Je tiens à remercier l’université Bishop pour le soutien qu’elle a apporté à ce projet.
Je remercie également Marie Leblanc pour son aide précieuse.
Tin Hinan a fondé son royaume à Abalessa, devenant ainsi la reine des Touaregs.
Al-Kahina, reine des Aurès, a combattu les armées arabo-musulmanes. Sa défaite a marqué la fin de la résistance berbère.
Kenza al-Mardhia a assuré la continuité de la monarchie idriside ainsi que l’unité politique et territoriale du Maroc.
Atika a réussi à faire transférer le pouvoir des chérifs (nobles) de Fès aux Idrisides.
L’opulente Fatima al-Fihri a contribué à faire de Fès la capitale culturelle et spirituelle du monde arabo-musulman.
Suhb, Sabiha ou Aurora, a été la reine de facto de Cordoue.
Zaynab al-Nafzawiyya a été la reine de facto des Almoravides.
Îtimad al-Roumaykiyya aurait entraîné le royaume abbadide de Séville dans sa chute.
La soldate Fannou a combattu les Almohades lors de la prise de Marrakech en 1147.
Nazhun bint al-Qila’i, poète dans la cour de Grenade, serait l’une des premières consciences féministes du monde.
Hafsa ar-Rakuniyya a été une puissante poète dans la cour de Grenade, puis l’éducatrice des princesses almohades dans le palais du calife Yacoub al-Mansour.
Chamsi az-Ziwawiyya a été la caïda (leader) de la tribu des Bani Yznaten, à Ziwawa, dans la région du Rif actuel.
Lalla Aziza Seksawiya a été une femme politique dont les pouvoirs temporels et spirituels se confondaient, dans la vallée de Seksawa.
Fatima al-Horra a été « le génie diabolique » de son fils Mohammed XI Abou Abdallah, dernier sultan arabo-musulman en Espagne.
Sayyida al-Horra a gouverné Tétouan et a réussi à faire échouer les plans expansionnistes des envahisseurs portugais et espagnols.
Ouda ou Massouda al-Wazkitia a contribué à la construction des grands monuments saadiens.
En jouant le rôle d’ambassadrice auprès du sultan ottoman Salim Ben Sulaymane, Sahaba er-Rahmania a indirectement contribué à faire du Maroc l’une des nations les plus prospères de son temps.
Zidana a participé dans l’exercice du pouvoir despotique de son époux, le sultan Moulay Ismaïl.
Oum el-Ez Ettabba a joué le rôle d’ambassadrice du Maroc auprès des nations européennes.
Lors du décès du sultan Moulay Ismaïl, Khnata bent Bakkar a été dirigeante de facto pendant seize ans.
Dawiya ou Marthe Franscechini aurait été ambassadrice du Maroc auprès des nations européennes.
Lalla Fatima a représenté la monarchie dans les tribus autonomes, et a été ambassadrice du Maroc auprès des autres nations.
Emily Keene a été une chérifa liée à la célèbre zawiya (sanctuaire) Dar Damana d’Ouezzane.
Rqia bent Hadidou a été la caïda (leader) de la tribu autonome des Aït Zedeg, dans la région du Rif, aux frontières d’Oujda.
La poète et chanteuse Kharboucha a mené les luttes de sa tribu des Oulad Zayd contre la tyrannie du pouvoir central.
La poète analphabète Taougrat Oult Aïssa a mené les luttes anticoloniales dans son village d’Arbala.
Malika al-Fassi a été l’une des pionnières du mouvement féministe moderne. De plus, elle a été la seule femme signataire du Manifeste de l’Indépendance de 1944.
La poète et chanteuse analphabète Mririda N’aït Atiq représente une conscience féministe précoloniale, c’est-à-dire endogène à la société marocaine.
Pour célébrer l’avènement de l’Indépendance, la jeune pilote Touria Chaoui a survolé les cieux de Casablanca en lançant dans les airs des tracts anticolonialistes.
En consacrant ses chroniques aux laissés pour compte, la journaliste Aïcha Mekki a participé discrètement au changement social et politique de la société marocaine.
La militante et féministe Saïda Menebhi a œuvré clandestinement pour l’avènement d’une révolution socialiste au Maroc.
De nombreuses femmes œuvrent pour l’avènement de la démocratie et pour la démocratisation de la sphère privée sur la scène politique actuelle.
Cette recherche a été conçue à la suite des résistances rencontrées par les associations de femmes au Maroc, dans leurs efforts de promotion de la présence des femmes dans les instances politiques, depuis le début de la campagne de sensibilisation dans les années 1990 jusqu’aux requêtes exigeant la consécration constitutionnelle de la parité entre les sexes dans tous les domaines, en 2011. En effet, ces efforts ont montré que si la présence des femmes dans la sphère publique ne constitue plus un tabou de nos jours, en revanche, leur accession aux postes de pouvoir le demeure. D’un côté, les partis politiques et les autorités gouvernementales se montrent encore réticents au principe de la parité entre les sexes dans les postes de responsabilités. Les timides réformes constitutionnelles de juin 2011 témoignent de cette réticence. De l’autre côté, le grand public tend à percevoir les requêtes des associations de femmes portant sur leur participation aux prises de décision politique comme des idées issues des politiques imposées par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds étrangers. Autrement dit, le grand public tend à ne pas prendre au sérieux la nécessité de remettre en question le monopole du pouvoir par les hommes parce que celle-ci serait insufflée de l’extérieur, et par conséquent, elle représenterait une menace à la culture et aux traditions de la société marocaine.
Cependant, ce n’est pas la première fois que la sauvegarde de l’identité religio-culturelle est évoquée pour s’opposer aux réformes du statut des femmes. En fait, chaque fois que le mouvement des femmes se mobilise pour déstabiliser les structures sociales patriarcales, une vive résistance s’ensuit au nom de la culture, de la religion, ou des traditions. En 1992, par exemple, quand l’Union de l’action féminine a collecté un million de signatures en trois mois pour exiger la réforme de la moudawana, le code de la famille qui réduisait les femmes au statut de mineures, certains islamistes radicaux ont qualifié la requête des femmes d’atteinte grave aux fondements culturels et religieux de la société. D’ailleurs, à cette occasion, de nombreuses féministes ont été traitées d’athées et menacées de mort. De façon analogue, en 1999, quand Saïd Saâdi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Emploi, chargé de la protection sociale, de la famille et de l’enfance, a élaboré le Plan d’intégration de la femme au développement économique et social, plusieurs groupes islamistes ont accusé ce plan de menace, cette fois-ci, à la charia (la loi islamique).
Or l’opposition aux progrès des femmes sous prétexte de vouloir sauvegarder l’identité religio-culturelle trouve une résonance chez le public parce que ce dernier tend à considérer la résistance des femmes aux structures patriarcales comme l’apanage des sociétés occidentales. Certes, l’hégémonie de la production universitaire occidentale, combinée à la méconnaissance de l’histoire des femmes d’ailleurs explique cette croyance erronée. En effet, contrairement à l’histoire des femmes en Occident qui a été amplement étudiée, l’histoire des femmes marocaines, par exemple, est encore inédite. Cependant, en associant les voix progressistes à l’Occident et inversement l’immobilisme à l’identité religio-culturelle de la société marocaine, cette croyance contribue indirectement à la marginalisation des efforts des associations de femmes au Maroc.
La question de l’instrumentalisation de la culture, de la religion et des traditions se pose quand leur interprétation officielle consacre le statut inférieur des unes et inversement, le statut supérieur des autres. Toutefois, cet essai ne cherche pas à analyser les vraies causes de la résistance des décideurs politiques, des partis politiques et du grand public à la présence de femmes dans les instances politiques. Il vise plutôt à déconstruire la croyance populaire selon laquelle cette présence serait étrangère à la société marocaine. Pour ce faire, il dresse la biographie de trente-et-une Marocaines qui ont investi la sphère politique, de façon continue, des temps anciens à nos jours. En rappelant que de nombreuses femmes ont soit exercé le pouvoir, soit participé à l’exercice du pouvoir et/ou à la gestion des affaires publiques, soit contesté les expressions du pouvoir de leur temps, cette recherche montre que la présence des femmes dans les instances dirigeantes fait partie intégrante de l’héritage religio-culturel marocain. Aussi, cet essai aspire à contribuer aux changements des mentalités concernant le leadership féminin.
Trois sources, qui parfois convergent, parfois divergent, nous renseignent sur la reine Tin Hinan, à savoir la tradition orale des Touaregs Ahaggar, les excavations du mausolée de Tin Hinan réalisées au début du siècle dernier et une série d’articles scientifiques qui se sont intéressés à la reine énigmatique. En effet, à quelques variantes près, les chants et récits des femmes et hommes du désert véhiculent les mêmes informations au sujet de Tin Hinan(1). Cette dernière quitte sa tribu qui vit au Tafilalet, dans le Maroc actuel, avec sa servante Takama. Trouvant le pays vide, les deux femmes s’installent à Abalessa, au cœur du massif Ahaggar, dans l’Algérie d’aujourd’hui. D’ailleurs, Tin Hinan signifie en tamachek, langue des Touaregs, « celle qui se déplace », ou encore « celle qui vient de loin ». Tin Hinan a eu une fille, Kella, de qui descendent les membres de la noble tribu Kel Rela, et Takama a eu deux filles de qui descendent les tribus plébéiennes Dag Rali et Ait Loaien. Tin Hinan est donc l’ancêtre des Touaregs Ahaggar qui, jusqu’à nos jours, l’appellent encore « notre mère à tous ». Tin Hinan est également une « tamenokalt », c’est-à-dire celle qui possède le pays, ou encore la reine des Touaregs Ahaggar.
Par ailleurs, toujours d’après les chants et récits des femmes et hommes du désert, Tin Hinan a été une femme grande, charismatique et irrésistiblement belle. Seize siècles plus tard, celle-ci impressionne encore autant par sa beauté que par sa personnalité, quoique les historiens ne comprennent pas tout à fait les raisons pour lesquelles la reine énigmatique exalte encore la mémoire collective des Touaregs.
Pourtant, à y regarder de plus près, les accomplissements de Tin Hinan sont loin d’être insignifiants. Celle-ci prend la décision de quitter le Tafilalet. Serait-ce suite à un conflit personnel avec des membres de sa tribu ? Ou encore pour des raisons politiques, puisqu’au IVe siècle l’Afrique du Nord est le théâtre de révoltes violentes contre le pouvoir romain qui domine déjà une partie de la région ? De toute façon, derrière la décision de s’exiler se dissimulent autant une certaine rébellion que la capacité de prendre une décision ferme et de la mener à terme. Tin Hinan se met donc en route, et une route bien périlleuse : elle traverse l’un des déserts les plus hostiles au monde.
Comme Tin Hinan et Takama n’ont pas péri en chemin, les historiens pensent qu’elles ont dû probablement avoir une monture et quelques animaux domestiques leur fournissant au besoin du lait et de la viande. De même, ils supposent qu’elles connaissaient les principales étoiles, tout comme elles savaient décoder le tracé d’une route. Rappelons à ce propos que les peintures rupestres du Sahara révèlent l’existence d’une route ancienne, où sont marqués les points d’eau, oueds et oasis. De toute vraisemblance, Tin Hinan et Takama ont emprunté cette route. Les deux femmes arrivent à Abalessa, oasis inhabitée, mais qui ne manque ni d’eau ni de pâturages. Non seulement Tin Hinan traverse le Sahara sans périr, mais elle réussit à faire d’une terre vide le berceau de tout un peuple. En fait, elle instaure les conditions nécessaires à la survie humaine à Abalessa, elle y organise la vie sociale, et comme l’indiquent le mobilier et les objets trouvés dans son mausolée, elle développe des relations commerciales avec les personnes qui traversent le Sahara. Autrement dit, elle crée une communauté prospère.
Ici, mentionnons que comme le matriarcat n’est pratiqué nulle part ailleurs en Afrique du Nord, les historiens n’ont toujours pas de réponses quant aux origines de l’organisation matriarcale des Touaregs Ahaggar. Rappelons que bien que les hommes de cette communauté soient de redoutables guerriers, ils se voilent, se maquillent à l’aide de khôl, tressent leurs longs cheveux et se pomponnent avant de rencontrer l’autre sexe, pendant que les femmes choisissent leurs partenaires, donnent leur nom à la famille et établissent l’héritage selon la lignée maternelle. De plus, les femmes dominent les assemblées tribales, y compris celles qui portent sur la guerre. Et si les tribus élisent un sultan comme chef de guerre, ce dernier représente la reine. Dès lors, une question se pose : dans quelle mesure le matriarcat des Touaregs Ahaggar est-il influencé par leur puissante ancêtre Tin Hinan ?
Quoi qu’il en soit, la tradition orale des Touaregs Ahaggar finit par inspirer des fouilles archéologiques majeures à Abalessa, d’abord par une mission franco-américaine en 1925, ensuite par celle de l’équipe de Maurice Reygasse en 1933. Certes, les archéologues y ont découvert un monument funéraire qu’ils ont attribué à Tin Hinan. Cependant, cette découverte renforce le mystère qui entoure cette reine plutôt que de l’élucider. D’abord, les Touaregs doutent que ce monument soit le mausolée de leur ancêtre pour au moins deux raisons. D’une part, d’après la tradition orale, la tombe de Tin Hinan se trouverait au pied de la colline, et non à son sommet. D’autre part, cette tombe serait munie d’une dalle sur laquelle on pourrait lire : « Mes petits enfants, mon or est sur ma tête », ce qui n’est pas le cas avec le monument funéraire des fouilles. Ensuite, si ce n’était pas pour les objets typiquement féminins (bijoux en or et en argent) qui y ont été trouvés, les spécialistes pencheraient pour le squelette d’un homme, car la taille de ce squelette est trop grande pour qu’il soit celui d’une femme. Dans ces circonstances, les experts ont conclu que la reine des Touaregs était une femme exceptionnellement grande, mesurant de 1,72 mètres à 1,75 mètres. De plus, l’examen du squelette montre que cette femme souffrait d’une lombarthrose qui l’obligeait à boiter. Notons ici que ce dernier détail rejoint bien une précision apportée par l’historien Ibn Khaldoun au sujet de Tin Hinan : les Touaregs Ahaggar se décrivent également comme « les enfants de tiski », c’est-à-dire « les descendants de la femme qui boite ». Enfin, le même examen révèle qu’étant donné l’étroitesse du bassin, Tin Hinan était probablement nullipare, et que donc elle n’aurait pas enfanté.
Pourtant, tout un peuple se réclame de sa descendance. De surcroît, la tradition orale de ce peuple a bel et bien conduit les archéologues jusqu’à ce monument funéraire, qui date de la moitié du IVe ou du début du Ve siècle, et dont l’aspect rappelle les mausolées du Tafilalet, de la Mauritanie et de l’Algérie. Par conséquent, comme le suggèrent certains chercheurs, Tin Hinan a existé. Cependant, pour élucider le mystère qui entoure son existence, des fouilles plus approfondies de son mausolée restent à faire.
(1) Ces récits ont été recueillis entre autres par l’anthropologue Henri Lhote et par l’ermite jésuite Charles de Foucauld au début du XXe siècle.
~ Charles de Foucauld, Dictionnaire touareg-français, t. 2 (Paris : Imprimerie nationale de France, 1951-1952), 535.
~ Count Byron de Prorok, In Quest of Lost Worlds (London : Frederick Muller, 1935), 3-56.
~ E. F. Gautier, “The Monument of Tin Hinan in the Ahaggar”, Geographical Review 24.3 (July 1934) : 439-443.
~ Élizabeth Kalta, « Une reine atlante vénérée par les Touaregs : Tin Hinan », dernier accès le 27 mai 2013, http://artchives.samsara-fr.com/alt-antinea.htm
~ Gast Marceau, « Témoignages nouveaux sur Tine Hinane, ancêtre légendaire des Touaregs Ahaggar », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée 13-14 (1973) : 395-400, dernier accès le 27 mai 2013, www.persee.fr
~ Henri Lhote, Les Touaregs des Hoggar (Ahaggar) (Paris : Payot, 1944), 69, 72-74, 116-117, 132, 182-183, 191, 195, 207 et 211.
~ Ibn Khaldoun, trad. Baron de Slane, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale, t. 1 (Paris : Geuthmer, 1925), 273.
~ Jacqueline Sorel (avec la collaboration de Simone Pierron), « Femme de l’ombre : Tin-Hinan, reine des Touaregs », Radio France internationale 05/09/2002, dernier accès le 27 mai 2013, http://www.rfi.fr/fichiers/Mfi/CultureSociete/657.asp
~ Michael Brett et Elizabeth Fentress, The Berbers (Malden : Blackwell Publishing, 1997), 206-213.
Les informations dont nous disposons au sujet de la reine berbère al-Kahina sont à la fois limitées et contradictoires. D’abord, son vrai nom n’a pas été retenu par l’histoire. Selon les sources, al-Kahina s’appellerait Dahiya, Damiya ou Daya. Cependant, cette reine est principalement connue sous le nom de « al-Kahina », surnom qui signifie voyante, sorcière et prophète. Elle aurait pratiqué la divination lors des prises de décisions politiques et militaires – ce qui est crédible, car dans la société berbère archaïque, la personne dirigeante est reconnue pour ses capacités à prédire l’avenir.
L’histoire n’a pas retenu non plus l’origine d’al-Kahina. Certains disent qu’elle descend d’une longue lignée royale des Aurès, région située à l’est de l’Algérie actuelle, pendant que d’autres avancent qu’elle est la fille d’un certain Matiya, Matthias ou Matthew. Cette dernière hypothèse suppose qu’al-Kahina est issue d’un mariage mixte, à savoir berbère et byzantin. Quoi qu’il en soit, celle-ci se marie avec un Grec avec qui elle aura deux ou trois fils.
De même, les historiens ne s’entendent pas non plus sur la religion d’al-Kahina. Certains spéculent qu’étant donné son affiliation à la tribu Jerawa, la reine des Aurès est juive, et d’autres avancent qu’elle est chrétienne, puisque cette tribu se serait convertie au christianisme.
Malgré ces incertitudes, certaines informations véhiculées au sujet d’al-Kahina concordent. En effet, cette dernière apparaît dans l’histoire lors des premières invasions arabes en Afrique du Nord. Plus précisément, quand Moawiya, chef de la dynastie omeyyade, entreprend la conquête de ce territoire à la fin du VIIe siècle et confie le commandement d’une armée à Oqba ben Nafi al-Fihri. Certes, ce dernier parvient à fonder al-Kairouan, première ville musulmane au Maghreb, dans l’actuelle Tunisie, et à étendre ses raids jusqu’à Tanger et Souss, dans le Maroc d’aujourd’hui. Néanmoins, il mobilise à son insu la résistance berbère. En fait, à l’aube de l’arrivée des Omeyyades en Afrique du Nord, un premier royaume berbère indépendant est déjà établi, et son unité politique et administrative est assurée par Kusayla. Oqba ben Nafi al-Fihri se heurte d’abord à ce chef berbère. Puis, quand il décède autour de 686, Oqba ben Nafi al-Fihri se heurte à al-Kahina, qui a été désignée par le conseil d’une confédération de plusieurs tribus comme reine des Aurès. Désormais, celle-ci commandera la tribu des Jerawa pendant soixante-cinq ans, ou trente-cinq ans selon d’autres sources. En dirigeant la résistance berbère contre les envahisseurs arabes, al-Kahina devient la seule femme de l’histoire à avoir combattu l’empire omeyyade.
Dans un premier temps, la reine des Aurès ordonne la mort d’Oqba ben Nafi al-Fihri. Grisé par ses premières victoires dans les territoires berbères, celui-ci a fait l’erreur d’envoyer ses troupes vers l’est. Cette exécution met un frein à l’invasion omeyyade pendant cinq ans. Durant cette trêve, al-Kahina procède à la réunification de nombreuses tribus, étendant de la sorte son pouvoir dans la quasi-totalité de l’Afrique du Nord. Mais la trêve ne dure pas. Derechef, le gouvernement omeyyade envoie une armée au Maghreb, cette fois-ci sous le commandement de Hassan ibn Numan, qui fait l’erreur de sous-estimer l’ingéniosité guerrière de la reine. Celle-ci lui inflige deux défaites cuisantes qui l’obligent à se retirer jusqu’à l’est de Tripoli. Ainsi, lors de la première bataille, al-Kahina prend en embuscade les troupes omeyyades, après avoir dissimulé son armée pendant la nuit, en partie dans la montagne et en partie derrière ses chameaux, dans la vallée déserte de Miskyana (Constantine actuelle). Plus tard, en 695, lors d’une deuxième bataille, al-Kahina écrase les troupes omeyyades malgré leur supériorité numérique.
Si ibn Numan se retire à l’est de Tripoli, al-Kahina sait pertinemment que cette retraite est temporaire. Croyant que les envahisseurs convoitent les richesses du Maghreb, quand en fait ces derniers cherchent à l’islamiser, la reine des Aurès décide de pratiquer la politique de la terre brûlée pour les dissuader. Aussi, elle convoque les chefs des tribus à un conseil de guerre, et leur recommande de saccager les villes, de ravager les champs et d’étendre une frontière de désolation entre les Berbères et leurs ennemis. Aussitôt dit, aussitôt fait. De Tanger à Tripoli, les villes sont mises à terre, avec comme conséquence immédiate l’aliénation d’al-Kahina au sein de son propre peuple : révoltées, certaines tribus berbères se seraient ralliées à Hassan ibn Numan. Précisons toutefois que de nombreuses sources contestent cette information. Les historiens omeyyades auraient exagéré la situation pour discréditer une reine hostile à leur expansion. Certes, des villes ont bel et bien été détruites, mais al-Kahina n’y serait pour rien, puisque suite à la chute de l’empire romain, l’Afrique du Nord a été la scène d’affrontements répétitifs entre Berbères et Byzantins, mais aussi entre tribus berbères. En tout cas, les Berbères ne forment plus un front commun contre les Omeyyades.
Par conséquent, lorsque Hassan ibn Numan envahit les Aurès vers 702, les premiers affrontements sont largement défavorables à la reine berbère. Sachant sa défaite éminente, al-Kahina conseille à ses fils de se rallier à ibn Numan avant que ce ne soit trop tard. Une fois rassurée quant à leur sécurité, la guerrière des Aurès reprend le combat. Vaincue, celle-ci est décapitée et sa tête est envoyée en trophée au calife omeyyade. Al-Kahina serait décédée vers l’âge de 127 ans – les historiens sont unanimes à ce sujet ! Son décès marque la fin de la résistance berbère contre les Omeyyades.
En 2003, une statue a été érigée à l’effigie de « la Jeanne d’Arc berbère », dans la Wilaya de Khenchela, en Algérie.
~ Abd al-Majid An-Naïnaï, Tarikh ad-dawlah al-amawiyyah fi al-Andalous (Beyrouth : Dar nahda, 1986), 39.
~ Abdelmajid Hannoum, « Historiographie et légende au Maghreb : la Kâhina ou la production d’une mémoire », Annales, Histoire, Sciences sociales 54. 3 (1999) : 667-686, dernier accès le 27 mai 2013, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_03952649_1999_num_54_3_279771
~ Abou Obeïd el-Bekri, trad. Mac Guckin de Slane, Kitab al-mughrib, Description de l’Afrique septentrionale (Paris : Librairie d’Amérique et d’Orient, 1965), 22-23, 48, 69, 121, 277 et 340.
~ Gabriel Camps, Les Berbères, mémoire et identité (Paris : Collection des Hesperides, 1987), 96-98.
~ Gustave Le Bon, La civilisation des Arabes (Paris : Librairie de Firmin-Didot, 1884), 254.
~ H.T. Norris, The Berbers in Arabic Literature (Beyrouth : Librairie du Liban, 1982), 47-53.
~ Henri Terrasse, Histoire du Maroc, vol. I (Casablanca : Atlantides, 1949), 82-89.
~ Ibn Idhari, Kitab an-bayane al-mughrib fi akhbar al-Andalus wa al-Maghreb, vol. 1 (Leiden : Brill, 1948), 35-38.
~ Ibn Khaldoun, trad. Slane, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale, vol. III (Paris : Librairie orientaliste, 1934), 192-194.
En assurant la continuité de la monarchie idriside à deux reprises, Kenza al-Mardhia a joué un rôle déterminant dans l’histoire politique du Maroc. À ce propos, rappelons qu’en 788, Moulay Idriss I fuit la persécution des descendants du Prophète et de leurs sympathisants par les dirigeants abbassides au Moyen-Orient. Il trouve refuge à Volubilis, au Maroc. De plus, à peine quelques mois plus tard, il se fait désigner chef religieux et politique de nombreuses tribus. Dès lors, il entame la formation de l’unité politique et territoriale du Maroc. Il se montre tellement habile dans son projet que la rumeur des triomphes de la monarchie marocaine parvient jusqu’à Bagdad, et plus précisément jusqu’à l’oreille du calife abbasside Haroun Er-Rachid. Dépité, ce dernier envoie au Maroc Souleymane Bendjerir, un homme artificieux, pour qu’il empoisonne Idriss I. Le complot réussit, si bien que celui-ci meurt empoisonné en 791.
Comme le trône est menacé de s’écrouler, Rached, compagnon et conseiller d’Idriss I, rassemble les chefs et notables berbères et leur tient le discours suivant :
Idriss n’a pas d’enfant, mais il a laissé sa servante Kenza enceinte de sept mois. Demandez si vous croyez devoir attendre jusqu’à l’accouchement de cette servante. S’il naît un enfant mâle, nous lui donnerons une éducation soignée, et arrivé à l’âge d’homme, nous le proclamerons pour soutenir le parti de la famille sacrée et nous attirer les bénédictions de la descendance du Prophète. S’il naît une fille, vous aviserez alors à ce que vous aurez à faire(2) !
C’est à partir de ce moment que Kenza entre dans l’histoire, quoiqu’avec des variantes : certaines sources avancent que celle-ci est la fille du vizir Abd al-Madjid ben Mosab et l’épouse du feu Idriss I, alors que d’autres soutiennent qu’elle est plus modestement l’esclave, et donc la concubine de ce dernier. En tout cas, Kenza donne naissance à un fils, Idriss II, situation qui assure désormais la continuité de la monarchie idriside.