2e édition
ISBN 979-10-95667-06-3
Copyright © gravitons 2015
Tous droits réservés
Exp. A. Sur les parois verticales d’un cloisonnement de carton blanc en forme de "X" sont dirigés, pendant la clarté du jour, les rayons d'une bougie allumée. Nous pouvons constater que tout rayon réfléchi conserve dans le compartiment où il circule la qualité de coloration de la lumière qui le provoque, alors même que cette lumière ne pénètre plus dans la cloison que par réflexion.
Exp. B. En interceptant la lumière, sur une feuille de papier blanc, par des corps opaques – des cloisons de carton en forme d'angle droit, chacune d'elles colorée en jaune, rouge, bleu, violet, vert, orangé –, la couleur se répand par rayonnement sur le papier aussi bien du côté de la lumière que du côté de l'ombre.
En interceptant ce rayonnement coloré du côté lumineux et du côté sombre par de petites cloisons de même forme et complètement noires, la couleur inverse apparaît dans l’étendue que ce second obstacle présente au rayonnement de la couleur qui revêt chacune des plus grandes cloisons. Si au lieu d'obstacles noirs on en met des blancs, l'effet coloré est le même ; la valeur seule est différente.
Quand on plonge un corps coloré dans de l'eau remplissant aux deux tiers un bol en porcelaine, cette eau se teint très sensiblement de la couleur du corps.
Cet effet est dû au rayonnement, qui agit comme une teinture effective. Il est surtout apparent si l’on place en rond plusieurs bols de porcelaine de même nuance de blanc, contenant chacun de l’eau et un corps de couleur différente, et si au milieu de ces bols on en met un ne contenant que de l'eau.
Les couleurs doivent nécessairement être insolubles. On les obtient avec toutes espèces de corps : cire à cacheter, corail, malachite, lapis-lazuli, soufre, émaux en cailloux, etc.
Si, comme dans l'expérience précédente faite à l'air libre, on interrompt dans l'eau le rayonnement, on voit apparaître sur le blanc de la porcelaine la couleur inverse ou complémentaire.
Exp. C. Au centre de la plate-forme supérieure d'une boîte carrée de 10 cm de haut sur 5 cm de large, on pratique une ouverture qui permet de voir l'intérieur.
À la base de deux côtés opposés, deux ouvertures d'environ 1 cm laissent pénétrer la lumière, qui vient éclairer horizontalement chacune des deux parties vers lesquelles elles sont directement ouvertes.
L'intérieur est peint en noir, à l'exception des deux parties du fond destinées à recevoir la lumière qui pénètre par les ouvertures latérales. Ces deux parties répètent en blanc et horizontalement la forme des ouvertures latérales.
Une cloison intérieure sépare cette chambre obscure en deux compartiments, de façon que la lumière qui entre par une des ouvertures ne puisse influencer la lumière opposée qui pénètre de l’autre coté.
En regardant, par l'orifice du haut, les deux touches blanches du fond éclairées par un foyer lumineux, lumière du soleil, clarté du jour, bougie, etc., on reconnaît la qualité chaude ou froide de la lumière par le contraste du coté opposé ; c'est-à-dire que si la lumière est froide, la touche blanche qui lui est présentée parait bleuâtre, et l'autre touche jaunâtre ou orangée ; et si au contraire la lumière est chaude, la touche blanche qui lui est offerte est jaunâtre, et l'autre bleuâtre.
Tout déplacement de position qui présente une des ouvertures à une lumière caractérisée par le chaud ou par le froid se manifeste en sens inverse sur l'autre côté de la boîte.
Exp. D. Une feuille de papier blanc est posée à plat sur une table éclairée d'un côté par une fenêtre et de l’autre par une bougie. En fermant plus ou moins les volets, on égalise autant que possible l’action des deux lumières. Un crayon placé verticalement sur le papier, entre les deux foyers, fait apparaître deux ombres portées : l’une, du côté de la fenêtre et provenant de la bougie, est franchement bleue ; l’autre, du côté de la bougie et venant de la fenêtre, franchement orangée.
Sans changer la place de la bougie, intervertissons la position de la coloration de ces deux ombres portées : l'ombre portée illuminée en orangé par la bougie devient bleue, et l'ombre portée bleue devient orangée. Pour cela, il faut supprimer absolument les rayons du jour et les remplacer par une flamme provenant de la combinaison du sel et de l'alcool ; cette flamme très orangée – très chaude – refroidit par contraste l'apparence de chaleur de la bougie et fait virer au bleu ce que la bougie illuminait d'abord en orangé.
Cette seconde expérience peut être faite pendant la clarté du jour dans une pièce dont on fermera simplement les volets, sans en calfeutrer les intervalles, aux travers desquels filtre une quantité de clarté appréciable qui intervient par sa propre couleur en modifiant les nuances des deux ombres portées. Alors l'ombre portée du feu alcoolique salé sera très bleue, légèrement influencée de vert – une sorte de turquoise terne. – Mais l'ombre de la bougie, qui devrait être et qui, dans l'obscurité absolue, était orangée, sera violacée, par la raison que le bleu caractérisant la clarté du jour, et que nous laissons en ce moment pénétrer, s'ajoute à l'orangé qui devient violet, le rouge dominant dans cet orangé. La situation respective des deux catégories chaude et froide n’a subi aucune modification.
Les évolutions de la lumière et de la couleur se classent et se résument en deux catégories lumineuses : l’une chaude, l'autre froide. Si nous venons de dire évolutions de la lumière et de la couleur c'est que, l'apparence de ces catégories lumineuses étant provoquée par la couleur aussi bien que par la lumière, couleur et lumière sont même chose pour les arts, au point de vue spécial où nous nous plaçons.
La flamme bleue de l'alcool n'éclaire pas, son rayonnement est très faible, c'est à peine si une de nos petites cloisons, placée sur du papier blanc, à 5 cm de ce foyer bleu, provoque une très légère ombre portée, mais cette apparence est orangée. Dans cette expérience, faite nécessairement dans l'obscurité, la bougie servant à établir le contraste doit être éloignée au moins de 3 mètres de la flamme alcoolique, sinon l'apparence de l'ombre provoquée par cette flamme est inappréciable.
Il faut noter que pour obtenir le bleu complètement pur de la flamme alcoolique, toute mèche doit être supprimée, celle-ci ajoutant du rouge, du jaune, à la flamme de l'alcool, ce qui provoque une ombre portée bleue au lieu de l'orangé que la flamme bleue fait apparaître.
Tout le relatif de la couleur est démontré dans cette expérience, où l'un des termes lumineux remplit tour à tour le rôle de lumière colorante et de clarté éclairante.
Si on regarde attentivement dans le petit godet formé par la flamme de la bougie, deux faibles apparences d'ombres portées, provenant de la mèche, reproduisent le reflet indiqué dans la première partie de l'expérience.
En remplaçant la lumière venant de la fenêtre par une lampe Carcel, tout en conservant la bougie allumée comme second terme lumineux, les expériences ci-dessus sont répétées et redisent les mêmes effets relativement au chaud ou au froid, mais avec des nuances très rabattues.
Dans ce cas, la boîte de l'expérience C indique le plus ou le moins de chaleur relative des foyers éclairants ; mais, dans l'obscurité absolue, à la seule lumière du feu, il faut remplacer le blanc des touches latérales par le noir complet.
Exp. E. Même situation que dans l'expérience D ; mais au lieu d'une feuille de papier blanc, prendre une feuille rayée de bandes de couleur. On voit toutes ces colorations subir l'influence du chaud et du froid relativement à la lumière et à la clarté, et chacune des bandes virer à la coloration qui, logiquement, doit résulter de sa combinaison soit avec le bleu, soit avec l'orangé, tout en restant classées dans l'une ou dans l'autre des deux catégories lumineuses, selon la lumière qui les éclaire.
Notons, sans nous y arrêter, les virements de coloration des couleurs, lorsqu'elles sont exclusivement soumises à la flamme plus ou moins orangée de nos divers systèmes d'éclairage : gaz, bougie, lampe Carcel, etc.
Exp. F. Pour obtenir, sur un disque où rayonnent les six couleurs du spectre, du bleu en même temps que du blanc, il faut faire des ouvertures à peu près au milieu de ce disque, puis ajouter une touche de blanc sur le rouge et l'orangé de l’un des éventails que forment les couleurs. En tournant, la bande du disque composée des couleurs, des ouvertures et du blanc, montrera une lueur bleue, tandis qu'au-dessus et au-dessous d'elle, là où les ouvertures et le blanc n'ont point été ajoutés, le disque apparaît blanc.
Félix Bracquemond, peintre-graveur, a été l'un des premiers artistes à s'intéresser à la gravure japonaise et a fait partie en 1863 des « Refusés » du Salon parisien. Son indépendance lui a permis de développer ses théories et lui a conféré la reconnaissance du grand public.
La présente édition est basée sur l'originale Félix Bracquemond, Du dessin et de la couleur, Paris : G. Charpentier et Ce, 1885.
L'essai présenté ici n'a aucune prétention littéraire. Deux mobiles d'ordres différents, mais provenant de la même idée, de la définition des termes du langage des arts, nous ont entraîné à cette tentative : tout d'abord, un simple mouvement de curiosité ; puis, par un sentiment plus grave, l'intérêt de l'instruction primaire du dessin.
Notre curiosité n'avait-elle pas en effet raison d'être éveillée, quand, à notre grand étonnement, nous voyions tout entretien sur les arts, entre un peintre, un physicien, un sculpteur, un littérateur, un architecte, un ingénieur, un homme du monde, se trouver incessamment retardé et entravé par les diverses attributions de sens données par chacun des interlocuteurs aux principaux termes employés dans les arts ?
Et lorsque, pour nous éclairer, nous eûmes recours aux dictionnaires, qu'avons-nous trouvé ? 1° absence d'indication significative ; 2° erreur de définition, l'attribution de sens étant appliquée à un autre terme qu'à celui auquel elle appartient ; 3° confusion des idées, par l'admission de deux sens, l'un bon, l'autre mauvais, pour le même terme.
Ainsi, les dictionnaires de l'Académie et de Littré, puis les autres, disent bien à quoi sert le dessin : « Représentation [...]. » Tous deux débutent de même, mais ils ne disent pas d'où provient cette représentation, quelle est l'essence même du dessin, ce qui le constitue. Ainsi, au mot valeur, l'Académie, qui, pour la première fois, en enregistre l'emploi par les arts dans sa septième édition (1878), en confond le sens dans la première partie de sa définition, où elle lui donne une acception qui ne touche que le contraste des couleurs entre elles, tout en lui rendant, dans sa seconde partie, son acception régulière. Chez Littré, l'erreur est complète, et sa définition doit être intégralement reportée au contraste simultané des couleurs.
Dans aucun dictionnaire, nulle indication de la simultanéité des qualités chaude et froide que la couleur possède, en outre de la qualité colorante. Tous, cependant, par de nombreuses citations, en constatent l'existence. Quant au dictionnaire que l'Académie des Beaux-Arts consacre au langage des arts, nulle mention de ces qualités ; et pourtant, dans les fascicules déjà parus, l'indication de cette façon d'agir de la lumière sur la couleur devrait s'y trouver représentée au moins par un des deux termes chaleur ou chaud.
À propos du mot coloriste, absence, confusion, indication incomplète, parmi tous les dictionnaires. Ceux d'entre eux qui l'admettent, celui de l'Académie française en tête, renient bien nous apprendre que le coloriste applique bien le coloris, mais c'est tout. Le dictionnaire de l'Académie des beaux-arts, lui, ne l'insère pas dans sa nomenclature, tout en l'utilisant, pour le besoin de sa dissertation, dans son article sur le coloris.
Viollet-le-Duc, qui, lui aussi, se sert du mot, le répudie nettement : « Ce qu'on entend par un peuple de coloristes (pour me servir d'une expression consacrée, si mauvaise qu'elle soit) [...] », dit-il dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture française du onzième au seizième siècle, t. VII, p. 60. Ce qui ne l'empêche pas (t. IX, p. 396) d'être entraîné à cet élan d'admiration : « Avec quel art de coloriste cet effet est-il obtenu ! »
Que de choses étranges provoque cette incertitude générale ! On entend dire que Ingres dessine mal, que Delacroix ne dessine pas ! Affirmations magistrales, axiomes irréfutables devant lesquels la majeure partie du public s'incline comme devant la lumière du soleil, tandis que les artistes se contentent d'un haussement d'épaules. Et cette lettre si curieuse, où Decamps confesse que, s'il avait à recommencer sa vie d'artiste, il irait prendre des leçons de dessin chez Ingres, que pouvait-elle signifier, venant d'un tel homme ?
Et ces expressions art industriel, arts décoratifs, l'une délaissée après avoir été glorifiée un certain temps, l'autre aujourd'hui triomphante, que veulent-elles dire ?
En dehors des divisions naturelles des arts, qui, on peut le reconnaître, sont les métiers particuliers de ceux-ci, y a-t-il des arts parallèles à l'art ? Cette question nous intéressait vivement, nous qui avions vécu jusqu'alors avec cette croyance qu'il n'y a là que des applications d'un même principe.
Nous pensons que ces exemples suffiront pour constater le vague et l'indéfini où flotte la technique des arts. Nous pensons aussi qu'il serait nécessaire de fixer cette technique, afin de pouvoir au moins se comprendre, s'entendre sur une si glorieuse spéculation de l'esprit humain.
Dépourvus de définitions nettes, souvent même de principes un peu solides, la plupart des artistes, nous ne l'ignorons certes pas, pratiquent les arts avec un entraînement sentimental fortifié par quelques recettes et par l'habitude professionnelle qui paraissent suffire.
Reconnaissons tout de suite que de ce vague, de cette incertitude, émergent de loin en loin, comme par création spontanée, des choses qui méritent la qualification d'œuvre d'art. Mais ceci fait partie de la lingerie de famille, qu'il n'est pas, pour l'instant, utile d'étaler sous les yeux du public.
Un intérêt plus grave, avons-nous dit, que la marche plus ou moins heureuse de la conversation, est celui qu'excitent ces questions : N'est-ce pas de l'arbitraire inconsistance des mots et de la confusion qui en résulte qu'est née l'uniformité de l'enseignement des arts, imposé à tous, enfant, ouvrier, artisan d'art, physicien, élève de l'École polytechnique, homme du monde, artiste ? Uniformité réelle malgré l'apparente diversité des méthodes et des modèles adoptés pour chacune de ces divisions, qui toutes fatalement aboutissent soit à ébaucher des artistes, soit à débaucher des artisans. Et si cela est incontestable, quel est le dessin utile ? Peut-on distinguer, établir la quantité et la qualité de dessin nécessaire aux diverses situations où la vie jette chacun de nous ? Enfin, quelle est la délimitation entre le dessin d'usage général et le ou les dessins qui constituent la base professionnelle, la pratique incessante, de l'architecte, du peintre, du sculpteur ?
Pour répondre à ces questions, nous avons pensé qu'il fallait commencer par fixer le sens des termes et leurs rapports professionnels avec le mot dessin, et, pour cela, s'astreindre à les définir uniquement par le langage, sans le secours des choses qu'ils représentent, c'est-à-dire sans le concours de figures explicatives. Un terme bien défini ne peut-il être considéré comme un outil professionnel, comme un instrument de précision ?
La critique aurait pu nous fournir, par des exemples contradictoires, de vives clartés ; nous avons préféré nous confiner dans un vague qui, sans être obscur, exigera une attention persévérante
Nous avons tenté cette série d'ardues et indispensables définitions, certain que, si nous n'avons pas réussi, nous aurons du moins signalé un point faible et la nécessité de le fortifier.
L'art émanant du dessin est la nature formulée.
Par chacune de ses divisions il donne une formule spéciale de la nature.
Les arts ne pouvant percevoir la forme sans étendue, sans volume, ils lui ont attribué une sorte de membrure composée du contour, du modelé, de la couleur. Puis ils ont isolé ces membres théoriques, afin de les appliquer à leurs usages ; ils les ont réduits en formules, les rassemblant ou les divisant selon le service qu'ils en attendent.
À ce titre, la forme n'a rien d'abstrait : elle est carrée, ronde, triangulaire, ou composée de ces diverses figures ; elle est mesurable et comparable, étant grande, petite, épaisse, fluette, etc., etc. De plus, nous en tenant aux apparences d'expression, nous pouvons dire qu'elle est majestueuse, triste, joyeuse, noble, ridicule, etc., etc.
Quand Brid'oison parle de la forme, il emprunte aux arts plastiques leur manière de la considérer par des images applicables aux abstractions que ce terme évoque.
Pour nous, une forme polie est comparable à une surface qui a passé par le polissage du brunissoir ; pour Brid'oison, c'est de la politesse.
Mais nous n'avons pas à tenir compte de la complexité d'idées où entraîne le mot forme. Nous ne devons envisager ce mot que dans la signification qui le rapproche le plus de la technique du dessin. Pour cela, il nous faut examiner ce qui distingue l'un de l'autre les deux termes dessin et forme.
Tout d'abord, le mot forme suscite la comparaison entre la manière d'être de la nature et celle de l'art, ce que ne fait pas le mot dessin. Dans la nature, la forme est immuable, une, toujours semblable à elle-même ; dans l'art, elle est d'apparence mobile, variable et présente autant d'aspects qu'il y a d'arts, de systèmes. Et cependant la préoccupation constante de l'art est la représentation de la forme naturelle, car, alors même qu'il invente, il sait que son œuvre ne sera reconnue pour valeur acquise que si l'on peut dire de l'un ou de l'ensemble de ses éléments : « C'est vrai », ou « c'est juste ». On dit aussi : « C'est beau » ; mais cette expression échappant à la technique, nous n'avons pas à nous en préoccuper.
Il faut donc reconnaître la valeur d'expression propre à chacun des éléments naturels réduits par l'art en formule, pour apprécier la part apportée par chacun d'eux à l'unité de la forme, unité qui est absolue dans la nature par la confusion intime de ces éléments, qu'on peut bien distinguer, mais qu'il est impossible de disjoindre.
Le premier de ces éléments, celui qui est presque le représentant en titre de la forme, le contour, n'est cependant applicable qu'à une de ses localités. Il note la limite où, pour notre vue, un corps, un espace, semblent se terminer.
Les termes ligne, contour, trait, plan, élévation, coupe, gabarit, calibre, profil, silhouette, schéma servent à signifier forme lorsque la forme est effectivement limitée par un tracé quelconque.
Ingres disait à ses élèves : « Messieurs, tout a une forme, même la fumée ! » Cette chute dans une démonstration solennelle est peut-être un peu naïve, mais elle a, pour nous, l'avantage de placer la question de la forme, envisagée au point de vue des arts, sur son véritable terrain.
Il faut bien se garder de prendre le contour pour la forme. Il n'en est qu'un élément, figuré par le trait, qui lui-même n'est qu'une formule essentiellement conventionnelle et secondaire, donnant aux arts la plus grande liberté et qui leur appartient en propre. C'est par lui que la forme humaine, ainsi que toutes les autres formes, est modifiée à chaque fluctuation des arts ; c'est par lui que le principe ornemental joint et accouple des êtres, des choses, dissemblables et incompatibles. Il construit les combinaisons de la fantaisie la plus absolue, qui deviennent indiscutables comme vérité, comme justesse de forme, lorsque le contour respecte, par le modelé, la conformité indispensable entre la nature et l'art.
Un autre élément de la forme, la couleur, est également conventionnel. Dans la nature, la couleur est impondérable, c'est la lumière elle-même. Comment dès lors la disjoindre du modelé ? Dans l'art, elle est matérielle, mais elle se prête à tous les artifices. Pour simuler l'aspect coloré de nos yeux, le sculpteur ne fait-il pas des trous là où sont des surfaces lisses ? Le peintre ne supplée-t-il pas la couleur par des valeurs tirées de sa négation même, le blanc, le noir ?
Les formules du trait et de la couleur, laissant liberté entière aux conjectures, aux formes supposées par l'imagination, sont acceptées comme vraies et justes, et doivent l'être, lorsque, par le modelé, les lois de la lumière naturelle sont rigoureusement observées.
C'est de la clarté que dérive la stabilité d'effet, parce qu'elle ne varie jamais dans la logique de son expansion, qui permet la comparaison entre la nature et l'art. Et cela, avec ou malgré les formes conventionnelles du trait et de la couleur.
II nous est facile de démontrer cette vérité par le simple énoncé des époques d'art ou des noms de maîtres indiscutables, qui de la même forme, celle de l'humanité, ont tiré des expressions tellement différentes qu'elles semblent ne pas exprimer le même sujet : ce sont les Égyptiens, les Grecs, les Gothiques, la Renaissance, dont l'évolution se termine à la Révolution française ; ce sont Michel-Ange, Jean Goujon, Boulongne, Puget, Houdon, David d'Angers, Mantegna, Léonard de Vinci, Corrège, Albert Dürer, Holbein, Raphaël, Véronèse, Rembrandt, Rubens, Velasquez, Watteau, Ingres, Delacroix.
Toutes les différences des formes que présentent ces dates et ces noms viennent sans doute des formules du trait et de la couleur ; mais chez toutes le modelé est conforme, c'est-à-dire que la lumière, l'ombre et leurs intermédiaires affectent la même action, confirmée par leur identité avec la nature.
C'est donc du modelé seul qu'on peut dire : « C'est vrai, c'est juste ; » c'est lui qu'on doit appeler « la forme « lorsque ce terme est un qualificatif. En un mot, si la science des formes est le dessin, c'est par le modelé qu'elle peut être vérifiée.
Le dessin est le moyen artificiel d'inscrire et d'imiter la lumière naturelle.
Dans la nature, tout se montre par la lumière, et par ses compléments, le reflet, l'ombre. C'est ce que le dessin constate. Il est la lumière factice des arts.
Le mot dessin résume tous les termes de la langue des arts plastiques. Il est toujours sous-entendu, quel que soit le mot technique que l'on emploie. Les expressions : trait, modelé, couleur, ornement, forme, ligne, valeur, effet, etc., ne servent que pour aider par l'analyse à la signification du mot dessin, et pour en spécifier un des éléments.
Ces éléments divers sont tour à tour pris pour le dessin lui-même, selon que la pratique désignée par chacun d'eux prédomine dans l'application particulière qu'en fait l'une des trois grandes divisions des arts, l'Architecture, la Sculpture, la Peinture.
Le dessin sert à représenter les choses que nous voyons et à figurer celles que notre imagination conçoit et nous fait voir. Et il transmet son nom à ces représentations et figurations. Ainsi, la chose peinte ou tracée sur la toile, sur le papier, est un dessin ; une statue est un dessin ; un monument est un dessin ; une locomotive, une carte de géographie, les linéaments d'une idée, sont des dessins.
Le mot dessin désigne aussi les moyens employés à son exécution ; dessin au pinceau, à la craie, au crayon, à la plume, au pastel, au lavis, à l'aquarelle ; dessin linéaire ou dessin du trait.
De plus, il s'applique à la science qui sert à son émission : le dessin de Ingres, le dessin de Delacroix.
Il désigne encore la qualité du dessin de l'œuvre : ce monument, cette statue, ce tableau, cette gravure, est d'un bon ou d'un mauvais dessin.
En tenant compte des différentes valeurs de ce mot, on doit classer ainsi ses diverses propriétés : le dessin est à la fois une écriture, une science, un art.
Il est une écriture comme moyen d'expression, l'écriture des formes. II exprime, suivant une convention qu'il a créée, les combinaisons de l'ornement et toutes les formes de la nature, ainsi que toutes les figures dérivant de la géométrie, de l'architecture, de la géographie.
Il est une science comme étude, la science des formes. Il guide les industries dont il est le moteur, il donne un corps aux professions dont il est le moyen et le but, comme la peinture, la sculpture.
Il est un art comme conception et application, l'art des formes. Il modifie les formes selon sa convenance, en suivant uniquement les conventions qui lui sont propres.
Le dessin est particulièrement le but et le moyen de trois professions : l'architecture, la sculpture, la peinture. Ces trois divisions des beaux-arts ayant chacune une voie différente de celle des deux autres pour parvenir à son but, il est utile de mettre en lumière les moyens employés par chacune d'elles.
Si le peintre et le sculpteur recherchent exclusivement par le dessin l'imitation de la nature, il n'en est nullement de même de l'architecte, qui, affranchi de cette imitation, n'emploie le dessin que pour préparer et présenter ses plans. Pour lui, ce n'est là qu'un expédient, qui ne crée nul rapprochement avec le dessin du peintre ou du sculpteur