’époque de la colonie, ils ont pris l’habitude de se déplacer pour des raisons politiques (dans le cas du Guatemala, à cause des persécutions pendant l’époque de violence) ou économiques. Il n’est pas rare de trouver des groupes mayas vivant dans les capitales ou dans les grandes villes latino-américaines mais aussi en Californie ! Ils s’adaptent, résistent, créent des stratégies de travail et de vie communautaire ; ils défendent leurs traditions sans renoncer à la modernité. C’est au cœur de cette réalité qu’il faut aujourd’hui situer la parole des Mayas : une parole traditionnelle mais également capable d’intégrer des éléments émanant d’autres cultures. Cette parole plonge ses racines tantôt dans les traditions préhispaniques, tantôt dans celles de la colonisation. Elle intègre même parfois les apports ou les confusions que ne manque pas de drainer l’époque de mondialisation dans laquelle ils se trouvent plongés en tant qu’acteurs.
C’est pourquoi, dans certains récits, les divinités locales, les Seigneurs des montagnes qui entourent le village demandent, d’une part, aux villageois de respecter certains rites avant de cultiver le maïs sur les coteaux et, d’autre part, aux ingénieurs de faire des sacrifices pour obtenir l’autorisation de construire des routes. Il ne faudra pas non plus s’étonner de voir certaines divinités auxquelles tout le monde croit et demande des faveurs, comme dans le cas de Maximon, porter différents noms : le grand-père, l’Ange, l’Eclair… mais aussi le Docteur, le Souterrain, l’Extraterrestre ou encore l’Astrologue.
Perla PETRICH
Les anciens racontent qu’au commencement, tout était silencieux, immobile et paisible. Pas un homme, pas un animal. Ni oiseaux, ni poissons, ni crabes. Pas de pierres non plus, ni de grottes, ni de prés, ni de forêts. Seul le ciel existait.
La terre n’était pas encore apparue. Il n’y avait que la mer, d’un calme plat et puis le ciel, immense. Pas un bruit, pas un mouvement, rien ne s’agitait dans le ciel. Rien ne s’élevait, il n’y avait que la tranquillité de l’eau au repos. Rien ne bougeait. Seuls existaient l’immobilité et le silence dans l’obscurité de la nuit.
Les deux grands Créateurs seuls étaient entourés de lumière : Tepeu et Gucumatz. Tous deux portaient des habits de plumes, de plumes vertes. Et tous deux se mirent à parler, à penser. Ils se mirent à discuter entre eux et décidèrent qu’il fallait créer l’homme. A l’aube prochaine, l’homme serait là. Mais avant, il fallait créer la vie. Alors, ils commencèrent par créer la terre sur laquelle ils disposèrent les arbres. C’est alors que les deux grands sages dirent :
– Que le néant s’emplisse, que l’eau se retire et qu’apparaisse la terre ! Ainsi soit-il !
Et la terre fut aussitôt créée parce qu’ils avaient prononcé le mot « Terre ! » Les montagnes surgirent du fond des eaux et grandirent aussitôt. Un miracle les fit grandir et avec elles, les arbres sur leurs coteaux.
Ils créèrent ensuite les animaux : les chevreuils, les oiseaux, les jaguars, les serpents. Puis, ils leur attribuèrent à chacun une demeure.
– Toi, le chevreuil, tu dormiras sur les berges des rivières et au fond des ravins. Tu vivras là, dans les fourrés. Tu te reproduiras dans les bois et tu marcheras à quatre pattes.
Et il en fut ainsi. Puis, ils décidèrent de la demeure des oiseaux :
– C’est dans les arbres que vous vivrez, vous, les oiseaux. C’est là que vous ferez vos nids.
Une fois la création terminée, les Créateurs demandèrent aux animaux qu’ils se mettent à parler, qu’ils disent leurs noms. Ils leur demandèrent de les adorer, de les invoquer. Cela s’avéra impossible : ils pépiaient, criaient, aboyaient, grognaient, riaient… Cela rendit les Créateurs soucieux. Ils comprirent que jamais les animaux ne diraient leurs noms, que jamais ils ne les vénéreraient.
C’est alors qu’ils décidèrent de créer les hommes pour qu’ils leur rendent grâce de les avoir créés. Alors, les Créateurs modelèrent des petits hommes de glaise. Mais ce genre d’homme n’était pas assez robuste. Il s’affaissait. Il était mou. Il ne pouvait tourner la tête et son visage glissait d’un côté, puis de l’autre. Au commencement, il parlait, mais ne pouvait pas raisonner. Alors, il arriva ce qui devait arriver. A la première pluie, l’homme de glaise prit l’humidité, il cessa de parler et il se mit à fondre doucement jusqu’à se transformer en une flaque d’eau couleur terre. Alors, les Créateurs décidèrent d’utiliser quelque chose de plus solide pour façonner l’homme. Ils le taillèrent dans du bois. Ces hommes-là parlaient. Ils peuplèrent la terre et ils avaient bien des enfants, seulement, c’étaient des marionnettes de bois qui n’avaient pas d’âme et qui ne se souvenaient pas de leurs créateurs. Ils allaient sans but et avaient la tête si dure qu’ils ne pouvaient penser. C’est pour cela qu’ils furent détruits. Ce n’est qu’à la troisième tentative que les dieux obtinrent un résultat vraiment satisfaisant. Cette fois-ci, ils prirent de la pâte de maïs pour créer l’homme. Ils modelèrent la pâte de maïs pour lui faire des bras, des jambes et un corps. Et cet homme-là put penser et cultiver, et remercier les dieux qui lui avaient donné la vie. Voilà comment les vrais hommes naquirent sur cette terre.
Ecoutez un peu cette histoire. Mon père me l’a racontée du temps où il vivait encore. Il la tenait de son père à lui, de mon grand-père. Une de ces histoires que racontent les anciens.
Il y a bien longtemps, le soleil était un homme. Une fois où il se trouvait dans une forêt, il s’installa pour dormir dans un arbre. A la tombée de la nuit, des gens se rassemblèrent juste au pied de l’arbre. C’étaient des voleurs.
Ils ramassèrent du bois pour faire un feu et mangèrent. Et puis, une fois le repas terminé, ils s’endormirent. L’homme était toujours dans l’arbre et avait faim. Il lui prit l’idée de descendre pour voir si les voleurs n’avaient pas laissé quelques restes. « Sans doute dorment-ils et ils ont bien dû laisser quelque chose que je vais pouvoir manger », pensa-t-il.
Alors il se laissa glisser au pied de l’arbre. Il rassemblait silencieusement ses affaires quand il tomba sur une boîte. En l’ouvrant, il découvrit un très joli costume. C’était un costume rouge, de ceux que l’on met pour la danse de la conquête*. L’homme enfila le costume et aussitôt ses pieds se mirent à danser.
Les voleurs qui dormaient jusque-là se réveillèrent et s’enfuirent en courant. L’homme leur avait fait peur avec son costume rouge. « Sûr que c’est le Seigneur des montagnes, le Seigneur de la terre », se dirent-ils. Alors ils s’enfuirent et dans leur fuite, tombèrent dans un précipice.
L’homme au costume rouge les poursuivit et lui aussi tomba dans le vide mais on dit qu’aussitôt, il monta au ciel, tout là-haut. C’est lui le soleil qui nous éclaire aujourd’hui, voilà ce que racontent les anciens.
Une femme avait trois fils. Un jour, tous trois partirent aux champs mais les aînés, jaloux du plus jeune, le frappèrent, ils le rouèrent de coups. En revenant, le petit raconta tout à sa mère qui décida que, le lendemain, le petit n’irait pas aux champs. Mais les aînés insistèrent, affirmant que leur frère n’était qu’un fainéant et que jamais ils ne l’avaient frappé.
Le jour suivant, ils repartirent tous les trois.
– Ramasse du bois ! ordonnèrent les deux grands au plus petit, sitôt arrivés.
Comme le petit ne comprenait pas et demandait pourquoi il devait ramasser du bois, ses frères lui répondirent qu’il n’avait pas besoin de le savoir. Ils ajoutèrent :
– Ramasse du bois, mets-le en tas, et tais-toi.
Quand il eut fini, ses frères l’attrapèrent, le découpèrent en petits morceaux et mirent le feu au bois. Ils y firent brûler les morceaux du petit frère jusqu’à ce que tous soient carbonisés. Puis ils repartirent chez eux. Mais, à leur grande surprise, quand ils arrivèrent, leur petit frère était là qui les attendait.
– Il est revenu nous faire peur, dit l’un des deux frères. Ils étaient tous les deux terrorisés.
La mère dit que le lendemain, le petit n’irait pas avec eux.
– Vous l’avez tué, leur dit-elle.
– Ce n’est pas vrai, il dit ça parce que c’est un fainéant qui ne veut pas travailler, répondirent les aînés.
Et le jour suivant, ils emmenèrent à nouveau leur petit frère. A mi-chemin, ils l’attrapèrent, l’attachèrent et le jetèrent dans un fossé, tout au fond d’un trou. Le petit resta là, tout seul, jusqu’à ce qu’un vieil homme qui passait lui demandât :
– Que fais-tu donc là ?
L’enfant répondit alors :
– Ce sont mes frères qui m’ont abandonné ici.
Le vieil homme l’observa un moment et lui dit :
– Si tu acceptes de me suivre, je te détacherai.
L’enfant acquiesça, il était bien content. Alors le vieil homme le détacha et lui dit :
– Ferme les yeux.
L’enfant ferma les yeux et le vieil homme l’emmena loin, très loin, dans un endroit qu’il ne connaissait pas : il l’emmena au ciel. Une fois arrivés, il dit à l’enfant d’ouvrir les yeux.
– Que penses-tu de cet endroit ? lui demanda le vieil homme.
– C’est merveilleux, dit l’enfant, il faut juste que j’aille dire adieu à ma mère, je reviendrai ensuite.
Alors, le vieil homme lui demanda de refermer les yeux et quand l’enfant les rouvrit, il était à nouveau chez lui.
– Maman, je suis venu te faire mes adieux, dit l’enfant. J’ai un nouveau travail.
Sa mère le regarda. Elle était inquiète :
– Tu ne partiras pas sans avoir mangé. Tiens, prends ça et mange, lui dit-elle.
Elle lui servit des tortillas.
– Non, je ne veux pas manger, maman.
La mère vit alors que les tortillas étaient calcinées. L’enfant était brûlant, c’est lui qui les avait brûlées.
C’est alors que les aînés arrivèrent. L’enfant se retourna et n’eut qu’à les regarder pour qu’ils meurent aussitôt carbonisés. L’enfant dit alors adieu à sa mère et s’en alla. Depuis, c’est lui le soleil que l’on voit briller dans le ciel.
Je vais vous raconter l’histoire de notre Saint Soleil. Saint Soleil décida un jour de prendre femme. Il voulait épouser une jeune fille qui n’était autre que Sainte Lune. Alors, chaque matin, il partait pour chasser et revenait portant un cerf sur le dos. Il passait chaque fois devant Sainte Lune et elle commençait à se lasser de son manège. Elle se demandait ce qu’il faisait. Alors, elle décida de verser sur son chemin l’eau du nixtamal*. A son retour, Saint Soleil passa par là et glissa sur l’eau du nixtamal. Il se retrouva les quatre fers en l’air. Sainte Lune s’aperçut alors que ce n’était que la peau d’un cerf qu’il portait sur son dos. Alors elle le vida de sa chair et de ses os.
Saint Soleil devint tout triste.
– Ah ! Quel tour elle m’a joué ! Mais elle ne perd rien pour attendre, se lamentait-il.
Il se transforma en colibri et vint voler à côté de la porte de la maison où la jeune fille était assise. Elle était en train de regarder une fleur quand elle vit l’oiseau.
– Papa, viens, il y a un oiseau. Prends ta sarbacane, dit-elle à son père.
Le père répondit alors :
– Ah ! Laisse-le, va donc savoir qui ça peut être.
Mais la jeune fille insista :
– Tire-le avec ta sarbacane, s’il te plaît.
Le père finit par tirer sur l’oiseau. Le colibri tomba à terre. Il était comme évanoui. Le père alla le ramasser. Il le déposa à côté de la jeune fille qui était toute contente. L’oiseau pleurait comme une madeleine. Le soir, la jeune fille alla se coucher dans sa chambre. Le père dormait déjà dans la sienne. Elle entendit le colibri qui continuait de pleurer.
– Mon pauvre colibri, lui dit-elle, et elle le déposa dans une pièce.
Mais il ne cessait de pleurer. « Que peut-il bien vouloir ? » se demanda-t-elle. Et elle finit par le prendre avec elle dans sa chambre. L’oiseau cessa alors de pleurer. La jeune fille s’endormit. Elle se réveilla en sursaut sentant qu’un homme était à ses côtés. C’était Saint Soleil. La jeune fille prit peur.
– Je t’ai joué un tour moi aussi. Et maintenant, il faut que nous partions, lui dit Saint Soleil.
– Mais, mon père va nous tuer, dit-elle.
– Nous partirons, qu’il le veuille ou non, répondit Saint Soleil.
– Non, je ne veux pas, affirma-t-elle.
Mais il insista :
– Partons.
– Mais comment ferons-nous pour sortir ? Mon père nous verra dans son miroir magique, dit-elle.
– Nous verrons bien ce que pourra lui montrer son miroir, répondit le Soleil.
– Mais il a aussi sa sarbacane, il pourrait nous aspirer avec, dit-elle.
– Nous allons nous en occuper, ajouta-t-il, et ils sortirent.
Ils ramassèrent un morceau de charbon avec lequel ils noircirent presque tout le miroir du père. Seul un tout petit coin du miroir avait été oublié. Saint Soleil s’empara ensuite de la sarbacane et fourra un piment dedans.
– Maintenant, partons, dit Saint Soleil. Crache.
Et elle cracha au beau milieu de sa chambre. Si son père venait à l’appeler pendant la nuit, le crachat lui répondrait : « Je suis là », et le père retournerait se coucher. C’est bien ce qui se passa plusieurs fois dans la nuit. Mais à l’aube, la salive sécha et ne put plus répondre.
« Où est-elle passée ? » se demanda le père. En ouvrant la porte de la chambre, il découvrit qu’elle n’y était pas. « Ah ! Où est-elle donc ? Se pourrait-il que ce soit à cause de celui que j’ai tiré à la sarbacane hier ? » se demanda-t-il en allant chercher son miroir magique. Il vit alors que son miroir était tout noir sauf un tout petit coin. Il put voir que sa fille et Saint Soleil volaient par-dessus les mers.
– Attendez voir, je vais vous aspirer, dit-il en saisissant sa sarbacane.
Il eut le souffle coupé à la première aspiration. C’était le piment. Il tomba raide. On aurait pu le croire mort, mais au bout d’un moment, il se mit à tousser. Il toussait à perdre haleine et gémissait. Il était bien triste. « Je vais en parler à l’Orage », pensa-t-il. Il y alla de suite.
– Saint Orage, écoutez-moi. Faites mal à ces méchants qui voyagent au-dessus des mers. Tuez-les donc car ils se sont très mal comportés, ils m’ont fait beaucoup de mal.
Et l’Orage obéit au roi. Saint Soleil et sa compagne étaient alors à bord d’un canoë. Il monta sur le dos d’une tortue et dit à Sainte Lune de monter sur celui d’un crabe.
– Ton père veut nous tuer, il a demandé l’aide de l’Orage, expliqua-t-il.
L’Orage arriva et décocha un éclair mais Saint Soleil, à cheval sur la tortue, plongea au fond de l’eau. Sainte Lune n’avait pas une monture aussi rapide : elle n’eut pas le temps de descendre jusqu’au fond et mourut.
Saint Soleil ressortit de l’eau et chercha en vain son épouse.
– Je vais demander l’aide de la libellule, dit-il.
La libellule repêcha tout, le sang, la chair, les os de Sainte Lune, tout. Saint Soleil en remplit treize caisses. Il les porta jusqu’à ce qu’il croise un homme.
– Rends-moi service, lui dit-il, garde-moi ce chargement pendant une semaine.
L’homme accepta. Pendant toute la semaine, l’homme fut dérangé par le bruit qui venait des caisses. Il se demandait ce qu’elles pouvaient contenir. Quand Saint Soleil arriva, il lui dit :
– Ouf ! Il était temps que tu arrives, tu aurais pu te dépêcher. Je n’ai pas pu fermer l’œil à cause de ce chargement que tu m’as laissé.
– Excuse-moi, dit Saint Soleil, je vais m’en occuper.
Et il ouvrit une première caisse où il trouva des serpents. Il ouvrit la deuxième : des lézards. Dans la troisième, des crapauds. Des araignées sortirent d’une autre. Toutes les bestioles que nous avons aujourd’hui sortirent de là.
Saint Soleil prit peur et fondit en larmes. Il ne trouvait pas sa femme. Mais enfin, en ouvrant la treizième caisse, il la trouva assise au fond. Elle était toute petite.
– Voilà ma femme ! s’exclama-t-il tout content, en l’aidant à sortir de la caisse.
Les bestioles aussi sortirent. Il en tua beaucoup et les autres s’enfuirent.
Saint Soleil vit que sa femme respirait mais qu’elle ne pouvait ni parler ni se lever. « Elle est malade », se dit-il et il demanda l’aide du cerf.
– Voilà ce que tu vas faire : prends ton élan et passe en courant le plus vite possible au-dessus d’elle.
C’est ce que fit le cerf et aussitôt Sainte Lune fut guérie. Ils s’en allèrent tous les deux et il recommença à chasser. Mais il devint jaloux. Il croyait que sa femme le trompait pendant qu’il sortait. Alors, à son retour, il la battait.
Tandis qu’elle pleurait au bord de l’eau, Sainte Lune vit venir à elle un jeune garçon. C’était un ange du diable.
– Pourquoi pleures-tu ? lui demanda-t-il.
– Ce n’est rien, je pleure parce que mon mari me bat. Il croit que je me comporte mal. Il croit que je suis une mauvaise femme.
– Mon père est au courant, dit le jeune garçon. Viens, allons le voir.
– Mais mon mari va me tuer, répondit-elle.
– Mais non, lui affirma l’ange du diable, tu n’as qu’à fermer les yeux.
Elle ferma les yeux et quand elle les rouvrit, elle était en compagnie du diable.
Pendant ce temps, Saint Soleil attendait sa femme, mais comme il ne la voyait pas revenir, il décida d’aller voir à la rivière. Elle n’y était pas. Le serpent qui était là lui dit :
– Je sais qui l’a enlevée. Elle est partie avec le diable.
– Mais comment faire pour aller la chercher ? gémit Saint Soleil.
C’est alors qu’il se transforma en cadavre d’animal mort. Il puait. L’urubu** qui n’est autre que l’ange du diable vint alors. Il se posa près de la charogne avec l’idée de la manger.
Mais tout à coup, la charogne reprit sa forme humaine et attrapa l’urubu.
– C’est toi qui as enlevé ma femme ! cria-t-il.
– C’est mon père qui me l’a demandé, répondit l’urubu.
– Eh bien, tu vas me conduire là où tu l’as emmenée, dit alors Saint Soleil.
– Bien, répondit l’oiseau et il le conduisit à la maison de son père.