MARINE
NE PERD PAS
LE NORD
Laurent Chambon
© Le muscadier, 2012
48 rue Sarrette – 75685 Paris cedex 14
www.muscadier.fr
info@muscadier.fr
Contribution éditoriale : Carole Mathiot
Couverture : Espelette
ISBN 9791090685093
Je vis depuis plus d’une décennie à Amsterdam, un œil sur mon pays d’adoption – les Pays-Bas –, un autre sur mon pays de naissance – la France. Ce qui me frappe, c’est la similarité des situations nationales entre ces deux pays, mais aussi, plus largement, la similarité des situations de l’Europe et des États-Unis. Dans tout l’Occident, nous sommes dans une situation économique et politique totalement bloquée, et cela cause de grosses frictions politiques qui ont forcément des conséquences électorales. Chaque pays a ses particularités : en France, la nouvelle extrême droite est représentée par Marine Le Pen ; aux Pays-Bas, l’extrême droite est menée par Geert Wilders, l’extrême gauche est puissante et les partis gouvernementaux sont en déconfiture ; au Danemark, ce sont dix ans de coalition avec l’extrême droite ; en Belgique, un énorme conflit piloté par l’extrême droite menace l’existence même du pays ; et partout en Europe, on constate l’existence d’une extrême droite à la fois agressive politiquement et décidée à conquérir le pouvoir. Quant aux États-Unis, poussés à droite par le mouvement Tea Party, les Républicains se radicalisent de plus en plus.
En 2008, les éditions Denoël m’ont demandé d’écrire un livre sur la question des minorités à l’occasion du premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Cet ouvrage, Le grand mélange, était basé sur de nombreuses comparaisons avec les Pays-Bas, mais aussi avec le Royaume-Uni, les États-Unis ou l’Afrique du Sud. Il avait pour but de sensibiliser le public français à la question de la diversité, avec pour vœu (pieux) que les élites politiques et médiatiques françaises acceptent enfin d’ouvrir leurs portes aux enfants d’immigrés, aux femmes et aux gays. Il n’en a bien sûr rien été, bien au contraire : la politique française semble être devenue plus sexiste, plus homophobe, plus islamophobe et plus raciste qu’avant.
L’année suivante, en plus de mes activités de chercheur à l’université de Poitiers et d’élu local à Amsterdam, j’ai décidé de passer à quelque chose de plus interactif, et j’ai refondé le site <minorites.org> en 2009 avec Mehmet Koksal (journaliste bruxellois) et Didier Lestrade (activiste gay et écrivain français). La revue Minorités – née de cette refondation et qui réunit de nombreuses plumes partout dans le monde – est très vite devenue hebdomadaire. Elle est aujourd’hui un lieu de réflexion très important sur la question des minorités, mais aussi sur la politique, sur le pouvoir et, bien sûr, sur le populisme. Une sorte de think tank, mais polyphonique et contradictoire.
Une partie des idées et analyses développées ici ont déjà été abordées dans plusieurs articles écrits pour la revue Minorités. Ces articles ont rencontré un tel écho et ont suscité tellement de messages et de questions, qu’il a vite été question d’en publier une version plus structurée et plus complète. Ainsi, quand les éditions du Muscadier m’ont proposé d’écrire sur un sujet qui me tenait à cœur, le projet d’un ouvrage sur cette droite populiste et islamophobe qui dominait le débat en Europe du Nord – et dont Marine le Pen semblait être l’avatar en France – s’est imposé.
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La France est obsédée par l’élection présidentielle. La désignation du nouveau monarque a des conséquences tellement importantes sur l’ensemble du système de pouvoir français qu’il est difficile de ne pas évoquer cette échéance. Or, à chacune des dernières élections de ce type, le rôle du Front national a été central, et 2012 ne déroge pas à la règle. Cependant, les transformations politiques apportées par le renouveau de ce parti dépassent largement la question de savoir qui va être notre prochain président ; elles risquent bien en effet de marquer la politique française pour de nombreuses années à venir. Ainsi, ce texte est tout autant destiné à être lu avant le premier tour de l’élection présidentielle française qu’après cette échéance.
L’idée centrale de ce petit livre est née d’un constat : contrairement à ce qu’on lit à longueur de presse, la stupeur provoquée par le possible succès de la candidate frontiste n’a pas vraiment lieu d’être. En effet, la montée en puissance de Marine Le Pen et du nouveau Front national n’est que la version française d’un phénomène beaucoup plus large qui a touché l’Europe du Nord avant nous, et que nous n’avons pas fini de subir, quelle que soit l’orientation politique du nouveau président.
Le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti) de Pia Kjærsgaard, parti d’extrême droite nouvelle formule, a ainsi soutenu pendant dix ans un gouvernement danois conservateur minoritaire avec exactement les mêmes idées économiquement de gauche, socialement progressistes, mais aussi extrêmement nationalistes et islamophobes que Marine Le Pen. Il n’a pas de programme ni de discours ouvertement antisémite, misogyne ou homophobe, mais veut bouter l’islam hors d’Europe. Voilà deux ans que Geert Wilders a appliqué la même formule aux Pays-Bas avec succès. Quant à l’extrême droite nationaliste flamande, elle est, elle aussi, l’air de rien, en voie de réussir à faire exploser la Belgique.
La France n’est donc pas en train d’inventer un nouveau modèle politique, mais seulement d’appliquer une technique mise au point plus au Nord et qui a fait ses preuves pour assurer à l’extrême droite une renaissance, lui garantir un accès au pouvoir et surtout lui permettre d’influer sur la législation nationale. Si l’on veut comprendre correctement le phénomène Marine Le Pen, il faut donc cesser de ressasser des modèles politiques hexagonaux désuets et plutôt jeter un coup d’œil à nos voisins, regarder comment Filip Dewinter en Belgique, Pia Kjærsgaard au Danemark, Pim Fortuyn et Geert Wilders aux Pays-Bas ont changé le paysage politique de leurs pays pour longtemps.