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Gildas girodeau

 

La dernière
fanfare

 

Nouvelle

 

Collection Noire soeur

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- UN -

 

 

Le petit Vicenç allait avoir quatre ans. Il poussa la porte de la maison de maître située boulevard Arago et se précipita dans la rue pour voir s’il y avait de l’eau dans les rigoles. En ce matin de printemps, elle coulait en abondance dans le village de Céret. Vicenç n’attendit pas sa mère, qui refermait la porte de la maison bourgeoise où ils vivaient, et se lança immédiatement à la poursuite de l’eau tourbillonnante. Quand elle accélérait, il la suivait.  Quand elle sautait un obstacle, il sautait. Quand elle passait sous un « bateau », ces dalles en béton posées sur les rigoles pour permettre l’accès à un garage, il s’accroupissait et combattait les monstres vivants dans ces souterrains obscurs.

En fait, ce jour-là il suivait une petite balle blanche qui bondissait au gré des flots céretans et dévalait maintenant le boulevard Lafayette. Parvenue devant le restaurant Les Feuillants, elle s’immobilisa soudain, bloquée par un journal abandonné. Vicenç s’arrêta, agacé par l’obstacle. Il se pencha, prit la balle dans sa main et jeta le journal sur le trottoir. Un gros titre en barrait la une : « 2éme tour : le pays retient son souffle ! ». Le petit Vicenç n’y prêta pas attention, il ne savait pas encore lire et était absorbé par l’examen de la balle blanche. Visqueuse et gluante, elle lui rappelait l’une des pièces de la peluche démontable qu’il avait reçue à Noël. Sa mère, qui l’avait rejoint, lui demanda ce qu’il avait ramassé. Il lui tendit la balle.

Il fallut une bonne dizaine de secondes pour que le cri jaillisse, la mère du petit Vicenç n’ayant pas instantanément réalisé qu’elle tenait un œil dans sa main. Un œil humain à l’iris bleu. Le cri s’éleva alors que la mère s’écroulait, évanouie. Il se propagea dans les rues de Céret tel un météore. Boulevard Jaurès, il réveilla la plupart des clients de l’hôtel Vidal. Boulevard Joffre, il fit sursauter le garde municipal en faction devant la mairie. Jean-Luc, le libraire du Cheval dans l’Arbre, tressaillit à son passage, laissant tomber la pile de livres qu’il dépoussiérait. Marx, Engels et Sartre s’’’’