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Sylviane Roche

Sylviane Roche, d’origine française, est née à Paris, dans le quartier du Marais. Elle est venue en Suisse à l’âge de vingt ans et s’est installée à Lausanne. Elle s’y est mariée et a eu deux enfants, Emmanuel et Élodie. Elle a aussi obtenu une licence de lettres à l’Université de Lausanne. Bien qu’elle ait été très bien accueillie et intégrée en Suisse, elle reste très attachée à Paris et à la France où vit toute sa famille et où elle rentre souvent.

Elle a fait partie du comité de direction de la revue littéraire lausannoise Écriture, et enseigne la littérature française et l’espagnol dans un gymnase cantonal. Elle écrit des articles de critique littéraire dans divers journaux et a publié un recueil de nouvelles (Les Passantes), trois romans (Le Salon Pompadour ; Septembre ; Le Temps des cerises), un récit (L’Italienne, en collaboration avec Marie-Rose De Donno) et un recueil de « contes psychologiques » (L’Amour et autres contes). Elle est également traductrice de l’espagnol (en particulier Puerto final de l’Argentin Daniel Mayer). Tous ces ouvrages ont été publiés chez Bernard Campiche Éditeur.

Sylviane Roche

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124 questions
à propos du savoir-vivre

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Sans la politesse, on ne se
réunirait que pour se battre. Il
faut donc vivre seul ou être poli.

ALPHONSE KARR

Le cœur même de notre culture 1

PRÉFACE

Quand on dit savoir-vivre, politesse, bienséance, code social, certains entendent atmosphère guindée, contrainte, artificielle, entachée d’hypocrisie. Il s’agirait aussi de préoccupations dépassées et ringardes. Notre société d’aujourd’hui serait bien au-delà (ou au-dessus ?) de ces questions surannées. Le succès, depuis plus de trois ans, de ma chronique hebdomadaire du Temps dément absolument cette analyse. Toutefois, les sciences humaines nous ont apporté de nouveaux instruments et un nouveau regard. Il ne s’agit plus d’être uniquement normatif, de dire « cela se fait, cela ne se fait pas », mais d’essayer de comprendre pourquoi. D’essayer aussi de tenir compte de l’évolution des règles dans le temps et des différences dans l’espace. Ces règles font maintenant l’objet d’études très sérieuses dans plusieurs universités. Mon regard, certes, ne prétend absolument pas arriver au niveau de la recherche sociologique. Mais c’est ma passion pour l’être humain dans tous ses états qui est à l’origine de mon intérêt pour ces questions de vie sociale, et ma démarche n’est pas loin de celle qui m’a, naguère, amenée à écrire quelques romans.

Car le savoir-vivre est loin de n’être qu’une simple liste de conventions sociales surannées. Il constitue la base de la vie sociale. « Comprendre la politesse, comment et pourquoi elle fonctionne, savoir ce qui la sous-tend et à quoi elle sert, c’est pénétrer au cœur même des cultures, et c’est aussi comprendre la logique profonde qui préside aux relations humaines 2. »

Le savoir-vivre est une photographie, une représentation très parlante d’une société donnée à un moment donné. Même ce qui peut paraître une convention des plus arbitraires (pourquoi, par exemple, en français est-il poli de dire « Bonjour, Monsieur » et pas « Bonjour, Monsieur Dupont » sauf dans des circonstances très particulières ?), ces conventions, quand elles sont analysées, comparées, confrontées à l’histoire sociale, on s’aperçoit qu’elles obéissent à une logique rigoureuse et répondent à des fonctions bien précises. Le savoir-vivre touche à tous les domaines des relations humaines, et les questions que je reçois en témoignent, au point que je crains par moments (et je m’efforce de l’éviter) de tourner non pas aux baronnes Staffe ou de Rothschild, mais au courrier du cœur !!

Le code social a globalement deux fonctions, toutes deux également passionnantes :

La première structure et facilite les rapports interpersonnels. En d’autres termes, ici, le code social graisse les rouages de la société, il contribue à ce que les gens vivent ensemble, sans trop se heurter, se blesser. Il insiste sur les égards qui doivent présider aux relations sociales. En proposant des modèles de conduite adaptés aux différentes situations, il nous aide à nous sentir à l’aise. Ma grand-mère disait que c’est quand on n’a pas de cœur qu’il faut être bien élevé… Et c’est vrai que, bien souvent, le cœur et le simple bon sens peuvent répondre aux questions qu’on se pose dans ce domaine, et l’on en trouvera de nombreux exemples dans les chroniques qu’on va lire ici. Mais le sens inné d’autrui n’est pas si partagé, ou on ne lui fait pas suffisament confiance pour que la majorité des gens puissent en effet se passer d’un code qui y supplée.

La deuxième fonction, moins sympathique, n’est pas moins intéressante. Assez paradoxalement, elle joue un rôle opposé à celui que je viens de définir. Au lieu de faciliter les rapports interpersonnels, elle fonctionne sur le mode de l’exclusion/inclusion. Il s’agit ici plutôt de l’étiquette, c’est-à-dire d’un ensemble de règles de comportement qu’on doit connaître si on veut être accepté dans tel ou tel groupe, et dont l’ignorance vous en exclut immédiatement. L’exemple type est bien entendu celui des manières de table. Celles-ci varient dans le temps et dans l’espace, mais leur fonction demeure : elles indiquent d’emblée l’appartenance et sont très difficiles à intégrer pour celui qui n’a pas été élevé comme ça. En édictant une norme de distinction, le code agit en renforcement de l’ordre social, et c’est pourquoi ceux qui contestent d’une façon ou d’une autre cet ordre social s’en prennent, naïvement, certes, mais pas complètement à tort, au savoir-vivre. Le problème est bien entendu qu’ils confondent les deux fonctions et, comme on dit, jettent le bébé avec l’eau du bain.

Ces deux fonctions du savoir-vivre sont fondamentales et font l’objet de la plupart des questions que je reçois dans ma chronique du Temps.

J’ai dit que certains pensent (et même me l’ont écrit) que la politesse n’existe plus, que le savoir-vivre n’intéresse plus personne. C’est faux, et même absurde, car on ne peut imaginer une société sans règles. Le code social est consubstantiel à toute société humaine. Si l’on a parfois l’impression que tout fiche le camp, c’est que ces codes évoluent, se transforment, et, ils sont difficilement perceptibles (ou, quand on les perçoit, difficilement acceptables) par ceux qui ont été élevés autrement. Mais la préoccupation de la norme demeure, peut-être plus aiguë que jamais. Un de mes étonnements est de voir le nombre de questions concernant cette deuxième fonction dont je viens de parler : le nombre de verres sur la table, l’usage des différents couverts, comment se comporter avec les gens qui nous servent, qu’apporter lors d’une invitation à dîner, etc. Tout se passe comme si les gens (et parfois ils s’en plaignent explicitement) ressentaient un déficit éducatif (peut-être dû au fait qu’ils ont été élevés par des soixante-huitards ou des adeptes du Dr Spock) et qu’ils étaient conscients que cette ignorance les desservait dans leur vie quotidienne et professionnelle.

Mais il y a aussi de nouvelles interrogations, nées des transformations sociales (et c’est là un des aspects du caractère sociologique dont je parlais tout à l’heure). Ainsi les comportements liés aux nouvelles techniques (par exemple le téléphone portable) ou à l’évolution des mœurs (les familles recomposées, le divorce, l’émancipation des femmes, la multiplication des voyages et des échanges culturels, les nouveaux codes vestimentaires). Dans ce domaine, je reçois des questions sur les rapports beaux-parents/enfants du nouveau conjoint, sur l’attitude à avoir avec un ancien gendre qu’on aimait bien, le nom de famille des femmes, le tutoiement, etc. Beaucoup d’interrogations qui toutes montrent l’inquiétude face à un code qu’on a le sentiment d’ignorer ou de ne plus comprendre, tout en sentant très bien qu’on continuera à vous juger et à vous classer là-dessus.

Donc on peut dire que, aussi bien au niveau psychologique qu’identitaire, le savoir-vivre joue un rôle de réassurance et de protection.

Il me paraît maintenant intéressant d’essayer de dire deux mots de son évolution. Mais je voudrais d’abord éclaircir un point : toute évolution n’est pas bonne à prendre. Je ne suis pas à genoux devant la nouveauté ou la modernité, et le fait d’être branché, jeune, à la page ou que sais-je ? n’a jamais constitué à mes yeux une qualité en soi. Donc je pense qu’il y a des tendances contre lesquelles on a le droit de s’élever et de se défendre. Parmi les lettres que je reçois, à côté des questions de comportement dont j’ai parlé, il y a le désarroi qu’expriment ceux non pas qui ne savent pas comment faire, mais que les nouvelles façons de faire rendent malades ou pour le moins perplexes. Et, dans certains de ces cas, je conseille la résistance ! Je vais tenter une très brève analyse de ces tendances à combattre.

Elles se résument en deux mots : infantilisme et individualisme. Elles se manifestent dans beaucoup de circonstances sociales (tutoiement généralisé, généralisation du j’ai-bien-le-droit-de, indifférence à autrui – dans la rue, par exemple), mais elles se trouvent résumées, on peut presque dire métaphorisées, toutes les deux, dans ce magnifique exemple qu’est le code vestimentaire, et que je vais me permettre de développer un peu. Infantilisme : dans mon enfance, les jeans, les T-shirts ornés de dessins, les tenues de sport ou les casquettes de toile étaient réservés aux enfants ou aux sportifs, c’est-à-dire aux moments ludiques de la vie. Un homme ou une femme adultes n’auraient jamais imaginé se promener en ville (et encore moins aller travailler) avec un survêtement Adidas, des baskets, un T-shirt arborant fièrement un slogan genre « fuck you ! » (comme je l’ai vu de mes yeux il y a quelque temps, au restaurant, sur un homme qui paraissait, au minimum, quadragénaire), un anorak de ski, un short de gymnastique. Aujourd’hui, notre société ressemble à un gigantesque bac à sable où de gros bébés vêtus de salopettes, bourrés de pizzas et de coca-cola, s’amusent chacun dans son coin avec son téléphone portable. Et le « chacun dans son coin » m’amène à la deuxième tendance, l’individualisme. On lira en particulier, à ce propos, les chroniques intitulées Une nuit à l’Opéra 1 et 2. Après la parution de la première, un lecteur m’avait écrit que ces gens que je décrivais exprimaient « un code vestimentaire très clair pour ceux qui savent le lire » et m’avait conseillé d’essayer d’engager la conversation avec ces personnes « plus originales ». J’ai trouvé cette objection très intéressante et je lui ai répondu sous la forme de la chronique suivante où je lui disais qu’il avait raison de dire que ces gens s’habillent, eux aussi, en fonction d’un langage particulier, donc d’un code. Mais, et là est le problème, ce code (comme tous les codes) n’est accessible qu’à ceux qui savent le lire. Or, une société se définit aussi par un certain consensus sur un certain nombre de règles, afin que ses membres puissent fonctionner ensemble. C’est la même chose pour le langage, il faut un minimum d’accord sur le sens des mots pour pouvoir communiquer, et aussi pour les règles de savoir-vivre qui d’ailleurs varient d’une société à une autre.

Il en va de même pour le vêtement. Le code vestimentaire évolue, varie, mais, pour fonctionner en tant que code social, il doit pouvoir être compris, sans mode d’emploi, par la majorité des gens. Aujourd’hui, les langages ont tendance à se multiplier, jusqu’à ne plus concerner que quelques initiés qui peuvent déchiffrer grâce à leur appartenance à un groupe donné (âge, profession, lieu d’origine, goûts musicaux, etc.) le sens d’un survêtement orange sous une veste de smoking. Le code ne sert plus à rassembler le corps social autour de règles communes ou à manifester (comme pour un mariage, un enterrement, un spectacle) la part qu’on prend à un acte collectif, mais uniquement à marquer cette appartenance particulière et, par là, sa non-appartenance (et parfois son mépris) aux autres groupes. Finalement, de langage commun unificateur, le code vestimentaire est en passe de devenir un argot, c’est-à-dire un langage privé et codé qui inclut et exclut à la fois. De la première fonction unificatrice et consensuelle que j’ai définie plus haut, il passe à la deuxième. C’est une évolution qui dit sur notre société des choses très intéressantes et pas vraiment réjouissantes. Je n’ai rien contre les argots, au contraire. Ce sont des langues créatives et imagées, qui reflètent des époques et des groupes sociaux. Mais je pense qu’il y a des circonstances où il ne faut pas les employer. Des circonstances où il faut faire passer l’affirmation de sa singularité, son j’ai-bien-le-droit-de, après le respect des gens et des lieux où l’on se trouve. C’est pourquoi j’ose le mot de décadence face à cet émiettement du corps social en dizaines de petits cercles nombrilistes où ne compte plus que l’expression du moi, et où l’on pense que c’est toujours aux autres de faire l’effort de nous comprendre et d’« engager une conversation » dont on manifeste par son attitude qu’on ne la désire pas vraiment. Et cette décadence ne se manifeste pas uniquement dans le costume, même si je lui ai consacré un peu de temps, car il me semble, comme je l’ai dit, très révélateur de ce qui me paraît négatif dans l’évolution du code social donc de la société qu’il exprime. Ce sont tous les rapports humains qui sont ici en jeu. Je n’aime pas l’image que ce code nous renvoie de la société qui s’annonce… Et ici sera peut-être l’aspect quelque peu polémique de ce petit livre.

À côté de la démarche sociologique ou anthropologique dont j’ai déjà parlé, il y a donc de ma part une démarche un peu moraliste tout de même… Je ne m’en cache pas. Même si je m’efforce de le comprendre et de l’analyser, « le mauvais goût du siècle en cela me fait peur », comme le dit, dans Le Misanthrope, l’Alceste de Molière. Peut-être est-ce le sort de tous ceux qui abordent la deuxième partie de leur vie ? Talleyrand disait bien que celui qui n’a pas vécu avant 1789 n’a pas connu le plaisir de vivre, ce qui était sans doute vrai, à condition d’être duc… Alors, il ne s’agit pas d’être passéiste, mais de comprendre une société en mutation, pour partager ses valeurs et ne pas rester à la traîne, mais aussi pour défendre des valeurs auxquelles on tient, et qui sont peut-être celles de l’« Europe aux anciens parapets »…

1 J’emprunte cette expression ainsi que plusieurs autres au livre passionnant de Dominique Picard. Les Rituels du savoir-vivre. Paris : Éditions du Seuil, 1995.

2 Dominique Picard. Les Rituels du savoir-vivre, op. cit..

Avoir été, peut-être, utile ?

LOUIS ARAGON

J’ai essayé de classer les questions abordées en catégories, symbolisée chacune par un infinitif. Pour faciliter la lecture, et aussi parce que cela fait apparaître les préoccupations principales de mes correspondants. Les questions les plus nombreuses participent bien des deux fonctions définies dans la préface : celle qui tend à faciliter les rapports sociaux, et celle qui consiste à soumettre les gens à l’épreuve de l’étiquette pour les inclure ou les exclure d’un groupe donné (par exemple les manières de table). Même quand cela n’apparaît pas au premier abord (par exemple les rapports familiaux ou l’adaptation aux techniques modernes), toutes peuvent, dans une certaine mesure, se rattacher à ces deux grandes fonctions, avec l’intérêt supplémentaire qu’elles sont, pour la plupart d’entre elles, le reflet de l’évolution de notre société et de la perplexité (et même parfois de la confusion) qu’elle entraîne.

Ce classement est arbitraire et discutable, et, bien entendu, beaucoup de ces chroniques appartiennent à plusieurs catégories à la fois. Mais, je le répète, il ne s’agit pas d’un livre scientifique. Juste de dialogues avec des gens de toutes sortes et quelques réflexions que ces échanges ont suscitées.

SE SENTIR

LE CORPS DES AUTRES

Comment s’en sortir aujourd’hui quand on lâche un vent ? Comment dire à mon collègue qu’il ne sent pas la rose ?

Fred

Une amie se cure systématiquement les dents en fin de repas, certes en mettant la main devant la bouche, mais en me regardant. C’est énervant. Que faire ?

Jean, Eva

J’ai reçu, ces dernières semaines, plusieurs questions évoquant un problème avec le corps. Est-ce parce qu’en été il est terriblement présent ? Alors, quand vient l’automne, c’est l’overdose de ces corps agressifs, dénudés, transpirants, huileux. En tout cas, pour mes correspondants, en ce début d’hiver, l’enfer, c’est… : le corps des autres. J’ai regroupé ces questions en vue d’une réflexion plus générale sur les rapports du code et du corps.

Ils diffèrent d’une civilisation à l’autre. Tout le monde sait qu’il y a des sociétés où il est poli de roter à table. Mais je me bornerai à parler de notre société européenne, c’est déjà assez compliqué comme ça ! Le rapport au corps a considérablement évolué au cours des siècles, et la réponse que j’aurais pu faire aux questions de Fred, Jean et Eva aurait certainement été très différente au Moyen Âge ou à l’Âge classique. Mais ce qui est sûr, c’est que le corps, à la fois création divine et source de tous les péchés, a toujours été marqué par une ambivalence que, très tôt, on a tenté de résoudre en le partageant entre les parties « nobles », comme les mains ou le visage, qu’on peut montrer et mettre en valeur, et les parties « honteuses », liées au sexe (donc au péché), et qu’il faut cacher. Aujourd’hui, le clivage est entre l’extérieur et l’intérieur. La nudité n’est plus taboue, au contraire, on exhibe un corps travaillé à coups de régime, fitness, botox et même bistouri. Mais l’interdit s’est déplacé sur l’aspect organique du corps, d’où l’horreur des odeurs corporelles, l’importance des savons parfumés et des déodorants. Le corps doit faire oublier qu’il fonctionne, ingère, transforme, excrète, transpire… et même vieillit. Si Érasme, au XVIe siècle, préconise de « recueillir les saletés du nez dans un mouchoir » (peu utilisé à son époque), c’est pour des raisons d’hygiène. Et, au XVIIe siècle, Louis XIV recevait les visiteurs sur sa chaise percée. Mais, au XIXe, la célèbre baronne Staffe recommande de se moucher « clandestinement » afin de ne provoquer chez les autres « aucune idée désagréable ou naturaliste ». Ce parangon du code bourgeois sent bien où est l’ennemi : c’est la nature. La lutte de l’homme bien élevé contre cette nature le distingue des rustres et des bêtes. Désormais, pour le code, c’est bien simple, le corps interne n’existe pas.

Et si on n’a pas d’intestin, pas de sueur et pas de dents, on ne peut ni péter, ni puer, ni mastiquer. C’est pourquoi le « vent » ne sera entendu par personne (surtout pas d’excuses !), on supportera les odeurs du collègue ou bien on changera de bureau, et on ne remarquera pas le manège de l’amie au cure-dent. Car, si les autres n’ont pas la politesse de faire oublier qu’ils ont un corps, c’est à nous de faire semblant de ne pas nous en apercevoir. Même au prix de notre propre incommodité.

AÏE, AÏE… AIL !

Ma femme et moi ne supportons pas l’ail, ce condiment que certains mettent littéralement à toutes les sauces. Au restaurant j’insiste en passant la commande « pas d’ail, s.v.p. ». Mais il est difficile d’agir de même vis-à-vis de la maîtresse de maison qui vous invite sans être au courant de cette allergie. L’ail laisse aussi échapper des relents dissuasifs tant des cuisines où il est apprêté que des personnes qui l’absorbent. Alors, essayer de fuir ces personnes ou leur faire savoir poliment que vous risquez de tourner de l’œil face à leurs effluves ? Quelles règles de savoir-vivre préconisez-vous en ce qui concerne l’ail ?

Georges-André

Ce n’est pas la première fois qu’on me pose le problème des odeurs, ou des goûts de ce (ou de ceux) que, littéralement, nous ne pouvons pas sentir. Le collègue qui sent l’ail ou la transpiration, le repas trop pimenté, salé, carné, gras, etc. Et si on peut s’interroger sur la composante culturelle, même inconsciente, de certaines de ces incompatibilités, elles n’en sont pas moins gênantes et embarrassantes socialement. Alors, quelle attitude adopter ? Jusqu’à quelle limite doit-on supporter ce qui nous dérange ? Doit-on suivre Pascal lorsqu’il dit que « le mot de la politesse est : incommodez-vous » ? Il y a dans votre lettre une certaine ambiguïté : on ne sait pas si votre intolérance à l’ail (heureusement que vous avez trouvé une compagne qui la partage, était-ce une condition à votre mariage ?) est d’ordre médical ou simplement de goût. Vous parlez d’allergie et de « tourner de l’œil ». Mais est-ce une façon de parler (quand on dit « je suis allergique aux imbéciles », cela ne veut pas dire – heureusement pour notre santé – qu’on se couvre instantanément d’eczéma en leur présence), ou bien faut-il prendre cela au pied de la lettre ? Si c’est le cas, pas d’hésitation : vous devez en informer vos hôtes avant le dîner, au moment de l’invitation. Ils préféreront modifier leur menu que de vous voir, vous et votre femme, vous évanouir au milieu du repas. Il en va de même au restaurant, où, même dans un établissement spécialisé en cuisine provençale, il est toujours possible de choisir un plat sans ail ou de demander qu’on n’en mette pas.

Mais si c’est une simple question de goût, là, hélas, rien à faire. La règle qui dit qu’on doit manger ce qu’on vous offre sans barguigner ne souffre aucune dérogation. Bien sûr, vous pouvez laisser discrètement les gousses du gigot sur un coin de votre assiette et vous servir modérément, mais c’est la seule marge de manœuvre que vous accorde la politesse. Mangez du pain et prenez votre mal en patience.

Idem pour les effluves, aillés ou autres, que répandent certaines personnes ou certains lieux : on ne les remarque pas. Il n’y a pas de façon polie de dire à quelqu’un que vous trouvez que ça pue dans son entourage, et le savoir-vivre commande, là aussi, de « s’incommoder » stoïquement. Consolez-vous en vous rappelant que, s’il n’est pas toujours agréable au nez, l’ail est un antibiotique naturel dont on a fait longtemps usage contre la peste… et contre les vampires !

L’INDIVIDU SENTAIT LA VINASSE

Ce matin, je monte dans le bus de 7h30 et très vite je constate que l’individu assis en face de moi est très fortement alcoolisé au point qu’il peine à rester droit sur son siège. Son odeur d’alcool m’incommode et, de peur qu’il n’engage la conversation, j’envisage de me lever et d’aller m’asseoir ailleurs. Mais quelque chose m’en a empêchée. J’ai pensé que ce serait une grave preuve d’irrespect et de manque d’éducation, et je suis donc restée assise auprès de cet homme pendant tout mon trajet. Pensez-vous que j’aurais pu adopter une autre attitude ?

Charlotte

Votre histoire prouve, une fois de plus, que la politesse confine parfois à l’héroïsme. Ce « quelque chose » dont vous parlez et qui vous a empêchée de vous lever s’appelle du respect humain. Vous avez senti que, en changeant ostensiblement de place, vous auriez pu blesser cet homme, certes pas au mieux de sa forme mais pas au point de ne pas ressentir l’insulte. J’espère seulement que le trajet n’a pas été trop long… Auriez-vous pu faire autrement ? C’est difficile à dire. Cela dépend en tout premier lieu du degré de désagrément qu’il vous a fallu endurer. S’il ne s’agissait que d’odeur, alors vous avez eu raison de tenir bon. Et même s’il avait tenté d’engager la conversation, à partir du moment où ce n’était pas des propos insupportables ou particulièrement incohérents, on peut toujours sourire, hocher la tête, répondre par quelques mots banals, bref prendre son mal en patience quelques instants, l’autobus, ce n’est pas le transsibérien. Mais si l’ivrogne devient insistant ou franchement agressif (ou s’il se met à vomir à vos pieds, cela m’est arrivé), alors, là, je crois qu’il faut abandonner. Il est même sans doute préférable de prévenir le chauffeur qu’il y a là quelqu’un qui ne se sent pas très bien, et ensuite vous pouvez aller vous rasseoir le plus loin possible. À ce point, le malheureux a, de toute façon, déjà perdu le minimum du respect de lui-même, ce n’est pas à vous de prendre cette déchéance en charge.

Il est toujours très difficile de savoir comment réagir quand, sur la voie publique, quelqu’un se comporte d’une façon inadéquate ou dérangeante. La plupart du temps, on opte pour l’indifférence. On regarde dans le vide, on fait semblant de ne rien remarquer. Sagesse ou lâcheté ? Je ne sais pas. Il m’est arrivé, comme à tout le monde, de réagir de cette façon. Bien sûr, on peut ainsi passer à côté d’une solitude qu’un simple mot, un sourire aurait allégée pour la journée. Mais on peut aussi mettre le doigt dans l’engrenage d’un esprit malade et devenir le point de fixation de son délire… Comment savoir ? Certes, ici, il ne s’agissait que d’alcool (mais certains ont le vin mauvais) et vous avez choisi de voir d’abord l’être humain dans cet ivrogne malodorant. Vous connaissez la chanson de Brassens : « Ce n’était rien qu’un peu de miel / mais il m’avait chauffé le corps / et dans mon âme il brille encore / à la manière d’un grand soleil » ? Peut-être avez-vous été, dans ce bus à 7h30, l’Auvergnat de cet homme-là. Cela vaut bien quelques effluves alcoolisés, non ?

DISCRET OU CAPITEUX ?

Pourriez-vous aborder le sujet du parfum et des personnes qui en abusent quitte à en imprégner leurs voisins ? De quelle manière polie peut-on le leur faire remarquer ?

Catherine

Léon Pierre-Quint, ami et biographe de Proust, raconte qu’un jour (ou plutôt une nuit) où il rendait visite au grand écrivain, celui-ci s’interrompit tout à coup : « Cher ami, dit-il, je vous prie, est-ce que je vais vous causer beaucoup de désagrément si je vous demande d’enlever le mouchoir de votre veston ? Vous savez que je ne peux supporter les parfums… » Puis il sonne sa gouvernante : « Céleste, prenez le mouchoir de Monsieur et mettez-le dans une autre pièce… Cher ami, la dernière fois que vous avez eu la bonté de venir me voir – car personne ne vient plus voir le malade que je suis –, j’ai été obligé d’exposer pendant trois jours dans la cour le fauteuil où vous étiez assis et qui était resté tout imprégné de parfum… » On voit que Proust, dont on connaît pourtant l’extrême politesse, ne s’embarrassait pas pour faire remarquer à un jeune ami qu’il avait un peu forcé sur le vaporisateur. Mais c’était Proust, et il avait l’excuse de l’asthme et du génie. Mais quand on n’a ni l’un ni l’autre, il est pratiquement impossible de faire poliment à autrui des remarques sur son odeur, qu’il sente trop bon ou… pas assez. Patchouli ou transpiration, il faut prendre son mal en patience, comme devant quasi toutes les impolitesses dont on est victime ou témoin. On ne peut, ici comme souvent, que compter sur la bonne éducation des autres. Il n’est donc peut-être pas inutile de rappeler quelques règles. Autrefois, le parfum servait à masquer le fait qu’on ne se lavait guère, et il devait donc être puissant. Louis XIV qui n’a, dit-on, jamais approché une baignoire, s’aspergeait d’ambre et de musc à profusion. Puis, avec les progrès de l’hygiène, le parfum devint un complément avec une connotation sensuelle qui tendait à le réserver aux femmes élégantes. Pour les hommes sérieux et les jeunes filles, on préférait l’eau de Cologne légère, à l’odeur florale (muguet, lavande, vétiver), marque de naturel et d’absence de sophistication. Un manuel suisse des années soixante rappelle encore que « le plus précieux parfum est incapable de faire oublier le plus humble des savons quand on l’a utilisé à sa place ». Pour ma grand-mère, qui tenait une parfumerie, les parfums capiteux – même très chers – étaient réservés aux femmes « ordinaires ». Aujourd’hui, même si le parfum revient en force, et si j’use, en hiver, d’un solide jus exotique qui aurait fait défaillir mon aïeule, le maître mot reste tout de même la modération. Un nuage, une goutte derrière l’oreille, près du coude, aux poignets. Frais pour les jeunes et les blondes, plus fort ou sucré pour les femmes plus mûres et les brunes. Toujours discret pour les hommes. Jamais de mélange. Les parfums de qualité tiennent toute la journée, inutile d’en remettre. Et n’en changez pas trop souvent. Qu’il devienne votre carte de visite, le signe de votre présence. Mais attention, s’il vous annonce, il peut aussi vous dénoncer…

SE PARLER

GUIDE DE SURVIE EN SITUATION EXTRÊME

Comment réagir à une impolitesse flagrante, telle que : on vous bouscule grossièrement, votre belle-mère vous dit que votre pull est affreux, et, en général face aux situations extrêmes, comme par exemple si un médecin ou un proche vous annoncent une maladie grave ?

Barbara

Si j’ai bien compris, ce que vous appelez des « situations extrêmes », ce sont ces moments violents où l’on n’a pas le temps de réfléchir, où il faut décider en quelques secondes s’il faut réagir, et comment. Pourtant, si vous les groupez dans la même catégorie « urgente », il me semble que ces situations sont de natures différentes. Pour les « impolitesses flagrantes », je crois qu’il est important de distinguer la désinvolture ou la maladresse, de l’agressivité volontaire. Face aux premières, on peut être pédagogique, indulgent, ou se défendre, selon la personne ou la situation. On peut aussi laisser tomber, cela n’a rien d’indigne, si le malotru mesure un mètre quatre-vingt-dix, s’il est accompagné de trois loubards du même acabit ou si on est simplement pressé. Reprenons votre exemple de bousculade : si vous criez « Pourriez pas faire attention, espèce… de mufle ! » vous devez être prête à encaisser une insulte ou une altercation, ou toute espèce de réaction encore plus désagréable et qui vous fera perdre votre temps. À vous de juger si le jeu en vaut la chandelle. De toute façon, si vous choisissez de réagir, il faut le faire calmement, très en dessous de l’indignation que vous pouvez légitimement ressentir. Un enfant de trois ans trône sur une place dans le bus bondé et vous, vous êtes debout sous le regard indifférent de sa mère ? Dites-lui, en souriant, très aimablement : « Excusez-moi, pourriez-vous prendre le petit sur vos genoux ? j’aimerais m’asseoir. Ce serait très aimable à vous. » Il y a fort à parier qu’elle sera tellement sidérée qu’elle obéira sans répliquer. Et vous la remercierez avec une effusion dont l’ironie vous soulagera beaucoup plus qu’un esclandre. J’ai remarqué que ce qui désarme le plus sûrement la grossièreté, c’est le calme et l’extrême politesse.

Par contre, ce qu’on appelle la « franchise » n’est bien souvent qu’une agression méchante (mal) dissimulée sous un masque vertueux. C’est exactement le cas de la belle-mère et du pull-over. Là, je crois qu’il faut rendre les coups, et frapper fort, mais toujours sous les dehors de la plus parfaite urbanité. « Vraiment, belle-maman, je suis désolée que nous n’ayons pas les mêmes goûts, ce doit être une question de génération… » (sourire charmeur). La politesse, si elle défend d’attaquer, n’exclut pas qu’on sache se défendre !

Quant à l’annonce d’une maladie, il est très difficile de savoir à l’avance comment on réagira, et absolument impossible de donner un conseil. Cela dépend de tant de choses ! Réagissez comme vos sentiments et votre personnalité vous le dictent sur le moment. Ici, le code se tait, impuissant. Il ne s’agit plus de savoir-vivre mais de cœur. On peut pleurer, crier, se taire, s’effondrer, rester calme. L’opinion d’autrui est sans importance, on est face à soi-même et, parfois, on s’étonne…

FAUT-IL ÉVITER LES SUJETS QUI FÂCHENT ?

Comment réagir quand un convive aborde un thème sensible comme par exemple l’éviction de Blocher, le retour de Hirschorn, la légalisation du cannabis ou Paris Hilton ?

Éric

D’après les manuels de savoir-vivre (dont la lecture est hilarante, ou délicieuse si on regrette l’époque des guêtres et des huit-reflets), une bonne maîtresse de maison doit craindre comme la peste les sujets politiques, sociaux, religieux ; bref, tout ce qui permet d’exprimer une opinion personnelle doit être banni de la conversation, à part les animaux (mais éviter la vivisection) et les vacances. Donc, si un convive déclare qu’il ne peut pas encaisser les Arabes, les Juifs, les Noirs, les homosexuels, les Suisses allemands, les femmes politiques, je vous laisse continuer la liste, l’hôtesse doit répliquer avec un sourire que tous les goûts sont dans la nature, mais vous prendrez bien un peu de fromage, et, à propos, ces vacances en Normandie, pas trop pluvieuses ? Ici, l’art de mener la conversation consiste à la châtrer complètement, à en faire un échange lisse et aseptisé. Les invités ne s’étriperont pas, la conversation se concentrera sur cet excellent bordeaux que-nous-achetons-directement-au-Château, et on s’ennuiera poliment, comme c’est souvent le cas dans les dîners mondains.

Moi, et tant pis pour le code, je préfère les soirées où l’on s’empoigne un peu ! Mais, là encore, il faut faire la part des choses. S’il s’agit d’un dîner très formel (avec son patron, par exemple), on essayera en effet d’éviter les sujets qui fâchent. De toutes façons ce genre d’invitations ne sont pas faites pour s’amuser, elles sont du domaine de la stratégie, et hypocrisie et flatterie n’y sont pas interdites. Mais si l’hôte d’honneur s’avère un beauf impossible, tient des propos racistes, sexistes, faut-il vraiment suivre les lénifiants conseils cités plus haut ? Là, c’est à vous de savoir si vous préférez perdre votre âme ou votre boulot ! Mais, à part ces situations tout à fait cornéliennes, on peut considérer qu’il y a des opinions qui ne sont pas tolérables, et la politesse ne nous oblige pas à tout encaisser. J’ai mis à la porte de chez moi un invité qui tenait des propos antisémites. Il y a longtemps de cela, mais le souvenir de sa tête quand je l’ai prié de partir me réjouit encore, même si cela est absolument contraire à toutes les règles.

Cependant, si les enjeux sont moins graves, je crois qu’il faut laisser la conversation vivre sa vie, et les invités s’exprimer. Contrairement à ce qu’on a tendance à croire chez nous, il n’est pas impoli de n’être pas d’accord. Dans ce pays du consensus, tout désaccord prend l’allure (et parfois la forme) d’une agression. C’est très dommage. Une discussion politique animée où les propos s’affrontent peut être enrichissante sans tourner à l’attaque personnelle, et là est le vrai rôle du maître de maison : permettre à ses hôtes d’échapper aux banalités habituelles, tout en sachant orchestrer les échanges, veiller à ce que chacun s’exprime, en évitant dérapage et énormité insupportables. Là est le véritable savoir-vivre !

LES PIÈGES DU TUTOIEMENT

Quelqu’un vous propose le tutoiement (avec ou sans schmolitz), mais vous n’en avez aucune envie. Existe-t-il un moyen élégant de refuser ou faut-il assumer d’être un grossier personnage ?

Marc

Certaines nuances qui font du code social un langage subtil et passionnant sont menacées par le rouleau compresseur d’un « égalitarisme » qui tend à transformer les rapports sociaux en une morne plaine où tout le monde s’habille pareil, s’appelle pareil, où disparaît peu à peu ce qui distinguait les fonctions, les âges, les sexes, les relations. Une masse, d’âge et de sexe indifférenciés, vêtue de survêtements de sport, chaussée de baskets et pourvue uniquement de prénoms, voilà la société nouvelle qui semble se préparer. Bien entendu, tout ceci n’est qu’apparence, et la dureté des rapports sociaux, hiérarchiques, économiques reste entière sous cette fausse démocratisation à laquelle certains se laissent prendre. T’appeler par ton prénom et te tutoyer n’empêchera pas ton patron de te virer s’il en a envie !

Et parmi ces manifestations de convivialité bidon, le tutoiement généralisé et obligatoire est l’une des plus fréquentes. Or le vouvoiement est, en français, un instrument indispensable de la communication. Moyen incomparable pour marquer la distance, il l’est aussi pour exprimer la considération. Et comme j’aime admirer, j’aime vouvoyer. Il n’est pas toujours insupportable de n’être pas « l’égal » de quelqu’un. On peut être heureux de reconnaître une supériorité d’âge, de fonction, de savoir, qui mérite le vous du respect. Et puis, surtout, pourquoi se priver de ce charmant moment de la relation où on décide de se tutoyer parce que le vouvoiement ne marche plus, qu’on se trompe tout le temps, que l’autre est devenu assez intime pour cette consécration ? Dire « tutoyons-nous », c’est une petite façon de dire « je t’aime », et c’est pourquoi il est préférable que les deux partenaires en aient envie en même temps. Alors que faire si ce n’est pas le cas ? D’abord, ce serait plus facile si les gens respectaient les règles qui président à ce passage au tu. Il est grossier de tutoyer un adulte que l’on ne connaît pas, même si c’est un ami d’ami, sauf bien entendu dans les sociétés ou confréries où le tutoiement est traditionnel. C’est aux femmes ou aux personnes plus âgées de proposer le tutoiement. Dans ce cas, on peut dire « oh, je n’oserai jamais, vous m’impressionnez trop », la personne sera flattée au lieu d’être vexée. Si la déférence n’est pas de mise, on peut expliquer qu’on a le tutoiement difficile, incriminer son éducation bourgeoise, dire qu’on préfère attendre un peu, répondre « si VOUS voulez » (solution élégante, mais rude). Mais il faut avoir conscience que refuser de dire tu, c’est refuser la relation telle que l’autre la propose et c’est toujours difficile. Et comme, si l’on n’est pas (encore) obligé d’aimer qui vous aime, le nivellement moderne vous enjoint de tutoyer qui vous tutoie, le refus est doublement violent. Alors, blesser ou se faire un ennemi du brave butor qui vous trouve unilatéralement sympathique ? À vous de voir…