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Préface

La féerie est-elle le seul domaine où l’on doive aller chercher des sujets de contes pour les enfants ? Après le sublime Perrault, qui a écrit jusqu’ici les plus jolis contes d’enfants, n’y a-t-il plus rien à créer pour eux dans un autre genre ? Réussissez, répondra-t-on, et la question sera résolue en votre faveur. Cette réponse n’est que spécieuse ; car je pourrais fort bien ne pas réussir dans ma tentative, sans qu’il fût prouvé pour cela que les enfants ne voudront jamais se plaire qu’aux naïves, qu’aux inimitables fictions du Petit Chaperon rouge et du Petit Poucet. Un plus habile viendra qui, après avoir démontré que les grands-parents, en souvenir du passé, par reconnaissance pour leur jeune âge, sont pour plus de moitié dans la vogue éternelle acquise à Perrault, prendra place auprès de cet heureux écrivain en élevant le conte à la hauteur d’un enseignement. Mais faut-il toujours enseigner ? crieront ceux qui volontiers crient sur tout. On leur répliquera doucement : Ne faut-il jamais enseigner ? Quelle meilleure occasion de graver un principe de justice ou d’humanité dans le cœur des enfants, que celle qu’offre tout naturellement un récit qui les captive et les intéresse ? Perrault en vaudrait-il moins si Barbe-Bleue apprenait quelque vérité destinée à germer plus tard ? Les fleurs sont de charmantes choses ; mais les fleurs qui deviennent des fruits sont, je crois, d’un ordre supérieur.

Les enfants ne le sont pas autant qu’on le croit. Si on peut leur offrir sans danger des images fausses, telles que des souris blanches qui se métamorphosent en chevaux ; qu’une citrouille qui se change en magnifique équipage ; si leur intelligence courte, mais saine, redresse facilement ces ingénieux mensonges, n’est-il pas de raison de les initier tout de suite à la vérité, dans les écrits qu’on leur destine ? Mais le charme de la fiction ? objectera-t-on. Soyez tranquilles : Dieu a mis assez de charme et de poésie dans la vérité, sans qu’il soit rigoureusement besoin de recourir à l’imagination de l’homme pour ajouter à la vérité.

Il s’agit uniquement de la leur faire aimer dans nos contes nouveaux, comme Perrault, dans les siens, leur fait aimer le mensonge. Rien n’est plus facile. Que faut-il pour cela ? Être Perrault.

LÉON GOZLAN.