C’est vraiment une bonne idée qu’a eue M. l’abbé Flayeux d’écrire le petit livre qu’il offre aujourd’hui à ses amis.
Ces Légendes et Souvenirs se rapportent aux montagnes de la Haute-Meurthe et aux parages alsaciens limitrophes. On sait qu’il connaît à fond ce magnifique pays vosgien, où il a reçu le jour et dont il a retracé l’histoire dans son Étude sur l’ancien ban de Fraize et les beautés dans son opuscule intitulé Excursions dans nos Montagnes.
Les nouveaux récits qu’il édite maintenant forment une excellente contribution – en même temps que moralisante, ce qui ne gâte rien – aux Folklore des Hautes-Vosges.
Il est temps, en effet, de recueillir les légendes populaires, ces histoires naïves et charmantes qui, à travers la mémoire de nos grand-mères, nous sont parvenues et ont bercé notre enfance et enchanté notre jeunesse. C’est faire, à l’heure qu’il est, belle et bonne besogne que de les fixer d’une manière indélébile.
Je ne saurais trop le répéter, il en est grand temps, car elles s’effacent et s’oublient, et bientôt il n’en restera plus de traces.
Les folkloristes ont sauvé déjà beaucoup de ces vieilles traditions, qui sont comme une réminiscence, un reflet de l’état d’âme de nos ancêtres. Ils ont, pour les aider, fondé des recueils tels que Mélusine, la Tradition, la Revue des traditions populaires, etc, dans lesquels ils publient et collectionnent, pour les comparer entre eux, tous les faits et documents qui sont du domaine de cette science, relativement nouvelle, à laquelle on a donné le nom exotique et un peu bizarre de Folklore.
Mais le nom n’y fait rien et il est, à présent, partout admis et répandu. La matière qui fait l’objet des études de la Science qu’il désigne était, du reste, mise en œuvre bien longtemps avant qu’il ne fut inventé. Richard (de Remiremont), dans ses Traditions populaires des Vosges, Désiré Monnier dans ses Traditions franc-comtoises, Aug. Stœber dans ses Alsatia, l’abbé Braun dans ses Légendes du Florival, Charles Grad et d’autres collaborateurs de la Revue d’Alsace, n’avaient pas attendu pour faire de curieuses recherches et d’abondantes trouvailles dans ce domaine encore peu exploré. Et je ne parle ici que pour notre région de l’Est.
Il n’y a pas que des légendes et des contes de fées à sauver de l’oubli. M. l’abbé Flayeux le sait mieux que personne. Il y a tout ce qui se rapporte, tout ce qui touche de loin ou de près à l’âme du Peuple : traditions et chansons, us et coutumes, croyances et superstitions qui, très souvent, ne sont que des débris de religions disparues depuis des siècles. Tout cela, comme on l’a dit fort justement, nous fait connaître et comprendre les tendances des populations anciennes, leurs instincts, leur vitalité profonde réapparaissant, distincte, sous toutes les transformations politiques.
C’est pourquoi l’on trouve aussi, dans ce gentil volume, quelques récits concernant les « usages des jours de fête et jours consacrés » conservés dans nos montagnes vosgiennes, tels que ceux de la mi-carême (les conates), de Pâques, de la Saint-Nicolas. Il y aurait plus d’un intéressant chapitre à écrire sur tous ces antiques usages, qui se sont perpétués à travers les âges. C’est là un sujet tentant que le pasteur Ch. Roy, (de Bussurel), dans ses Us et Coutumes de l’ancien Pays de Montbéliard, a traité de main de maître. C’est un travail qui, à mon avis, peut servir de modèle.
En somme, c’est encore là de l’histoire, et l’histoire politique d’un pays n’est pas complète si l’on ne connaît pas les mœurs, les coutumes traditionnelles de ceux qui l’ont habité et l’habitent encore.
Ce sont ces sortes d’études que M. l’abbé Flayeux a entreprises et qu’il continue avec une ardeur dont il faut lui savoir le plus grand gré, et un succès bien légitime. Pour ma part, je ne saurais trop l’encourager à les poursuivre. J’ai un faible très prononcé, je l’avoue, pour ces naïves histoires et ces jolies féeries d’un charme si séduisant.
De même que le répète M. l’abbé Flayeux d’après le bon Lafontaine, je dis sincèrement que
Au crépuscule de la vie, j’aime toujours ces merveilleux récits que l’on me contait dans mon enfance. Je ressens plaisir pareil à celui qu’en ma jeunesse me faisaient éprouver les Contes de Fées de Charles Perrault, de la comtesse d’Aulnoy et de la princesse de Beaumont, et, plus tard, le Foyer breton d’Émile Souvestre et les Traditions populaires de Franche-Comté d’Auguste Demesmay.
HENRI BARDY.
Lafeschotte (Doubs), 12 Janvier 1903.