« Une nouvelle drogue inquiétante vient de faire son apparition sous la forme d’un liquide transparent à l’odeur caractéristique. Plusieurs cas d’overdoses mortelles ont déjà été rapportés aux autorités. Il semblerait en outre que cette drogue favorise le passage à l’acte criminel ou suicidaire. Sous intoxication, les consommateurs perdent la notion du danger et s’engagent plus facilement dans des actes violents ou risqués. Les hôpitaux ont ainsi constaté une multiplication des cas de morts violentes et de séquelles physiques graves, en particulier chez les jeunes consommateurs. Les études scientifiques ont démontré que la consommation chronique de cette drogue est toxique pour le foie, favorise le cancer de divers organes et détruit les neurones. Une consommation régulière de quantités importantes de cette drogue peut ainsi conduire à un état de démence irréversible. Plus inquiétant encore, la consommation chronique de cette drogue induit une forte dépendance chez un consommateur sur 20 environ, augmentant ainsi fortement la probabilité qu’ils subissent l’ensemble des conséquences décrites ci-dessus. La dépendance à cette drogue aspire les consommateurs dans une spirale négative qui les mène souvent à la déchéance sociale et à une mort prématurée1. »
À lire la description ci-dessus, il ne fait guère de doute que la majorité des lecteurs se prononcerait pour une interdiction légale immédiate de cette nouvelle drogue aux conséquences néfastes. Et pourtant, ce paragraphe, à l’exception de la mention « nouvelle drogue », présente très exactement les propriétés de l’une des drogues légales les plus consommées dans les pays occidentaux : l’alcool. Quoi de plus répandu que la consommation d’alcool ? Dans nos sociétés occidentales, l’alcool accompagne tous les événements festifs ou importants de la vie. Du baptême au mariage en passant par les fêtes de fin d’année ou les simples dîners entre amis, il n’y a pas une occasion festive sans alcool. Il est d’ailleurs inimaginable d’organiser une fête sans proposer d’alcool. En chiffres, cela se traduit par une forte proportion de consommateurs d’alcool dans la population. Au niveau mondial, 55 % des individus âgés de plus de 15 ans consomment de l’alcool, que ce soit de manière modérée ou excessive, occasionnelle ou chronique. Les Européens en particulier sont de gros consommateurs. Plus de 80 % de la population européenne consomment de l’alcool et la consommation moyenne est de 12,5 litres d’alcool par an et par individu (de plus de 15 ans), alors que la moyenne mondiale est de 6,1 litres2. La consommation d’alcool est à ce point banalisée que ses dangers sont souvent méconnus du public.
À côté des effets négatifs nombreux qui apparaîtront dans les réponses aux différentes questions de cet ouvrage, il faut cependant reconnaître à l’alcool certains effets positifs qui sont rarement mis dans la balance lors d’une évaluation des conséquences de la consommation d’alcool pour la société. Il faut d’abord mentionner les intérêts économiques liés à l’alcool. Pour le marché du travail, par exemple, l’alcool représente des dizaines de milliers d’emplois, depuis le viticulteur jusqu’au barman. Même si on fait abstraction des aspects économiques, on ne peut nier certains bienfaits de l’alcool, en particulier en termes de relations sociales. Il suffit d’observer comment un petit verre d’alcool en apéritif améliore grandement la convivialité, particulièrement dans les situations un peu tendues. En ce qui concerne les effets sur la santé, il est indéniable que l’excès d’alcool est particulièrement nuisible. Il existe cependant une littérature scientifique démontrant des effets positifs sur la santé de la consommation de quantités modérées de certaines boissons alcoolisées. Ce mélange d’effets positifs et négatifs explique que le public a développé une relation d’amour-haine avec l’alcool. D’un côté, les abstinents complets sont parfois qualifiés de rabat-joie parce qu’ils ne participent pas à l’alcoolisation collective lors des événements festifs. Pour vous en convaincre, il vous suffit de réaliser la petite expérience suivante. Lors de la prochaine fête à laquelle vous participerez, refusez systématiquement toute boisson alcoolisée. Assez rapidement, il faudra vous justifier, voire vous excuser (« Tu es enceinte ? », « Tu es malade ? », « C’est toi qui reprends le volant ? »). Cela démontre à quel point la consommation d’alcool est un comportement normatif dans notre société. À l’inverse, les alcooliques chroniques qui ne peuvent s’empêcher de boire en dehors des contextes festifs ont très mauvaise presse. Ils sont considérés comme des poivrots ou des ivrognes incapables de se contrôler. Assez paradoxalement, la société blâme donc ceux qui sont tombés dans le piège qu’elle a elle-même tendu. Si la majorité des personnes contrôlent leur consommation d’alcool, une faible proportion des individus montrent une perte de contrôle progressive sur leur propre consommation d’alcool. Pour cette proportion de personnes qualifiées d’alcooliques ou d’alcoolo-dépendantes, les études épidémiologiques citent souvent les chiffres alarmants de 5 à 10 % de la population dans les pays occidentaux. L’alcoolo-dépendance est une source de beaucoup de souffrances pour le patient et son entourage (on dit que l’alcool est un « tueur de familles ») et mène souvent à une déchéance dramatique.
En dépit de l’importance de la consommation d’alcool dans notre société, de nombreuses idées reçues, certaines fondées, d’autres non, sont véhiculées à propos de l’alcool et de ses conséquences. Par ailleurs, le sujet « alcool » soulève beaucoup de questions sans réponse chez la plupart des gens. Par exemple : « L’alcool est-il une drogue ? », « Peut-on boire de l’alcool pendant la grossesse et en quelles quantités ? », « L’alcool est-il aphrodisiaque ? », « Une de mes connaissances boit un verre de vin tous les soirs, est-elle alcoolique ? » Ce livre a pour but de répondre à ces questions et à bien d’autres encore à propos de l’alcool. 41 questions qui paraissaient pertinentes aux auteurs ont été sélectionnées. L’objectif n’est pas de se borner à répondre « oui, c’est vrai », « non, c’est faux » ou, dans certains cas, « c’est possible ». Notre objectif est de fournir les explications, appuyées sur l’état des connaissances scientifiques actuelles, qui permettent de confirmer ou d’infirmer ces idées reçues ou de répondre à ces questions. Nous tentons de nuancer le propos lorsque la réponse n’est pas de l’ordre du tout ou rien. De manière générale, nous essayons de donner certaines balises (littérature scientifique à l’appui), en espérant qu’elles puissent être utiles au lecteur. Le niveau du texte a été ajusté de manière à ce qu’il soit accessible aux personnes qui n’ont pas de connaissances médicales spécifiques. Cet ouvrage collectif, rédigé par des spécialistes de différentes disciplines tels que médecins, pharmaciens, psychologues, sociologues, criminologues ou juristes, n’est pas nécessairement destiné à être lu d’une traite. Au contraire, le lecteur est invité à lire ou à consulter les différents chapitres au gré de ses interrogations ou de l’intérêt suscité par l’une ou l’autre question. Les différents points abordés sont donc essentiellement indépendants les uns des autres, même si les réponses aux questions ne manqueront pas de susciter de nouvelles interrogations qui renverront à d’autres parties de l’ouvrage.
Les questions sont réparties selon huit thèmes généraux.
Thème 1 : Les effets positifs de l’alcool
Thème 2 : Les effets négatifs de l’alcool sur la santé
Thème 3 : Les effets négatifs de l’alcool sur le comportement
Thème 4 : L’ivresse
Thème 5 : L’alcoolisme
Thème 6 : Qui consomme de l’alcool, comment et combien ?
Thème 7 : Quel est le coût de l’alcool pour la société ?
Thème 8 : Divers
Note : Dans notre livre, nous utilisons le terme « alcool », communément utilisé, pour « éthanol » ou « alcool éthylique », qui est son nom scientifique. Les autres molécules qui ont une fonction chimique de type alcool (par exemple le méthanol) sont dénommées par leur nom précis.
1. Librement inspiré de l’introduction au chapitre 6 du livre de David Nutt, Drugs without the hot air, UIT Cambridge Ltd, Cambridge, 2012.
2. Ces chiffres proviennent d’un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé et correspondent à des données récoltées en 2005. http://www.who.int/substance_abuse/publications/global_alcohol_report/msbgsruprofiles.pdf.
3. L’unité utilisée pour exprimer la teneur en alcool ou le titre alcoométrique volumique est le pourcentage volumique (%°vol) ou degré (noté °). Cela correspond au rapport entre le volume d’alcool, à la température de 20 °C, contenu dans le mélange et le volume total de ce mélange à cette température.
Sylvie Blairy
La recherche concernant les effets de la consommation d’alcool sur les états d’humeur ou les émotions a commencé il y a déjà plusieurs décennies. Différentes études en laboratoire ont montré que l’alcool peut avoir un effet positif sur l’humeur. Plus précisément, les auteurs rapportent que des doses faibles à modérées d’alcool4 ingérées par des personnes non alcooliques ou alcooliques peuvent augmenter les niveaux de joie, d’euphorie et d’allégresse ; les consommateurs sont plus extravertis et ressentent plus de sympathie pour les autres (Connors et Maisto, 1978; Levenson, Sher, Grossman, Newman et Newlin, 1980; McCollan, Burish, Maisto et Sobell, 1982; Ruch, 1993).
Plusieurs études ont également montré que l’alcool peut avoir un effet positif indirect sur l’humeur en réduisant certains états affectifs négatifs comme la tension, l’anxiété et la dépression (Levenson et al., 1980; Mayfield, 1968; Mayfield et Allen, 1967; McCollan et al., 1982; Williams, 1966). Toutefois, les résultats de l’étude de McCollan et collaborateurs (1982) n’indiquent pas de réduction des états affectifs négatifs tels que la tristesse, l’anxiété ou la fatigue. Au contraire même, certaines études indiquent qu’à haute dose, l’alcool peut augmenter les états affectifs négatifs, les sujets rapportant se sentir plus déprimés, plus en colère, plus fatigués, plus confus (Warren et Raynes, 1972).
L’inconsistance de ces résultats a plusieurs explications. On sait maintenant que l’alcool a sur l’expérience émotionnelle subjective des effets biphasiques de stimulation et de sédation. Après ingestion d’alcool, lorsque la concentration d’alcool dans le sang est ascendante, les effets sont plutôt stimulants, euphorisants. Les sujets rapportent généralement se sentir plus exaltés, bavards, excités, stimulés. Ensuite, lorsque la concentration d’alcool dans le sang est descendante, il y a un effet plus sédatif, dépressiogène. Les sujets rapportent avoir le cafard, des difficultés de concentration, se sentir plus mous, apathiques.
Ces effets de stimulation et de sédation sont dépendants non seulement de l’évolution ascendante ou descendante de la concentration sanguine, mais aussi de la dose d’alcool ingérée (Addicott, Marsh-Richard, Mathias et Dougherty, 2007; King, Houle, de Wit, Holdstock et Schuster, 2002). Bien que les données diffèrent quelque peu d’une étude à l’autre, il semblerait que l’effet stimulant puisse être obtenu pour une dose d’alcool ingérée de 0,6 g/kg (la quantité d’alcool présente dans un verre standard étant de 10 g, cette dose de 0,6 g/kg correspond à l’ingestion de 4 verres standards ou 4 unités d’alcool pour un individu de 70 kg ; voir les pages 13 à 15) durant la phase ascendante de la concentration d’alcool dans le sang (Addicott et al., 2007; Erblich, Earleywine, Erblich et Bovbjerg, 2003; Fillmore et Weafer, 2004). Mais d’autres études rapportent une absence d’effet significatif pour une dose d’alcool de 0,4 g/kg (Addicott et al., 2007; King et al., 2002). Finalement, les études indiquent que le délai pour ressentir l’effet stimulant peut varier en fonction des habitudes de consommation de l’individu. Plus précisément, après l’administration d’une dose de 0,8 g/kg, l’effet stimulant atteint son pic après un délai de 15 minutes pour les gros consommateurs d’alcool5 (King et al., 2002), 30 minutes pour les consommateurs modérés (Chi et de Wit, 2003) et 45 minutes pour les petits consommateurs.
En conclusion, les résultats des études scientifiques confirment ce que chacun a pu certainement expérimenter dans la vie : l’alcool peut rapidement remonter le moral, mais cet effet est temporaire.
Addicott, M. A., Marsh-Richard, D. M., Mathias, C. W., et Dougherty, D. M. (2007). The biphasic effects of alcohol : comparisons of subjective and objective measures of stimulation, sedation and physical activity. Alcoholism : Clinical and Experimental Research, 31, 1883-1890.
McCollan, J., Burish, B., Maisto, S., et Sobell, M. (1982). Alcohol’s effects on physiological arousal and self-reported affect and sensations. Journal of Abnormal Psychology, 89, 224-233.
Chi, H., et de Wit, H. (2003). Mecamylamine attenuates the subjective stimulant-like effects of alcohol in social drinkers. Alcoholism : Clinical and Experimental Research, 27, 780-786.
Connors, G. J., et Maisto, S. A. (1979). Effect of alcohol, instruction, and consumption rate on affect and physiological sensations. Psychopharmacology, 62, 262-266.
Erblich, J., Earleywine, M., Erblich, B., et Bovbjerg, D. H. (2003). Biphasic stimulant and sedative effects of ethanol : are children of alcoholic really different ? Addictive Behaviors, 28, 1129-1139.
Fillmore, M. T., et Weafer, J. (2004). Alcohol impairment of behavior in men and women. Addiction, 99, 1237-1246.
King, A., Houle, T., de Wit, H., Holdstock, L., et Schuster, A. (2002). Biphasic alcohol response differs in heavy versus light drinkers. Alcoholism : Clinical and Experimental Research, 26, 827-835.
Levenson, R., Sher, K., Grossman, L., Newman, J., et Newlin, D. (1980). Alcohol and stress response dampening : pharmacological effect, expectancy and tension reduction. Journal of Abnormal Psychology, 89, 528-538.
Mayfield, D. G. (1968). Psychopharmacology of alcohol. Affective changes with intoxication, drinking behavior, and affective state. The Journal of Nervous and Mental Disease, 146, 314-321.
Mayfield, D., et Allen, D. (1967). Alcohol and Affect. A psychopharmacological study. The American Journal of Psychiatry, 123, 1346-1351.
Ruch, W. (1993). Extraversion, alcohol and enjoyment. Personality and Individual Differences, 16, 89-102.
Warren, G. H., et Raynes, A. E. (1972). Mood changes during three conditions of alcohol intake. Quarterly Journal of Studies on Alcohol, 33, 979-989.
Williams, A. F. (1966). Social drinking, anxiety, and depression. Journal of Personality and Social Psychology, 3, 689-693.
4. Une faible dose d’alcool correspond à une dose qui donne une concentration dans le sang ne dépassant pas 0,5 g/l (voir les pages 13 à 15). Une dose modérée donne une concentration sanguine entre 0,5 et 1 g/l. Une dose élevée donne une concentration entre 1 et 1,5 g/l et une dose très élevée donne une concentration supérieure à 1,5 g/l.
5. Un gros consommateur est défini comme quelqu’un qui rapporte des habitudes régulières de consommation à partir de 10 consommations par semaine. Chez l’homme, 5 unités d’alcool doivent être consommées en une occasion, 1 à 4 fois par semaine (4 unités chez la femme). Un petit consommateur est défini comme quelqu’un qui consomme au maximum 5 unités d’alcool par semaine, avec 1 à 3 unités par occasion, 1 à 2 fois par semaine et qui n’excède jamais 5 unités par occasion (4 unités pour une femme).
Jacqueline Scuvée-Moreau et Vincent Seutin
Qu’en est-il du message largement répandu qu’une consommation légère à modérée d’alcool est bonne pour le cœur ? Est-ce prouvé scientifiquement ? Cela concerne-t-il tous les types d’alcool ou principalement le vin rouge ?
Les effets de l’alcool sur le système cardiovasculaire sont très différents selon la quantité consommée. Les effets délétères d’une consommation abusive d’alcool sont bien établis et incluent hypertension artérielle, cardiomyopathie et troubles du rythme. En revanche, de nombreuses études épidémiologiques suggèrent qu’une consommation modérée et régulière d’alcool est liée à une diminution du risque global de survenue d’une maladie cardiovasculaire. Deux meta-analyses6 des études réalisées entre 1950 et 2009 ont été publiées dans le British Medical Journal. Leur but était d’évaluer d’une part l’association entre l’alcool et divers problèmes cardiovasculaires (Ronksley, Brien, Turner, Mukamal et Ghali, 2011) et d’autre part l’effet de l’alcool sur les marqueurs biologiques associés aux maladies coronariennes (Brien, Ronksley, Turner, Mukamal et Ghali, 2011). Les conclusions de ces deux meta-analyses sont les suivantes : 1) une consommation faible à modérée d’alcool (1 à 2 unités/jour) est associée à un risque réduit de développer une maladie coronarienne ; 2) cette quantité d’alcool a un effet favorable sur le métabolisme lipidique7 et ce, quel que soit le type de boisson (vin, bière ou spiritueux).
Une idée reçue énoncée fréquemment est que le vin rouge a des vertus particulières et que sa consommation a des effets cardioprotecteurs que n’ont pas le vin blanc, le vin rosé, le champagne et la bière.
Il existe des différences importantes dans la composition chimique des divers types de boissons alcoolisées. En plus de l’éthanol, certaines boissons alcoolisées contiennent des substances susceptibles d’exercer des effets « protecteurs » sur certains organes. Le vin rouge en particulier contient beaucoup de polyphénols tels que le resvératrol. Ce dernier a montré des effets protecteurs sur le système cardiovasculaire, des effets antioxydants et des effets anticancéreux dans divers modèles expérimentaux chez l’animal. Certains résultats positifs ont également été observés chez l’être humain au niveau du système cardiovasculaire, à des concentrations similaires à celles qui pourraient être présentes dans le sang après consommation de vin rouge (pour un total de 2 unités d’alcool). Il est donc possible que le resvératrol participe aux effets favorables d’une consommation modérée de vin rouge sur le système cardiovasculaire. Il n’y a cependant aucune base à l’heure actuelle pour encourager la consommation de resvératrol (et de vin rouge !) en prévention du cancer ! D’autres substances antioxydantes et donc « protectrices » ont également été identifiées dans le vin blanc et dans la bière. Une étude toute récente de chercheurs suédois (Stackelberg, Björck, Larsson, Orsini et Wolk, 2014) suggère qu’une consommation modérée de vin ou de bière est associée également à un risque réduit d’anévrysme de l’aorte abdominale8. Les antioxydants présents dans ces deux types de boissons, vins et bières, pourraient donc avoir un effet bénéfique sur la paroi des vaisseaux sanguins en réduisant les processus inflammatoires. Un statut protecteur particulier semble pouvoir être attribué aux vins et aux bières… mais pas au vin rouge exclusivement.
Un consensus existe donc parmi les scientifiques pour dire qu’une consommation faible à modérée d’alcool est associée à un risque réduit de maladie cardiovasculaire.
Il faut souligner cependant la complexité des études épidémiologiques et le nombre de facteurs confondants possibles. Ainsi que le soulignent des chercheurs de l’Inserm-Paris, les données actuelles ne permettent pas d’établir avec certitude un lien de causalité entre consommation modérée d’alcool et bonne santé. Comme le soulignent ces chercheurs, une consommation modérée d’alcool peut également être le signe d’un statut socio-économique plus élevé associé à une meilleure santé générale (Hansel, Kontush et Bruckert, 2012).
Comme le déclare le Dr Leong, un des participants à l’étude INTERHEART, publiée en juin 2014 et visant à évaluer le lien entre consommation d’alcool et risque d’infarctus dans 52 pays (12 195 cas examinés), la prudence s’impose avant de recommander une consommation faible à modérée d’alcool, car il faut tenir compte du fait que celui-ci peut ne pas être protecteur pour toutes les personnes et est aussi impliqué comme cause de certains cancers et lésions. Il n’y a donc pas lieu de conseiller à quelqu’un de commencer à boire de l’alcool s’il n’en a jamais bu auparavant (Leong, Smyth, Teo, McKee, Rangarajan, Pais, … Yusuf, 2014).
En conclusion, le message à retenir actuellement reste le suivant : si vous consommez de l’alcool, faites-le avec modération !
Brien, S. E., Ronksley, P. E., Turner, B. J., Mukamal, K. J., et Ghali, W. A. (2011). Effect of alcohol consumption on biological markers associated with risk of coronary heart disease : systematic review and meta-analysis of interventional studies. British Medical Journal, 342 :d636.
Hansel, B., Kontush, A., et Bruckert, E. (2012). Is a cardioprotective action of alcohol a myth ? Current Opinion in Cardiology, 27, 550-555.
Inserm (2001). Alcool. Effets sur la santé. En ligne : http://www.inserm.fr/content/download/…/alcool_effets_sur_sante_2001.pdf.
Leong, D. P., Smyth, A., Teo, K. K., McKee, M., Rangarajan, S., Pais, P., … Yusuf, S. ; INTERHEART Investigators (2014). Patterns of alcohol consumption and myocardial infarction risk : observations from 52 countries in the INTERHEART case-control study. Circulation, 130, 390-398.
Ronksley, P. E., Brien, S. E., Turner, B. J., Mukamal, K. J., et Ghali, W. A. (2011). Association of alcohol consumption with selected cardiovascular disease outcomes : a systematic review and meta-analysis. British Medical Journal, 342 :d671.
Stackelberg, O., Björck, M., Larsson, S., Orsini, N., et Wolk, A. (2014). Alcohol consumption, specific alcoholic beverages, and abdominal aortic aneurysm. Circulation, 30, 646-652.
6. Une méta-analyse est une démarche statistique combinant les résultats de diverses études indépendantes sur un problème donné. Elle permet une analyse plus précise des données par l’augmentation du nombre de cas étudiés. Cette démarche est souvent utilisée en médecine pour l’interprétation globale d’études cliniques parfois contradictoires.
7. La consommation d’alcool augmente spécifiquement la concentration des lipoprotéines de haute densité (HDL, high density lipoprotein) qui constituent la fraction du cholestérol plasmatique dite protectrice (« bon cholestérol »). Les mécanismes impliqués sont probablement multiples (Inserm, 2001).
8. Dilatation important de l’aorte à ce niveau, qui est souvent causée par l’athérosclérose et peut aboutir à une rupture gravissime de celle-ci.
Étienne Quertemont
Après un exercice physique par temps chaud, quoi de plus désaltérant qu’une bonne bière bien fraîche ? Et pourtant, l’impression gustative de fraîcheur est trompeuse, car la bière contient de l’alcool, une substance qui peut renforcer l’état de déshydratation.
Les propriétés déshydratantes de l’alcool résultent directement de son action diurétique. Par des mécanismes qui ne sont pas encore totalement élucidés, l’alcool est un inhibiteur de la production de vasopressine, l’hormone antidiurétique. Cette hormone produite dans l’hypothalamus a pour fonction de prévenir la déshydratation. Son action principale se situe au niveau des reins où elle provoque une réabsorption de l’eau qui serait sinon éliminée dans les urines. La quantité d’urine produite à un moment donné et sa dilution sont donc directement liées à la concentration de vasopressine circulant dans le sang. Par ailleurs, l’hormone antidiurétique intervient aussi dans le déclenchement de la sensation de soif. En cas de déshydratation, par exemple lors d’une activité physique intense dans un environnement surchauffé, le cerveau réagit par une libération de vasopressine. L’augmentation de la concentration sanguine de vasopressine provoque une sensation de soif et la réabsorption de l’eau à partir de l’urine. Avez-vous noté que la première urine émise après un exercice physique important (par exemple un jogging d’une heure par temps chaud) est plus foncée que les suivantes ? Ceci est dû au fait que la concentration des pigments urinaires est plus élevée à cause de la réabsorption de l’eau. L’inverse se produit en cas de consommation d’alcool. En inhibant la libération de vasopressine, il provoque indirectement une dilution des urines. Les mictions9 sont plus fréquentes également à cause de l’augmentation de volume plus rapide dans la vessie. Cet effet diurétique de l’alcool est facilement observable en cas d’intoxication éthylique. Dans ces conditions, la quantité d’eau excrétée dans les urines excède les quantités ingérées dans les boissons alcoolisées. Il en résulte un état de déshydratation dont les effets participent à la « gueule de bois » du lendemain. En effet, une partie des symptômes de la gueule de bois s’expliquent par l’état de déshydratation de l’organisme : bouche sèche, sensation de soif, maux de tête. Il est d’ailleurs possible de réduire l’intensité de ces symptômes en buvant plusieurs verres d’eau avant de se coucher.
En situation de déshydratation, par exemple après un effort physique intense, que se passe-t-il si l’on essaie de se réhydrater avec des boissons alcoolisées ? Les effets diurétiques de l’alcool vont contrecarrer le principal mécanisme adaptatif de l’organisme qui est la libération de vasopressine. L’alcool contenu dans la boisson contribuera donc à entretenir l’état de déshydratation plutôt qu’à le réduire. S’il est très agréable de boire une bière bien fraîche après un effort physique, cette consommation n’est donc pas susceptible d’apaiser correctement la sensation de soif. Indépendamment des sensations gustatives qui peuvent être trompeuses, boire de l’eau reste donc la manière la plus efficace de se désaltérer.
Hobbs, W. R., Rall, T. W., & Verdoorn, T. A. (1996). Hypnotics and Sedatives, ethanol. In J.G. Hardman, L. E. Limbird, P. B. Molinoff, R. W. Ruddon, A. Goodman Gilman (Éds), The Pharmacological Basis of Therapeutics. New York, USA : Ninth Edition, The McGraw-Hill Companies.
9. Émissions d’urine.
Ezio Tirelli
Il importe avant tout de préciser ce qu’il convient d’entendre par substance aphrodisiaque tout court. Scientifiquement, l’effet principal intrinsèque d’une telle substance doit consister à accroître le désir, la puissance et le plaisir sexuels chez l’homme ou chez la femme en agissant directement sur le cerveau et le fonctionnement mental, à savoir sur les mécanismes responsables de la motivation et du comportement sexuels. En réalité, les aphrodisiaques produisent également d’autres effets somatiques et psychologiques étrangers à la sexualité dont beaucoup peuvent être inconfortables, voire nocifs (céphalées, vertiges, aggravation de problèmes cardiovasculaires, hépatiques ou rénaux). Les aphrodisiaques les plus convaincants sont sans doute les molécules synthétisées à des fins thérapeutiques (mais pas toujours autorisées) pour lutter contre les déficits plus ou moins pathologiques de la sexualité. Les premiers aphrodisiaques scientifiquement reconnus sont les agonistes des récepteurs de l’hormone mélanotrope, en particulier le brémélanotide. Ce peptide, pris via un spray nasal, attise de manière stable le désir sexuel chez l’homme comme chez la femme, et peut même provoquer des érections spontanées (Shadiack, Sharma, Earle, Spana et Hallam, 2007). Il pourrait aussi promouvoir le plaisir sexuel proprement dit. D’autres molécules, en modifiant l’activité de certains neurotransmetteurs, facilitent l’érection et le désir sexuel, comme la cabergoline (agoniste des récepteurs D2 de la dopamine) qui entraînerait même des orgasmes multiples et des excitations sexuelles post-orgasmiques de longue durée (Krüger, Haake et Haverkamp, 2003). Par ailleurs, il est admis qu’un des principaux effets activateurs des psychostimulants – cocaïne, méthylphénidate, amphétamines, cathinones de synthèse et surtout methamphétamine – porte sur le désir et la puissance sexuels, surtout chez l’homme (Frohmader, Pitchers, Balfour et Coolen, 2010). Quelques études récentes suggèrent que diverses plantes, dont certaines sont médicinales, pourraient être des aphrodisiaques de la sexualité masculine. Cependant, ces études sont de piètre qualité et les effets indésirables restent inexplorés (Kotta, Ansari et Ali, 2013). Ce que l’on sait d’innombrables substances employées pour stimuler la sexualité depuis des siècles – aliments, arômes, épices, herbes, extraits divers et autres produits naturels (pour un délicieux historique, voir Camporesi, 1997) – ne permet pas de les considérer comme de réels aphrodisiaques pharmacologiques. Notons que le célèbre Viagra (silfédanil) et ses molécules apparentées ne peuvent être considérés comme des aphrodisiaques car leurs effets intrinsèques – facilitation et prolongation de la tumescence pénienne – dépendent de mécanismes périphériques et ne concernent pas directement le désir et le plaisir sexuels qui relèvent du cerveau, même si ceux-ci sont parfois suscités et attisés par la perception des changements péniens.
Il y a fort à parier que l’alcool absorbé à des quantités faibles à modérées constitue la substance la plus utilisée à des fins aphrodisiaques, en particulier dans les pays occidentaux. En réalité, bien que la facilitation des comportements sexuels associée à la consommation d’alcool soit réelle et objectivée, il n’y a pas de preuve scientifique que cet effet résulte d’une action neuro-psycho-pharmacologique, intrinsèque et directe de l’alcool (George et Stoner, 2000). À proprement parler, l’alcool ne peut donc pas être considéré comme un aphrodisiaque. En fait, la recherche indique que la facilitation sexuelle associée à la consommation d’alcool résulte plutôt d’un processus de désinhibition psychologique, un effet général de l’alcool sur le cerveau et le fonctionnement mental, et surtout de la croyance que des effets aphrodisiaques sont nécessairement produits par l’absorption d’alcool. En d’autres termes, ces effets constituent des effets attendus résultant d’attentes sexuelles (Crowe et George, 1989; George et Stoner, 2000; Diaz, 1997; Gilmore, George, Nguyen, Heiman, Davis et Norris, 2013).
Absorbé en quantités élevées, l’alcool induit des effets d’engourdissement et d’anesthésie qui prennent le pas sur la désinhibition