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INTRODUCTION AU LIVRE

La vie ne saurait offrir de plus grand trésor que l’art. L’art, c’est tout ce qui est beau et permet à l’âme d’un homme de s’abstraire des trivialités quotidiennes qui lui malmènent l’esprit du matin au soir, de se hisser vers les sommets de la découverte et brièvement entrevoir le sublime. C’est ce qui affranchit l’homme des résidus temporels de la norme et de l’immobilité pour le projeter dans les eaux délicates de l’éternel. C’est entendre parler d’une voix douce la langue si belle de l’antiquité, ce qui ne l’empêche pas de prévoir tout ce qui adviendrait dans notre univers infini.

En bref, l’art, c’est assez sympa.

Partant de là, quelle tragédie1 de voir tant d’individus modernes, nos contemporains, juger les grandes œuvres de la littérature trop inaccessibles, écrasantes et sans doute même ennuyeuses. Ce n’est pas un défaut de caractère, une inaptitude particulière qui les y pousse. Non, c’est plutôt que ces grands textes — si intemporels soient-ils —, sous leur forme actuelle, sont datés. À part les étudiants, quelques ermites et les disciples d’un John Ludd tombé en disgrâce, qui peut s’y immerger en espérant comprendre un minimum de quoi il retourne ?2 C’est à cela que nous essayons humblement de remédier.

Certains verront dans la réinvention des grandes œuvres de notre monde à seule fin de les adapter au cerveau en évolution constante de l’homme moderne une tentative triviale, une imposture. D’autres trouveront même que « ça craint », mais nous préférons nous considérer comme les Martin Luther des temps modernes. Herr Luther s’attaqua aux Saintes Ecritures mêmes et, voyant que la vulgate classique ne disait plus rien aux âmes de ses contemporains, il la traduisit dans la langue vernaculaire de son temps. Luther fit ainsi déferler sur le XVIème siècle une révolution de la foi et de l’alphabétisation sans précédent, demeurée sans égale à ce jour.

A notre modeste mesure, et à notre époque, nous voulons imiter son exemple.

Enfin, cette fois-ci, il vaut sans doute mieux éviter de toucher à la Bible.

Rappelons une évidence : aucune génération ne se définit par le tumulte politique qui contamine la pensée de ses citoyens, ou par les batailles et les guerres qui abreuvent la Terre du sang de sa jeunesse. Ce qui définit une génération, ce ne sont pas les Rois, les révolutions ou même les grands triomphes de la Science. Ce qui la distingue, c’est la voix de sa littérature, qu’elle ait été ciselée en sanskrit sur des tablettes, reprise par les voix aux accents lyriques et oniriques qui s’accompagnaient d’une lyre dans la Grèce ancienne, ou imprimées sur des feuillets de coton reliés grâce à l’engin de Herr Gutenberg.

Ces moments qui définissent une époque surviennent en général tous les cinquante ans. Il y a deux fois cinquante ans, c’était le surgissement des Surréalistes en France et, voici cinquante ans, celui des Beatnicks en Amérique. Cinquante ans plus tôt, c’étaient les Néo-Romantiques, les Modernistes ou les Décadents. Et cinquante ans avant eux, c’étaient les premiers Romantiques.

Vous vous demandez peut-être, chers amis, quel traitement nous entendons faire subir à ces grandes œuvres d’art. Nous vous offrons dans ces pages les moyens d’acquérir les voix fortes, les précieuses leçons et les innovations stylistiques des Grands, sans vous imposer la besogne harassante d’avoir à consacrer des heures à les lire. Nous nous emparons de ces Grandes Œuvres et nous vous en présentons un concentré, la quintessence, grâce à la voix de Twitter — le réseau social qui, avec sa limite des 140 caractères par message (espaces compris) nous offre la forme de publication instantanée la plus pure, le manque de concentration, le tout numérique à toute heure, l’ère égoïste et trop sûre d’elle de l’info-déluge poussés à l’extrême du raffinement. En deux mots comme en 140, nous vous livrons tout ce qu’il vous faut pour acquérir la maîtrise de la littérature du monde civilisé.

En effet, quel homme pourrait prétendre digérer tout ce qu’il convient de digérer en l’espace du bref laps de vie mortelle qui lui est imparti ? Dans la dix-huitième année de votre existence, vous preniez peut-être le temps de vous asseoir sur le pas votre porte et de vous poser la question : Cet Hamlet, qu’essaie-t-il de me dire, au juste ? Quel besoin a-t-il de couper autant les cheveux en quatre, de s’égarer dans tout ce lyrisme, en bref, de battre à ce point la campagne ? Ces questions sont troublantes — mais elles auraient été vite résolues si le Prince de Danemark avait ouvert un compte sur Twitter.com, ce site où l’on est très au fait des singularités et des idiomes de l’époque actuelle. Et c’est en somme ce que nous avons fait. Nous avons libéré ce pauvre Hamlet du carcan des contraintes littéraires du XVIème siècle pour le transformer en jeune homme branché — sans lui faire perdre un gramme de sa sagesse, de sa beauté, de son esprit ou de ses angoisses. Un jeune branché comme vous et nous, cher lecteur.

Bref — et nous l’entendons au sens littéral du terme —, nous apportons le salut à notre génération, une manière neuve et révolutionnaire d’affronter et de comprendre le plus grand de tous les arts : la Littérature.

Et maintenant, permettez-nous d’ouvrir

Une brèche éternelle,

Aux brillants esprits et à l’homme du commun,

Nous vous présentons la Twittérature.


1 En français dans le texte. N.d.T.

2 John Ludd est le nom d’un ouvrier anglais, peut-être fictif, qui se serait illustré dans la lutte des travailleurs du textile contre l’avènement du métier à tisser, à la fin du XVIIIème siècle, en Angleterre. Son nom a donné naissance au terme “luddite”, qui désigne toute opposition aux progrès de la technologie et aux mutations sociales qu’elle engendre. N.d.T.

L’attrape-cœurs J.D. Salinger

@HoldenLol-field1

Dernière fois que je foire. Ils m’éjectent de leur école de vieux ! Total pas encore vu un seul de ces chevaux à la con, moi ! LOL!2

Tu te demandes jamais avec quoi ils embaumaient leurs momies, en Egypte ? Avec du vieux jus de momie très spécial, voilà.

Largué l’école. Hurlé des mots à chier dans le hall — ça leur apprendra ! Me casse bientôt à NY. Tu me contactes.

Entouré de gens bidons. Partout !

J’ai voulu troncher la mère d’un gamin. Elle a pas voulu. Enfin, maintenant, j’ai quand même ce bonnet de bûcheron carrément ultra cool.

Logé dans un hôtel miteux ; c’est assez crade. Les chaînes payantes marchent pas. Et si je m’appelais une pute, non ?

Oulah : essaie jamais d’embrouiller une pute. Ces types, là, ceux qu’on appelle des macs, ils déboulent et te mettent une tête au carré.

Toujours entouré de mecs bidons ! Aussi bidon que toi, je parie. Beurk. Je dois avoir un cancer de la bouche – je vous tiens au courant.

Quelqu’un sait où ils vont, les canards, l’hiver ? Ils se les gèlent ?

Sorti avec une fille dont je me fous. Bizarre que la nature me pousse à des trucs aussi marrants et pas logiques. Hypocrite un max. A fond.

Décidé de m’enfuir de la maison. J’en ai parlé à ma sœur. Elle est ici.

Je crois qu’un mec a essayé de me baiser. Ouais, un mec a essayé de me foutre sa queue. Dégueu.

Il est bidon, lui aussi. Bien sûr.

Ma sœur insiste pour venir dans l’Ouest avec moi – j’ai dit pas question. Une femme, ça peut pas devenir cow-boy !!

Finalement, l’Ouest, c’est sûrement aussi bidon que l’Est.

La vie est pleine de frustrations, pleine de contradictions.

Ces merdeux que j’insultais à l’école, ils me manquent. :( Même s’ils étaient tous bidons.


1 Sur Twitter, un nom précédé d’arrobase (« @ ») est un lien vers le compte Twitter de l’utilisateur de ce nom. Si le nom précédé d’arrobase est en tête du message, le message s’adressé à cet utilisateur.

En Twittérature, Holden Caulfield, personnage principal de L’Attrape-Cœurs, devient Holden Lol-field. N.d.T.

2 Acronyme. V.O. : Laugh Out Loud. V.F. : À hurler de rire (littéralement). Ou : MDR (Mort de Rire). N.d.T.

Da Vinci Code Dan Brown

@CatholicGuilt

@CulpaCatho