Éditions Glyphe
À ceux qui doutent de l’imagination du Dr K, l’éditeur déclare que cette histoire est une fiction et que toute ressemblance avec des événements ou des personnages réels serait une coïncidence.
Le père louis auffret ferma la porte du presbytère et descendit les marches du perron pour emprunter la rue des prêtres Saint-Séverin. Il longea le jardin et entra dans l’église. Il lui restait une quinzaine de minutes avant la messe de dix-neuf heures.
Le lieu saint était maintenant presque vide. Un peu plus tôt, vers dix-sept heures, deux artistes avaient interprété une version pour orgue et violoncelle des Quatre saisons. Les soirées rallongeaient en ce mois de mai, et les touristes qui se pressaient dans le quartier étaient venus en nombre, attirés par les tracts distribués rue Saint-Séverin et par les affiches apposées à l’entrée. Il y aurait sûrement moins d’affluence à l’office de semaine…
Le jeune prêtre se signa à l’entrée et contempla le spectacle qui s’offrait au visiteur. L’architecture gothique et les vitraux de cette église, la plus ancienne de la rive gauche, incitaient au recueillement.
Le père Auffret ne s’attarda pas. L’heure avançait. Il rejoignit la sacristie et revêtit ses habits liturgiques. Quelques fidèles se pressaient déjà autour de l’autel lorsqu’il pénétra dans la chapelle du Saint Sacrement, à droite de la nef.
Avec sa ferveur habituelle, Louis prononça les phrases rituelles. Sa foi était ancrée au plus profond de son être. Il aimait l’atmosphère de cette paroisse et il remerciait Dieu tous les jours de lui avoir permis d’intégrer l’équipe paroissiale de Saint-Séverin. Certes, il aurait servi le Seigneur n’importe où, mais après son enfance tourmentée, il vivait son ministère dans cette splendide église comme un apaisement.
Cependant, il savait que, malgré ses prières, il n’atteindrait jamais la sérénité absolue. Il ne pouvait tout empêcher, et cela le tourmentait continuellement.
Le religieux venait de distribuer les hosties consacrées lorsqu’il ressentit une terrible douleur dans le flanc : un véritable coup de poignard. Instantanément, il ruissela de sueur et fut pris de nausées. « Non ! Ça n’allait pas recommencer ! »
Il réussit à terminer l’office, affrontant l’expression d’étonnement des paroissiens lorsque, plié en deux par la souffrance, il bénit l’assistance clairsemée d’une voix chevrotante. Pendant qu’il faisait le large signe de croix, il s’agitait, sautillant d’une jambe sur l’autre, sans trouver une posture qui puisse soulager sa douleur.
Puis il rejoignit la sacristie aussi vite qu’il put. La porte à peine fermée, il vomit tripes et boyaux.
Il allait encore devoir faire appel au professeur Banari, qui, comme d’habitude, écarterait l’hypothèse avancée par le malade. « Mon Père, lui répéterait-il avec son bon sourire, les coliques néphrétiques ne sont pas d’origine psychique. Je suis le premier à reconnaître que les phénomènes psychologiques interviennent dans beaucoup de maladies, mais dans les calculs rénaux, franchement, non ! ». Il dirait tout cela sans mépris ni ironie. C’était un médecin comme on n’en faisait plus, et le père Auffret voyait approcher avec angoisse la retraite de Banari – le professeur aurait bientôt soixante-huit ans –, et il ne pourrait plus prolonger son activité hospitalière au-delà de cet âge. Continuerait-il à recevoir des patients ailleurs ? Et sinon, qui pourrait le remplacer ? Il lui inspirait une confiance absolue, et sa disponibilité restait entière après tant d’années d’une pratique médicale particulièrement astreignante dans un service de réanimation.
N’empêche que sur ce point-là, Louis en était convaincu, le docteur se trompait. Depuis le temps, l’homme de Dieu avait appris à analyser les réactions de son corps et les signaux qu’il lui transmettait.
Son frère, Charles, avait certainement récidivé.
Le commissaire principal Victor Maupas rejoignit son bureau d’un pas lourd. L’enterrement d’un collègue est toujours une épreuve pénible. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une mort violente en service commandé, ni d’un suicide, trop fréquent au sein de la police. Le commandant Fabrice Zarkas, chef de groupe à la Crim’ et ami de Maupas, venait de succomber au cancer des os qui le rongeait depuis deux ans. Endurant les chimiothérapies et les rayons avec courage, il s’était résigné à interrompre son activité l’an dernier, rattrapé par la progression du mal. En l’absence de remplaçant, c’est Maupas lui-même qui avait assuré son rôle auprès de deux de ses subordonnés, Pivert et Robin1.. Seule consolation dans ces circonstances, car le travail de terrain lui manquait.
Grand, presque chauve, à l’exception d’une bande de cheveux poivre et sel de chaque côté du crâne, les yeux bleu clair, le commissaire principal inspirait respect et confiance à ses interlocuteurs. Volontiers habillé de façon décontractée, Il portait ce jour-là veston sombre, chemise blanche et cravate.
Par une coïncidence déplaisante, le nouveau chef de groupe – la machine administrative fonctionnait lentement, mais fonctionnait tout de même ! – prenait ses fonctions le jour des obsèques de Zarkas… Et Claude Chaudron n’aurait pas le temps de s’ennuyer : on venait de lui confier l’enquête sur un homicide. Au moins Maupas aurait-il une bonne excuse pour suivre l’affaire de près, histoire d’apprécier les capacités du nouveau.
Le commissaire venait à peine de s’asseoir lorsqu’il entendit deux coups légers à sa porte. Il n’avait pourtant rencontré personne dans le couloir.
– Entrez ! dit-il d’une voix lasse.
La porte s’ouvrit sur une jeune femme de taille moyenne, plutôt élégante, vêtue d’un tailleur-pantalon. Ses cheveux clairs, coupés court, encadraient un visage allongé aux lèvres minces et aux yeux bleus, ce qui lui donnait un air d’Elsa Zylberstein en blonde. Elle le regardait avec assurance.
– Commissaire principal Maupas ?
– Oui. Qui êtes-vous ? Vous aviez rendez-vous ? Qui vous a laissé entrer ? répliqua-t-il d’un ton rogue, craignant l’intrusion inopinée d’une journaliste en quête d’informations.
– Commandant Claude Chaudron. Je suis désolée, on m’a dit de vous attendre dans le bureau voisin.
– Je vous prie de m’excuser, bafouilla Maupas en tentant de dissimuler sa surprise.
Il aurait dû prendre connaissance de son dossier avant son arrivée. Bien sûr, la féminisation gagnait aussi la police ! Le prénom l’avait induit en erreur.
– Vous n’avez sans doute pas l’habitude de voir une femme nommée chef de groupe… J’espère que cela ne vous pose pas de problème, ajouta-t-elle d’un ton ironique.
– Pas le moins du monde, répondit-il précipitamment. Maupas n’éprouvait aucune réticence à travailler avec une femme – seule la compétence entrait en ligne de compte pour lui, mais il pensait déjà aux calembours machistes et sûrement vaseux que Pivert ne manquerait pas d’inventer sur le nom de famille du commandant.
– J’ai bien conscience que je prends mes fonctions à un moment difficile pour l’équipe, reprit-elle, mais j’ai l’intention de tout faire pour que ça se passe le mieux possible.
– Je suis sûr que tout ira bien, je vous aiderai du mieux que je peux. Je reste toujours disponible et prêt à aller sur le terrain si nécessaire. Mais prenez place. Nous avons beaucoup de choses à voir.
La jeune femme s’assit bien droite dans un des fauteuils, et Maupas en profita pour récupérer la chemise cartonnée contenant le dossier du nouveau chef de groupe, le premier sur la pile de son bureau. Seuls le nom, le prénom et le grade de l’intéressée apparaissaient sur la couverture. Et c’est tout ce qu’il avait regardé jusqu’à présent. Décidément, la disparition de Zarkas l’avait affecté au point de lui faire perdre son professionnalisme.
Sans chercher à masquer davantage son ignorance, il ouvrit le dossier et parcourut les documents.
– Voyons voir… Diplôme de criminologie, Ensop2. à Cannes-Écluse, SRPJ à Nice puis Lyon, passage à la Brigade de Répression du Proxénétisme, excellentes appréciations… Belle carrière ! Je comprends maintenant pourquoi on vous a nommée chef de groupe.
– On fait ce qu’on peut, Commissaire. Surtout quand on est blonde.
– Mon commentaire était spontané et dénué de toute ironie, précisa Maupas, agacé par l’acidité de la réplique.
Claude Chaudron sembla se détendre un peu.
– Pardonnez-moi. Ce n’est pas toujours facile d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin. Mais il y a des précédents… Cette maison fut dirigée un temps par une femme3..
– Qui, vous devez le savoir, a été très appréciée ici. Je vous le répète, en ce qui me concerne, cela ne pose aucun problème (il se morigéna intérieurement car cette formulation pouvait laisser entendre que ce ne serait pas le cas pour tout le monde). Bon, au travail ! Laissez-moi vous dire quelques mots à propos des membres de votre groupe. Votre adjoint sera le capitaine Maurice Pivert, récemment promu à ce grade. Vous verrez, c’est un excellent policier, pas toujours très diplomate, mais efficace et fiable. Vos 3e et 4e de groupe sont les lieutenants Ange Robin et Sami Helal. Les 5e et 6e les lieutenants Nathalie Machaut et Alain Versoni. Vous allez les rencontrer dès maintenant car nous avons un homicide sur les bras. Et l’enquête s’annonce délicate car il s’agit d’un producteur connu de films pornographiques. Pour ne rien vous cacher, lorsque vous êtes entrée, je vous ai prise pour une journaliste. Je suis un peu perturbé aujourd’hui, ajouta-t-il avec franchise. Nous venons d’assister à l’enterrement de votre prédécesseur.
– Je suis au courant, Commissaire, et croyez bien que je mesure le choc pour vous et les membres du groupe. Vous pouvez compter sur moi pour procéder en douceur. Et je n’hésiterai pas à vous demander conseil.
Son sourire se faisait avenant. La glace était-elle déjà rompue ? Restait à voir comment Claude Chaudron serait accueillie.
– J’appelle votre équipe, dit-il en décrochant son téléphone. Réunion dans un quart d’heure. En attendant, je vous montre votre bureau.
*
Maupas fit mine d’ignorer l’air renfrogné de Pivert devant celle dont il serait désormais l’adjoint. Une fois les présentations faites, il alla droit à l’essentiel :
– Pivert, faites-nous la synthèse des éléments dont nous disposons.
Malgré son mauvais caractère, le capitaine était avant tout un professionnel, attaché aux missions qu’on lui confiait. Il ouvrit son carnet noir et lut :
– Maxime Laurent a été découvert hier matin vers neuf heures à son domicile, avenue Mozart, par la femme de ménage. Il avait été ligoté dans son lit puis poignardé, ses organes génitaux ont été sectionnés et placés dans sa bouche. Son corps baignait dans une mare de sang impressionnante. La pauvre femme a eu du mal à se remettre du spectacle.
Le détail sinistre rappela à Maupas les photos trouvées une dizaine d’années plus tôt dans le bureau d’un tueur en série4..
– Le décès remonte à la veille au soir, aux alentours de vingt heures trente, ajouta Pivert. M. Laurent a été mutilé avant d’être tué.
Ce détail abominable fut accueilli par un silence pesant.
– Un ou plusieurs coups de couteau ? s’enquit le commissaire.
– Quatre, en pleine poitrine, assénés avec une grande violence : le couteau plongé jusqu’à la garde a perforé le cœur et le poumon gauche. L’arme du crime est sans doute un poignard à lame de dix-sept centimètres, de type commando. On en trouve partout…
Maupas éprouvait la désagréable impression de revivre son enquête sur les meurtres de la Goutte d’Or. Pourtant, leurs auteurs n’étaient plus de ce monde depuis dix ans !
– Aucune trace d’effraction ni de lutte. Laurent connaissait peut-être son assassin. De nombreuses empreintes à analyser. Pour l’instant, on a identifié les siennes et celles de la femme de ménage. Il vivait seul. Je précise qu’une cache secrète, très bien dissimulée entre deux lattes de parquet, a été trouvée ouverte… et vide.
– Donc, si je comprends bien, résuma le commissaire, le meurtrier s’est acharné sur sa victime. Et il a laissé un message : la castration.
– On peut dire ça. L’autopsie n’a rien apporté de plus. On va éplucher son carnet de rendez-vous, ses appels téléphoniques… On ne pouvait pas s’y mettre ce matin, rappela Pivert en jetant un regard indéfinissable à son nouveau chef de groupe, restée silencieuse pendant son exposé.
– Bien sûr. Vous ferez le point dès que possible avec le commandant Chaudron. Il se tourna vers cette dernière, impatient de la voir prendre la direction de l’enquête. Commandant, avez-vous des remarques ?
Consciente de l’atmosphère un peu tendue, elle se lança :
– Étant donné sa profession, sait-on si la victime a fait l’objet de menaces ? Maxime Laurent vivait seul, mais je suppose qu’il recevait du monde. Peut-être des candidates avides d’une carrière cinématographique, on va dire un peu particulière ?
– Bien vu, Chef, répondit Pivert. Maupas nota avec satisfaction le titre : le capitaine jouait le jeu. On n’a pas encore eu le temps de tout éplucher, mais on sait déjà qu’il aimait sélectionner lui-même les futures vedettes de ses films, si vous voyez ce que je veux dire… Son salon ressemble – passez-moi l’expression – à une chambre de bordel. Il y a tout ce qu’il faut : grand canapé recouvert de fourrure synthétique, lecteur de DVD et système de projection perfectionné genre home cinéma, éclairage tamisé.
– Du travail de fourmi en perspective du côté des maris et des compagnons des actrices, conclut Claude Chaudron.
*
Quelques minutes après la fin de la réunion, Pivert s’annonça à nouveau dans le bureau du commissaire principal.
– Patron, je voulais vous dire…
Cette fois, Maupas riait sous cape. Lorsqu’il avait remplacé son ami Zarkas, il avait eu droit à « Chef ». Désormais, c’était « Patron ». Tout se remettait en place.
– Oui, capitaine ?
– Euh… Vous croyez que c’est une bonne idée d’avoir comme chef de groupe une femme ? En plus, elle n’est pas mal roulée, ça va faire des histoires…
– Écoutez Pivert, il faut vivre avec son temps ! Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la police, et je m’en réjouis. En outre, d’après son dossier, nous récupérons une personne de grande qualité. Alors, comme d’habitude, je peux compter sur vous, n’est-ce pas ?
– Bien sûr, Patron. C’est vous qui savez. Moi, ce que j’en disais…
*
Nous sommes cachés sous le lit. Je sais, on n’a pas le droit d’être là, mais on s’est fait surprendre par le retour imprévu de notre mère. Ça fait longtemps qu’on a trouvé le truc pour entrer dans cette chambre interdite et au décor bizarre, mais c’est la première fois qu’on y est piégés. Maman ramène habituellement ses amis bien plus tard, après nous avoir couchés. Qu’est-ce qu’on va prendre si elle nous trouve ici ! Charles tremble de peur. Je lui serre le bras pour l’aider à se tenir tranquille. Dès qu’ils seront partis , on essaiera de sortir de là et de quitter la chambre sans se faire voir.
On ne dirait pas que c’est un ami. Il n’a pas du tout l’air gentil avec maman. Il lui parle mal, on entend des insultes. Charles est terrorisé.
D’un coup, le matelas heurte notre dos. Je retiens un cri. Ils ont dû se laisser tomber sur le lit. Mais qu’est-ce qu’ils font ? Les éclats de voix sont plus proches. Je ne comprends pas ce que le monsieur lui dit, ça doit être des gros mots.
Un bruit sourd suivi d’un gargouillis affreux. Maman, qu’est-ce qui se passe ? Bientôt, j’entends un plic-plic sur le sol. Devant moi, un liquide rouge s’écoule. Du sang ! Il a fait du mal à maman ! Je ne sais pas pourquoi, mon instinct me souffle de ne pas faire un bruit. Sinon, j’en suis sûr, il va s’en prendre à nous aussi. Charles est sur le point de hurler. Je lui couvre la bouche de ma main.
Maintenant, un bruissement nous parvient. Horrifié, j’aperçois des intestins qui dégoulinent avec le sang. Je ne sais par quel miracle nous parvenons à rester silencieux.
Des bruits de pas précipités, la porte claque. Le silence. Maman ne dit plus rien. Je suis sûr qu’elle est morte.
Il a tué maman.
*
Le père Auffret guettait le retour du professeur Banari dans la salle d’attente. Comme d’habitude, celui-ci avait répondu lui-même au téléphone et avait proposé un rendez-vous d’urgence. La consultation se tenait dans le nouveau bâtiment de l’hôpital Tenon, à l’architecture de paquebot ; examen d’urines sur place, puis échographie des reins. Maintenant, le médecin téléphonait au labo pour avoir le résultat de l’examen bactériologique, car il persistait un doute sur une infection urinaire, complication fréquente des calculs rénaux. Avec lui, ça ne traînait pas ! Et son enthousiasme, aussi vif qu’au premier jour, montrait à ceux qui en douteraient qu’il existe encore des médecins passionnés par leur métier. Sa silhouette était restée celle d’un homme jeune, athlétique et mince. Seuls ses cheveux cendrés trahissaient son âge.
Le père Auffret avait rencontré le professeur Banari un soir, à l’église, après la messe de dix-neuf heures. Celui-ci s’était attardé pour bavarder avec le prêtre, avouant qu’il ne pratiquait pas souvent, mais qu’il lui arrivait, comme ce soir-là, d’entrer dans une église pour assister à la messe ou pour dire une prière. Il aimait Saint-Séverin, et il avait la chance d’habiter à proximité. Les deux hommes sympathisèrent, et Banari revint voir le père à plusieurs reprises. Heureux en ménage, le professeur avait trois filles, dont l’aînée, Hélène, venait de fêter ses trente-cinq ans5.. Il respirait une telle bonté que le père Auffret n’éprouvait aucune crainte pour le salut de cet homme… Apprenant au cours d’une conversation ses problèmes de coliques néphrétiques à répétition, le médecin lui proposa de venir consulter à l’hôpital, où il le recevait depuis, à tout moment, malgré ses multiples occupations, en oubliant une fois sur deux de le faire passer à la caisse des soins externes…
L’ecclésiastique reconnut le pas énergique de Banari, dont la haute silhouette apparut à l’extrémité du couloir des consultations.
– Venez, Mon Père.
Il le suivit dans son bureau. La table de travail était encombrée de documents, parmi lesquels une photo encadrée où on le voyait rayonnant, entouré de sa femme et de ses trois filles.
– Rien de grave. Il n’y a pas d’infection, juste un peu de sang dans les urines, ce qui peut correspondre au passage d’un petit calcul. On ne voit rien sur les radios, je pense donc qu’il a été éliminé. Vous n’avez rien senti en urinant ?
– Non, Professeur, je n’ai rien remarqué.
– Et vous n’avez plus mal ce matin ?
– La douleur est passée.
– Alors, c’est sûrement un petit calcul qui a provoqué cette nouvelle crise, et il est parti tout seul. Comme je vous l’ai déjà dit, c’est fréquent avec cette maladie de Cacchi et Ricci que nous avons diagnostiquée chez vous6.. Êtes-vous certain que vous buvez suffisamment ? Attention au vin de messe7. ! ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
– Peut-être devrais-je boire davantage, en effet. J’essaie de me forcer, pourtant. Mais vous savez, Professeur, je suis sûr que c’est un signe…
Banari leva les deux mains en signe de protestation amicale, sans cesser de sourire.
– Ne m’entraînez pas sur ce terrain-là, Mon Père. Vous connaissez ma position sur le sujet ! À ce propos, dit-il, redevenant sérieux, vous n’avez toujours aucune nouvelle de votre frère ?
Au fur et à mesure de leurs entretiens, le prêtre, convaincu de la discrétion de son interlocuteur, s’était laissé aller à livrer quelques secrets d’enfance.
– Je crains bien d’en avoir eu hier soir, soupira-t-il.
1 Voir Homicide par précaution, Éditions Glyphe, 2010.
2 École nationale supérieure de police.
3 Martine Monteil a été la première femme à occuper le poste de chef de la brigade de répression du banditisme de Paris en 1994, puis de la brigade criminelle en 1996, avant d’être nommée à la tête de la DRPJ (Direction régionale de la police judiciaire) en 2002.
4 Voir Meurtre pour de bonnes raisons, Éditions Glyphe, 2009.
5 Voir Meurtre avec prémédication, Éditions Glyphe, 2007.
6 Maladie congénitale bénigne, caractérisée par une dilatation des petits canaux collecteurs conduisant l’urine aux calices rénaux (« rein en éponge ») ; elle est souvent révélée par des coliques néphrétiques liées à la formation de petits calculs.
7 Le vin de messe utilisé aujourd’hui est presque toujours du vin blanc, qui a la réputation de favoriser les calculs urinaires.