Iman Eyitayo
L’antichambre des souvenirs
Livre 2
Editions Plumes Solidaires
©Editions Plumes Solidaires
Auteur : Iman Eyitayo
Illustration de couverture : Fotolia
Couverture : Iman Eyitayo
ISBN : 9782954948263
©Tous droits réservés pour tous pays
Juin 2015
À paraître
J’entends parfois les Hommes dire
que la vie est courte,
que chaque jour les rapproche de la mort.
À mon humble avis,
chaque lever de soleil que j’observe
n’est qu’un nouveau prolongement de la vie,
un maintien perpetuel de l’equilibre.
Glimel.
If I die Young
© The Band Perry,
The Band Perry, Republic Nashville, 2010.
All we are
© Matt Nathanson,
Some Mad Hope, Vanguard Records, 2009.
Under your spell
© Amber Benson, in « Buffy The Vampire Slayer – Saison 6 – Episode 7 »,
Once More With Feeling, Joss Whedon, Rounder Records, 2002.
Walk through the fire
© Gellar, Battle, Benson, Brendon, Caulfield, Hannigan, Head and Marsters, in « Buffy The Vampire Slayer – Saison 6 – Episode 7 »,
Once More With Feeling, Joss Whedon, Rounder Records, 2002.
Sorry – Blame it on me.
© Akon,
Konvicted, Universal Records, 2007.
« And in the end the words won't matter
'Cause in the end nothing stays the same
And in the end dreams just scatter and fall like rain
'Cause all we are we are
All we are we are
And every day is a start of something beautiful, something real »
Math Nathanson,
All we are
— Quoi ? Ma mère est… quoi ?
Je me suis levée brusquement lorsque Glimel m’a annoncé la nouvelle. Ma mère est dans une antichambre, dans le coma, comme moi. Je n’arrive pas à y croire. Le destin ne me jouerait pas un tour aussi cruel, d’autant plus qu’Alex vient de me dire que ma mère est passée me voir encore la veille ! Qu’a-t-il bien pu lui arriver dans un si court laps de temps ?
— Votre mère est dans une antichambre, répète Glimel. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais je suis sûr qu’elle y est. Je ne me trompe pas. Je suis désolé.
— Mais…
Je n’arrive pas à finir ma phrase. Je me demande combien de temps il lui reste, si elle doit traverser la même épreuve que moi ou si elle sera morte dans les minutes qui suivent. Glimel semble deviner les questions qui me brûlent les lèvres :
— Je vous promets, je ne sais rien d’autre, dit-il. Elle a été confiée à un autre guide et nous n’avons pas le droit de communiquer sur ce genre de choses. Mais je vous assure qu’elle est encore vivante.
— Pour l’instant, j’ajoute en retenant mes larmes.
— Pour l’instant, acquiesce-t-il.
Nous restons silencieux une longue minute, puis mon guide reprend :
— Le mieux à faire, c’est de poursuivre l’épreuve. Plus vite vous l’accomplirez, plus vite vous serez fixée. Il n’y a pas une seconde à perdre.
Je ne dis rien, encore sous le choc de la nouvelle. Ma mère est dans le coma. En ce moment, elle vit exactement la même chose que moi. Bien que je sache que c’est inutile, je croise les doigts dans mon dos avant d’opiner du chef.
— Finissons-en.
Glimel m’adresse un sourire triste et me mène jusqu’à la quatrième porte que nous franchissons sans attendre. Lorsqu’elle se referme derrière nous, je tombe en chute libre. Je panique et hurle, même si je sais que c’est complètement futile. Glimel n’arrête pas d’essayer de me rassurer, mais comme d’habitude, il n’arrive qu’à m’effrayer davantage.
La chute finit par s’arrêter net. Tout change alors. Je réalise que je suis dans une petite pièce, en face d’un homme bedonnant qui m’étudie avec curiosité. Non, plutôt avec suspicion. Glimel n’est plus là. Un petit coup d’œil aux alentours me fait comprendre que je suis dans une salle d’interrogatoire. Et l’homme en face de moi a l’air convaincu que je suis du genre à chercher les ennuis, voire que je suis une garce manipulatrice et mythomane. Je ne lis que le mot « coupable » sur son visage. Le souvenir de cette journée me revient alors en un flash.
Génial, on va s’éclater dis donc…
— Je vous écoute, madame, commence l’homme. Racontez-moi pourquoi je devrais vous laisser partir cette fois. Quand je regarde votre dossier, je me dis que vous avez envie de finir en taule.
Le policier en face de moi fait une grimace qui me donne envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Ce doit être la troisième fois qu’on se voit – non pas que je le veuille –, il a juste la fâcheuse et agaçante tendance à être systématiquement celui qui se saisit des dossiers mentionnant mon nom. Mais il peut toujours sortir ses crocs, je suis parée. Je lui souris donc innocemment :
— Monsieur, je crois que je n’ai brisé aucune loi jusque-là. Et croyez-moi, je n’ai aucune envie de finir en taule comme vous dites, juste de rentrer chez moi. Et le plus tôt serait le mieux.
Je croise les jambes pour lui montrer que je n’ai pas du tout peur de lui. Je suis étudiante en droit, et en me basant sur les dires de mon ex-copain – à qui je dois d’ailleurs le plaisir d’être là –, je suis également une vraie teigne.
— Ça ne dit toujours pas pourquoi je devrais vous relâcher, ajoute-t-il en jetant un nouveau coup d’œil à mon dossier. Une plainte, passe encore. Deux, on commencerait presque à se poser des questions. Trois ? C’est un appel à l’arrestation.
Je maudis intérieurement ma malchance. Après la petite « correction » que j’ai donnée à Stéphane, j’ai eu droit à un dépôt de plainte en bonne et due forme. J’ai réussi à m’en tirer après des heures d’explications au commissariat, en me promettant de défigurer ce bon à rien la prochaine fois que je le verrais. Je ne le pensais pas vraiment, mais il a fallu que Stéphane me harcèle de nouveau à la fac. Pendant près d’un an. J’ai fini par craquer et lui ai arrangé le portrait en le forçant à embrasser une chaise en bois. Il a évidemment porté plainte, et j’ai dû m’expliquer à nouveau.
Y repenser me donne envie de vomir. Je me masse les tempes. Une migraine pointe le bout de son nez. Encore. En trois ans, je suis passée à la catégorie supérieure, ma combinaison Lamaline et Biprofenid ne faisant plus effet. Mon neurologue – oui, j’ai évolué à ce niveau-là aussi – m’a conseillé un nouveau traitement de choc, qui certes fonctionne, mais a l’inconvénient de m’assommer pendant deux bonnes heures.
— Vous savez très bien que ce n’est pas ma faute. Stéphane n’est qu’un pervers, je n’ai fait que me défendre. C’est moi la victime, ici.
Il répond quelque chose, mais ma migraine me déconcentre. J’ai l’impression qu’il y a une véritable guerre dans mon crâne. Le policier zélé en face de moi devient d’ailleurs un peu flou. J’interromps son monologue :
— Il me faudrait de l’eau, s’il vous plaît…
Il me dévisage. Il doit remarquer ma faiblesse, car il jubile maintenant :
— Répondez-moi d’abord.
Le connard… Il en rajoute à son palmarès. Il le fait exprès ou quoi ?
Je sais que ma prochaine action sera moyennement appréciée, mais ce gros boulet n’a pas l’air de comprendre, alors…
Je le fixe en essayant de ne pas cligner à cause de ma douleur au crâne.
— Je ne vous conseille vraiment pas d’aller sur ce terrain, monsieur. Je suis malade, je peux le prouver. Et ceci est de l’intimidation. Je suis étudiante en droit et je n’ai pas le QI d’une huître, alors on va reprendre depuis le début. J’ai un traitement à prendre dans les cinq minutes, autrement je dévoilerai vos méthodes douteuses au tribunal le plus proche.
Mon cher ami des forces de l’ordre grogne, avant de se lever pour aller me chercher de l’eau. Lorsqu’il revient, je suis à moitié sonnée, mais je me force à paraître sûre de moi. J’avale ma combinaison magique et me tourne vers lui pour en finir :
— Écoutez, je comprends que vous en ayez marre. Vous voulez étudier un cas plus intéressant. Moi aussi. Stéphane est un pervers, un manipulateur de première et j’en passe. Je ne reviendrai pas dessus, d’autant plus que les charges contre moi ont été annulées par l’intéressé lui-même.
Autant dire que j’ai dû « discuter » avec notre cher Stéphane pour que tout ceci disparaisse. Je n’avais aucune envie d’aller au tribunal et de raconter la manière dont il m’avait bernée devant de parfaits inconnus en robe.
— Quant à la troisième plainte… vous savez aussi bien que moi que mon ex m’a frappée le premier. Je n’ai fait que me défendre.
Cette fois, j’ai besoin d’un verre d’eau pour continuer. Je songe à Mathieu, mon premier petit-ami, mon premier… tout. Repenser à lui m’étouffe, m’écorche la peau, me tue de l’intérieur. Rencontrés à la fac, nous avons filé le parfait amour pendant un peu plus d’une année. Je l’ai aimé, je me suis offerte à lui, je l’ai vénéré. Nous avons vécu ensemble près de six mois dans un appartement de trente mètres carrés qui suffisait à notre bonheur. Tout allait bien il y a encore deux mois à peine. Une dispute a suffi à tout changer.
Il m’avait trompée. Je le savais, j’ai voulu l’y confronter. Je voulais des explications, comprendre pourquoi il avait cessé de m’aimer… ou s’il m’avait jamais aimée. Sa réaction fut très différente de tout ce que j’avais anticipé. Il m’a traitée de tous les noms, insultée sans arrêt. Je me suis sentie bête, stupide, inutile, diminuée. Pourquoi me disait-il tout ça alors qu’il était celui qui avait tout gâché ? Il a expliqué que tout était de ma faute, que j’étais en permanence tendue ou clouée au lit par mes migraines. Il a ajouté qu’il en avait marre, que je n’étais plus la même et qu’il fallait bien qu’il prenne du bon temps autrement. J’ai évidemment répondu que je ne comprenais pas, que je n’avais pas changé et qu’il ne pouvait pas m’en vouloir d’avoir mal de temps à autre. Cela n’a fait qu’envenimer la situation. Il a fini par me gifler pour me faire taire. Lorsque je me suis tournée vers lui, choquée, il a conclu qu’il me préférait lorsque je ne parlais pas. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Je l’ai frappé en retour. Il a répondu, et ainsi de suite. Au final, j’ai gagné un œil au beurre noir, des ecchymoses, une séparation des plus brutale, et lui presque autant. J’ai quitté l’appartement en trombe et n’ai même pas pu récupérer toutes mes affaires. Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir à ma nouvelle adresse une convocation au commissariat !
Je suis vraiment entourée de cas sociaux. Je devrais arrêter les garçons… Tout ça me fatigue…
— Vous n’avez fait que vous défendre, hein ? reprend le policier en me montrant les photos contenues dans le dossier du plaignant. Il avait pourtant l’air salement amoché.
Cette fois, j’ai une réplique toute prête. Heureusement, j’avais pensé à faire un constat chez le médecin après notre « dispute ». Rira bien qui rira le dernier. Je sors le document de mon sac et lui montre :
— Et ceci vous semble faux, peut-être ?
Le policier reste coi. Il regarde l’état de mon visage – qui a heureusement repris « d’autres » couleurs depuis –, puis vérifie les dates. Il réalise alors que mon constat précède celui de mon ex-copain connard. Au moins une chose qui jouera en ma faveur.
Il étudie les photos, le dossier, soupire.
— Écoutez. Je ne peux pas annuler la plainte, mais je peux signaler la légitime défense vu que vous avez des preuves. Par contre, si votre ami persiste, ça ira au tribunal. Ça vous va ?
Non, ça ne me va pas, mais que puis-je y faire ? Je n’ai aucune envie de revoir Mathieu pour lui expliquer ma façon de penser et l’obliger à se rétracter. Quoique… Je vais y réfléchir. En attendant, j’acquiesce.
Mon interlocuteur bedonnant me chasse alors d’un geste :
— Allez, que je ne vous revoie plus, s’il vous plaît. Et restez à l’écart des problèmes.
Je ne prends pas la peine de lui répondre et sors de la salle aussi vite que possible.
Dehors, je me rends compte que je ne suis toujours pas au meilleur de ma forme. Tout est encore flou et instable. Ma migraine m’exaspère au maximum, presque autant que ce policier zélé que j’ai envie d’envoyer paître dans un épisode de « La petite maison dans la prairie ». Je fonce aux toilettes pour me mouiller le visage et reprendre du poil de la bête. J’avale ensuite quelques bonbons qui traînent dans mon sac. Sans savoir pourquoi, ça m’a toujours aidé à mieux supporter les crises.
Je sors ensuite en comptant les minutes. Encore soixante-dix avant que les effets de la migraine et du médicament s’estompent. En attendant, je dois juste éviter toute altercation et en gros, tout ce qui requiert l’emploi de mon petit cerveau. Il ne faut pas trop lui en demander non plus.
Je me dandine tant bien que mal jusqu’à l’entrée du commissariat, ne prête pas attention aux gens qui attendent leur tour et cherche la sortie. Je la trouve finalement, même si tout est encore instable autour de moi. Je dépasse une femme qui me demande si tout va bien, lui fais un signe de la main pour lui faire comprendre que oui, puis me dirige vers la lumière. Je suis convaincue que dehors, tout ira mieux. Tout va toujours mieux à la lumière naturelle. Les néons de ces salles bondées me donnent envie d’exploser, de vomir, de me tirer une balle dans la tête. Mais je suis civilisée, je ne ferai rien de tout ça. Ce ne serait pas correct pour les agents d’entretien.
Je me contiens, avance, fais un faux pas, trébuche, atterris sur un banc. J’ai mal aux fesses, mais je remercie la providence de ne pas m’avoir fait atterrir par terre. Je décide alors de souffler quelques secondes. Je ferme les yeux…
Tout se calme alors, ralentit. La paix, le silence. Je suis bien, je nage dans un océan de quiétude et de confort. Plus de douleur, de peine, de bruit, de réflexion. Tout n’est que sérénité. Je pourrais rester ainsi toute ma vie. Ne penser à rien…
— Mademoiselle ?
Je sursaute… et reviens dans le monde réel. Le bruit est de retour, la paix n’est plus qu’un lointain souvenir. Me suis-je endormie ? Sans doute. C’est un des effets indésirables de mes pilules magiques. Je suis capable de m’assoupir à peu près n’importe où, tellement je suis shootée. L’avantage c’est qu’après, je suis « presque » totalement requinquée.
D’un coup d’œil, je constate que je suis toujours au commissariat. Zut ! J’espère ne pas avoir roupillé longtemps. Je fouille mon sac à la recherche de mon téléphone. Ouf, il est toujours là. Et j’ai dormi… quarante-cinq minutes ! Mon Dieu !
— Mademoiselle ?
Ah oui ! J’avais oublié que quelqu’un m’interpellait. Je me retourne et croise le regard le plus sombre que j’aie jamais vu. Les cheveux de l’inconnu sont bouclés, à la limite du frisé, sa peau caramel, son sourire enivrant. Un seul mot monte dans ma gorge lorsque je le reconnais, un mot que j’ai imaginé lui souffler à plusieurs reprises depuis trois ans, un mot que j’étais sûre de ne jamais pouvoir lui dire :
— Merci…
Il paraît surpris :
— De quoi ? Qu’ai-je fait ?
Je suis interloquée. Il ne se rappelle pas. Pourtant, son accent est de ceux que je n’oublierai jamais. Alex, le serveur, celui qui a sauvé mon visa – et permis d’obtenir ma carte d’identité française le mois d’après –, qui a offert de payer les dégâts que j’avais causés. Les souvenirs de notre rencontre me reviennent en mémoire et je me sens bête d’avoir pensé qu’il s’en rappellerait. Même si je ne vois pas comment on oublie quelqu’un à qui l’on a tant donné… Ou alors est-ce dans ses habitudes d’offrir de payer de telles sommes ? Serait-il riche ? Ma théorie me semble très vite absurde. Un « riche » ne travaille pas en tant que serveur et ne vient sans doute pas se terrer à plus d’une heure de Paris, dans le très bondé commissariat central d’Évry Courcouronnes. Je me moque intérieurement de ma propre bêtise. La migraine m’a bien eue en fin de compte. Mon raisonnement approche souvent le niveau zéro – voire des valeurs négatives – en début et en fin de crise. La bonne nouvelle, c’est que j’en suis presque au bout. Heureusement, ou j’aurais été capable de bafouiller devant mon bel inconnu à l’accent anglais.