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À toi.

« La mer est là, magnifique, imposante et superbe, avec ses bruits obstinés. Rumeur impérieuse et terrible, elle tient des propos étranges. Les voix d’un infini sont devant vous. Rien de la vie humaine. »

EUGÈNE DELACROIX

UN

I

20 h 16 : le téléphone fixe sonna.

J’interrompis ma lecture (Avant d’aller dormir de S. J. Watson, l’histoire d’une quadragénaire amnésique qui, chaque matin, se réveille en croyant être une jeune étudiante célibataire ayant tout l’avenir devant elle).

Julianne n’avait pas pour habitude d’appeler si tard. J’imaginai le pire, comme d’habitude : un accident de voiture, un séisme dévastateur de magnitude 8 virgule 9, un bloc de glace tombé du ciel écrasant le corps de ma meilleure amie… Mon imagination peut devenir, en l’espace de quelques secondes, ma pire ennemie.

Je décrochai le combiné :

« Allô ? »

Pas de réponse.

« Allô ? » répétai-je.

Je jurai.

« Pour la dernière fois : allô ! »

Le ou les individus raccrochèrent.

Certaines personnes n’avaient donc rien à faire de leur soirée ?! Me déranger en pleine lecture pour quoi ? pour rien ! Ces mauvais plaisantins ne pouvaient-ils pas harceler quelqu’un d’autre ?

Je soufflai.

Tout en reposant l’appareil sur son socle, j’entraperçus dans le miroir le reflet de mon visage contrarié. « Seigneur Dieu, Fiona, il faut vraiment que tu fasses quelque chose », me dis-je. Faire quelque chose, oui, mais quoi ? Mes cheveux m’ont toujours causé des difficultés. Ils sont épais, drus ; je n’arrive pas à les coiffer comme je le voudrais. Et ces petites rides au coin des yeux… comment parvenir à les atténuer ? Je plaquai les mains contre mon visage et tirai légèrement ma peau vers les côtés. Je fis rapidement onduler mes lèvres. Dans l’idéal, il faudrait retoucher ces rides de la patte-d’oie mais aussi cette bouche. Je l’aurais voulue plus charnue, plus sensuelle.

Je me mis à battre des cils. « Ridicule. Tu es ridicule, Fiona. »

J’abandonnai ce jeu idiot.

Passé l’âge de trente ans, tout est joué ; chacun le sait. À qui voulais-je plaire de toute façon ? Le seul homme que j’aie jamais aimé a disparu ; il ne reviendra pas.

Je me rassis dans le grand fauteuil vert du salon. Qu’allais-je manger ce soir ? J’essayais de visualiser mentalement le contenu de mon frigo. Il y avait un reste de pâtes au saumon fumé, quelques mini roulés à la saucisse, deux yaourts nature…

De nouveau, le téléphone se mit à sonner. Je décidai de ne pas bouger. Impossible de passer une soirée tranquille… Foutus détraqués ! Je bouillais.

Au bout d’un temps, le bruit s’arrêta. Le tic-tac de l’horloge murale se fit entendre. Le calme revint.

Ma nuque se décrispa et les os de mon crâne se relâchèrent.

Je repris mon bouquin. Non seulement Christine se réveille chaque matin en pensant qu’elle a vingt ans mais, en prime, elle ne se souvient ni de la maison dans laquelle elle vit ni de l’homme à côté duquel elle dort. Avant d’aller dormir est un thriller assez hitchcockien qui réserve son lot de surprises : l’héroïne est-elle aussi innocente qu’il y paraît ? Son mari est-il réellement son mari ? Ses amis le sont-ils véritablement ?

Ce genre de lecture m’amuse. Les histoires de crimes et de fausses pistes éveillent en moi un intérêt spécifique. Sans doute est-ce dû à mon métier… Écrire des romans policiers demande de l’inventivité en matière de manipulation du lecteur.

Soudain, une troisième sonnerie retentit.

De colère, je me levai, empoignai le téléphone et hurlai :

« Allô ! »

Une voix ridiculement fluette me répondit :

« C’est moi. Julianne. Il s’est passé quelque chose de grave… Il faut que tu viennes immédiatement ! »

II

Sans poser de questions, je partis.

Julianne n’est pas qu’une simple amie. Elle est la seule. Nous nous connaissons depuis le lycée, nous avons étudié dans la même université. Nous avons suivi le même parcours. J’ai souvent pensé que nos vies seraient opposées. Plus jeune, c’est elle que j’imaginais devenir écrivain. Constamment plongée dans un bouquin, prenant des notes, soulignant au crayon à papier les passages les plus saisissants, elle n’avait pas le temps de s’intéresser à autre chose. Contrairement à moi qui, à cette époque, n’aspirais qu’à plaire aux garçons.

L’année de l’obtention de notre licence d’histoire de l’art, au début des années 2000, nous nous sommes éloignées à cause d’un garçon justement. J’ai rencontré Florian et je n’ai plus pu le quitter. Julianne ne m’a jamais fait de scène. Nous n’avons jamais haussé le ton. Pourtant le lien qui nous unissait s’est peu à peu relâché. Le temps passé ensemble s’est rapidement limité à la vingtaine d’heures de cours que nous avions dans la semaine. Nous discutions encore de littérature, entre deux heures de travaux dirigés, mais notre amitié n’était plus la même. Quelque chose s’était glissé entre nous ; un caillou avait pénétré nos chaussures.

Nous avons entretenu une correspondance, sans nous voir, pendant huit ans. Julianne a poursuivi ses études à l’université Paris-Sorbonne. Elle a brillamment réussi sa maîtrise, puis sa thèse : un pavé de cinq cents pages consacré au Buisson ardent, majestueux triptyque réalisé au XVe siècle par Nicolas Froment représentant la Vierge et l’Enfant sur le Buisson ardent. L’œuvre est exposée dans la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence ; ce qui m’a amené à lui demander pourquoi elle n’était pas restée dans la région. « La pollution de Paris me fait le plus grand bien », m’a-t-elle écrit dans une lettre. Autant me dire : « Vivre à Aix et te croiser toutes les semaines, non merci. » Malgré ça, malgré quelques sous-entendus empreints d’amertume, nous n’avons pas perdu le contact.

Et puis, il y a eu l’accident. Je dis « accident » mais ce n’est pas le mot juste. Le drame, disons. La catastrophe, le malheur, l’« événement ». Le 9 juin 2010, Florian et moi sommes allés nous promener à Cassis. Ça faisait plusieurs mois déjà qu’il me parlait d’une calanque que son père lui avait fait découvrir, enfant : « Il y a une faille dans la roche qui donne sur la mer ; ça fait comme un sifflement quand les vagues s’enfoncent à l’intérieur de la cavité. Tu vas voir, c’est superbe ! » Je n’ai jamais été attirée par la mer. Quand je nage, j’évite de mettre la tête sous l’eau ; je ne suis pas à l’aise, j’ai peur. Le sentiment de ne rien maîtriser est trop fort. Je préfère de loin rester sur la plage à bouquiner. Ce mercredi 9 juin, nous avons donc pique-niqué dans la calanque de Port-Pin, entre Marseille et Cassis. Florian était excité et n’arrêtait pas de me parler de son père. Il n’avait pas beaucoup de souvenirs d’enfance mais celui qui concernait Port-Pin était encore très vivace.

Dans l’après-midi, je me suis endormie. Florian, lui, ne se lassait pas de nager. À un moment, j’ai ouvert les yeux pour saisir le tube de crème solaire. Le soleil tapait. J’ai dit : « Merde », « putain » ou un truc dans le genre. Je ne trouvais plus la crème. J’ai transformé ma main droite en visière et j’ai cherché Florian. J’ai tout de suite pensé qu’il était dans l’eau. Je me suis levée et j’ai soupiré. J’ai jeté un œil sur sa serviette de bain ; j’y ai vu la marque de ses coudes. Son téléphone portable et notre sac de plage n’avaient pas bougé. Face à moi, l’infini de la mer. Et pas une seule tête humaine ne dépassant de la surface. Étrangement, je n’ai pas paniqué. J’étais plutôt agacée, irritée : « Il sait que je n’aime pas cet endroit. Il sait que je n’aime pas ce type de plaisanterie. Je suis venue ici pour lui faire plaisir et voilà le remerciement ?! » J’ai commencé à rassembler nos affaires ; il était 17 heures passées. Après un certain temps, je me suis approchée d’un couple installé plus loin : « Excusez-moi, je cherche mon compagnon. Il était avec moi… Il est grand, châtain, plutôt mince. Il a les yeux bleus. Est-ce que… est-ce que vous l’auriez vu ? » Non. Non, ils ne l’avaient pas vu. D’ailleurs, personne sur cette foutue plage ne l’avait vu.

Je suis restée à Port-Pin jusqu’à l’arrivée de la police (deux heures et demi plus tard). J’ai interrogé chaque baigneur, chaque promeneur, chaque touriste que j’ai pu rencontrer – sur le sable et sur les rochers. J’ai sorti la photo de Florian de mon portefeuille et je l’ai montrée. Je l’ai présentée à tous ceux dont j’ai croisé le chemin. L’idée de l’enlèvement m’a effleuré l’esprit. « On n’est pas dans un film », ai-je raisonné. J’étais toujours en colère. Je me disais qu’il était sacrément gonflé, ce petit con, de me faire une blague pareille. Quand il rentrerait, il verrait. Il verrait…

Il n’est jamais revenu. Il n’est jamais revenu et son corps n’a pas été retrouvé.

J’ai mis beaucoup de temps à accepter. Beaucoup de temps à me faire à l’idée qu’il n’était plus parmi nous.

Celle qui m’a réellement aidée, c’est Julianne. Après la mort de Flo, je n’ai plus répondu à ses lettres, je n’ai plus répondu à ses SMS. Je me suis éloignée de tout et de tout le monde. Et pourtant, un soir, en rentrant chez moi, je l’ai trouvée sur le palier de ma porte. Elle était là, rayonnante et pleine de tendresse : « J’ai appris ce qui s’est passé… J’ai pris le train. Je suis venue t’apporter mon soutien, ne le refuse pas. »

Son soutien, je ne l’ai pas refusé. Et nous voici, quatre ans plus tard, redevenues meilleures amies.

III

Sans poser de questions, je partis.

Je rejoignis le cours Gambetta et attrapai le premier bus en direction du centre-ville d’Aix. Julianne habite cours Sextius depuis deux ans. Moi je réside à la Torse, à moins de deux kilomètres du centre historique. Nous ne sommes pas voisines, mais presque. À pied, il me faut une demi-heure pour aller jusque chez elle.

Difficile de perdre autant de temps ce soir-là. N’ayant pas de voiture, je fus contrainte de prendre les transports en commun.

Vers 20 h 40, je descendis de l’autobus et courus sonner à sa porte.

J’utilisai l’interphone : « C’est Fiona, ouvre-moi ! »

L’accès me fut permis. Je montai les marches en vitesse puis m’arrêtai sur son palier, au deuxième étage. Je toquai.

Le battant mobile s’ouvrit.

« Est-ce que tout va bien ? » haletai-je.

Le visage de mon amie apparut.

« Mais qu’est-ce que tu fais là ? »

Un mélange de stupeur et d’effroi avait figé ses traits.

« Tu viens de m’appeler, t’as dit que quelque chose de grave s’était produit ! »

Julianne effectua un mouvement de recul :

« Je t’ai pas appelée. Je t’assure, tout va bien ici. »

Je me raidis :

« Écoute, je suis sûre de ce que j’ai entendu… Tu m’as téléphoné il y a une vingtaine de minutes pour me dire qu’il fallait que je vienne. Ta voix n’était pas normale, tu semblais paniquée ! »

Ma meilleure amie me tira à l’intérieur.

« Calme-toi et va t’asseoir. T’as pas l’air bien… Est-ce que tu as mangé ? »

Je m’assis dans le canapé du salon et fis non de la tête.

« Ne bouge pas, je vais te préparer un sandwich », me dit-elle.

J’étais sonnée. Comment aurais-je pu inventer une telle histoire ? Je n’étais quand même pas assez perturbée pour halluciner ?! Je réfléchissais. À quand remontait mon dernier dérapage ?

Julianne réapparut :

« C’est la première fois que ça te fait ça ? »

Je déglutis :

« Depuis Florence, oui. »

Nous étions parties une semaine à Florence en août dernier. Le voyage, la chaleur, toutes ces œuvres d’art que nous avions vues… Je ne m’étais pas sentie bien.

« Depuis deux mois donc ?

— C’est ça. »

La Bibliothèque nationale centrale, la cathédrale Santa Maria del Fiore, le Duomo de Florence, l’église Santa Maria Novella, la galerie de l’Académie, la galerie des Offices, le jardin de Boboli, le musée du couvent San Marco, le musée national du Bargello, le Palazzo Vecchio, la Piazza della Signoria, le Ponte Vecchio… Je repensais à tous ces endroits incroyables.

« Bon, n’en faisons pas un drame. Ce qui s’est passé à Florence s’est passé à Florence. Tu as eu des vertiges, tu as cru voir et entendre des choses : OK, c’est un fait. Mais c’est fini maintenant. C’est derrière toi ! »

Je n’écoutais que d’une oreille :

« T’as raison, oui.

— Ce qu’il te faut, c’est du repos. »

Botticelli, Donatello, Fra Angelico, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Piero della Francesca… Voir les chefs-d’œuvre de ces grands maîtres en si peu de temps s’était révélé éprouvant. Je ne m’étais pas attendue à un tel déluge de formes et de couleurs. Et cette violence, toute cette violence… Dans la touche, dans le geste. Il y a à Florence un concentré de barbarie, un torrent de passion féroce qui emporte le visiteur dès le premier coup d’œil. Les places, les ponts, les rues de la ville cachent une inquiétante sauvagerie…

« Mange ton sandwich, Fio. »

Je sortis de ma rêverie.

« Est-ce que ça t’embête si je reste un peu avec toi ce soir ? »

Julianne sourit :

« Bien sûr que non. Tu es chez toi. »

IV

Vers 23 h 30, je décidai de rentrer. Julianne me proposa de rester dormir mais je n’en avais pas envie. J’étais inquiète à mon sujet, j’avais besoin de réfléchir – seule. « Il n’y a plus de bus à cette heure-ci. Je peux te ramener en voiture », affirma-t-elle. Marcher n’était pas un problème pour moi ; j’avais pris l’habitude d’aller courir toutes les semaines. « Je t’assure, ça va me faire du bien de prendre l’air. J’étouffe ici », dis-je afin de prendre mes distances. Vaincue, mon amie me raccompagna à la porte : « Je te téléphone demain, d’accord ? S’il y a le moindre souci, appelle-moi. » J’en fis la promesse.

Je descendis le cours Sextius, suivis l’avenue Bonaparte et débouchai sur la place de la Rotonde. Le mois d’octobre touchait à sa fin. Nous étions déjà le 20.

Je repensais à ce que Julianne m’avait dit à propos de l’édification de la place. Son aménagement avait pris du temps. La construction avait été décidée en 1775 mais la fontaine de la Rotonde ne fut inaugurée qu’en 1860. Trois sculpteurs aixois furent mobilisés pour réaliser le groupe de statues trônant au sommet. L’allégorie des Beaux-Arts, au nord, l’allégorie de l’Agriculture, au sud, et celle de la Justice à l’est formèrent l’ensemble. Je me demandais si ce genre de renseignement me serait utile plus tard, dans un roman ou une nouvelle.

Tout en faisant un détour par l’avenue Victor-Hugo, je réfléchissais à mon futur bouquin. De quoi avais-je envie de parler ? D’Aix, de la ville d’Aix-en-Provence, ça oui, c’était certain. L’intrigue se situerait ici. Mes romans déjà publiés pouvaient être classés dans la catégorie policier. La recette était simple : un lieu (plutôt singulier, voire exotique), un crime (atroce, dégoûtant), des suspects (pas trop non plus, il ne faut pas perdre le lecteur), des révélations (sordides si possible) dont une, en plein milieu du roman, qui vient bouleverser tous les repères, la naissance d’une histoire (d’amour évidemment), un second meurtre (encore plus atroce), une fausse piste, un (léger) soupçon porté sur le partenaire amoureux du héros, une nouvelle tentative de meurtre (dont la victime réchappe), un indice miraculeux, et bim ! résolution de l’enquête (avec bain de sang et crise de larmes).

J’en avais assez. Ce que je voulais c’était écrire une histoire d’amour. Me focaliser sur ça, sur mes personnages. Je voulais parler de sexe aussi. Du désir. J’avais besoin de chair.

Ma maison d’édition n’était pas favorable à ce changement de style. M. Haanel, directeur des éditions Noir, me l’avait expliqué : « Vos livres se vendent bien, pourquoi changer de registre ? Le roman policier, c’est ça qui marche. Vous êtes douée, Fiona. Laissez la littérature érotique à ceux qui n’ont pas d’idées. » Je n’avais pas insisté. C’était il y a deux ans, à l’époque où sortait mon troisième livre : Poppi Pype et le Mystère du castor.

Je poussai un soupir. Je n’étais plus très loin du cours Gambetta.

Pourquoi voulais-je écrire une histoire d’amour ? Pourquoi cette envie si persistante ? Quatre ans après la disparition de Florian, que savais-je de l’amour exactement ? Peu de choses en définitive… Je n’avais pas couché avec un homme depuis. Notre relation m’avait marquée au fer – comme une bête. Huit années de relation m’enchaînaient aujourd’hui au souvenir de ce garçon.

Je me sentais faible.

Il s’était noyé, il était mort. Soit. Que pouvais-je y faire ? Peut-être avait-il fait ce choix ? Au fond, qu’en savais-je ? Je me demandais quelquefois s’il ne s’était pas suicidé. S’il n’avait pas – consciemment – nagé jusqu’au point limite, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que ses forces le quittent.

Si ça avait été le cas, s’il avait lui-même choisi de mettre fin à ses jours, devais-je encore porter le poids du deuil ? J’étais furieuse. Je n’ai jamais cessé de l’être. Depuis le jour de sa disparition, depuis le 9 juin 2010, je suis habitée par la rage.

Cette rage je l’ai utilisée dans l’écriture, dans la description de meurtres tordus et de perversions immondes. Poppi Pype et le Mystère du castor, écrit deux ans après la mort de Florian, est sans conteste mon livre le plus dérangeant. J’y ai mis toute ma frustration, tout mon dégoût. Le personnage principal est un nain unijambiste qui enquête sur la mort de son ancienne compagne : une artiste de cirque prostituée de force. Mes deux premiers romans : Monsieur Max et le Chat obèse, sorti en 2009, et La Lolita moustachue, sorti en 2010, sont aussi sinistres mais l’humour vient apporter une note de légèreté. Florian n’aimait pas les romans policiers. Florian n’aimait pas lire. Qu’avions-nous en commun finalement ? Deux, trois amis, la marche à pied, l’art, le sens de la famille… C’est la banalité du quotidien qui a cimenté notre couple. Il n’y a pas d’autre explication.

Agacée, je regagnai la Torse.

V

J’arrivai chez moi indemne, aux alentours de minuit. Je posai mes affaires et envoyai un SMS à Julianne : « Bien arrivée. Merci pour tout. Bisous. » Je me dirigeai vers la salle d’eau et me fis couler un bain. J’avais besoin de douceur, besoin de m’immerger dans cent cinquante litres d’eau chaude. Maintenant que j’étais chez moi, au calme, mon agressivité faiblit. Je regrettais de m’être emportée sur le chemin. Pourquoi en voulais-je autant à Florian ?

Je me déshabillai, jetai mes affaires au sol et plongeai le bout de mes orteils dans le liquide brûlant.

Il m’avait abandonnée, laissée sur le bord de la route. Comment pouvais-je lui pardonner ? Je me sentais seule. Je me sentais seule et rejetée. Mais il y avait autre chose. Autre chose de plus alarmant. Mon rapport aux hommes avait changé. Il s’était déformé, tordu. En quatre ans, j’avais eu l’occasion de rencontrer deux garçons : Sylvain et Marc. Sylvain avait connu un deuil important lui aussi. Il s’intéressait à l’ésotérisme, à la magie, au surnaturel et Julianne avait su me le vendre : « Il est charmant, tu vas voir. Vous avez des tas de choses en commun. Il aime les trucs bizarres : les vieux grimoires, l’alchimie, les sociétés secrètes… comme toi. » Je m’étais laissé convaincre et nous nous étions retrouvés dans