Pour Wissam et Laurence. S.H.
A Marie, compagne de voyage ! D.M.
Mawoulida, Madjilissi, Haroussi, Mawaha, Mwenda dahoni, Massadaka… la liste ne s’arrête pas là. De quoi s’agit-il, me demanderez-vous ? Tous ces mots à consonances indéterminables renvoient à des fêtes traditionnelles et religieuses des Comores, archipel de quatre îles voguant sur l’océan Indien. Durant ces fêtes, c’est la nourriture qui est à l’honneur et le repas (essentiellement du riz accompagné de viande bouillie et de lait caillé) est pris collectivement, selon une hiérarchie sociale établie depuis la nuit des temps. Elles occupent une place prépondérante chez le Comorien, puisqu’elles l’accompagnent depuis son état fœtal, via sa naissance, jusqu’à sa mort.
C’est aussi et surtout l’occasion pour les hommes de rire, d’échanger des nouvelles, de s’adresser des quolibets, de critiquer la cuisine et principalement de raconter des anecdotes humoristiques autour d’un plat de riz ou de bananes. Très souvent, le personnage central de ces histoires est un certain Zolo N’djizi, un simple d’esprit fort gourmand.
Selon l’imaginaire comorien donc, ce Zolo a tous les défauts : il est en permanence affamé, paresseux, maladroit, grand parleur et menteur. Cependant, il a le mérite de venir en aide aux uns et aux autres grâce à sa malice qu’il se permet d’utiliser à outrance, étant curieusement considéré comme l’idiot du village. Et une fois ses exploits accomplis, là où certains exigeraient richesse et gloire, Zolo N’djizi, sollicite… un repas.
Selon ses propres termes, il a été envoyé sur terre pour manger, et utilise tous les stratagèmes pour parvenir à ses fins et calmer ses faims. Il mangerait tout ce qu’il trouve, se disant que demain sera un autre jour.
Son nom veut tout dire : Zolo viendrait certainement de wuzulu, c’est-à-dire devenir gourmand, et N’djizi signifie miel, car, ne l’oublions pas, ses paroles et ses arguments sont mielleux.
Dans ce recueil, vous découvrirez dix-huit anecdotes de Zolo N’djizi, anti-héros de la tradition orale comorienne. Si d’aventure votre livre disparaît, sans doute s’agit-il de Zolo qui, attiré par l’odeur de l’encre, a quitté ses pages pour dévorer ces mots. Et comme la faim le tiraillera encore, méfiez-vous, fouillez toute la maison et assurez-vous qu’il ne se cache pas dans une casserole ou quelque part dans la cuisine…
Salim Hatubou
Le sultan était réputé pour être un homme malin et malicieux. était pareillement avare. Aussi ne donnait-il jamais rien sans rien. Un jour, il annonça sur la place publique :
– Voici une énigme. Quiconque la résoudra sera récompensé. Il choisira ce qu’il voudra à l’intérieur de mon palais. Ecoutez bien ! J’ai deux frères dont je suis l’aîné. Avant de mourir, notre père nous a fait don de quatre esclaves. Il nous a dit de nous les partager entre nous trois, mais chacun doit avoir absolument deux esclaves. Que faut-il faire ?
Les villageois réfléchirent longtemps. Cependant, personne ne trouva de solution. Comment répartir quatre esclaves entre trois personnes et que chacune d’entre elles ait deux esclaves ? La tâche semblait impossible.
Durant trois jours et trois nuits, tous les habitants ne parlèrent que de l’énigme du roi. Le vendredi suivant, le sultan convoqua tous ses sujets. Il prit la parole :
– Alors, avez-vous résolu mon énigme ?
– Non ! répondirent tous les villageois.
Zolo se leva, bomba le torse, et fut catégorique :
– Moi, j’ai trouvé ! Je connais la réponse !
Toute la foule commença à rire. D’aucuns se moquèrent de lui.
– Je t’écoute !
– C’est très simple, Majesté ! Donne à chacun de tes frères deux esclaves et le compte sera bon !
– Et moi ?
– Toi, tu es l’aîné. Dans nos traditions, tes petits frères te doivent soumission et obéissance. Tu as déjà tes deux esclaves puisqu’en réalité ton père t’a légué non pas quatre esclaves mais six, tes deux frères inclus.
Le sultan n’en revint pas. La foule non plus d’ailleurs.
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