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Introduction


L’impulsivité, définie globalement comme la tendance à exprimer des comportements excessifs et non planifiés, est un concept intégré dans les principaux modèles de la personnalité. L’impulsivité représente également une dimension psychologique importante pour la compréhension et le diagnostic d’un grand nombre de troubles psychopathologiques et neurologiques. Ces vingt dernières années, le nombre de publications portant sur l’impulsivité et ses liens avec une variété de comportements plus ou moins problématiques a considérablement augmenté.

Ce livre, composé de six chapitres, fait le point sur les recherches et les modèles théoriques actuels concernant l’impulsivité. Il vise aussi à décrire une large gamme d’outils validés permettant d’évaluer les différentes facettes de l’impulsivité et les mécanismes psychologiques qui y sont associés. Plusieurs des outils présentés (avec leurs données normatives) sont en utilisation libre de droits. Ce livre a également pour objectif de faire l’état des connaissances sur le rôle de l’impulsivité dans les troubles psychopathologiques et neurologiques, ainsi que sur les techniques d’intervention psychologique visant les conduites impulsives.

Le premier chapitre brosse un panorama de l’évolution du construit d’impulsivité, pour aboutir à la présentation du modèle « UPPS » (Urgence, manque de Préméditation, manque de Persévérance, recherche de Sensations) de l’impulsivité. Ce modèle, actuellement devenu dominant, nous servira de fil conducteur et de cadre théorique de référence tout au long de cet ouvrage.

Le deuxième chapitre vise à décrire les mécanismes psychologiques (cognitifs, affectifs et motivationnels) impliqués dans les différentes facettes de l’impulsivité selon le modèle UPPS. Nous présenterons également dans ce chapitre les principales tâches de laboratoire ayant été utilisées pour évaluer les mécanismes sous-tendant les conduites impulsives (par exemple, les tâches permettant d’évaluer les capacités d’inhibition ou de prise de décision).

Les troisième et quatrième chapitres présentent une revue exhaustive des liens entre les facettes de l’impulsivité et, d’une part, les états psychopathologiques (chapitre 3) et, d’autre part, les troubles neuropsychologiques (chapitre 4). Nous verrons ainsi que les différentes facettes de l’impulsivité peuvent être considérées comme des facteurs « transdiagnostiques » impliqués dans une large gamme de troubles psychologiques. Dans ce contexte, nous montrerons en quoi l’approche en facettes multiples de l’impulsivité suggère la mise en place, chez les personnes présentant des difficultés d’autorégulation, de différents types d’intervention ciblant de manière spécifique les mécanismes psychologiques impliqués dans les manifestations impulsives.

Le cinquième chapitre traite spécifiquement du rôle des composantes de l’impulsivité, et des mécanismes qui y sont associés dans le fonctionnement psychologique des enfants et des adolescents. La question des différences de genre dans les facettes de l’impulsivité et des manifestations psychopathologiques reliées y est également abordée.

Enfin, le sixième et dernier chapitre propose un inventaire complet des questionnaires validés en langue française permettant de mesurer les différentes facettes de l’impulsivité ainsi que les mécanismes psychologiques qui y sont reliés. Pour chacun des questionnaires décrits sont présentées les études de validation et les données normatives existantes.

Le présent ouvrage s’adresse tant aux cliniciens, amenés à évaluer et à prendre en charge des personnes présentant des conduites impulsives, qu’aux chercheurs souhaitant disposer d’une revue exhaustive et récente des données traitant des différentes composantes de l’impulsivité, des mécanismes qui les sous-tendent et de la manière de les évaluer.

CHAPITRE 1

Le construit multidimensionnel d’impulsivité : historique, définitions et modèles dominants


L’impulsivité, généralement considérée comme la tendance à exprimer des comportements spontanés, excessifs et/ou non planifiés, joue un rôle essentiel dans la compréhension de nombreux états psychopathologiques (par exemple, les troubles obsessionnels-compulsifs et la personnalité de type « borderline ») et comportements problématiques (par exemple, les conduites antisociales et l’abus de substances). Elle constitue d’ailleurs, après la détresse émotionnelle subjective, le critère diagnostique le plus fréquemment mentionné dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM).

Ces dernières années, le nombre de publications scientifiques traitant de l’impulsivité a fortement augmenté. Cet intérêt grandissant pour l’étude des conduites impulsives et de leurs déterminants (psychologiques, neurobiologiques, environnementaux) a transcendé les champs disciplinaires, en impliquant la psychologie clinique, la psychologie de la personnalité, la psychologie sociale, la neuropsychologie, la psychiatrie ainsi que les neurosciences cognitives et affectives. Les conduites impulsives ont aussi été explorées auprès de différentes populations (des enfants, adolescents et adultes issus de la population générale, des personnes présentant des troubles psychiatriques, des personnes cérébro-lésées), et ce, au moyen d’une variété de méthodes (mesures comportementales, imagerie fonctionnelle, potentiels évoqués) et d’instruments (questionnaires d’auto- et d’hétéro-évaluation, tâches cognitives). À titre d’illustration, une recherche sur la base de données Pubmed réalisée en janvier 2014 en utilisant le mot-clé « impulsivity » a débouché sur 12 224 articles, si l’on considère les années 2001 à 2013, contre 3 140 en prenant en compte les années 1980 à 2000.

En dépit de l’intérêt grandissant pour ce construit psychologique, il n’existe pas, à ce jour, de consensus sur la manière de rendre compte de l’hétérogénéité des manifestations impulsives. Les travaux récents s’accordent toutefois sur la nécessité de considérer l’impulsivité comme un construit multidimensionnel dont les différentes facettes sont sous-tendues par une variété de mécanismes psychologiques distincts. Dans ce premier chapitre, nous brosserons un panorama de l’évolution des conceptions théoriques dominantes de l’impulsivité, avant de décrire la conception multifactorielle proposée par les psychologues américains Stephen Whiteside et Donald Lynam (2001), laquelle servira de fil conducteur à cet ouvrage.

1.1. BREF HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION DU CONSTRUIT D’IMPULSIVITÉ

L’étude de conduites impulsives remonte à l’Antiquité, durant laquelle les actes impulsifs ont été abordés d’un point de vue tant théologique que philosophique. Ainsi, pour certains philosophes grecs, l’impulsivité est une des composantes du « thumos », à savoir l’âme primitive, centre des émotions et des sentiments. Se fondant sur les travaux d’Hippocrate, qui a proposé une étiologie des maladies basée sur les humeurs (ou fluides : le sang, la pituite ou phlegme, la bile jaune et l’atrabile ou bile noire), le médecin Galien de Pergame fut l’un des premiers à théoriser le construit de tempérament (voir Stelmack & Stalikas, 1991, pour une revue historique). Galien distingue le tempérament mélancolique (tendance à la tristesse, à l’ennui), le tempérament colérique (tendance à la colère, à l’impulsivité), le tempérament flegmatique (tendance à être calme, maître de soi) et le tempérament sanguin (tendance à être optimisme, confiant, jovial). Selon cette approche, un déséquilibre humoral (par exemple, un excès de bile) est à la base des maladies physiques et des désordres psychologiques. La théorie des humeurs sera par la suite reprise par le père de la psychologie moderne, Wilhelm Wundt (1886), lequel situera les quatre tempéraments de Galien à partir de deux dimensions : la stabilité émotionnelle et l’activité (voir la figure 1.1.) Cette conception a permis de rapprocher les conduites impulsives (ou colériques) des concepts d’instabilité émotionnelle et de tendance à l’activité (ou à l’approche).

FIGURE 1.1.

Système des tempéraments selon Wilhelm Wundt

Les premiers travaux scientifiques qui se sont penchés sur le construit d’impulsivité sont essentiellement partis d’observations cliniques. Le médecin suisse Théophile Bonet (1682) fut l’un des premiers à proposer une classification des conduites impulsives. Il a ainsi établi une distinction entre les pensées impulsives, le caractère impulsif ou encore l’humeur instable associée à des symptômes dépressifs et de l’impulsivité. Dans son Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Philippe Pinel (1809), aliéniste à la Salpêtrière, a considéré les conduites impulsives comme indépendantes de la volonté propre des sujets. Par la suite, les observations cliniques deviendront plus systématiques et conduiront à des formulations plus précises. En particulier, Grayson et Tolman (1950) ont décrit les comportements de certains de leurs patients comme étant : (a) dénués de contrôle ou d’inhibition, (b) non prémédités, (c) non fondés sur une réflexion concernant d’éventuelles conséquences néfastes et (d) prenant place spontanément, dans l’immédiat.

La notion de pulsion, qui revêt une importance majeure dans l’œuvre de Sigmund Freud (1905 ; 1915), peut, par certains aspects, être mise en lien avec le concept d’impulsivité. Ainsi, les pulsions sexuelles sont régies par le principe de plaisir (qui conduit à rechercher une décharge immédiate et un apaisement de la tension), mais elles sont aussi soumises au principe de réalité (qui reflète la capacité à ajourner le besoin de satisfaction pulsionnelle). En référence aux recherches contemporaines sur les mécanismes psychologiques sous-tendant les conduites impulsives (voir le chapitre 2 de ce livre), il est possible de considérer le principe de plaisir comme dépendant de mécanismes largement automatiques (par exemple, une appétence envers certains « objets » synonymes de récompense), alors que le principe de réalité renverrait plutôt aux mécanismes contrôlés impliqués dans l’autorégulation (les fonctions exécutives).

Le construit d’impulsivité a ensuite été intégré dans les modèles dominants de la personnalité et du tempérament. Le psychologue de la personnalité Hans J. Eysenck (Eysenck, 1967 ; Eysenck & Eysenck, 1975) a proposé un modèle de la personnalité comportant trois facettes générales : (1) le névrosisme, (2) l’extraversion-introversion et (3) le psychoticisme. Le névrosisme se caractérise par l’instabilité émotionnelle et la vulnérabilité aux émotions négatives et comprend des traits tels que l’anxiété ou le manque d’estime de soi. L’extraversion renvoie à la propension aux émotions positives et comporte des traits tels que la sociabilité, l’activité ou la recherche de sensations. Enfin, le psychoticisme se caractérise par une forte impulsivité et une faible empathie et comprend des traits tels que l’agressivité ou le comportement antisocial. Sur cette base, Eysenck a élaboré un questionnaire permettant d’auto-évaluer ces trois dimensions : le questionnaire de Personnalité d’Eysenck (Eysenck Personality Questionnaire ; Eysenck & Eysenck, 1975). Bien qu’Eysenck envisage l’impulsivité en tant que trait associé au psychoticisme, une analyse détaillée des items de son questionnaire révèle que les trois dimensions proposées contiennent des items faisant clairement référence à des manifestations impulsives (voir le tableau 1.1.) Plus spécifiquement, ce qu’Eysenck nomme impulsivité renvoie à la tendance à ne pas réfléchir avant de prendre des décisions (ou manque de préméditation, voir infra).

TABLEAU 1.1.

Exemples d’items du questionnaire de Personnalité d’Eysenck

Dimensions

Traits

Exemples d’items reliés à l’impulsivité

Névrosisme

Anxiété, dépression, instabilité émotionnelle, timidité, basse estime de soi, culpabilité, tension

« Trouvez-vous difficile de vous contrôler lorsque vous perdez votre sang-froid ? », « Les gens disent-ils que vous agissez parfois de manière irréfléchie ? »

Extraversion- introversion

Sociabilité, activité, assertivité, recherche de sensations et d’aventures

« Prenez-vous souvent des décisions sous l’impulsion du moment ? », « Aimez-vous les activités dans lesquelles vous devez agir vite ? »

Psychoticisme

Agressivité, froideur, impulsivité, créativité, traits antisociaux, égocentrisme, faible empathie

« Généralement, réfléchissez-vous avant d’agir ? », « Prenez-vous le temps de réfléchir avant d’entreprendre quoi que ce soit ? »

À la suite d’Eysenck, le psychiatre et généticien Robert Cloninger et le psychologue Marvin Zuckerman formuleront des modèles qui combinent dimensions tempéramentales (aspects biologiquement déterminés de la personnalité) et traits de caractère (Cloninger, Svrakic & Przybeck, 1993 ; Cloninger, 1987 ; Zuckerman, 1979 ; 1993). Selon ces auteurs, les tempéraments sont transmis génétiquement et contrôlés par des circuits neurobiologiques spécifiques. Les tempéraments décrits par Cloninger sont : (1) la recherche de nouveauté (associée à l’activité du système dopaminergique et aux conduites d’approche), (2) l’évitement du danger (associé à l’activité du système sérotoninergique et aux conduites d’évitement) et (3) la dépendance à la récompense (associée à l’activité du système noradrénergique central et à la persistance de comportements visant à obtenir des renforcements positifs et négatifs)1.

Zuckerman, quant à lui, s’est plus spécifiquement intéressé à la recherche de sensations, qu’il assimile aux aspects impulsifs du psychoticisme et aux aspects non conformistes de l’extraversion. Le modèle psychobiologique développé par cet auteur propose une hypothèse du « niveau optimum de stimulation », selon laquelle ce niveau varie entre les individus et détermine leur tendance à vouloir rechercher des sensations pour « combler » un éventuel manque de stimulation (voir aussi les travaux d’Eysenck pour une hypothèse comparable en lien avec l’extraversion). Selon Zuckerman, la recherche de sensations se définit comme la recherche d’expériences intenses, complexes et nouvelles, de même que la tendance à prendre des risques pour les obtenir (Zuckerman, 1993). Il s’agit d’un trait multidimensionnel se divisant en : (1) la recherche de danger et d’aventures (par exemple, le fait de rechercher des sensations à travers la pratique de sports extrêmes), (2) la recherche d’expériences (par exemple, l’ouverture aux arts, aux voyages ou aux styles de vie non conventionnels), (3) la désinhibition (par exemple, être extraverti et expansif dans les situations d’interaction sociale, préférer les expériences sexuelles variées ou consommer des substances psychoactives) et (4) la susceptibilité à l’ennui (par exemple, l’aversion pour toute forme d’activité répétitive ou monotone). Sur cette base, Zuckerman a créé une échelle permettant d’évaluer les différentes facettes de la recherche de sensations (Zuckerman Sensation Seeking Scale ; Zuckerman & Link, 1968)2.

Un autre modèle psychobiologique de la personnalité accordant une place centrale à l’impulsivité est le modèle de la sensibilité aux renforcements (Reinforcement Sensitivity Theory) proposé par Jeffrey Gray (1981 ; 1990). Selon ce modèle, la personnalité résulte des interactions entre deux systèmes motivationnels, qui sont le reflet de circuits neurophysiologiques impliqués dans la sensibilité aux renforcements (récompenses et punitions) et qui contrôlent les comportements d’approche et d’évitement. Le premier de ces systèmes est le système d’inhibition comportementale (BIS ; Behavioral Inhibition System). Le BIS agit comme un comparateur sensible aux signaux de punition, de frustration (c’est-à-dire de non-récompense) et à la nouveauté. Ce système favorise l’interruption du comportement en cours face à une menace potentielle et prépare l’organisme à gérer cette menace. Selon Gray, les personnes dotées d’un BIS hypersensible sont sujettes à l’anxiété. Plus généralement, de nombreuses données attestent de l’existence d’un lien entre une activité élevée du BIS et des manifestations psychopathologiques de type internalisé (anxiété, dépression, etc.) (Colder & O’Connor, 2004 ; Johnson, Turner & Iwata, 2003). Les personnes caractérisées par une activité élevée du BIS présentent également une vulnérabilité aux émotions négatives (Jorm et al., 1998). Les soubassements neuronaux liés à l’activité du BIS comprennent une variété de structures comme l’hippocampe, le septum, les structures limbiques ou encore les lobes frontaux. Le deuxième système proposé par Gray est le système d’activation comportementale (BAS ; Behavioral Activation System). L’activité du BAS favorise les conduites d’approche en réponse à certains stimuli de récompense ou à une situation dans laquelle le risque de punition est absent. Selon Gray, les personnes caractérisées par une haute activité du BAS sont sujettes à l’impulsivité. En effet, plusieurs études ont mis en évidence un lien consistant entre une activité élevée du BAS et des manifestations psychopathologiques de type externalisé (par exemple, des conduites agressives et d’opposition, des abus de substances, des conduites sexuelles à risque, etc.) (Colder & O’Connor, 2004 ; Johnson et al., 2003). Par ailleurs, les personnes dotées d’un BAS à l’activité élevée ont une plus grande propension à ressentir des émotions positives (Jorm et al., 1998). La figure 1.2. synthétise l’action des systèmes BIS et BAS. Selon le modèle de Gray, les conduites impulsives sont donc à mettre en lien avec l’hyperactivité d’un système motivationnel d’approche. Toutefois, et comme nous allons le voir dans des chapitres ultérieurs, certains aspects de l’impulsivité prédisent aussi bien les symptômes de type internalisé que les symptômes de type externalisé.

Un personnage emblématique de la recherche sur l’impulsivité est le psychologue américain Ernest S. Barratt (1985 ; 1993), fondateur de la Société Internationale de Recherche sur l’Impulsivité (International Society for Research on Impulsivity, ISRI ; http://www.impulsivity.org). Les travaux de Barratt ont sensiblement fait progresser tant la conceptualisation de l’impulsivité que les instruments permettant son évaluation (questionnaires d’auto-évaluation et tâches de laboratoire). Selon Barratt, l’impulsivité constitue un facteur déterminant dans la compréhension de la variabilité individuelle des performances cognitives et motrices. Ainsi, un haut niveau d’impulsivité favoriserait la propension à agir sans réflexion préalable (impulsivité liée à un manque de planification), susciterait la tendance à agir sous l’impulsion du moment présent (impulsivité motrice), ou encore augmenterait les difficultés de concentration dans certaines situations exigeantes sur le plan cognitif (impulsivité liée à des difficultés attentionnelles). C’est sur la base de ces distinctions que Barratt a développé l’un des questionnaires les plus utilisés dans les études sur l’impulsivité : l’échelle d’Impulsivité de Barratt (Barratt Impulsivity Scale, BIS ; Patton, Stanford & Barratt, 1995).

FIGURE 1.2.

Propriétés fonctionnelles des systèmes d’activation et d’inhibition comportementales (BIS/BAS)

Un apport majeur des travaux de Barratt est l’intérêt qu’il a porté aux mécanismes susceptibles de sous-tendre les traits impulsifs. En effet, le construit d’impulsivité a été historiquement conceptualisé comme un trait de personnalité stable jouant un rôle causal dans le comportement observable et mesurable (selon le principe de la « causalité primaire des traits » ; Brody, 1994). Toutefois, comme nous le verrons par la suite, une telle approche conduit de facto à négliger les mécanismes psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels) sous-jacents à ces traits. Plusieurs chercheurs s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’explorer les différents processus psychologiques sous-tendant les traits de personnalité et notamment l’impulsivité (voir, par exemple, Matthews, Deary & Whiteman, 2003). La pertinence de cette exploration est notamment appuyée par les données montrant que des interventions psychologiques focalisées sur des mécanismes impliqués dans certaines conduites impulsives peuvent moduler les traits impulsifs. Par exemple, Delgado-Rico et collaborateurs (2012) ont observé qu’une intervention comportementale et cognitive multimodale (comprenant notamment des modules destinés à améliorer l’autocontrôle et la gestion des émotions) conduisait à une réduction de certaines facettes de l’impulsivité. Dans un autre contexte, nous avons récemment mis en évidence qu’une intervention axée sur la pleine conscience avait un impact favorable sur certaines dimensions de l’impulsivité (Deplus, Billieux, Scharff & Philippot, 2014 ; voir également le chapitre 3 de ce livre). Ce type de données contredit la conception, longtemps véhiculée, selon laquelle l’impulsivité est un trait de personnalité stable et biologiquement ancré (ou déterminé). Comme nous le verrons ultérieurement, cette évolution a des implications cliniques évidentes.

Par la suite, certains auteurs ont considéré que l’impulsivité (ou certains de ses aspects) pouvait revêtir un caractère adaptatif dans des contextes particuliers. Ainsi, selon Doob (1990), des situations telles que la conduite automobile ou certains sports peuvent bénéficier de réactions immédiates et non planifiées, alors que d’autres, comme la résolution d’un problème complexe, nécessiteraient une réflexion et une planification plus approfondies. De même, Dickman (1990) a proposé une distinction entre l’impulsivité fonctionnelle, définie comme la capacité à prendre une décision rapide dans les situations où cela s’impose, et l’impulsivité dysfonctionnelle, correspondant à la tendance à agir précipitamment du fait d’une incapacité à adopter une approche réfléchie dans une situation qui l’exigerait. Dans ce contexte, une étude récente a montré que des personnes présentant des scores élevés d’impulsivité (en auto-évaluation) étaient plus efficaces dans une tâche de laboratoire nécessitant des choix rapides (Heyes et al., 2012). Relevons en outre que l’impulsivité n’est pas systématiquement perçue de manière négative. Ainsi, une étude à grande échelle conduite en population générale a révélé que l’impulsivité était généralement évaluée comme un trait de personnalité neutre, c’est-à-dire ni favorable, ni défavorable (Anderson, 1968). Cependant, cette recherche date et il se pourrait que la connotation du concept d’impulsivité ait changé en ce début de XXIe siècle.

En fait, la plupart des recherches se sont penchées sur les aspects négatifs des manifestations impulsives (voir Daruna & Barnes, 1993). Il n’est dès lors pas étonnant que le concept d’impulsivité soit omniprésent dans le domaine de la psychologie clinique, ni qu’il soit considéré comme jouant un rôle central dans la compréhension et le diagnostic de nombreux états psychopathologiques (voir les chapitres 3 et 4). De façon plus spécifique, l’impulsivité, dans sa dimension dysfonctionnelle, a fréquemment été associée à des difficultés d’inhibition. De nombreux travaux ont ainsi cherché à explorer les liens entre l’impulsivité et l’inhibition, évaluée au moyen de tâches de laboratoire. Les résultats de ces travaux se sont avérés peu consistants, certaines études ayant mis en évidence des relations entre l’impulsivité auto-évaluée et les capacités d’inhibition (Logan, Schachar & Tannock, 1997 ; Nigg, Silk, Stavro & Miller, 2005), alors que, dans d’autres études, ces liens n’ont pas été retrouvés (Perales, Verdejo-Garcia, Moya, Lozano & Perez-Garcia, 2009 ; Reynolds, Ortengren, Richards & de Wit, 2006 ; Shuster & Toplak, 2009) (voir le chapitre 2). Cette hétérogénéité des résultats tient vraisemblablement à des différences entre les études tant dans la conceptualisation de l’impulsivité que dans les mesures de laboratoire utilisées pour évaluer les capacités d’inhibition (Enticott & Ogloff, 2006). En effet, il n’existe actuellement pas de réel consensus concernant la définition de l’impulsivité et les mécanismes psychologiques qui la sous-tendent. Néanmoins, ces dernières années, les auteurs se sont accordés sur le fait que l’impulsivité n’était en aucun cas un construit homogène (Dawe, Gullo & Loxton, 2004 ; Enticott & Ogloff, 2006 ; Evenden, 1999).

1.2. LE MODÈLE UPPS : UNE CONCEPTUALISATION MULTIFACTORIELLE DE L’IMPULSIVITÉ

Un pas important vers une conception à composantes multiples de l’impulsivité a été franchi par Whiteside et Lynam (2001). Ces auteurs se sont basés sur le modèle de la personnalité en cinq facteurs (Five-Factor Model of Personality, FFM ; Costa & McCrae, 1992), qui distingue le névrosisme, l’extraversion, l’ouverture à l’expérience, le caractère agréable et le caractère consciencieux, chacun de ces facteurs étant composé de six sous-facteurs. Parmi les différentes facettes du FFM, quatre ont directement trait à l’impulsivité : l’impulsivité, l’autodiscipline, la délibération et la recherche de sensations. Plus précisément, les personnes présentant un score élevé d’impulsivité (facette du névrosisme) sont irritables et ne peuvent s’empêcher d’effectuer ce qu’elles ne voudraient pourtant pas faire. Les personnes ayant des scores élevés sur la facette de recherche de sensations (facette de l’extraversion) recherchent le plaisir et l’aventure et ont tendance à prendre des risques. Les personnes ayant de bas scores de délibération (facette du caractère consciencieux) sont décrites comme impatientes, négligentes et réalisant les choses de façon précipitée. Enfin, les personnes caractérisées par un bas niveau d’autodiscipline (autre facette du caractère consciencieux) sont présentées comme paresseuses, désorganisées et ayant des difficultés à faire ce qu’elles voudraient ou devraient pourtant réaliser (procrastination). La figure 1.3. schématise les différentes facettes et sous-facettes du FFM, en soulignant celles pouvant être liées à des conceptions existantes de l’impulsivité.

En se fondant sur le modèle FFM, mais également sur les conceptions existantes de l’impulsivité (en particulier celles de Gray, Barratt, Eysenck, Cloninger et Zuckerman), Whiteside et Lynam (2001) ont fait l’hypothèse que le construit d’impulsivité pouvait être scindé en différentes sous-composantes. Ces auteurs ont ainsi réalisé une étude dans laquelle ils ont administré à 437 étudiants universitaires l’inventaire de personnalité NEO-PI-R qui évalue les différentes facettes du FFM, une sélection d’instruments aux propriétés psychométriques éprouvées censés évaluer les traits impulsifs (par exemple, l’échelle d’Impulsivité de Barratt, l’échelle d’Impulsivité d’Eysenck, le questionnaire de Recherche de sensations de Zuckerman, ou encore les sous-échelles d’Impulsivité de questionnaires évaluant la personnalité ou le tempérament), ainsi que des items spécifiquement élaborés pour évaluer les conduites impulsives prenant place dans un contexte émotionnel. À partir des items présentant les meilleures saturations sur chacun de ces facteurs, Whiteside et Lynam (2001) ont élaboré un nouvel outil : le questionnaire UPPS (Urgence, manque de Préméditation, manque de Persévérance, recherche de Sensations ; voir le chapitre 6 pour une description détaillée du questionnaire et de ses propriétés psychométriques).

FIGURE 1.3.

Impulsivité et modèle du « Big Five »

L’urgence, considérée par Whiteside et Lynam (2001) comme la facette de l’impulsivité la moins bien représentée dans la littérature, fait référence à la tendance à exprimer des réactions rapides et fortes (directes, abruptes, inconsidérées) en présence d’émotions négatives. Cette facette est évaluée par des items tels que « Quand je suis contrarié(e), j’agis souvent sans réfléchir », « Quand la discussion s’échauffe, je dis souvent des choses que je regrette ensuite », « Parfois, quand je ne me sens pas bien, je ne parviens pas à arrêter ce que je suis en train de faire, même si cela me fait me sentir plus mal » ou « Quand je ne me sens pas bien, je fais souvent des choses que je regrette par la suite, afin de me sentir mieux tout de suite ». L’étude de Whiteside et Lynam (ainsi que plusieurs autres études issues d’autres équipes) a montré que les items d’urgence corrèlent fortement avec l’ensemble des facettes de la dimension « névrosisme » du FFM et que les personnes caractérisées par de hauts scores d’urgence étaient plus fréquemment anxieuses et/ou dysphoriques (d’Acremont & Van der Linden, 2007a). Des travaux plus récents ont suggéré l’existence d’une urgence dite positive, définie comme la tendance à exprimer des réactions fortes et rapides dans un contexte d’émotions positives (Cyders & Smith, 2008). Cette facette d’urgence positive a été intégrée au questionnaire UPPS, conduisant ainsi à une modification de l’acronyme qui est devenu UPPS-P. Elle est évaluée par des items comme « Quand je suis vraiment enthousiaste, j’ai tendance à ne pas penser aux conséquences de mes actions » ou « Quand je suis ravi(e), je ne peux m’empêcher de m’emballer ». Il faut relever que la nature des relations entre des réactions fortes et rapides et la présence d’émotions (positives et négatives) est encore mal comprise. Selon Cyders et Smith (2008), les personnes caractérisées par un niveau élevé d’urgence négative s’engageraient principalement dans des conduites impulsives pour réduire leurs émotions négatives. Cette perspective revient à conceptualiser les manifestations d’urgence négative comme la résultante de stratégies de « coping » (stratégies pour faire face) inadaptées. Selon les mêmes auteurs, les personnes caractérisées par un niveau élevé d’urgence positive s’engageraient dans des conduites impulsives pour maintenir/augmenter leurs émotions positives. Ces hypothèses sont malheureusement beaucoup trop générales, car elles ne spécifient pas la nature des mécanismes mis en jeu dans cette fonction de régulation, ni l’influence spécifique des différents types d’émotions sur ces mécanismes.

Le manque de persévérance est défini par Whiteside et Lynam (2001) comme la difficulté à rester concentré sur une tâche pouvant être difficile ou ennuyeuse. Elle est évaluée dans l’UPPS (et l’UPPS-P) par des items tels que « Je me concentre facilement », « Je suis une personne productive qui termine toujours son travail », « Une fois que je commence quelque chose je déteste m’interrompre » ou « Je préfère généralement mener les choses jusqu’au bout ». Cette dimension de l’impulsivité est conceptuellement proche de la facette d’autodiscipline du FFM. Il s’agit, tout comme l’urgence, d’une dimension de l’impulsivité qui a été relativement peu explorée. Les personnes ayant de bas niveaux de persévérance présenteraient des difficultés attentionnelles, une propension au vagabondage de pensées ainsi qu’une tendance à ne pas finaliser leurs projets (Gay, Schmidt & Van der Linden, 2011). Il a ainsi été montré qu’un bas niveau de persévérance permettait de prédire l’existence de comportements de procrastination (Dewitte & Schouwenburg, 2002). Relevons en outre que la persévérance est l’unique dimension de l’impulsivité positivement reliée aux performances à des tests d’efficience intellectuelle (Miller, Flory, Lynam & Leukefeld, 2003).

Le manque de préméditation renvoie à la difficulté de réfléchir aux conséquences d’un acte avant de s’y engager. Cette facette est évaluée dans l’UPPS (et l’UPPS-P) par des items tels que « Je n’aime pas commencer un projet avant de savoir exactement comment procéder », « Avant de me décider, je considère tous les avantages et les inconvénients », « Avant de m’impliquer dans une nouvelle situation, je préfère savoir ce que je dois en attendre » ou « Je préfère m’interrompre et réfléchir avant d’agir ». Cette dimension de l’impulsivité est conceptuellement proche de la facette de délibération du FFM. Il s’agit de la dimension la plus représentée dans les mesures classiques de l’impulsivité. Elle est notamment apparentée à l’impulsivité liée à un manque de planification telle que définie par Barratt, à l’impulsivité selon Eysenck ou encore à l’impulsivité dysfonctionnelle identifiée par Dickman. De façon générale, ces différentes définitions font référence à la tendance à prendre des décisions dont les conséquences sont contre-productives à moyen ou long terme. Les personnes ayant un haut niveau de préméditation seraient ainsi réfléchies et méticuleuses, alors que les personnes ayant un bas niveau de préméditation agiraient sur des coups de tête, sans se soucier des conséquences de leurs actes.

La recherche de sensations se caractérise par une tendance à rechercher l’excitation et l’aventure ainsi que par une ouverture aux nouvelles expériences. Elle est évaluée dans l’UPPS (et l’UPPS-P) par des items tels que « Je recherche généralement des expériences et sensations nouvelles et excitantes », « J’aime parfois faire des choses qui sont un petit peu effrayantes », « J’éprouve du plaisir à prendre des risques » ou « J’aimerais faire du saut en parachute ». Tout comme le manque de préméditation, il s’agit d’une facette de l’impulsivité qui a été largement abordée dans la littérature. Les personnes ayant une haute recherche de sensations auraient davantage tendance à prendre des risques et à pratiquer des activités dangereuses (Zuckerman, 2006). À ce titre, cette dimension de l’impulsivité est à considérer dans le cadre des modèles qui abordent l’impulsivité dans ses liens avec les systèmes motivationnels (de récompense et d’approche versus de punition et d’évitement), tels que le modèle de Gray distinguant les systèmes d’activation et d’inhibition comportementales (systèmes BIS et BAS). Plusieurs études ont d’ailleurs mis en évidence, à l’aide de questionnaires d’auto-évaluation, d’étroites relations entre une tendance élevée à la recherche de sensations, la prévalence d’un foyer motivationnel d’approche et une sensibilité marquée aux récompenses ou aux renforcements positifs (Torrubia, Avila, Molto & Caseras, 2001).

1.3. VALIDITÉ ET SPÉCIFICITÉ DES COMPOSANTES DU MODÈLE UPPS

Depuis l’étude initiale de Whiteside et Lynam (2001), un grand nombre de travaux ont permis de confirmer la validité de la conception à facettes multiples de l’impulsivité, UPPS-P. Cette conception a été validée dans des échantillons issus de diverses cultures et pays d’origine, et composés d’enfants, d’adolescents ou d’adultes jeunes et âgés (présentant ou non des problèmes psychopathologiques ou neurologiques). De manière intéressante, des recherches visant à établir les propriétés psychométriques du questionnaire UPPS-P ont mis en évidence, à travers l’utilisation de modèles à équations structurales, un modèle dit « hiérarchique » (voir, par exemple, Cyders & Smith, 2007 ; Smith et al., 2007). Ainsi, les dimensions d’urgence positive et d’urgence négative dépendent d’un facteur plus général d’urgence et les dimensions de manque de persévérance et de manque de préméditation dépendent d’un facteur plus général de déficit de conscience (en référence au modèle FFM de Costa et McCrae). Il apparaît donc que les facettes de l’impulsivité sont à la fois spécifiques, tout en étant également, dans une certaine mesure, interreliées (la figure 1.4. synthétise la taille des relations entre les différentes facettes de l’impulsivité). Dans ce contexte, il se pourrait que les dimensions d’urgence négative et d’urgence positive d’une part et les dimensions de manque de persévérance et de manque de préméditation d’autre part soient sous-tendues par des mécanismes psychologiques au moins en partie communs. Enfin, la pertinence de la conception de l’impulsivité proposée par Whiteside et Lynam est également attestée par les nombreuses études ayant mis en évidence des liens spécifiques entre certaines facettes de l’impulsivité et certains types de comportements problématiques et non problématiques (voir l’encadré 1.1. et le chapitre 3).

FIGURE 1.4.

Relations entre les facettes du modèle UPPS-P

Les tailles d’effets des corrélations sont tirées des données obtenues par Billieux, Rochat et collaborateurs (2012) auprès de 650 participants qui ont été soumis à l’échelle UPPS-P courte (voir  ).

Note. Les tailles d’effets des corrélations sont tirées des données obtenues par Billieux, Rochat et collaborateurs (2012) auprès de 650 participants qui ont été soumis à l’échelle UPPS-P courte (voir infra).

ENCADRÉ 1.1.

Spécificité des composantes de l’impulsivité : l’exemple du téléphone portable

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Plusieurs études récentes montrent que l’utilisation du téléphone portable peut devenir problématique. Par exemple, certains l’utilisent dans des lieux proscrits (comme les bibliothèques), d’autres de manière dangereuse (par exemple, lors de la conduite automobile). Il a également été observé que l’utilisation du téléphone portable peut devenir excessive et engendrer une variété de conséquences négatives (des problèmes financiers, interférer avec les heures de sommeil, interférer avec les relations sociales, etc.).

L’approche en plusieurs composantes de l’impulsivité a permis, à travers une série d’études, de mieux comprendre de quelle manière l’utilisation du téléphone portable pouvait devenir problématique (voir Billieux, 2012b, pour une revue de la question). Il a ainsi été observé que l’urgence joue un rôle primordial dans l’utilisation problématique du téléphone portable. En effet, les personnes avec de hauts niveaux d’urgence rapportent se sentir davantage dépendantes de l’utilisation de leur téléphone portable et, en outre, présentent plus souvent une utilisation excessive (avec un nombre de SMS et d’appels élevés et des coûts financiers importants). Il apparaît donc que l’urgence est associée à une perte de contrôle sur l’utilisation du téléphone portable, en particulier en présence d’émotions négatives ou positives. Les autres dimensions de l’impulsivité ont également été associées à l’utilisation problématique du téléphone portable. Ainsi, la recherche de sensations est reliée à l’utilisation dangereuse (lors de la conduite automobile) du téléphone portable, le manque de préméditation est relié à l’utilisation du téléphone portable dans des lieux où il est interdit de le faire (usage prohibé), alors que le manque de persévérance est relié une utilisation effective plus grande du téléphone portable, associée à des conséquences financières.

1.4. SYNTHÈSE

L’impulsivité, considérée comme la tendance à exprimer des comportements excessifs et non planifiés, est un construit intégré dans les principaux modèles de la personnalité. Par ailleurs, elle joue un rôle fondamental dans la compréhension et le diagnostic d’un grand nombre de désordres psychiatriques et neurologiques. Ces dernières années, le nombre de publications scientifiques traitant de l’impulsivité, notamment dans ses liens avec une variété de comportements problématiques, a augmenté de façon exponentielle. Les travaux récents s’accordent sur la nécessité de considérer l’impulsivité comme un concept multidimensionnel et de prendre en compte les mécanismes psychologiques sous-tendant les diverses manifestations impulsives. Un pas important vers une conception à composantes multiples de l’impulsivité a été franchi par les psychologues Stephen Whiteside et Donald Lynam (2001), qui ont identifié quatre facettes de l’impulsivité : (1) l’urgence, définie comme la tendance à présenter des réactions fortes dans un contexte émotionnel (positif ou négatif), (2) le manque de préméditation, défini comme la difficulté à considérer les conséquences d’un acte avant de s’y engager, (3) le manque de persévérance, défini comme la difficulté à rester concentré sur des tâches difficiles et/ou ennuyeuses et (4) la recherche de sensations, définie comme la tendance à rechercher l’excitation et l’aventure, ainsi que par une ouverture aux nouvelles expériences et à la prise de risque. De nombreuses études ont montré la validité de cette conception à quatre facettes de l’impulsivité.


1. Un exemple de renforcement négatif est le soulagement d’affects négatifs, c’est-à-dire produire un comportement pour être « moins mal » (comme, par exemple, consommer des substances psychoactives pour réduire l’anxiété ou la dysphorie).

2. L’échelle de recherche de sensations de Zuckerman a été élaborée aux États-Unis, dans un contexte sociopolitique associé à des normes qui n’ont plus cours actuellement. Ainsi, bien que cet outil soit encore fréquemment utilisé (tant dans la recherche que dans la clinique), certains de ses items sont clairement obsolètes. Par exemple, l’item « J’aimerais rencontrer des gens qui sont homosexuels (hommes ou femmes) » est censé évaluer la recherche d’expériences, et l’item « On devrait avoir beaucoup d’expériences sexuelles avant le mariage » évalue la désinhibition. Nous ne nous attarderons donc pas sur cette échelle dans la section du chapitre 6 dévolue aux questionnaires d’évaluation de l’impulsivité.