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© 2017, version numérique Primento et Éditions Dricot
e-ISBN : 9782870955420
Ce livre a été réalisé par Primento, le partenaire numérique des éditeurs
Cette soirée de juillet était particulièrement chaude, un soleil accablant avait pesé sur la ville durant toute la journée si bien qu’à présent, les murs et le bitume des routes exhalaient une suffocante chaleur.
Thomas roulait toutes vitres baissées, il percevait à peine le son de la cassette engagée dans le lecteur. Ses mains moites collaient au volant et il chercha paresseusement un Kleenex afin de s’éponger le front. Dans quelques instants, il franchirait la grille de l’usine, se dirigerait ensuite vers la conciergerie où, en compagnie d’un collègue, il assumerait sa prestation de nuit.
Cela faisait près d’un an maintenant qu’il avait choisi ce métier, quelque peu solitaire, qui consistait à assurer une surveillance permanente dans le périmètre de l’entreprise. Pour mener à bien cette tâche, les deux hommes effectueraient à tour de rôle des rondes, de deux heures et quart chacune, suivant un parcours bien déterminé.
Il garait à présent sa voiture, à son endroit habituel, juste en face du local vitré où se tenaient les gardes. Son arrivée suscita chez son collègue de jour une réelle délivrance, car ce dernier lui tapota affectueusement l’épaule en maugréant :
Quelle fournaise aujourd’hui, j’aspire à rentrer chez moi pour me doucher et avaler deux ou trois bières glacées !
Le bureau était pénible en été, le soleil entrait par les nombreuses vitres de telle sorte que la température ambiante rendait rapidement l’air irrespirable.
Thomas posa son sac sur le bureau, essuya d’un revers de bras les gouttes de sueur qui lui perlaient le front. Il demanda, comme de coutume :
– Beaucoup d’expéditions aujourd’hui ?
– Cent quarante-six voitures en destination du Danemark !
C’était en dessous de la moyenne si on se référait à la production quotidienne de l’usine. On y construisait 180 voitures par jour.
Un vaste parking accueillait ce quota journalier et, chaque matin, d’énormes transports routiers emportaient leur lot de véhicules aux quatre coins de l’Europe.
Une seconde voiture se gara devant la conciergerie et un homme assez gras en descendit. Il s’agissait de Marc, compagnon de travail de Thomas, il semblait très éprouvé par la chaleur, lui aussi, tant sa peau était luisante. Lorsqu’il entra, il distribua mollement les traditionnelles poignées de mains, puis s’empressa de se rafraîchir sous le robinet.
La météo avait annoncé un orage pour cette nuit et tout un chacun souhaitait ardemment qu’il éclate au plus tôt.
– C’est toi qui débutes ? questionna Marc d’un air accablé.
– O.K., fit Thomas sans montrer la moindre contrariété.
Celui-ci commencerait donc la première ronde et emporterait avec lui une horloge pointeuse suspendue à son ceinturon. Il suivrait ensuite un chemin, tout tracé, long de deux heures et quart de marche, ponctuerait son passage à des endroits bien précis qu’il enregistrerait par un simple geste dans son appareil. Son parcours était ainsi minuté et un bref regard sur la bande enregistreuse suffirait à dénoncer le moindre de ses écarts. Il n’en aimait pas moins son métier qui lui donnait un sentiment d’autonomie en dépit de la rigueur de sa besogne. Il aimait également la nuit, avec ses silences, ses zones d’ombre qui donnent aux choses des dimensions particulières.
Du vivant de son épouse, il aurait hésité à faire ce travail. Elle avait peur, dès le soir venu, dans leur maison un peu isolée et la présence de leur doberman géant ne parvenait pas à la rassurer. Elle était morte, voici quinze mois, des suites d’un cancer, qu’un médecin négligeant, doublé d’incompétence, avait diagnostiqué trop tard. Patricia n’avait que trente-deux ans et le pénible souvenir de ses derniers mois de vie ne parvenait pas à s’estomper. Sous la douleur, Thomas avait pensé porter l’affaire devant les tribunaux, mais la lenteur de la justice, la perspective d’aboutir à un non-lieu auraient torturé ses pensées pendant longtemps. Ce soir, il était étonnamment calme. Depuis un mois, il avait décidé d’appliquer sa propre justice, dont le verdict était tombé sans appel, comme le tranchant d’une cognée. Seule la mort du responsable pouvait étancher cette soif de vengeance qui le rongeait depuis des mois ; il fallait non seulement que ce meurtrier en blouse blanche arrête de sévir, mais aussi qu’il paie cette conduite odieuse qu’il avait adoptée quand Thomas l’avait accusé verbalement.
C’est sur un ton cassant que le médecin avait répliqué :
“Cher Monsieur, les tribunaux sont là pour établir si un reproche dans mon travail peut m’être adressé. Je vous déconseille toutefois de choisir ce recours, il est long et presque toujours sans issue.
A présent, veuillez m’excuser, j’ai à faire !”
Dès ce moment, l’idée de tuer cet homme avait germé dans son esprit.
Pendant des semaines, il avait élaboré son crime et ce soir, cette nuit plus précisément, il était prêt pour le commettre, chaque détail avait été soigneusement pensé, chacun des gestes qu’il accomplirait avait été mûrement étudié, même les impondérables avaient été envisagés.
A la vérité, il n’avait vécu depuis la mort de Patricia que pour mieux assouvir sa vengeance et cela en toute impunité, car il allait se fabriquer un alibi inattaquable. Il n’y avait que cette chaleur dense, oppressante qu’il n’avait pas prévu et cet orage qui, sournoisement, se préparait dans un ciel opaque.
Un dernier coup d’œil à sa montre lui indiqua le moment de partir.
A quelques pas de lui, Marc s’asseyait pesamment derrière le bureau en s’épongeant la face.
Thomas se dirigea tout d’abord vers la chaîne de montage mécanique où se trouvait le premier point de contrôle. Il s’agissait d’un hall immense, partiellement éclairé, où des dizaines de voitures attendaient d’être achevées. Le jour, il régnait ici un vacarme abrutissant, plusieurs centaines d’ouvriers s’y affairaient nerveusement, en accomplissant toujours les mêmes gestes, au rythme d’une chaîne inlassable, presque inhumaine.
Pour l’instant, tout était en sommeil, le seul bruit perceptible était le système de ventilation qui fonctionnait en permanence. Thomas s’approcha d’une petite clé attachée au mur par une chaîne, introduisit celle-ci dans l’horloge pointeuse fixée à son ceinturon, la tourna dans la serrure, puis la relâcha.
Cette opération, il la répéterait onze fois encore tout au long de sa ronde, ce qui authentifierait son passage sur la bande enregistreuse enfermée dans l’appareil. Chacune de ces petites clés portaient un numéro, ce qui obligeait ainsi le garde en ronde à suivre son parcours dans un ordre arithmétique. Thomas s’en acquittait les yeux fermés tant il connaissait ce chemin mètre par mètre, allée par allée, si bien qu’en cas de panne d’éclairage, il aurait pu évoluer sans peine dans l’usine. Il traversait à présent le hall voisin, longeait les chaînes de garnissage où l’on dotait les voitures de leurs sièges, de tapis de sol et de certains instruments de bord. Il régnait, ici, un curieux mélange d’odeurs fait de cuir et de caoutchouc. Thomas procéda à son troisième pointage de la soirée.
Un grondement lointain se fit brusquement entendre, l’orage annoncé se préparait enfin. Dans peu de temps, des trombes d’eau à coup sûr dévaleraient du ciel et Thomas se hâta de traverser la cour pour entrer dans les salles de peinture.
Il pleuvait aussi à torrents la nuit où sa femme était morte, la foudre éclairait la chambre, accentuant le teint blême de Patricia.
Elle gisait dans une sorte de coma depuis deux jours et, à de rares moments, ses paupières frémissaient, seuls signes apparents de vie si l’on exceptait le faible souffle qui filtrait de ses lèvres.
La délivrance n’était venue qu’au petit matin, peu avant que les infirmières de jour ne prennent la relève. Lui ne s’était rendu compte de rien. La mort avait fait son œuvre pendant qu’il s’était assoupi un moment, vaincu par la fatigue.
Ce soir, la mort serait son alliée, il aurait sur elle une maîtrise absolue. Il tenterait de la donner du premier coup afin d’épargner à sa victime d’inutiles souffrances.
Par routine, Thomas contrôla sa montre, il était dans les temps requis. Il longeait maintenant un vaste parking où des centaines de voitures sommeillaient dans l’obscurité. Une lourde grille permettait aux camions de quitter l’usine et d’emprunter rapidement l’autoroute toute proche. Bien évidemment, le soir, cette grille était cadenassée et le garde en ronde devait obligatoirement s’assurer que tout était normal ; dans ce but, un point de contrôle sous abri était situé à proximité du grillage. Il s’agissait là de son avant-dernier pointage et, dans un quart d’heure, il regagnerait le local.
Il retrouva Marc peu après, assis à son bureau, se rafraîchissant le visage et la nuque à l’aide d’une serviette humide.
– C’est déjà l’heure ? s’étonna-t-il en voyant son collègue franchir la porte.
De larges auréoles de sueur sous les aisselles témoignaient du malaise qu’il vivait, et la perspective d’effectuer deux heures et quart de marche semblait le démoraliser.
L’horloge pointeuse changea de mains. Marc prêta soudain une oreille attentive au tonnerre qui se rapprochait. Il maugréa comme pour lui-même :
– Qu’il pleuve, bon Dieu, qu’on en finisse avec cette chaleur !
Sur ce, il avala goulûment le reste d’une boîte de bière avant de sortir, la démarche pataude.
Il plut très peu durant les deux heures et quart qui suivirent ; l’orage s’était dirigé vers la forêt d’Arpes que la foudre avait prise pour cible.
Thomas, resté en faction à côté du téléphone, avait mis tout ce temps à profit pour une ultime révision. Il était prêt.
La prochaine ronde serait la bonne et déjà, il voyait Marc sortir du hall de la tôlerie, puis, d’un pas alourdi, s’approcher de son dernier point de contrôle. Dans cinq minutes au plus, il serait de retour, et dans le plus grand secret commencerait pour Thomas une véritable course contre la montre. Tout son avenir allait se jouer sur un peu plus de deux heures, pendant lesquelles ses nerfs allaient être mis à rude épreuve. S’il réussissait, il trouverait enfin une sorte de paix intérieure, connaîtrait la douce délivrance d’une haine contenue depuis trop longtemps.
Si, au contraire, il échouait, une lourde condamnation l’attendrait assurément. N’allait-il pas commettre un crime prémédité, mûri par le lent poison de la vengeance ? Devant une cour d’assises, il risquait la peine capitale ; toutefois, cette sombre perspective ne devait en aucun cas le détourner de son projet. N’avait-il pas minutieusement tout préparé ?
Son crime, il l’avait répété des dizaines de fois dans sa tête, de telle sorte que, maintenant, ses gestes lui semblaient réglés comme les rouages d’une fine mécanique. Il trouvait tout de même curieux de se sentir presque calme dans un moment aussi grave. Devait-il cela à la confiance qu’il avait en lui-même ?
L’arrivée de Marc l’arracha à ses pensées.
– Enfin, un peu d’air, annonça celui-ci, la mine plus détendue.
Un léger vent s’était levé depuis l’orage, provoquant un délicieux courant d’air dans le local.
Marc se dirigea d’instinct vers le frigo-box qui renfermait quelques boîtes de bière.
Thomas, lui, s’empara de l’horloge pointeuse qu’il fixa en des gestes sûrs à son ceinturon. Un coup d’œil à sa montre lui confirma l’heure de partir et c’est d’une voix quelque peu altérée qu’il s’entendit prononcer à l’adresse de son compagnon :
– A tout à l’heure !
Il s’effaça progressivement dans la pénombre et, bien vite, sa silhouette disparut dans l’obscurité.
Thomas ne se dirigea pas vers son premier point de contrôle, mais s’empressa de traverser le hall de garnissage afin d’atteindre rapidement la chaîne de finition. Là se trouvaient des voitures complètement terminées. Le jour, quelques hommes étaient chargés de les conduire sur le parking d’expédition, ensuite, de rentrer à bord d’un véhicule qui servait de navette entre ce parking et l’usine. On ne faisait le plein de celui-ci qu’en fin de journée et, depuis longtemps, le kilométrage n’était plus tenu à jour.
Pour des raisons pratiques, la clé de contact demeurait sur le tableau de bord. C’était précisément cette voiture que Thomas avait choisie pour se rendre sur les lieux de son crime.
Il roula tous feux éteints jusqu’à la grille du parking, se dépêcha d’ouvrir le cadenas, puis, une fois le grillage franchi, il le referma soigneusement derrière lui. Il vérifia attentivement l’heure et calcula que s’il faisait réellement sa ronde, il se trouverait maintenant à son premier point de contrôle. Il lui fallait impérativement se construire un alibi.
Cela lui avait pris des semaines pour prendre les empreintes des clés originales tant leur forme était compliquée. Un long travail de patience, réalisé sur place, au cours de ses rondes, puisque les vraies clés étaient scellées à leur endroit de contrôle.
Il avait confié la fabrication des fausses clés à différents serruriers d’une autre région pour le cas malheureux où la police orienterait ses recherches de son côté. C’était une éventualité qu’il ne fallait pas négliger. Toutefois, n’avait-il pas tout prévu ?
Il introduisit donc, dans sa pointeuse, la première copie des clés. Il les avait coincées dans un ordre croissant sous son ceinturon afin de ne pas les confondre.
Cela étant fait, il écarta la première clé des autres en l’enfouissant dans une de ses poches. A présent, il fallait récupérer un sac qui contenait le matériel indispensable à son projet. Ce sac était dissimulé au pied d’un buisson à peu de distance de là. Par prudence, il roula tous feux éteints, s’arrêta le temps de s’emparer du sac, d’en sortir de fausses plaques d’immatriculation qu’il appliqua sur la voiture à l’aide d’aimants. Avant de démarrer, il alluma les phares et prit l’autoroute toute proche.
La route était luisante, l’orage menaçait encore dans la direction qu’il prenait et la pluie ne fut pas longue à frapper le pare-brise. Il posa un regard sur le sac à côté de lui. Celui-ci renfermait une combinaison de motard ainsi qu’une torche électrique et un pied-de-biche, chacun de ces objets tiendrait sous peu un rôle déterminant dans l’accomplissement de son crime. Il contrôla à nouveau sa montre. Dans deux minutes, il procéderait au deuxième pointage et il dégagea à cette intention la clé numéro 2.
Six kilomètres restaient à parcourir avant d’emprunter un chemin de campagne qu’il suivrait durant quelques minutes encore. Il serait alors aux abords d’un village, s’arrêterait à proximité d’une rangée de villas, aux pelouses spacieuses, agrémentées de plantations. L’endroit serait idéal sans cette ligne de chemin de fer toute proche qui venait, par moment, troubler la quiétude des habitants.
Pour l’avoir filé pendant des mois, Thomas n’ignorait plus rien des principales habitudes du médecin. Il savait que celui-ci, séparé de sa femme, fréquentait assidûment un bar sélect situé aux portes de la ville. Il se déplaçait au volant d’une puissante B.M.W. et affectionnait tout particulièrement les vêtements de sport. Il possédait également une maison de campagne dans les Ardennes où il emmenait parfois de jeunes compagnes le temps d’un week-end.
Thomas quitta l’autoroute. La villa du Docteur Higelin était la troisième, côté village. Il y connaissait parfaitement l’agencement des pièces sans pour cela y avoir mis les pieds. L’entreprise qui l’avait récemment bâtie avait laissé sa publicité, ce qui avait permis à Thomas de se renseigner en détails sur ce modèle de construction. L’accès le plus direct serait la cuisine, juste à l’arrière du bâtiment. Pour l’atteindre, il laisserait la voiture à bonne distance et suivrait le chemin de fer qui jouxte la propriété. Une fois à cet endroit, il n’aurait plus qu’à traverser le verger, puis le jardin d’agrément, dans une obscurité complice.
Il savait son itinéraire pour l’avoir suivi à deux reprises sur le terrain. La première fois, il y avait deux semaines, afin de chronométrer le parcours ; la seconde, c’était hier, pour bloquer le volet qui protège la porte de la cuisine.
Le médecin bouclait la maison dès le soir venu et Thomas avait profité de son jour de congé de la veille pour se glisser dans la propriété, s’approcher prudemment de la villa et coincer la sangle au ras de l’enrouleur extérieur à l’aide d’une petite cale en bois. Il avait pris le risque d’être vu, mais il fallait avoir le champ libre pour fracturer la porte au moment opportun.
La pluie pour l’instant redoublait d’intensité, rendant les essuie-glaces inopérants. Thomas dut s’arrêter. Il profita de ce contretemps pour pointer son horloge et enfila sa combinaison de cuir.
Il respectait toujours l’horaire prévu. Cependant, cette pluie diluvienne risquait de lui faire perdre du temps. Cinq précieuses minutes s’écoulèrent avant que la pluie ne faiblisse insensiblement.
Lorsqu’il se gara enfin à l’endroit choisi, il consulta une fois encore sa montre et calcula le temps du prochain pointage. Il savait trop bien l’importance de ce simple geste, la rigueur qu’il devait montrer à se fabriquer un alibi. Il quitta la voiture sans tarder en emportant son sac. Il pleuvait toujours en une fine pluie qui se dessinait dans la lumière jaunâtre des lampes électriques.
Thomas s’engagea dans des buissons, grimpa le talus qui menait au chemin de fer, puis, à l’aide de sa torche portative, il suivit les rails luisants qui se perdaient dans la nuit. A mi-chemin, il s’arrêta, l’espace de pointer l’horloge ; il s’agissait de son cinquième tour de clé. Déjà, il repartait au pas de charge.
Aurait-il le temps d’atteindre la propriété du médecin, de traverser le verger et le jardin avant que le train n’arrive en tirant sa rame interminable ? Ce convoi passait toujours à la même heure. Thomas venait parfois épier les habitudes du Docteur Higelin. Ce dernier se couchait tard, souvent vers une heure du matin, et de la lumière filtrait quelquefois à l’étage entre les lames des volets. Lisait-il dans son lit ? Thomas comptait sur le passage du train pour couvrir le bruit quand il forcerait la porte de la maison.
Voilà qu’il escaladait la clôture, atterrissait dans le verger. Par prudence, il éteignit sa lampe. Le train approchait ; un bruit lourd de métal se précisait. Thomas se hâta davantage, faillit trébucher sur une racine en saillie. Une courte distance le séparait encore de la villa et il traversa le jardin au pas de course.
Arrivé devant la cuisine, le souffle court, il enfila nerveusement une paire de gants, sortit de son sac le pied-de-biche et s’attaqua d’emblée à la porte avec une énergie farouche. Il craignait que le train ne se soit éloigné avant qu’il en ait terminé. Le fracas des wagons s’estompait déjà qu’il se battait encore contre un ultime bout d’aluminium qui ne voulait pas céder. Enfin, la porte s’entrebâilla dans un grincement aigu et Thomas demeura immobile, fixant avec angoisse la lucarne palière, comme si celle-ci allait s’éclairer d’un instant à l’autre.
Bon Dieu, il oubliait la pointeuse. Un coup d’œil à sa montre et un rapide tour de clé dans l’appareil.
Il venait de frôler l’erreur, un peu plus et son plan s’écroulait d’une pièce.
Et pour cause : le moindre retard durant une ronde devait être justifié et consigné. Au delà de cinq minutes entre deux pointages, il devait obligatoirement en aviser son collègue à l’aide d’un des téléphones intérieurs. Heureusement, semblable situation ne s’était produite qu’une seule fois depuis qu’il faisait ce métier.
La maison demeurait calme ; Higelin, apparemment, n’avait rien entendu. Thomas entra prudemment, alluma sa torche et chercha le téléphone. Celui-ci se trouvait sur un petit meuble rustique à proximité de la bibliothèque. C’était le seul appareil de la maison, Thomas en avait la certitude depuis qu’il avait, à différentes reprises, appelé le médecin au milieu de la nuit. Ce dernier avait mis du temps à décrocher et sa voix essoufflée dénonçait qu’il était descendu pour répondre. Thomas devait impérativement attirer sa victime au rez-de-chaussée, sans éveiller sa méfiance. Une fois ce but atteint, il bénéficierait de l’effet de surprise pour passer à l’acte. Il comptait sur la sonnerie du téléphone qui, dans cinq minutes, devrait retentir, pour amener le docteur dans son piège.