Plusieurs jours s’écoulent encore pendant lesquels Gaston mène le même train de vie, formant le matin le projet d’être sage, de ne plus passer son temps auprès de Cypriane, puis se laissant séduire par les jolies mines, les douces paroles de la séduisante danseuse qui connaissait à fond l’art de tourner la tête à un homme… et ceux qui, jusqu’à vingt-quatre ans, sont restés sans faire de folies, sont comme ces avares qui deviennent prodigues lorsqu’une fois ils se mettent en train.
Pendant ces jours de folies, Gaston n’a plus aperçu Félicie, qui n’a point paru sur son passage… et il n’a point cherché à la voir, car il se sent coupable envers elle… il craint qu’elle ne connaisse sa conduite, et comme il n’a pas encore l’habitude de mentir, il serait trop embarrassé si elle le questionnait.
Collinet s’était décidé à aller coucher dans un modeste hôtel garni ; mais tous les matins, avant de se rendre à son étude, il ne manquait pas d’aller à son ancienne demeure. Il commençait par sonner chez la demoiselle de l’Opéra ; mais on ne lui ouvrait jamais. Alors il montait au quatrième, frappait à sa porte, et M. Picard lui ouvrait et souriait malicieusement en lui disant :
« – Ah ! monsieur vient toujours pour voir mademoiselle Cypriane… et monsieur n’a pas de chance, il ne rencontre jamais cette dame… Il est vrai qu’elle est toujours dehors… Depuis le premier jour que je suis ici, elle est sortie et n’est pas rentrée ; je la suppose à la campagne.
– Eh non, monsieur, non, répondait Collinet en haussant les épaules et se promenant avec humeur dans sa chambre ; cette demoiselle s’en est allée parce qu’elle ne demeure pas ici… Ce n’est pas chez elle ici, c’est chez moi… je sais très bien qu’elle n’y remettra plus les pieds.
– Monsieur, vous me répétez toujours que c’est ici chez vous… alors pourquoi y avons-nous trouvé cette dame ?… Et je me le rappelle très bien, quand nous vous avons rencontré avec le patron sur l’escalier, il vous a demandé où demeurait mademoiselle Cypriane, et vous lui avez répondu : Au quatrième, la seconde porte à gauche… C’est bien ici.
– C’est vrai, respectable gardien, je ne chercherai pas à le nier… j’ai répondu cela… mais c’était tout simplement une plaisanterie… histoire de rire un moment.
– Monsieur, vous savez bien qu’on ne plaisante pas avec la justice…
– Cette danseuse est fort séduisante… Que diable ! on est homme ou on ne l’est pas… Est-ce que vous n’avez jamais fait de bêtises pour les femmes, vous ?
– Je ne crois pas, monsieur… Ah ! si… car je me suis marié, et mon épouse a levé le pied, autrement dit, abandonné le domicile conjugal après six semaines de cohabitation, sous prétexte que l’odeur de mon nez l’incommodait.
– Alors, je vous en prie, laissez-moi prendre un mouchoir et des bas dans cette commode… ça me rendra service. – Jamais, monsieur, jamais… Ceci est sous le scellé, monsieur… c’est sacré… vous voudriez une épingle dans cette commode que je vous dirais : Impossible !… Vous m’offririez mille écus pour enlever quelque chose d’ici, que je les refuserais…
– Oh ! soyez tranquille, je ne vous les offrirai pas. »
Ces conversations finissaient toujours par des accès de colère de Collinet, qui trépignait des pieds et voulait fouiller dans sa commode ; mais l’incorruptible Picard, qui n’était nullement ému par les scènes que le petit clerc venait faire chaque matin, les terminait en enlevant Collinet par la taille, en allant le déposer sur le carré et en lui fermant la porte sur le nez.
Un matin, au moment d’entrer dans la maison du faubourg Montmartre, Collinet demeure tout saisi en apercevant une longue affiche collée sur la porte, et sur cette affiche il voit en grosses lettres : Vente par autorité de justice. Il continue de lire et reconnaît l’inventaire de son mobilier que l’on doit vendre le lendemain à midi.
Le jeune clerc est furieux ; il entre dans la maison, il se précipite dans la loge de madame Ador en s’écriant :
« – Non, ça ne sera pas ! je ne me laisserai pas mettre sur la paille… réduit à rien… comme un petit saint Jean… Oh ! mon beau pantalon noir, tu y passerais aussi… Ce sont mes effets que l’on a eu l’audace d’afficher… en annonçant la vente pour demain midi… mais je mets opposition, et je vous défends, concierge, de rien laisser sortir de ce qui est affiché, car vous savez bien que c’est à moi. »
En disant cela, Collinet saisit le bras de la concierge, sans remarquer qu’elle était en train d’avaler une soupière de café au lait, et il lui secoue le bras avec tant d’énergie, que tout ce que contenait la cuiller saute au visage de madame Ador, qui devient aussi furieuse que son locataire et dégage son bras en disant :
– Qu’est-ce que c’est que ces manières-là, monsieur !… vous m’envoyez tout mon café dans le visage… que même je me suis brûlée… vu qu’il est bouillant, et que j’en ai reçu dans l’œil…
– Avez-vous lu l’affiche et la vente annoncée, concierge ?
– Ça ne se fait pas, ces choses-là, monsieur.
– C’est justement ce que je vous dis… je ne veux pas que cela se fasse…
– Pourquoi que vous le faites alors ?
– Comment ! je le fais… Qu’est-ce que vous dites ?… Puisque je m’y oppose…
– Vous m’avez fait renverser mon café, monsieur… j’ai la figure brûlée, que je suis susceptible… d’en être couperosée…
– Eh ! laissez-moi donc tranquille avec votre café !… Vous m’avez entendu… ne laissez rien sortir… vous me répondez de la moindre chaussette qui serait vendue…
– Le plus souvent que je vais m’occuper de vos nippes ! vous me rembourserez les médicaments pour les brûlures, vous !…
Collinet n’écoute plus madame Ador… il monte quatre à quatre, il se jette sur le cordon de la sonnette de mademoiselle Cypriane, il le casse du premier coup ; alors il cogne, il frappe avec ses poings, avec sa tête. Voyant qu’il se fait du mal inutilement, il monte au quatrième, et donne un grand coup de pied dans sa porte.
M. Picard ouvre, toujours le sourire sur les lèvres, et les narines bourrées de hachures de cigares ; il savoure, de plus, une énorme chique qui donne à sa joue gauche l’aspect d’une fluxion.
« – Gardien ! c’est par trop se moquer du monde cette fois, » dit le petit clerc en se posant d’aplomb devant M. Picard. « Vous comprenez bien que je ne peux pas souffrir cela… et que je m’y oppose…
– Bien le bonjour, monsieur… mademoiselle Cypriane est absente comme à l’ordinaire…
– Eh ! je me fiche pas mal de cette chorégraphe !… c’est-à-dire non, je ne m’en fiche pas… car il faut que je la voie… il faut que j’aie une explication terrible avec elle ! Elle m’a mis dedans, monsieur, en me mettant dehors de chez moi…
– J’ai déjà eu l’honneur de dire à monsieur que tout cela ne me regardait pas… Qu’il s’explique avec cette dame…
– Mais elle ne veut pas m’ouvrir… Toutes les fois que je sonne, c’est comme si je chantais ; cette fois j’ai cassé son cordon, mais je ne m’en tiendrai pas là… Dites donc… on ne vendra pas… c’est pour la frime qu’on a affiché… n’est-ce pas ?…
– Je vous demande bien pardon, monsieur… la vente aura lieu, telle que l’affiche l’annonce… pour demain midi… à moins que mademoiselle Cypriane ne paye avant ce temps-là…
– Comment ! on aurait l’atrocité de vendre ce qui m’appartient pour payer les dettes de cette… acrobate !
– Je vous ai déjà dit, monsieur, que dans tout ceci on ne vous connaissait pas…
– Ah ! on ne me connaît pas… ah ! c’est comme cela… eh bien, je vais me faire connaître… Je veux mon pantalon noir, je veux mes mouchoirs, je veux tous mes effets !… »
Et Collinet se précipite avec tant de vivacité dans la chambre, qu’il manque de renverser M. Picard, et, courant à sa commode, il se dispose à forcer les tiroirs, lorsque le gardien, revenu de sa pirouette, vient sur lui et veut comme de coutume l’enlever par la taille pour le mettre dehors. Mais, cette fois, Collinet se défend comme un lion ; il roule avec M. Picard sur le carreau non frotté de l’appartement. Pendant quelques instants, ces messieurs se livrent à une boxe très accidentée, chacun se trouvant tour à tour dessus ou dessous son adversaire.
Mais M. Picard était le plus fort ; il parvient, tout en boxant, à pousser Collinet sur le carré… Là, il compte l’abandonner ; mais alors c’est le petit clerc qui ne veut plus lâcher M. Picard et se cramponne après lui en criant :
« – Donnez-moi au moins mon pantalon… sans quoi je déchire le vôtre !… »
Au bruit de cette lutte, Alexandre ouvre sa porte. En apercevant Collinet qui se roule avec M. Picard, le grand jeune homme commence par rire ; mais ensuite il va séparer les combattants. M. Picard, dès qu’il est dégagé, se hâte de rentrer dans le logis où il est gardien et d’en refermer la porte.
« – Comment ! Collinet, tu livres maintenant des combats sur le carré !… » dit Alexandre en aidant le petit clerc à se relever. « Je ne t’aurais pas cru si belliqueux !… Que t’a fait ce monsieur qui a un si beau nez, pour que tu te battes avec lui ? »
– Tu as eu bien tort de me le faire lâcher, toi… je lui aurais déchiré son pantalon !…
– Je ne sais pas trop quel agrément cela t’aurait procuré !…
– On va vendre mes meubles et effets, tu ne sais donc pas cela ?…
– Eh bien… est-ce que c’est la faute de cet homme ?… Je ne comprends pas comment toi, apprenti huissier, tu peux rendre ce gardien responsable de tout cela…
– Ah ! c’est que je suis exaspéré, désolé !…
– Adresse-toi à mademoiselle Cypriane… c’est elle qui t’a pris ta chambre…
– Je sonne chez elle tous les matins, on ne m’ouvre jamais…
– Tiens, mon pauvre Collinet, voilà quelqu’un qui est plus heureux que toi !… car, franchement, c’est toi qui aurais dû partager toutes les faveurs dont on le comble… mais que veux-tu… sic vos non vobis !…
Gaston montait l’escalier… il était tout pensif ; il se faisait à lui-même les plus vifs reproches sur sa conduite, et n’osait plus porter ses regards vers le cinquième étage. Il s’arrête, étonné de trouver ses deux amis sur le carré.
« – Comment ! » s’écrie Collinet en s’adressant à Gaston qu’il n’avait pas vu depuis quelques jours, « est-ce que vraiment tu vas chez mademoiselle Cypriane… est-ce que tu es devenu son favori… son sigisbée ?
– Puisque je te le dis, » reprend Alexandre ; « et, d’ailleurs, regarde donc notre poète… vois donc quel changement s’est opéré en lui… cet air triomphant…
– Triomphant !… lui ! il marche les yeux baissés, il a l’air gai comme un croque-mort.
– C’est par modestie.
– Est-ce vrai, Gaston… ? » reprend Collinet ; « tu m’as soufflé la demoiselle de l’Opéra !…
– Je ne t’ai rien soufflé… tu ne lui faisais pas la cour…
– Mais du moment que j’ai consenti à la laisser s’emparer de mon logement, c’était bien dans l’espoir qu’elle me récompenserait en me comblant de ses plus douces faveurs.
– Il fallait faire tes conditions d’avance…
– Ces choses-là… est-ce que cela n’est pas toujours sous-entendu ?… Mais au fait, c’est vrai, j’aurais dû lui faire signer un petit écrit sur papier timbré. Et c’est toi qui vas chez elle… je n’ai plus de domicile… et c’est toi qu’on reçoit… on va vendre mon mobilier, et c’est toi qui obtiens l’amour de cette dame… J’avoue que je trouve ça peu délicat de la part !…
– Mon pauvre Collinet, je t’assure que je n’ai nullement cherché ce qui m’est arrivé… mais je ne vois pas pourquoi, à cause de toi, j’aurais refusé un bonheur qui venait me trouver.
– Cette danseuse est fausse comme un jeton ! Quand elle est venue me supplier de lui céder mon logement, de prendre le sien, de troquer avec elle… elle m’a fait aussi des mines à moi !… et des yeux… enfin il semblait que je n’avais plus qu’à me déclarer.
– Mon cher ami, » dit Alexandre, « pourquoi aussi, lorsque tu es chez une jolie femme, te grises-tu au point de rouler sous la table ?… Tu as une singulière façon de vouloir séduire… Nous te conduisons ensuite chez ce bon Allemand d’ici dessous, qui consentait à te donner l’hospitalité, et tu fais des horreurs chez lui… Ah ! Collinet, mon ami, décidément vous n’êtes pas gentil en société… On vous couchera de bonne heure !
– C’est bien !… vous vous dites mes amis, et vous me trahissez, et vous plaisantez quand je suis sur le point d’être dépouillé de tout ce que je possède… car enfin cette vente est affichée pour demain à midi…
– Collinet, rassure-toi… je rachèterai ton bahut… tu t’en feras une cabane pour t’abriter.
– C’est bien, vous dis-je… si l’on me pousse au désespoir… on verra ce dont je suis capable…
– Voyons, Collinet, sans plaisanterie, combien estimes-tu ton mobilier ? quatre-vingts francs, hein…
– Quelle indigne dérision !…
– Mettons les cent francs, quoique cela me semble beaucoup ! Eh bien, quand tu verras la séduisante Cypriane, tu lui prendras quatre baisers… Le baiser d’une jolie femme… à vingt-cinq francs pièce, ce n’est pas cher ; ordinairement ils coûtent plus que cela… et tu auras le prix de ton mobilier. »
Le petit clerc ne répond pas ; mais il enfonce avec colère son chapeau sur sa tête, lance des regards furieux sur ses deux voisins, leur montre même le poing, puis descend rapidement l’escalier en jurant comme un charretier dont le cheval est embourbé.
« – Ce pauvre Collinet, » dit Alexandre, le fait est qu’il doit t’en vouloir, à toi, Gaston… Et comment vont les amours ?
« – Les amours… ah ! je n’en ai jamais eu qu’un… mais, celui-là, j’ai bien peur qu’il soit mal venu maintenant ! »
Et le jeune homme portait ses regards vers l’étage au-dessus du sien.
« – Ah ! tu regardes au cinquième à présent… mais moi c’est du second que je te parlais…
– Oh ! le second… c’est un moment d’égarement… une ivresse passagère…
– Un moment qui dure depuis quinze jours déjà…
– Oh ! c’est fini… j’ai bien dans l’idée que c’est fini avec Cypriane…
– C’est pour cela que tu regardes au-dessus, maintenant…
– Oh ! j’y ai toujours regardé… mais je ne l’aperçois plus…
– Sais-tu, mon cher, les bruits qui courent dans la maison sur mademoiselle Félicie ?
– Je ne sais rien… Que dit-on ?
– D’abord, je commence par t’avertir que ce sont des bruits de portières et de bonnes… tu vois d’après cela le cas que tu dois en faire…
– Fort bien, mais dis toujours…
– Il paraît que le docteur qui demeure au second, en face de ta conquête, a rencontré, il y a quelque temps, la jolie voisine sur l’escalier… alors il a poussé un cri de surprise, la jeune fille un cri d’effroi… Le docteur la connaît, il connaît sa famille… il sait beaucoup de choses concernant la jeune fille, puisque celle-ci l’a prié, supplié de ne point la trahir… de ne pas dire son vrai nom… car celui de Félicie n’est qu’un nom postiche, et, d’après cela, il est donc avéré que cette jeune personne est une grande criminelle qui ne se cache que pour se dérober au châtiment qu’elle a mérité, en se rendant coupable d’infanticide, de meurtre, ou d’incendie, ou de vol, ou de fabrication de fausse monnaie… Vois, mon cher ami, à quoi tu t’exposes en aimant une femme dont la connaissance ne pourrait que te compromettre !…
– Quel tissu de mensonges et d’absurdités… Pauvre Félicie… si vous étiez moins jolie, on s’acharnerait moins après vous… Est-ce que tu crois ces bêtises-là, Alexandre ?
– Pas plus que toi !… Certainement la petite voisine a quelque secret qu’elle ne veut pas dire… Ce n’est point une simple ouvrière, ce n’est point une grisette – il est facile de voir à ses manières, à la façon dont elle s’exprime, qu’elle a été bien élevée, qu’elle a été dans le monde… Elle cache son nom… elle a probablement des raisons pour cela… ce n’est nullement la preuve qu’elle ait quelque chose à se reprocher. Mais voilà le défaut des classes populaires : pour elles, où il y a mystère, il y a crime ; elles supposent le mal et jamais le bien… et malheureusement elles ne se trompent pas toujours.
– Ah ! je voudrais que Félicie eût une faute à se reprocher !… je serais trop heureux de la lui pardonner !…
– N’allons pas trop loin… il ne faut jamais souhaiter qu’une femme soit coupable… elle abuserait de la permission. Mais à propos, pourquoi disais-tu que les amours avec ta danseuse touchaient à leur fin ?… Est-ce que vous vous êtes mal quittés aujourd’hui.
– Pas précisément… cependant j’ai trouvé Cypriane plus froide avec moi… Contre son ordinaire, elle ne m’a pas retenu pour toute la journée, et quand je lui ai demandé ce qu’elle comptait faire aujourd’hui, elle m’a répondu qu’elle voulait se livrer à des études de pirouette et de pas brisés…
– Ah ! mon pauvre Gaston !… si ta maîtresse a des études de pirouettes à faire, tu n’as plus qu’à prendre ton parti ; c’est que tu es remplacé ou que tu ne tarderas pas à l’être… Mais tu devais t’y attendre ; avec ces dames, les nœuds se brisent aussi vite qu’ils se forment !… et tu dois même être très fier d’avoir possédé pendant quinze jours l’amour d’une danseuse… et surtout un amour désintéressé !…
– Adieu, Alexandre, je vais travailler, tâcher de réparer le temps perdu… car, je dois l’avouer à ma honte… depuis cette liaison, je n’ai pas écrit une demi-page !…
– On ne peut pas tout faire à la fois !… »
Gaston rentre chez lui après avoir jeté un triste regard sur l’étage supérieur et tout en se disant :
« – Ce médecin du second connaît mademoiselle Félicie… il faudra que je sois malade pour faire connaissance avec ce médecin-là. »
Le lendemain sur le midi, au moment où les gens de loi arrivaient pour procéder à la vente du mobilier de Collinet, et tandis que celui-ci accourait d’un air désespéré, décidé à racheter son pantalon, mademoiselle Cypriane montait vivement au quatrième étage, et là ordonnait de ne point faire la vente, en payant comptant tout le montant de sa dette.
Aussitôt huissier, commissaire-priseur, gardien, tout cela disparaît comme par un coup de baguette, et cette foule de marchands, de revendeurs, d’acheteurs et de flâneurs que l’annonce d’une vente attire toujours, se disperse assez mécontente de s’être dérangée pour rien.
Alors la belle Cypriane s’approche de Collinet qui ne sait pas encore s’il doit en croire ses yeux, et lui dit :
« – Vous pouvez reprendre possession de votre logement et de tout ce qui est dedans, mon cher ami… vous voyez bien que ce n’était pas la peine de faire tous les matins tant de bruit à ma porte et de casser ma sonnette.
– C’est vrai, madame, » répond Collinet d’un air piqué, « mais si vous m’aviez laissé pénétrer chez vous… comme j’en avais l’espoir, je n’aurais pas fait du tapage à votre porte…
– Ah ! monsieur Collinet… vous voulez faire payer trop cher les services que vous rendez… Ah ! mon Dieu, je bavarde, et le comte de Tamponiskoff qui m’attend chez moi !… »
Le comte de Tamponiskoff était le successeur de Gaston, et il n’avait pas accepté la succession sous bénéfice d’inventaire.