Louisa Kern
La Sourcière
nouvelle
Collection Noire sœur
« Que pouvais-je faire d’autre, Liochka ? » demanda la vieille en haussant les épaules.
Le chat interpellé s’étira longuement, se retourna vers l’âtre et se recoucha en boule. Le feu n’arrivait pas à réchauffer la tanière humide et sombre où la vieille se terrait depuis les événements.
Les autorités sanitaires avaient bien tenté de l’en déloger de force, mais elle était revenue à chaque fois. Elle avait réussi à forcer leurs barrages, déjouant leurs gardes armés, leurs pièges barbelés et parfois les mines qu’ils avaient cachées dans le chemin. Elle avait brisé les scellés et arraché les planches clouées aux portes et aux fenêtres avec une barre de fer rouillé trouvée dans un des terrains vagues qui entouraient la baraque. À chaque fois, elle était revenue. Elle était chez elle et personne ne parviendrait à la chasser. Ils avaient fini par comprendre. Comme beaucoup, depuis la catastrophe, elle n’avait aucun autre endroit où aller. Même si sa bicoque était le pire endroit au monde, elle préférait le pire au néant, à l’impitoyable errance de ceux qui n’ont plus rien. Les soldats avaient fini par comprendre, ou bien ils s’étaient découragés. Lassés de l’expulser toujours plus brutalement en espérant que cela suffirait à ce qu’elle ne revienne pas, de replanter les mêmes clous sur les planches pourries qu’elle n’avait pas encore brûlées pour se réchauffer. Et puis personne n’avait plus envie de traîner dans le coin, même pour monter la garde à distance. Ils avaient préféré rentrer chez eux.