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Préface

Les Sénoufo disent que la Parole est comme l’arachide : il faut ouvrir la coque pour avoir la graine.

La société sénoufo, à majorité paysanne, est un des viviers de la culture et de l’art du Burkina-Faso. Elle s’illustre en particulier par la richesse et la diversité de ses contes, proverbes et récits, et par leur valeur à la fois initiatique et de divertissement.

Ces récits sont souvent véhiculés par la confrérie des chasseurs conteurs qui disent des contes animaliers. À propos de leurs récits, les chasseurs disent ceci : « Dans nos histoires, c’est toujours nous qui triomphons des animaux, parce que ce ne sont pas eux qui racontent. »

Beaucoup d’autres moments de la vie quotidienne sont des moments de racontée, de partage, de transmission.

Ce recueil, que Françoise Diep et François Moïse Bamba nous invitent à partager, contient une petite partie de cet immense trésor.

Hassane Kassi KOUYATE, griot, conteur, président du festival Yeleen et de l’association « Maison de la Parole »

Présentation du recueil

Les contes rassemblés ici offrent le portrait d’un village, Ouolonkoto, qui fait partie du pays sénoufo, peint par un large échantillon de personnes :

Ceux qui y vivent, hommes, femmes et enfants. Ils partagent le même répertoire, le même terroir et sont tous agriculteurs, les enfants y compris puisqu’ils vont travailler dans les champs avec leurs parents. Pourtant ils ont chacun un vécu et une fonction dans la communauté qui influence leur choix de contes, et un style qui leur est propre. Comme la société est organisée pour que chacun remplisse un rôle et que ces contes sont un outil éducatif, il est laissé à chacun de ses membres le soin d’illustrer le domaine qui le concerne par les contes appropriés. C’est ainsi que les chasseurs raconteront rarement des contes concernant la vie de couple, et les femmes ne diront que peu ou pas de contes sur la chasse.

Six hommes du village ont conté, certains pendant plusieurs séances. Les chasseurs ont partagé un répertoire animalier, des récits des origines, des contes d’avertissement qui parlent de leur confrérie, ainsi que quelques contes à énigme. Le maçon, dit « le Petit Marteau qui casse les grands cailloux », a voyagé en Côte-d’Ivoire où il est devenu marabout, c’est-à-dire un sage musulman, et ses contes moraux sont fortement teintés par l’islam.

Un des conteurs, agriculteur reconnu pour sa verve, qui aime à s’impliquer personnellement dans ses contes : « C’est moi, Zaana, qui donne un conseil aux hommes avec un grand H !… » a voyagé du conte merveilleux aux histoires de couple en passant par le conte-attrape ou l’avertissement.

Les sept conteuses n’ont dit, dans cette collecte, aucun conte mettant en scène des chasseurs. Par contre, elles ont abondé en contes d’avertissement à l’issue terrible, et en contes moraux sur les rapports de couple, la famille et le respect des règles. C’est aussi dans leur bouche qu’on a entendu les histoires les plus crues. Elles ont enfin donné quelques contes animaliers et un conte merveilleux.

Les enfants sont en apprentissage de conte : ils en ont beaucoup reçu et s’entraînent à les redonner dans la détente et les rires, avec l’encadrement bienveillant des adultes.

Ceux qui n’y vivent pas mais se revendiquent de ce village.

Ouahiribé Dembêlé, né au village, vit aujourd’hui à Ouagadougou. Il conte à la radio des contes de son village « en langue » (c’est-à-dire en sénoufo) et il est reconnu comme un conteur référent et a été invité comme tel au festival Yeleen 2005. Il se rend à Ouolonkoto pour toutes les fêtes coutumières.

François Moïse Bamba n’est pas né au village et n’y a quasiment jamais été, mais il a gardé précieusement les contes reçus de son père dans sa mémoire et se fait aujourd’hui le transmetteur de ceux qu’il a collectés en Europe et jusque dans les DOM. C’est par les contes qu’il retourne au village aujourd’hui.

Celles qui ne sont pas du village ni de la même ethnie mais avaient dans leur répertoire un conte similaire à l’un de ceux contés.

Sanata, Fatoumata et Sita Sanou sont trois grands-mères de l’ethnie Bobo, vivant dans le vieux Bobo, qui ont l’habitude de conter à la fois à leurs petits-enfants mais aussi dans des réunions de leur quartier.

Celle qui a collecté ces contes, conteuse qui vient du « village France » (voir anecdote dans « histoire d’une collecte »). Françoise Diep sait bien que « même s’il séjourne longtemps dans l’eau, le tronc d’arbre ne deviendra jamais crocodile ». Mais, rajoute Hassane Kouyaté, « à force il s’imprègne. » Depuis 1998, elle séjourne et conte régulièrement au Burkina-Faso, et remercie les habitants de Ouolonkoto, Ouahiribé, les sœurs Sanou et François de la confiance qu’ils lui accordent pour la rédaction.

Si ces contes sont rassemblés en recueil, c’est parce qu’ils sont l’expression vivante et cohérente d’une façon de voir le monde avec ses fondements philosophiques, mais aussi les menus détails du quotidien. Ce ne sont pas des objets de musée : on continue de les dire le soir dans les cours et dans les cases.

Les notes et commentaires sont de deux ordres : pour François, les paroles telles qu’elles ont été recueillies sont « saintes », c’est à dire que pour lui il n’y a rien à y ajouter. C’est lorsqu’il conte oralement qu’il s’autorise à « interpréter » ces contes. Afin de respecter ce point de vue, ce qui était dit par le conteur a été traduit au plus près, en essayant de trouver l’expression la plus juste en français. Il s’agit pourtant d’une adaptation et pas de mot à mot : c’est un ouvrage de conteur, pas d’ethnologue. Françoise, par contre, a rédigé des notes afin de permettre une plongée plus aisée dans cet univers à la fois si proche et si lointain.

Plonger, justement… Si on écoute bien la musique de ces contes, on finira sans doute par sentir les parfums d’encens d’un début de soirée. Des enfants viennent au puits chercher l’eau pour remplir les canaris. On entend le plouf rassurant du seau en caoutchouc qui touche la surface de l’eau : les pluies ont été abondantes cette année. Hommes et femmes palabrent sous le hangar. Deux chèvres se poursuivent à côté du grenier à grains. Un chant s’élève dans le lointain, on entend le martèlement d’un tambour parleur… La soirée démarre, les contes vont commencer.

Françoise DIEP, François Moïse BAMBA

1.
L’origine du pays sénoufo

Manti, Sifarasso, Ouolonkoto, Korhogo, Man, tous ces villages appartenaient autrefois au même pays, le pays sénoufo qui en ce temps là n’était pas partagé entre le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina-Faso.

Ce pays s’est peuplé grâce aux chasseurs qui ont traqué les panthères, les lions et tous les animaux dangereux pour les humains.

En des temps très anciens, on raconte qu’il y avait un homme qui se nommait Safazani et qui était chasseur de serpents. Il tua presque tous les serpents du pays, sauf un, un énorme boa qui vivait dans la montagne, à côté d’une grosse pierre. Ce serpent possédait une guitare qu’on appelait un kolonko.

Un jour, Safazani vint jusque chez le serpent pour le tuer. Ce dernier se mit à jouer du kolonko et chanta :

– Safazani, il ne faut pas me tuer ici, dans la brousse.

Mais Safazani dit :

– Je vais quand même te tuer.

Et il coupa la tête du boa. Sa tête étant coupée, le serpent continua quand même à chanter. Safazani alla chercher du bois, coupa le serpent en morceaux et le mit à griller. En train de cuire, le serpent chanta de plus belle. Safazani alla chercher un canari (une poterie) pour y cuisiner les morceaux de serpent grillés. Pendant que les morceaux fétaient en train de bouillir dans le canari, ils continuaient leur chant. Une fois complètement cuite, la viande chanta dans l’assiette de Safazani, qui pourtant la mangea.

Mais quand il eut fini de manger, Safazani sentit son ventre commencer à gonfler. Il fut pris d’une soif énorme et se mit à avaler des litres d’eau. Son ventre continua à grossir, et bientôt il devint gros comme une montagne. Safazani se mit alors à uriner, uriner, uriner, et cette urine forma des marigots. Quand il se soulagea, ses crottes formèrent des montagnes.

C’est ainsi que finit Safazani, celui qui n’avait pas écouté ce que lui disait le dernier serpent du pays. C’est ainsi que naquit le pays sénoufo.

2.
L’histoire de Dinama

On dit que ceux qui mangent trop peuvent détruire le monde…

Autrefois, il y avait beaucoup d’arbres dans le pays sénoufo. Il y avait aussi une foule d’animaux carnivores qui pourchassaient les hommes pour les dévorer. Les premiers grands chasseurs commencèrent alors leur travail.

À cette époque vivait un homme qui se prénommait Dinama. Il mangeait tout le temps et n’importe quoi. Lui et sa mère vivaient comme des bêtes. À chaque fois que Dinama attrapait un enfant, il le dévorait. Un jour, il s’assit et se mit à réfléchir : « Si je continue à manger tous les jours des enfants, existera-t-il encore des êtres humains ? Je vais finir seul… » Il décida alors de se marier.

Un jour qu’il était assis à côté de sa femme, Dinama lui dit :

– Maintenant nous nous aimons. Alors fais attention à ma mère, car c’est une ogresse.

Quelque temps plus tard, Dinama partit travailler aux champs, pendant que sa femme préparait leur repas. À un moment, elle entendit tousser : c’était la mère de Dinama qui annonçait ainsi son arrivée. Elle proposa à la jeune femme d’aller avec elle en brousse faire des fagots, mais celle-ci répondit :

– Aujourd’hui c’est impossible, j’ai de la cuisine à faire.

Quand elle alla porter son repas à son mari dans le champ, elle lui raconta la visite de sa mère. Dinama répéta à sa femme :

– Méfie-toi d’elle.

Quelques jours plus tard, alors que la jeune femme préparait le 1 la vieille revint et proposa à nouveau à sa bru d’aller chercher du bois avec elle. Cette fois, la jeune femme accepta. Une fois en brousse, la vieille demanda à la femme de son fils de grimper dans un arbre.

Quand la jeune femme fut montée, la vieille se mit à se secouer au pied de l’arbre. Ses deux bras se transformèrent en yaduyon2, deux animaux féroces qui commencèrent à ronger l’arbre sur lequel la jeune femme était perchée. Celle-ci se lamenta :

– Mon mari m’avait bien dit de me méfier de sa mère, qu’elle mange les gens. Aujourd’hui, c’est moi qu’elle veut manger.

Elle se mit alors à chanter :

– Dinama, tu es beau mais ta mère mange les gens !

La vieille répliqua :

– Tu peux toujours appeler mon fils, je vais te manger.

Et les yaduyon continuèrent à ronger l’arbre.

Un margouillat (lézard des savanes) vivait dans cet arbre. Il dit :

– Dieu n’aime pas qu’on mange les humains. Dieu, aie pitié !

Et l’arbre qui penchait déjà se redressa. Or, quand la femme de Dinama partait en brousse, son petit chien l’accompagnait toujours. Dès qu’il vit la vieille se transformer, il s’enfuit à toutes jambes vers le champ où travaillait Dinama. Il se mit à aboyer de toutes ses forces à côté du jeune homme, en tournant sur lui-même comme s’il voulait attraper sa queue pour attirer son attention. Dinama comprit que quelque chose n’allait pas. Il posa sa daba3 et suivit le chien.

La femme de Dinama, toujours dans l’arbre qui penchait puis se relevait le vit arriver de loin. Elle continua de chanter le plus fort possible :

– Dinama est si beau, mais sa mère est une ogresse qui mange les gens.

Arrivé au pied de l’arbre, Dinama s’adressa à sa mère :

– Que se passe-t-il ?

La vieille s’arrêta et secoua ses deux bras pour redevenir humaine. C’est à ce moment que Dinama la tua.

Une hirondelle qui assistait à cette scène se mit à crier :

– C’est ici qu’on a tué maman !

C’est ce cri qu’elle a gardé jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi depuis ce temps que l’humanité a enfin pu croître et se multiplier.

3.
Pourquoi les hommes dominent les animaux

Dieu créa les animaux. Puis il créa les êtres humains pour leur servir de nourriture. Le lion, la panthère et l’hyène s’en régalaient.

Or, un jour, les trois compères embêtèrent un peu trop un génie forgeron. Celui-ci alla trouver les hommes et leur enseigna comment tailler un morceau de bois en forme de lance. Ensuite il leur apprit l’art de forger le métal et arma le bout de la lance d’une pointe. Enfin, il leur donna la formule d’un poison à enduire sur cette pointe, afin que tout animal touché par elle meure. C’est ainsi que les hommes apprirent à fabriquer des lances qui tuaient à coup sûr et commencèrent à chasser.

Un jour, un jeune homme armé d’une de ces lances partit à la chasse. À cette époque, hyène, lion et panthère habitaient ensemble. Le soir venu, le jeune chasseur ne savait où loger. Il rencontra les trois animaux et leur demanda l’hospitalité. Ceux-ci, étonnés, se regardèrent :

– Notre nourriture vient chez nous ? Bizarre…

Hyène dit à lion :

– Notre nourriture est chez nous et j’ai faim…

Lion refusa :

– Il faut d’abord savoir ce qui l’emmène avant de le manger.

Hyène n’était pas d’accord mais dut s’incliner. Ils indiquèrent au jeune homme où dormir, l’invitèrent à partager le repas du soir, puis il alla se coucher et ils se retrouvèrent pour discuter :

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– Comment peut-il chasser ? dit hyène. Il n’a ni crocs ni griffes, bizarre, bizarre…

Lion dit :

– Demain, nous verrons comment il fait.

Au matin, après avoir déjeuné, l’homme demanda la route1 et partit chasser. Il chassa tout le jour, tua beaucoup de gibier, puis rentra. À son retour, il annonça à ses trois hôtes stupéfaits la liste de tout ce qu’il avait tué. Puis il ajouta :

– Venez m’aider à tout transporter.

Tout en cheminant dans la brousse, les trois animaux firent leur enquête : ils examinèrent avec soin chaque gibier qu’ils ramassaient là où l’homme l’avait tué, mais ne virent ni sang, ni blessure, rien qui puisse expliquer sa mort. Comment l’homme avait-il fait ?

Une fois de retour, l’homme partagea la viande en deux parts, une pour lui et une pour ses trois hôtes. Il décida de rester encore quelques jours pour compléter sa chasse.

Le lendemain matin il repartit donc avec sa lance. Hyène dit à lion qu’elle voulait se soulager et sortit. En fait, elle avait décidé de suivre l’homme pour l’espionner. Lion et panthère l’attendirent tout le jour, mais elle ne rentra que le soir. Voici ce qu’elle vit : l’homme rencontra une antilope, mit la main sur son épaule, prit une lance, visa, la lança, et l’antilope tomba, morte. L’homme s’approcha, récupéra sa lance, protégea son gibier des ardeurs du soleil en le cachant sous un tas de feuilles, et repartit chasser. Une fois l’homme parti, hyène s’approcha du cadavre de l’antilope, le découvrit et l’examina, mais elle ne vit ni sang ni blessure. Elle le recouvrit et reprit sa filature.

L’homme tua ensuite une biche, puis beaucoup d’autres animaux, et chaque fois hyène examina le cadavre sans réussir à comprendre les causes de sa mort. À la fin de la journée, sa conviction était faite et elle alla trouver lion et panthère qui l’attendaient :

– Il faut qu’on se sauve ou ça va nous coûter cher : cet étranger est trop fort pour nous. Je ne veux pas manger la viande qu’il nous donne. Je suis sûre qu’elle est empoisonnée et que ça me fera mourir.

Elle raconta aux deux autres qu’elle avait vu l’homme mettre sa main sur son épaule et ensuite le gibier tomber :

– C’est trop fort pour moi !

Au troisième soir de sa chasse, l’homme apporta à nouveau de la viande et la partagea. Les trois animaux l’informèrent alors que le lendemain, ils devaient aller travailler le champ du lion. Or, il est de coutume d’aider dans son travail celui qui vous offre son hospitalité. Le chasseur proposa donc de partager sa viande et d’en préparer pour ceux qui travailleraient.

Le lendemain, lion, panthère et hyène étaient aux champs, en plein travail, quand ils virent arriver l’homme et son repas. Il y en avait tant qu’ils eurent besoin de leurs deux pattes pour se servir, et c’était si bon qu’ils prirent tout, mais hyène monta dans un karité pour manger sa part. Elle avait prévenu les deux autres :

– Faîtes attention à l’homme. S’il met sa main sur son épaule, danger, fuyez !

Et tout en mangeant, elle surveillait.

On sentait l’inquiétude monter. En plein milieu du repas, un moustique piqua l’homme derrière l’épaule. Il prit des feuilles et posa sa viande dessus. Les trois le regardèrent attentivement. L’homme leva alors la main pour se gratter le dos. Hyène sauta à bas de son karité :

– Je vous avais prévenus ! Il veut tous nous tuer !

Et les trois bêtes terrifiées s’enfuirent au fin fond de la forêt….

C’est depuis ce jour que l’homme domine les animaux, alors qu’avant c’était eux qui le dominaient.

4.
D’où vient le pouvoir des chasseurs Doso

Un jour, tous les animaux de la brousse se rassemblèrent pour décider de faire leurs cérémonies de funérailles au même endroit. Ils s’accordèrent pour dire que ce qui se fait en groupe est meilleur que ce qui se fait individuellement.

Ce fut l’hyène qui perdit sa mère la première. On organisa des cérémonies de funérailles sans réjouissances. Après ce fut au tour de la panthère de perdre sa mère. On fit de même des cérémonies sans réjouissances, juste des assemblées de causerie pour évoquer la mémoire de la disparue. Cela se passa ainsi pour tous ceux qui perdaient un membre de leur famille, jusqu’au jour où le lion perdit sa mère.

Pendant la cérémonie d’enterrement, le lièvre se leva et dit :

– Il est dommage qu’aucun d’entre nous ne sache faire de la musique. C’est la mémoire de la mère de notre roi que nous célébrons, et il aurait été bon de lui offrir une belle cérémonie avec de la musique et des danses.

Le phacochère dit alors :

– Si ce n’est que ça, pas de problème, j’ai un ngoni1.

Aussitôt la nouvelle se répandit dans toute la brousse comme portée par le vent. Tout le monde en parlait.

Arriva le jour de la cérémonie commémorative. Le phacochère arriva avec son ngoni et se mit à jouer. Les sons qui sortaient de l’instrument étaient si mélodieux que chacun se mit à danser. Tous dansaient autour du phacochère, quand le lièvre s’approcha de lui et lui dit :

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– As-tu remarqué l’absence des singes ? Il s’agit quand même de la cérémonie qui célèbre la mémoire de la mère de notre roi ! Nous sommes tous présents sauf eux ! Tu devrais changer les paroles de tes chants pour signaler à tous l’absence des singes…

Aussitôt, le phacochère modifia son chant. Pendant que le phacochère chantait ainsi, le lièvre alla trouver les singes et leur dit :

– Venez vite ou le phacochère va vous faire une mauvaise réputation ! Nous avons tous déjà perdu un membre de notre famille, et jamais nous n’avons eu droit à de la musique. Aujourd’hui qu’il s’agit de la mère de notre roi, le phacochère fait de la musique, et en plus, il dit du mal des autres. Je vous propose de trouver vous aussi une chanson et de venir à la cérémonie en la chantant !

Les singes se concertèrent, inventèrent leur propre chanson et prirent la route. Juste à l’entrée du village, un des singes sauta en l’air et entonna leur chanson qui disait :

– Comme c’est triste ! Nous avons tous perdu un membre de notre famille, et la seule musique ce fut les pleurs. Maintenant que c’est la mère de notre roi qui est morte, le phacochère fait de la musique et fait danser les gens.

Le lièvre, qui était déjà de retour dans le cercle de la cérémonie demanda à l’assistance de dresser l’oreille en disant :

– On dirait qu’il y a une autre chanson, vous entendez ?

Le lion regarda alors le phacochère avec ses crocs qui dépassaient de sa bouche et lui dit :

– Arrête de rire, rentre tes dents !

Le phacochère eut beau essayer, il n’y parvint pas et commença à se sentir en danger. Le lion demanda alors qu’on lui amène le phacochère s’il n’arrêtait pas de se moquer de lui. Celui-ci s’enfuit à toute vitesse, échappa à ses poursuivants qui se dispersèrent, et se réfugia dans un buisson où il se reposa pendant quelques jours.

Le jour où il en sortit, il se retrouva nez à nez avec un chasseur Doso2. Il avait encore son ngoni et sa queue de buffle avec lui. Ils se battirent tout le jour, toute la nuit, et le lendemain matin, ils se battaient encore. Finalement, le chasseur tua le phacochère, s’appropria son ngoni et sa queue magique, et revint avec le tout dans son village.

Depuis ce jour, par la faute du lièvre, les animaux ne célèbrent plus de cérémonies funéraires ensemble.

Depuis ce jour aussi, les chasseurs Doso doivent se munir de la queue de l’animal le plus puissant qu’ils ont tué pour marquer leur propre puissance. C’est enfin depuis ce jour que ces mêmes chasseurs ont un ngoni grâce auquel ils peuvent envoûter les animaux.

5.
Pourquoi les chasseurs ne vivent plus avec leurs femmes en brousse

Il était une fois un chasseur. Un jour, il décida d’aller s’installer en brousse avec sa femme. Arrivé en plein milieu de la forêt, il abattit quatorze grands arbres et construisit une très grande maison avec quatorze portes d’entrée successives.

Chaque fois qu’il partait à la chasse, sa femme refermait derrière lui les quatorze portes jusqu’à la dernière. Chaque fois qu’il revenait de la chasse, il chantait une chanson pour que sa femme lui ouvre.

La femme se levait alors et ouvrait les portes l’une après l’autre, se rapprochant ainsi petit à petit de son mari. L’ouverture des portes faisait ce bruit : takirikè taguèèè takirikè taguèèè. Quand le dernier verrou de la dernière porte était ouvert, le mari donnait son gibier à sa femme, elle le préparait et ils mangeaient ensemble.

Or, à cet endroit de la brousse vivait une hyène qui surveillait tous les faits et gestes du chasseur. Un jour qu’il était parti, elle se cacha à l’arrière de la maison et se mit à chanter la chanson du chasseur avec sa grosse voix d’hyène. La femme rit et ne lui ouvrit pas. Quand son mari revint de la chasse, elle lui expliqua ce qui s’était passé :

– C’est bien que tu saches reconnaître mon timbre de voix, n’oublie pas cela !

Mais l’hyène ne s’avoua pas vaincue. Elle alla voir le forgeron et lui demanda d’arranger sa voix, ce que le forgeron fit. Elle revint donc une deuxième fois, alors que le chasseur était parti, et chanta de nouveau, mais avec sa nouvelle voix.

La femme, croyant que c’était son mari qui chantait, se mit à ouvrir les portes : takirikè taguèèè takirikè taguèèè. Quand elle ouvrit la dernière des portes, l’hyène bondit sur elle et la dévora. Quand le mari arriva en chantant, il constata que toutes les portes étaient déjà ouvertes. Il se précipita dans la maison, mais en franchissant la première porte, il glissa sur le sang de sa femme, tomba et mourut. Pendant les cérémonies funéraires, l’esprit du chasseur dit la cause de sa mort1, et demanda de transmettre ce message aux autres chasseurs :

– Il ne faut jamais amener sa femme en brousse et la laisser seule pour aller chasser.

Et vous pouvez voir que c’est ce que font les chasseurs depuis ce jour.

6.
L’origine des jumeaux

Avant, les jumeaux étaient collés l’un à l’autre, c’étaient des siamois. C’est Dieu qui a fait qu’aujourd’hui, ils soient séparés.

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Il était une fois deux frères siamois. Alors qu’ils étaient déjà grands, une guerre se déclara aux frontières de leur pays. Ils voulurent partir au front pour le défendre. Leur mère le leur déconseilla, mais ils ne suivirent pas son avis. Leur père fit de même, ils ne l’écoutèrent pas plus. C’est ainsi qu’ils partirent au front.

Un des deux fut tué. Comme ils étaient collés, comment enterrer le mort ? Ils rentrèrent tous au village, et le survivant chantait :

– Yénga yénga wé lagassi wé, yénga yéngué (bis) (« Enterrez le mort et le vivant ensemble yéngué yéngué (bis). Mère a dit de ne pas aller au front yéngué yéngué (bis). Père a dit de ne pas aller au front yéngué yéngué (bis). Enterrez le mort et le vivant ensemble yéngué yéngué (bis) »).