I
Lundi 16 mai 1994
J’AI EU soixante-quinze ans mardi dernier… Ce n’est pas particulièrement drôle, mais il paraît que c’est la vie. Hier dimanche mes enfants m’ont invité à déjeuner au restaurant et m’ont offert un appareil pour écouter les disques compacts et quelques disques pour aller avec. C’est une petite boîte plate, pas beaucoup plus grande qu’un camembert. Ça se branche sur un ampli, c’est extraordinaire. Je ne suis pas un grand écouteur de musique, mais il faut avouer que c’est tout de même de la belle mécanique ! Il y avait aussi un nouveau stylomine en argent avec mon nom et la date gravés dessus, avec lequel j’écris en ce moment. Ils étaient très contents de me faire ce plaisir. C’est ça, la famille, et ce n’est pas si mal, après tout. J’ai pensé beaucoup de mal de la famille, quand j’étais jeune (j’ai failli écrire quand j’étais plus jeune !). J’en ai même dit. Chacun réagit comme il peut, moi, je me défendais… Et puis j’y suis revenu, à la famille. Les enfants, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants bientôt… Je ne suis pas mécontent, je suis même assez fier, comme si j’y étais pour quelque chose. En fin de compte, cette fête d’hier m’a fait du bien, les enfants ont eu raison d’insister. Au début j’avais protesté, ah non ! pas de fête, c’est idiot, ce n’est pas drôle du tout d’avoir soixante-quinze ans. Et Nina avait répondu : « C’est en tout cas plus drôle que de ne pas les avoir… », avec une drôle de voix un peu agressive, et j’ai cru entendre sa mère. J’ai dit :
— Je ne t’ai pas encore demandé des nouvelles de ta mère, Nina.
Et elle :
— Maman ? Oh elle va très bien. Elle m’a dit de t’embrasser pour tes soixante-quinze ans.
Alors quelque chose m’a décidé, et j’ai été d’accord pour la fête avec tous les enfants, les petits-enfants et les copains des uns et des autres, puisque c’est comme ça qu’on dit maintenant.
Mais je n’ai pas osé dire à Nina d’inviter Anna. Pas osé. Pourtant, je crois que ça m’aurait fait plaisir qu’elle soit là. Et peut-être qu’à elle aussi ? Et qu’est-ce que je risquais à demander à Nina ? On s’est toujours bien entendus, Anna et moi, surtout depuis qu’on ne vit plus ensemble. Mais je n’ai pas osé. À mon âge ! Ceci dit, je n’ai pas non plus demandé qu’on invite Mathilde, mais, c’est maintenant que j’y pense, dimanche, ça ne m’est absolument pas venu à l’esprit. Pourtant, je l’aime bien aussi, Mathilde, mais c’est bizarre à dire, elle fait moins partie de ma famille qu’Anna. Anna, c’est comme une sorte de sœur maintenant, alors que Mathilde reste une femme, une ex-femme qui est sortie de ma vie en tant que telle.
Enfin, de toute façon, c’était une belle fête, comme on dit. Après le restaurant, on est tous allés chez Nina et il y avait un gâteau. Sans jeu de mots, je me sentais un peu gâteux, j’avais l’impression de retomber en enfance. Un gâteau ! Ça fait bien soixante ans que je n’avais pas eu de gâteau pour mon anniversaire ! Sur le moment, j’ai été un peu agacé, presque honteux. Je n’ai jamais aimé être au centre d’un lieu commun. Alors un gâteau avec des bougies, sept grosses et cinq petites, et moi en train de les souffler ! Un moment, j’ai pensé : « Mets ta canadienne, Joseph, prends ta moto, tire-toi de ce rêve, t’as pas soixante-quinze ans, mon fils, et les copains t’attendent… » Et puis Marie m’a glissé dans l’oreille : « Alors grand-père, tu dors ? » et j’ai soufflé les bougies sous les applaudissements. Eh oui. Et j’en ai été bien content. On a fait des photos. Pour le gâteau, Nina avait invité David et sa famille et ils étaient tous venus. Tous ! Ça, ça m’a soufflé, comme les bougies du gâteau. Pas seulement David et Léa, mais aussi leurs deux enfants, Patrick et Thierry, avec leur famille. Tous. Ça faisait du monde finalement… « Tu vois, j’ai dit à David, on s’en est sortis tout de même ! » et il a souri. Mon frère ne sourit pas souvent, et rien que ça, ça valait la peine.
Finalement, et c’est seulement maintenant que je viens de le comprendre, c’est une formidable victoire que nous avons fêtée hier. Je crois d’ailleurs que sur le moment personne n’en avait conscience, et c’est tant mieux. Car il y a bien longtemps que chez nous personne n’avait eu soixante-quinze ans.
Je suis un peu fatigué aujourd’hui. Je suis rentré tard hier soir, parce qu’en partant de chez Nina David m’a proposé de passer chez lui – il habite à deux pas – pour boire un verre entre vieux. Léa est allée se coucher, et David a fait du thé. Sans rien dire, il a sorti les verres de l’armoire, et on a échangé un sourire, le deuxième au moins de la journée.
— Ils sont incassables ceux-là, dis donc.
— Pas tant que ça, a dit David, il n’en reste que trois. Heureusement que personne ne s’en sert…
Il a rempli les verres. On a bu le thé en silence un moment.
— C’était une belle fête…
— Ah oui. Merci d’être venu, avec tout ton monde…
— Arrête, Joseph, tu vas dire des bêtises (David a parfois un accent traînant qui me rappelle le Belleville de notre enfance), allez arrête, tiens. Et il a levé le verre de thé avec cérémonie et l’a choqué contre le mien, Mazel Tov, Joseph, et jusqu’à cent vingt ans !
Et on a eu les larmes aux yeux, comme deux vieux cons que nous sommes, pendant que onze heures sonnaient au carillon de la salle à manger.
Pour rentrer, j’ai appelé un taxi. David n’en revenait pas.
— Tu prends des taxis, maintenant ? J’aurai vraiment tout vu dans ma vie. Tout !
Il m’a raccompagné jusqu’en bas, parce que si on se dit au revoir ici, ça va réveiller Léa, pour une fois qu’elle arrive à dormir. On a attendu le taxi ensemble.
— C’est marrant, a dit David, Paris, la nuit, y a des fois où ça continue à me ficher la trouille…
Le taxi arrivait, je n’ai rien pu répondre. Je suis monté dedans.
— Allez salut, David, et merci pour tout.
— Merci à toi, mon vieux Jo.
David a claqué la portière, et j’ai donné l’adresse au taxi.
Mon frère a toujours été un drôle de type, et je crois que nous nous en sommes dit, ce soir, plus qu’au cours des cinquante années précédentes. C’est plutôt difficile de parler avec David, et puis, moi non plus, finalement, je ne suis pas du genre bavard.
Ce stylomine va finir par me donner des idées. Il est lourd, brillant, il tient bien dans la main. La mine est assez épaisse et grasse, on n’a pas besoin d’appuyer beaucoup pour écrire. C’est même agréable.
Souvent le matin, quand je me lève, je ne suis pas de très bonne humeur. J’ai mal dans le dos. J’ai une sale gueule dans la glace, cette barbe dure et blanche dans les plis du visage, j’ai de la peine à penser que c’est moi. Je me fais du café, j’écoute la radio et ça n’arrange guère mon humeur. Je me lave, je me rase, je m’habille… je traîne. Je n’ai jamais aimé le matin, même quand il ouvrait sur des jours pleins de projets et d’attentes. Alors maintenant… Je regarde mes mains en faisant mes tartines. Ces taches, ces veines, ces ongles durcis ! Et pourtant, dedans, c’est bien moi, pas d’erreur, je reconnais le contenu, pas l’enveloppe. Je la renie, l’enveloppe, et pourtant, être contre la gueule qu’on a, c’est comme être contre le temps qu’il fait, ou comme ce con que j’ai rencontré l’autre jour et qui était contre l’informatique. Alors je me secoue et j’essaye de limiter les dégâts. Avec l’âge, je suis devenu presque coquet. Je change de chemise, je mets des foulards… Ça fait rigoler Nina. Elle devrait pleurer au contraire, mais elle est encore trop jeune pour comprendre, et heureusement !
Il n’y a pas que ma tête de vieux qui me saute aux yeux le matin quand je me lève. Il y a aussi la journée qui s’étend, douze heures au bas mot, à remplir, à meubler, à essayer de me prouver que ça sert à quelque chose, à soixante-quinze ans, d’avoir encore envie de vivre. Je vais chercher mon courrier, le journal. Ça, c’est un bon moment. Avec les lettres de la banque, les avis de versement des retraites, les diverses associations d’anciens de ceci et d’amis de cela, il y a toujours du courrier dans la boîte. Je remonte. Je le lis. Je parcours L’Huma. Ça fait bien longtemps que je ne fais plus que la parcourir, surtout en semaine, parce que dans L’Huma-Dimanche, il y a des pages magazines très intéressantes. C’est ce que je réponds toujours à Jérôme. Il hoche la tête et change de sujet. De toute façon, c’est quelque chose dont je n’ai envie de discuter avec personne, et surtout pas avec Jérôme quand il me bassine avec ça. Je réponds tout de suite au courrier, quand il faut. Et c’est souvent après que les problèmes commencent. Bon, ce n’est pas tous les jours le cas. Il y a les courses, les visites à des copains malades, il y en a de plus en plus. Le vendredi, la permanence au bureau de la section à partir de quatorze heures, je pourrais presque dire que c’est le meilleur moment de la semaine. Parfois, je vais dire bonjour à David, mais jamais à l’improviste, Léa n’aime pas cela. Je téléphone avant et j’entends à sa voix si ça lui convient ou pas. Je vais aussi beaucoup au cinéma, à la séance de six heures, pour profiter de la carte vermeil. Et puis je reste chez moi à lire, j’aime bien cela aussi finalement. Des romans historiques, des biographies politiques, que mes enfants me conseillent, surtout Nina. Je viens de lire quelque chose sur la guerre d’Espagne et aussi Anna Karénine de Tolstoï, mais j’ai trouvé ça un peu long. Je ne lisais jamais quand j’étais jeune. Personne ne lisait autour de moi. À Buchenwald, il y avait des camarades qui se racontaient des livres, qui se passaient des poèmes sur des bouts de papier ramassés Dieu sait où. Qui les récitaient le soir à voix basse. Je n’oublierai jamais, en août 1944, un exemplaire des Yeux d’Elsa qui circulait dans le camp. Je n’ai jamais su comment il était arrivé là. On était au moins cinq mille Français dans le camp à l’époque, et tout le monde avait fini par en entendre parler. On recopiait les poèmes, on les apprenait par cœur. On ne connaissait pas le nom de l’auteur, en tout cas, moi, je ne le connaissais pas. Mais j’ai appris par cœur Le Pont de C et je me le récitais en marchant à la corvée (je le sais encore). Ce n’est qu’après 45 que j’ai appris de qui c’était et, de toute façon, je n’avais jamais entendu parler d’Aragon. À part l’école (mais l’école et moi ç’a toujours fait deux), c’était mon premier contact avec la littérature. À Buchenwald ! Tiens c’est marrant, je n’avais jamais vu les choses comme ça. Je n’y avais jamais pensé de cette façon. C’est ce portemine en argent, on commence à écrire, et puis ça part tout seul. Peut-être que je vais me mettre à écrire mes Mémoires pour mes petits-enfants ! Elles ne seraient pas plus bêtes que les autres, d’ailleurs, ni plus embêtantes à lire. C’est pas les trucs à raconter qui me manquent ! Joseph Blumenthal, Mémoires d’un vieux… D’un vieux quoi ? D’un vieux militant ? D’un vieux con ? D’un vieux Juif d’origine polonaise ? D’un vieux tout court ? Mémoires du génial inventeur de la machine à tricoter circulaire individuelle ? Oui, je pourrais faire tout un chapitre pour expliquer comment j’ai eu l’idée du tricotage en rond sur des petites machines à cartes perforées et comment on est devenus les rois du bas sans couture. Et même après 70 et l’invention du métier informatique, ils ont continué à avoir besoin de mon invention. Bon, ce n’est pas le moment de m’étendre sur ce sujet, mais c’est quelque chose dont je parlerais avec plaisir. Mon invention. Mon brevet. Et comment ça fait trente ans qu’on vit de ça, moi, les enfants et un peu aussi les femmes. Est-ce que c’est ce dont je suis le plus fier ? Non. Mais c’est ce que j’aurais le moins de mal à raconter. Ce qui viendrait le plus facilement…
Bon. Eh bien c’est dit, je vais aller m’acheter du papier. C’est marrant, je suis excité comme un gosse. Et puis je prendrai le courrier en remontant.
Vendredi 20 mai 1994
J’étais parti bille en tête, et puis, évidemment, je n’ai pas écrit une ligne pendant quatre jours. J’avais pourtant acheté un bloc de papier Clairefontaine qui m’a rappelé quand Nina était gosse, après 57, quand elle arrivait à la maison le samedi, avec son cartable. Elle sortait son cahier : « J’ai encore des exercices pour lundi, Maman a dit que tu me corrigerais. » J’ai toujours eu l’impression qu’Anna se foutait de moi. Plus tard, c’était Mathilde qui s’y mettait, parce que moi, l’école…
Voilà que j’écris sans ordre, au fur et à mesure que les choses me viennent à l’esprit. Ce n’est peut-être pas la meilleure façon de faire. C’est étonnant comme les idées arrivent, et comme le présent et le passé se mêlent. Ce papier Clairefontaine… Nina avait un tablier à carreaux avec des bretelles à volants sur les épaules. On les croisait dans le dos, et elle n’arrivait pas à le fermer toute seule… Qui m’aurait dit que j’avais gardé des trucs pareils dans la tête ? Je me suis dit : « Ça va t’occuper d’écrire » et puis j’en viens à me demander si je vais aimer ça. Et si ça faisait revenir trop de choses…
Lundi, quand je suis descendu acheter ce bloc, j’ai trouvé dans le courrier le faire-part de la mort de Friedman. C’est surtout pour ça que je n’ai pas écrit tout de suite. Ça m’a fait vraiment quelque chose, même si on ne se voyait plus depuis des années. Il avait soixante-dix-huit ans, c’est-à-dire mon âge. J’ai téléphoné à David qui m’a dit tout de suite : « Oh, mais il était beaucoup plus âgé que toi. » David n’arrive pas à cacher ce qu’il pense.
Friedman était un con. Ça fait un drôle d’effet d’écrire ça d’un mort, j’ai hésité. J’apprends. La deuxième fois ça va mieux : Friedman était un con. La guerre en avait fait un peu quelque chose, mais ce n’était pas vraiment de sa faute. S’il s’était appelé Dupont, il n’aurait pas bougé un doigt, juste peut-être pour applaudir le Maréchal… J’en ai connu plein, finalement, des types comme lui, mais on est long à s’en rendre compte. Un type que tu as connu à Buchenwald, que tu as cru mort comme cent autres, que tu as retrouvé par hasard à l’hôpital en 45, tu mets des années à t’apercevoir que c’est un con. Et encore, c’est seulement maintenant qu’il est mort que tu oses le penser vraiment, l’écrire même, maintenant qu’il est mort et que ça n’a plus d’importance. J’aurais pu m’éviter de penser ça, qu’est-ce que ça pouvait me faire, à quoi bon, puisqu’il est mort ? Entre 45 et 47, on s’est vus tous les jours, Friedman et moi. Anna ne l’aimait pas beaucoup, mais il ne fallait pas y toucher, à Albert. En 48, on a commencé à moins se voir, c’était normal, lui s’est lancé dans ses combines, retaper des bagnoles, faire du fric, et avec la naissance de Nina c’était moins facile, le temps des copains, on vieillit un peu, la guerre est finie, on rentrait tous plus ou moins dans la vie normale, presque trente ans, une femme, une gosse… La guerre est finie, justement, il le disait de plus en plus souvent, Albert, et ça m’énervait sans que je sache pourquoi. La guerre est finie. Ça voulait dire qu’on avait désormais le droit d’être aussi salopards, aussi bêtes, aussi bourgeois et lâches que ceux d’avant. Comme si la guerre pouvait passer, comme l’hiver, et puis c’est le printemps, les oiseaux chantent et on n’y pense plus, jusqu’à la suivante éventuellement. La guerre est finie, on a eu du pot, on s’en est sortis, balayez-moi tout ça. Friedman, il achetait des garages et foutait à la porte les ouvriers syndiqués. « Arrête tes conneries, Jo, c’est pas tes Ruskofs qui vont reconstruire la France. La guerre est finie, mon vieux. »
D’ailleurs, aujourd’hui, ça m’énerve encore. La guerre est finie, grand-père, ça veut dire fous-nous la paix avec tes vieilles histoires, avec tes vieux rêves. Je dis Stalingrad, ils répondent Budapest, Prague, Berlin… Je dis le Parti des fusillés, le pain en douce, le soir à Buchenwald, surgi d’on ne sait où, de la part des camarades, et ils disent que la guerre est finie. Et qu’est-ce que je peux leur répondre ? Que Léa, depuis 45, ne dort qu’avec des pilules ? Nous ne parlons pas de la même chose de toute façon. L’autre jour à la télé, un type, un historien, expliquait que l’ouverture récente des archives du KGB à Moscou laisse penser que le Parti a donné Gabriel Péri. Ou Manouchian. Ou les deux, on n’est plus à ça près maintenant. Le vendredi suivant, à la permanence, grosse discussion avec des jeunes :
— Tu y crois, toi, Joseph, que le Parti a donné Manouchian ?
— Je ne sais pas, mon fils, mais je me souviens de L’Affiche rouge, et qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
Je n’arrive pas à discuter. Et je n’en ai pas envie, même si maintenant tout ça me vient à l’esprit à propos de la mort de Friedman. D’ailleurs, je n’arrive pas à penser qu’il est mort, même si je suis allé à son enterrement hier. Rabbin et tout le tremblement, et sa sœur venue d’Israël. C’est d’ailleurs à propos d’Israël qu’on s’était vraiment engueulés pour la première fois. À partir de 48, il était devenu fanatique. Moi pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Il a fini par me traiter de mauvais Juif. J’ai dit : « Ça vaut mieux que sale Juif » et on a failli en venir aux mains. C’était en 50, 51… Je venais de rencontrer Solange, et j’en voulais à la terre entière de ne pas comprendre ce qui m’arrivait. Albert avait réagi comme tout le monde, des reproches, mon vieux je ne te comprends pas, ta compagne, ta petite fille… D’ailleurs si j’étais devenu un mauvais Juif, même pas sioniste, n’était-ce pas, justement, l’influence de… Il avait passé la porte. Et puis on s’était revus, évidemment, et réconciliés. La guerre, quoi qu’on en dise, ça ne finit pas si vite que ça…
C’est comme une grosse boule, pleine de petits fils qui dépassent. Albert Friedman… je tire. Le cahier de Nina, je tire. J’aime bien ça et le temps passe. Ça va être l’heure du Journal télévisé et je n’ai même pas encore fait chauffer la soupe.
Chauffer la soupe… Quand mon père et ma mère se disputaient, mon père finissait par taper sur la table, ou sur son genou, ou sur le bras du fauteuil, enfin, taper du poing et dire : « Tu ferais mieux d’aller faire chauffer la soupe » et ma mère, rappelée à ses devoirs, courait à la cuisine en s’essuyant les mains. Il le disait en yiddish : Gay shoyn besser kochen die souppe, et je l’entends encore. Voilà que j’en suis à mes parents maintenant ! Mais c’est peut-être tout de même par là que je devrais commencer ?