L’auteur, Jean-Michel Abrassart, est titulaire de masters en psychologie et en philosophie. Il est le créateur du podcast Scepticisme scientifique, une émission hebdomadaire consacrée à la zététique. Il termine en ce moment une thèse de doctorat consacrée au modèle sociopsychologique du phénomène OVNI.
Des chercheurs en psychologie étudient, de par le monde, des milliers de facettes de notre comportement. Les auteurs de la collection In psycho veritas opèrent, parmi ces études, une sélection drastique ; ils pointent pour nous les plus percutantes, les plus pertinentes, les plus étonnantes, celles qui sont susceptibles de répondre à nos préoccupations.
Et nous voici embarqués dans un voyage initiatique au sein de l’univers de la recherche en psychologie… À partir de questions faussement anodines, voire légèrement provocantes, les auteurs nous amènent, mine de rien, à réfléchir en véritables scientifiques. Question posée, mise en contexte, méthode, résultat, conclusion, source.
Le premier petit miracle est que toute cette démarche est ici ramassée sur une double page ; le deuxième miracle est que les auteurs ont trouvé un ton léger, drôle et précis pour rendre cela intelligible.
À la question « L’astrologie peut-elle vraiment décrire votre personnalité ? », vous seriez tenté(e) de répondre en fonction de votre expérience personnelle ou de l’observation de votre entourage. Seule une véritable recherche permet de répondre objectivement à cette question. Peut-être vous arrivera-t-il aussi de contester certains résultats, d’invoquer des contre-exemples… Une plongée dans le déroulement de la recherche risque de vous amener à bousculer certaines idées reçues ; vous verrez vos convictions tantôt renforcées, tantôt ébranlées… tel est également l’objectif de la collection In psycho veritas !
Bien sûr, la problématique du paranormal ne se résume pas en 60 questions. Bien sûr, chacune des thématiques abordées comporte d’autres facettes, d’autres angles d’approche.
In psycho veritas se veut ici déclencheur ; les 60 questions posées dans le livre en appellent 60 autres qui, elles-mêmes, en appelleront
60 nouvelles — pour lesquelles nous aurons appris à distinguer « ce que j’en pense » de « ce qu’en dit la science »…
Le titre de la collection est bien sûr inspiré de l’expression latine In vino veritas ; elle nous dit qu’un verre de vin enlève certaines inhibitions et nous fait dire, parfois malgré nous, la vérité (ou du moins certaines vérités). Par association d’idées, In psycho veritas, en vous plongeant au cœur du travail de chercheurs en psychologie, vous aidera à mieux comprendre certains comportements et vous permettra de décoder certaines « vérités ».
Gageons que vous y prendrez autant de plaisir qu’à déguster un bon verre de vin… et à le partager !
L’éditeur
01 | La Vierge Marie est-elle apparue sur un toast ?
La tendance à voir des visages là où il n’y en a pas
02 | Pourquoi les gens (ne) croient-ils (pas) au paranormal ?
L’influence de la personnalité sur la croyance au surnaturel
03 | Les personnes qui croient au paranormal raisonnent-elles mal ?
L’hypothèse du déficit cognitif pour expliquer les phénomènes étranges
04 | Les jeunes ont-ils peur du paranormal ?
L’adolescence comme période d’exploration de l’extrasensoriel
05 | Les coïncidences sont-elles paranormales ?
La sensibilité aux coïncidences et la croyance au surnaturel
06 | Pourquoi sommes-nous si nombreux à croire en la vie après la mort ?
Les biais cognitifs et la croyance en l’au-delà
07 | Croire au paranormal aide-t-il à gérer son existence ?
La relation entre le sentiment de contrôle et la croyance au surnaturel
08 | Les doudous ont-ils une âme ?
L’attachement à l’essence d’objets transitionnels
La tendance à voir des visages là où il n’y en a pas
En 2004, un toast sur lequel était apparu le visage de la Vierge Marie s’est vendu à 28 000 dollars sur eBay. Ce n’est pas un cas isolé. La mère du Christ se serait aussi manifestée sur des vitres sales, des crêpes ou encore des tortillas. Certains ont cru apercevoir le diable dans la fumée causée par les attentats du 11 septembre. Ces apparitions n’ont pas toujours un thème religieux. En 1976, la sonde Viking 1 a pris en photo un visage sur le sol de la planète Mars et les passionnés de soucoupes volantes y voient une construction extraterrestre. Comment expliquer ces miracles ? Des psychologues finlandais ont voulu en avoir le cœur net.
L’hypothèse à vérifier était la suivante : existe-t-il un lien entre le fait d’avoir des croyances religieuses ou paranormales et la tendance à voir des visages là où il n’y en a pas ? Les chercheurs ont montré des photos de paysages à 47 personnes âgées de 20 à 50 ans. Certaines images comportaient des éléments ressemblant à des visages, d’autres non. Les participants devaient alors préciser s’ils percevaient des figures humaines et, si oui, quelles émotions ils pouvaient lire sur leurs traits. Il leur était enfin demandé d’estimer l’intensité des sentiments exprimés par ces visages. Par ailleurs, un questionnaire évaluant leurs croyances religieuses et paranormales leur a été soumis.
Les personnes qui avaient la foi ont aperçu des visages dans les photos plus souvent que les athées. De manière similaire, celles convaincues de l’existence du paranormal (astrologie et télépathie incluses) ont discerné un plus grand nombre de figures humaines que les sceptiques. Les adeptes de la religion comme de l’étrange percevaient en outre plus d’émotions et des émotions plus intenses dans les visages.
L’explication de ce phénomène tient au fait que notre cerveau est tellement entraîné à reconnaître des visages qu’il parvient à en voir même quand il n’y en a pas ! Ces illusions s’appellent, en psychologie, des « paréidolies ». Il semblerait, d’après cette étude, que les individus croyant au paranormal ou en Dieu seraient particulièrement sensibles à ces altérations de la perception. Celles-ci relèveraient d’ailleurs d’une forme d’anthropomorphisme, phénomène qui consiste à attribuer des caractéristiques humaines à des phénomènes naturels, à des animaux ou encore à des objets. Cette notion a joué un rôle essentiel dans l’apparition des religions. Par exemple, dans l’Antiquité, les Grecs expliquaient les éclairs en imaginant que Zeus les lançait depuis le ciel. Certes, le petit-déjeuner est un moment sacré. Mais s’il vous arrive d’apercevoir la Vierge dans vos tartines, un conseil : mangez-les sans faire d’histoire.
Source : Riekki, T., Lindeman, M., Aleneff, M., Halme, A., & Nuortimo, A. (2013). Paranormal and religious believers are more prone to illusory face perception than skeptics and non-believers. Applied Cognitive Psychology, 27(2), 150-155.
L’influence de la personnalité sur la croyance au surnaturel
La croyance au paranormal est extrêmement répandue dans la culture européenne. D’après un sondage réalisé en 2015 par le magazine Science & Vie, 70 % des Français croient en l’existence d’au moins un phénomène surnaturel, et 32 % disent en avoir déjà vécu un. Ces chiffres peuvent étonner : 3 personnes sur 10 témoignent avoir été témoins d’un événement qu’elles n’arrivent pas à expliquer ! La zététique est l’étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux. Ceux qui ne croient pas en l’existence de phénomènes paranormaux sont qualifiés de sceptiques. Quels sont les traits de personnalité qui font pencher les gens du côté de la croyance, de l’agnosticisme — posture interrogative — ou du scepticisme ?
Un chercheur américain a entrepris de faire le point sur les connaissances actuelles à ce sujet. Et pour cause : l’étude de la personnalité des adeptes du paranormal a fait l’objet de nombreuses recherches en psychologie durant ces dernières décennies. Ce chercheur les a toutes lues et en a tiré des conclusions générales. Par ailleurs, il s’est intéressé au profil type des sceptiques. En effet, si certains traits de personnalité prédisposent à croire aux phénomènes extrasensoriels, d’autres semblent plutôt favoriser le scepticisme.
La croyance au paranormal est, entre autres, liée à l’absorption, c’est-à-dire à la tendance à se plonger très profondément dans ses pensées, et à l’engagement dans la vie imaginaire. Ceux qui ont particulièrement développé une dimension imaginaire de la vie passent beaucoup de temps à rêvasser et ont parfois du mal à distinguer les événements réels de ceux qu’ils n’ont fait qu’imaginer. Le besoin de contrôle constitue également un trait de personnalité qui favorise la croyance au paranormal. En effet, les pratiques superstitieuses peuvent donner l’impression de mieux maîtriser sa vie. Elles augmentent ce que les psychologues appellent le « contrôle perçu » : ces croyances donnent l’impression de pouvoir agir afin d’obtenir certains résultats souhaités.
On en sait finalement beaucoup sur la personnalité de celles et ceux qui croient au paranormal. C’est un domaine qui a fait l’objet de nombreuses recherches, parallèlement à celles menées en psychologie de la religion sur les convictions religieuses. Il y a d’ailleurs un recouvrement entre les 2 au niveau, par exemple, de la croyance dans les miracles. La personnalité des sceptiques est, quant à elle, globalement à l’opposé de celle des croyants concernant les traits évoqués : les personnes sceptiques seraient donc plutôt rationnelles, les pieds sur terre, dans le concret de la vie ; elles ne seraient pas animées, de manière flagrante, par le besoin de contrôler leur existence. Ces portraits vous aideront certainement à détecter qui, parmi vos connaissances, est le plus susceptible de croire… ou de ne pas croire !
Source : Kennedy, J. E. (2005). Personality and motivations to believe, misbelieve, and disbelieve in paranormal phenomena. Journal of Parapsychology, 69(2), 263-292.
L’hypothèse du déficit cognitif pour expliquer les phénomènes étranges
Avant chaque compétition, certains sportifs enfilent systématiquement les mêmes chaussettes, parce qu’ils pensent qu’elles leur porteront bonheur. Sur Internet, on assiste au retour d’une croyance dénoncée depuis des siècles par la science : la Terre serait plate ! Au Japon, il se dit que le groupe sanguin détermine la personnalité. Certaines personnes croient en des choses si bizarres que des psychologues en sont même arrivés à se demander si tout tournait comme il faut dans leur cerveau.
Des chercheurs autrichiens ont demandé à 180 étudiants âgés d’environ 24 ans de remplir 4 questionnaires. Le premier mesurait leur croyance au paranormal, le deuxième visait à savoir s’ils avaient vécu des expériences « exceptionnelles » et les 2 derniers évaluaient leur pensée critique et leurs capacités de raisonnement. L’équipe a ensuite essayé de déterminer si les réponses données dans un questionnaire expliquaient celles obtenues dans un autre. Ils ont plus particulièrement vérifié si la pensée critique et les capacités de raisonnement étaient liées à la croyance au paranormal et au fait de rapporter des expériences exceptionnelles.
Les résultats ont démontré que la croyance au paranormal n’était pas liée à la pensée critique, mais bien aux capacités de raisonnement. Il semblerait en effet qu’une personne qui raisonne bien soit moins prompte à considérer une expérience étrange comme surnaturelle qu’une personne aux capacités de raisonnement moins développées. Enfin, dans les résultats, la tendance à vivre des expériences extrasensorielles n’était pas du tout en corrélation avec le niveau de pensée critique ou de raisonnement. Ce dernier constat infirme donc l’hypothèse émise par des psychologues dans le passé, selon laquelle un raisonnement défaillant favoriserait l’impression d’être témoin de phénomènes inexpliqués.
Si, comme nous l’avons vu, certains traits de personnalité peuvent favoriser la croyance au paranormal, cette étude prouve que l’intelligence peut, elle aussi, jouer son rôle en la matière. Ses résultats suggèrent en effet que les gens dotés de meilleures capacités de raisonnement examinent de plus près si leurs expériences a priori anormales sont une justification suffisante pour croire en la réalité de certains phénomènes. L’étude confirme globalement ce que les psychologues appellent l’hypothèse du déficit cognitif. Ceci dit, ne jetez pas trop rapidement la pierre aux autres : nous ne réfléchissons pas comme des ordinateurs dépassionnés et nous avons tous des croyances (plus ou moins) bizarres. Après tout, nous ne sommes pas comme les Vulcains dans Star Trek, et c’est très bien comme ça !
Source : Hergovich, A., & Arendasy, M. (2005). Critical thinking ability and belief in the paranormal. Personality and Individual Differences, 38(8), 1805-1812.
L’adolescence comme période d’exploration de l’extrasensoriel
Les adolescents sont particulièrement sensibles au paranormal : ils sont fascinés par le sujet et cherchent souvent à vivre des expériences surnaturelles. À cette période de la vie, le spiritisme est particulièrement attirant. Certains ados essaient de communiquer avec des esprits, par exemple au moyen d’une planche de ouija. D’autres cherchent à se faire peur en se rendant dans des lieux qui ont la réputation d’être hantés, comme des cimetières, pour y réaliser des rituels pseudo-occultes. Les sociologues parlent à ce propos de chasse aux légendes. Mais quel est l’impact de ces expériences sur la psychologie des adolescents ?
Un chercheur belge a interviewé 49 jeunes adultes à propos des expériences paranormales qu’ils avaient vécues durant leur adolescence. Il s’intéressait notamment à l’impact que ces événements avaient eu sur eux à long terme. Avaient-ils été traumatisés par ce qu’ils avaient observé ? Si oui, comment géraient-ils leur anxiété ? Par le biais des questions posées lors de ces entretiens, il a pu explorer la question de la peur du paranormal chez les adolescents.
À partir des informations récoltées lors de ces entrevues, le chercheur a proposé un modèle à 4 niveaux d’intensité. L’idée était de pouvoir attribuer un niveau à chaque réaction d’adolescent par rapport à une expérience paranormale qu’il avait vécue. Le 1er niveau est atteint lorsque l’individu assiste à une expérience étrange qui ne correspond pas à sa vision du monde. Au 2e niveau, l’adolescent prétend que l’événement « ne s’est pas réellement produit » ou évalue les arguments pour ou contre sa réalité objective. Le 3e niveau est franchi quand la personne confrontée au phénomène paranormal prétend qu’il « s’est réellement produit ». Cette conviction entraîne beaucoup d’anxiété chez l’individu : c’est le niveau de la « perturbation cognitive ». Au 4e niveau, l’individu élargit sa vision du monde de façon à y inclure l’expérience exceptionnelle, ce qui entraîne une diminution de l’anxiété.
Les jeunes sont fascinés par le paranormal et sont, d’une certaine manière, désireux d’en faire l’expérience. Néanmoins, vivre une expérience exceptionnelle génère la plupart du temps chez eux une anxiété importante. Cette étude montre en effet que l’événement surnaturel est souvent ressenti par l’adolescent comme une intrusion violente dans sa conception du monde. Peu importe qu’il s’agisse d’un phénomène authentiquement paranormal ou non : l’important est ici que l’événement en question apparaît inexplicable à l’ado qui l’a vécu. Observer un phénomène paranormal, c’est en quelque sorte voir l’« impossible » se produire. Même si les esprits et les démons n’existent pas, vous ne devriez pas encourager votre neveu ado à communiquer avec l’au-delà au moyen d’un ouija !
Source : Mathijsen, F. P. (2010). Young people and paranormal experiences : Why are they scared ? A cognitive pattern. Archive for the Psychology of Religion, 32(3), 345-361.
La sensibilité aux coïncidences et la croyance au surnaturel
Il nous arrive régulièrement d’être confrontés à d’étonnantes coïncidences. Tant et si bien qu’on en vient parfois à s’interroger sur la nature du hasard ! Par exemple, nous pensons à quelqu’un et, quelques secondes plus tard, nous recevons un appel téléphonique de cette personne. Nous rêvons d’un ami perdu de vue depuis longtemps et, quelques jours plus tard, nous apprenons son décès. Un marabout nous dit qu’il nous a jeté un sort et nous tombons malades. Le psychanalyste Carl Gustav Jung a surnommé ce phénomène de coïncidences troublantes la « synchronicité ». Comment expliquer ces expériences exceptionnelles ? Des chercheurs suédois ont tenté de répondre à cette question.
Des psychologues ont fait croire à 41 personnes âgées de 19 à 46 ans qu’elles étaient les juges d’une expérience de télépathie et leur ont ensuite demandé de regarder, sur un ordinateur, des « paires » qui présentaient chacune une image accompagnée d’un mot. Voici ce qui a été expliqué aux volontaires : « l’image a été vue par une première personne (l’émetteur), tandis que le mot a été dit par une seconde personne (le receveur) qui devait deviner ce que voyait l’émetteur ». Les participants à cette étude devaient estimer, pour chaque correspondance entre une image et un mot, s’il s’agissait d’une coïncidence extraordinaire, d’une coïncidence étonnante ou s’il n’y avait pas de coïncidence. Enfin, ils remplissaient un questionnaire évaluant leur croyance au paranormal.
Les résultats montrent que les adeptes de l’étrange étaient plus sensibles aux coïncidences que les sceptiques. Ils avaient en effet tendance à s’étonner plus rapidement des coïncidences et à les trouver plus remarquables que les sceptiques. Les coïncidences existeraient donc surtout dans les yeux des observateurs… La différence entre les croyants et les incrédules réside souvent dans la manière dont ils interprètent une expérience en apparence paranormale.
Cette étude montre que les personnes qui croient au paranormal sont plus sensibles aux coïncidences — les trouvent plus étonnantes — que les autres. De nombreuses études en psychologie ont montré que l’être humain n’est pas très doué pour évaluer intuitivement les probabilités. Le paradoxe des anniversaires nous apprend par exemple que nous avons une chance sur 2 (50 %) d’avoir, dans un groupe, 2 individus ayant la même date d’anniversaire si le groupe est composé de 23 personnes. À partir de 57 membres, la probabilité que cela se produise est de plus de 99 %. Ce constat choque notre intuition : la plupart des gens estiment qu’il est extrêmement rare d’avoir 2 personnes nées le même jour dans un groupe ! Si ça fait des années que vous repensez à cette charmante copine de classe née le même jour que vous, vous pourriez prétexter l’envie de lui partager la découverte d’un étonnant paradoxe qui vous concerne tous les 2 pour l’inviter à boire un verre !
Source : Hadlaczky, G., & Westerlund, J. (2011). Sensitivity to coincidences and paranormal belief. Perceptual and Motor Skills, 113(3), 894-908.
Les biais cognitifs et la croyance en l’au-delà