– Ô la folie ! – et la cloche tragique où pendre
Mes mains, mes pauvres mains, pour appeler la mort !
On s’espère : dompté ; mais sans cesse reviennent
Désirs, haines, amours et pleurs qui s’entretiennent
Et le ressac toujours arrache une ancre au port.
Les vents, les vents hurleurs, les vents énergumènes
De leurs cordes me renoueront, cordes de fer,
Et mes banals gestes revideront dans l’air
Mon cœur, mon cœur humain, de ses douleurs humaines.
– Le sort, écoute, il dit : sois ton bourreau toi-même ;
N’abandonne l’amour de te martyriser
À personne, jamais. Donne ton seul baiser
Au désespoir ; et vis ton morose anathème.
Force ton âme, éreinte-la contre l’écueil :
Les maux du cœur qu’on exaspère, on les commande ;
La vie, hélas ! ne se supporte et ne s’amende
Que si la volonté la terrasse d’orgueil.
La norme est la douleur. Hélas ! qui s’y résigne ?
– Vierge, je veux nouer mes tortures en moi :
Comme jadis les grands chrétiens, mordus de foi,
S’émaciaient avec une ferveur maligne,
Je veux boire les souffrances, comme un poison,
À m’en griser ; je cinglerai de mon angoisse
Mes pauvres jours, ainsi qu’un tocsin de paroisse
S’exalte à disperser le deuil sur l’horizon.
Cet héroïsme intime et bizarre m’attire :
Se préparer sa peine et provoquer son mal
Avec acharnement et dompter l’animal
De misère et de peur, qui dans le cœur se mire
Toujours, se redresser cruel et contre soi,
Vainqueur de quelque chose enfin – et moins languide
Et moins banalement en extase du vide.
– Sois ton devoir, sois ton tourment, sois ton effroi ;
Et puis, il est des champs d’hostilités tentantes
Que des hommes de marbre avec de fortes mains
Ont cultivés, il est de terribles chemins
Par où des pas battants et des marches battantes
Sont entendus : c’est là que sur tel roc vermeil
Le soir allume au loin le sang et les tueries
Et que luisent parmi les lianes flétries
Des éclatants couteaux de crime et de soleil !