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Chère Line,

Le temps a passé, mais je ne t’ai pas oubliée.

Ma fille, Hélène, entre en sixième dans quelques jours. Cela ne me rajeunit pas.

Récemment, elle est tombée sur une vieille photo de nous, coincée entre deux livres. Tu venais juste d’avoir treize ans. J’avais oublié que cette photo était ici… Tu portais un tee-shirt rouge et ton jean préféré, qui t’a d’ailleurs suivie pendant des années. Tu souriais. Mes cheveux bouclés étaient complètement emmêlés et je fermais les yeux. La photo est un peu floue, ratée, mais c’était notre préférée. En arrière-plan, je peux apercevoir le papier peint rayé de ta chambre, un bout de ta bibliothèque et ma main sur ton épaule. Derrière la photo, on avait écrit en noir « Line et Louise Images ».

Je me souviens très bien de ce treizième anniversaire que tu n’avais pas voulu fêter. Je me souviens que tu disais qu’ils ne viendraient pas. Je t’ai encouragée à les inviter en te disant de ne pas t’inquiéter, qu’on les connaissait quand même un peu. Ça n’a rien changé, ceux de notre classe ne sont pas venus. Évidemment. On avait toujours été à côté des choses, à côté des autres, volontairement ou pas, ça dépendait des fois… Peut-être que moi, j’avais juste envie de croire que tout n’était pas encore perdu. Après tout, nous n’étions qu’en cinquième. Je voulais vraiment qu’on ait une chance de faire partie d’un groupe.

Après cette déception, nous avons bien ri, toutes les deux. Je t’ai offert un livre de poésie et on a déclamé des poèmes toute la nuit. Comme des gamines, on rêvait de refaire le monde, de partir seules à l’aventure… Nous avons dévoré le gâteau de crêpes de ta mère.

C’est cette nuit-là que, pour la première fois, tu m’as parlé de lui, de Marc. Je ne l’avais jamais remarqué mais toi, tu avais l’air de si bien le connaître ! Sans lui avoir parlé. Je t’ai enviée, cette nuit-là. Jusqu’alors, aucune de nous n’était jamais vraiment tombée amoureuse. Tu m’as dit qu’il était en quatrième H, qu’il aimait le tennis, la musique métal et qu’il était beau à tomber par terre, avec ses cheveux blonds mi-longs. Tu m’as dit que tu aimerais aller le voir jouer, t’approcher de lui un peu plus. Je savais que tu en étais capable.

Le lendemain, au collège, tu avais changé. Pour lui, je pense. Mais les autres ne changent pas, Line, tu le savais. Ils ont même ri, en voyant du noir sur tes yeux et du rouge sur tes lèvres. Mais tu t’en fichais, ou du moins tu faisais comme si. Tu avais dû te maquiller en cachette de tes parents. J’avais trouvé cela amusant ; ça m’avait même donné envie de faire pareil, mais je n’aurais jamais eu ce courage. Les premières de classe qui ne sont pas très belles n’ont pas le droit de se maquiller : c’est comme ça dans la tête des autres. Alors, on a eu droit aux imitations d’embrassades peu probables, aux paroles blessantes… Rien n’arrivait à te toucher. Tu as toujours eu du caractère, plus que moi. Tu leur tenais tête et ça les déstabilisait un peu. Avec le recul, je me demande si nous avions conscience du mal que l’on peut faire juste avec des mots. Mais, à deux, on est plus fortes.

Je suis restée à tes côtés, comme à notre rentrée en sixième.

C’était la fin de l’école primaire et le début de nos rêves de grandes