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Paris
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ISBN : 978-2-39009-101-1 – EAN : 9782390091011
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Donald Graeme
Les + incroyables
histoires des anonymes de la guerre
Traduit de l’anglais par Jacques BRAIBANT
I
second rôles
Fanny Kaplan lorsqu’elle fut incarcérée à la prison de Kiev, en 1907,
pour un premier acte terroriste.
L'assassin aveugle
Son nom est sujet à controverse : Feiga Chaimonova Roytblat, ou Rotjman. Elle se faisait appeler Fanny Kaplan (1890-1918). Si elle échoua dans sa tentative d’assassiner Lénine, cette action provoqua une série de conséquences qui allaient coûter la vie à des milliers de personnes.
Activiste politique dès sa jeunesse, Kaplan s’illustra pour la première fois en 1906, après sa tentative avortée de faire sauter le gouverneur tsariste de Kiev.
Adolescente que ce coup d’essai rendait fébrile, et déterminée à ne rien laisser au hasard, elle avait décidé de tester une dernière fois les circuits et le mécanisme d’horlogerie de sa bombe artisanale, avant de la déposer dans le palais.
Elle survécut à peine à l’explosion qui s’ensuivit, et brûlait encore, inconsciente, quand on réussit à l’extraire des décombres, avant de l’arrêter.
Condamnée à terminer son existence dans les bagnes de Sibérie, elle fut libérée lors de la Révolution de 1917. À cette époque, elle était presque aveugle. Conséquence des conditions de vie dans les camps ou de l’explosion de sa bombe ? La question reste posée. Quoi qu’il en soit, le choix d’un assassin affublé d’un pareil handicap, à qui l’on confie le soin de tirer sur une cible aussi importante que Lénine, paraît pour le moins surprenant.
Au printemps 1918, Kaplan était à Moscou ; elle était membre d’un groupe terroriste antibolchevique fondé par un Japonais et contrôlé par Grigory Semyonov (1890-1946), qui avait juré de tuer Trotsky et Lénine. Son travail consistait à surveiller ce dernier et de tenir à jour les dossiers le concernant. Semyonov avait déjà essayé deux fois d’attenter à la vie de Lénine, mais ses meilleurs tueurs, Usov et Kozlov, au sujet desquels on ne sait que peu de choses, avaient lamentablement échoué.
Dans la soirée du 30 août 1918, Lénine assistait à un meeting dans l’usine Morozov à Moscou. La réunion se termina à 22 heures, et il se frayait un chemin dans la foule pour rejoindre sa voiture, quand une femme sortie d’on ne sait où, supposée être Kaplan, brandit un revolver et tira trois coups de feu. La première balle le toucha au bras, la seconde atteignit la mâchoire avant de se loger dans la nuque, et la troisième blessa une spectatrice enthousiaste qui le remerciait de sa présence au meeting.
Encore conscient, Lénine fut poussé dans sa voiture par son chauffeur, un nommé Gil, qui le reconduisit à toute allure au Kremlin. Lénine avait, probablement à juste titre, estimé qu’il y serait plus en sécurité que dans n’importe quel hôpital. Les médecins n’avaient qu’à se déplacer.
Ceux qui l’examinèrent lui déclarèrent deux choses : la première, que les balles avaient été enduites de curare, et qu’il devait s’estimer particulièrement heureux d’avoir survécu aux blessures ! La seconde, qu’il n’y avait aucune possibilité d’extraire la balle de son cou, en dehors d’un hôpital ! S’il persistait à refuser de s’y rendre, la balle resterait où elle était, avec tous les risques que cela comportait. Lénine persista dans son refus.
Les rapports sur ce qui se passa sur la scène de crime sont confus et contradictoires, pour ne pas dire plus.
Au début, Gil déclara qu’il n’avait pas la moindre idée de l’identité du tireur, sinon qu’il s’agissait d’une femme. Après un interrogatoire musclé, il se « souvint » qu’il s’agissait de Kaplan, qui, d’après les premières constatations, avait été arrêtée en flagrant délit.
Plus tard, on modifia les rapports en fixant l’arrestation deux heures plus tard, les policiers qui avaient procédé à celle-ci demeurant étonnamment vagues sur le lieu où elle aurait été appréhendée.
Une semaine plus tard, après l’exécution de Kaplan, on admit qu’elle avait été arrêtée dans une rue de Serpukhov, une ancienne cité située à 100 kilomètres au sud de Moscou.
D’autres témoins de la fusillade déclarèrent avoir vu une femme, correspondant à la description de Kaplan, rôdant autour de l’usine entre 20 et 21 heures, des témoins unanimes pour décrire dans leurs dépositions une femme portant un parapluie, et une petite valise qu’elle avait encore au moment de son arrestation. Le genre d’objets qu’un assassin en puissance emporte évidemment à la seule fin de handicaper sa tentative.
Ajoutons que Kaplan n’avait jamais utilisé un revolver et qu’elle était, dans son état, selon l’expression consacrée, capable de rater un éléphant dans un couloir. Elle n’avait pas sur elle les lunettes qui lui permettaient de rares moments de vue limitée, quand elle n’était pas complètement aveugle. Et si c’était elle qui avait tiré effectivement sur Lénine à 22 heures, comment diable avait-elle fait pour se trouver à Serpukhov deux heures plus tard ? Cela ne tient pas debout.
Son unique déclaration semble signifier qu’elle était désireuse de répondre au souhait des autorités de lui voir endosser la responsabilité des faits.
« Je m’appelle Fanny Kaplan. Aujourd’hui, j’ai tiré sur Lénine. Je l’ai fait de par ma propre volonté. Je tairai le nom de celui qui m’a procuré l’arme. Je ne fournirai pas plus de détails. J’ai décidé de tuer Lénine il y a longtemps. Je le considère comme un traître à la Révolution. »
Après cet aveu verbal, elle fut fusillée le 3 septembre 1918 et enterrée dans une tombe anonyme d’un cimetière communal.
Lénine essaya de cacher ses inquiétudes causées par les manquements évidents dans l’affaire Kaplan, et par la rapidité avec laquelle celle-ci avait été mise définitivement hors d’atteinte de toute enquête ultérieure. L’homme qui avait commandé le peloton d’exécution était Yakov Sverdlov (1885-1919), celui qui allait organiser, sur ordre de Lénine, l’exécution de la famille royale à Yekatrinenbourg. Cette ville allait souffrir d’une ignominie supplémentaire quand elle fut, en 1924, rebaptisée Sverdlov en son honneur. Cette tache ne serait effacée qu’en 1991, quand Boris Eltsine lui rendit son nom d’avant la révolution.
Mettant de côté ses doutes quant à la culpabilité de Kaplan, Lénine décida que cette tentative d’assassinat, quel que soit le coupable, était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, et ordonna la chasse et l’exécution de quiconque ne ferait que murmurer une dissidence antibolchevique. Ainsi débuta la Terreur rouge, qui commença avec l’exécution de Kaplan pour se terminer à la fin du mois d’octobre.
Grâce à la brutale efficacité de Sverdlov, des milliers de victimes périrent dans des conditions particulièrement atroces, et parmi elles au moins trois mille prêtres qui furent soit crucifiés, soit brûlés vifs, ou encore noyés.
Laissant Sverdlov faire le travail pour lequel il était particulièrement doué, Lénine se focalisa sur les lointaines retombées de la tentative d’atteinte à sa vie, et devint obsédé par le fait que les balles tirées sur lui avaient été enduites de curare. Il lut tout ce qu’il put trouver sur la nature et les caractéristiques de cette fascinante toxine, laquelle est bien connue dans les forêts sud-américaines, pour être appliquée sur les pointes de flèches utilisées par les indigènes. Il découvrit qu’elle n’est mortelle qu’injectée dans le corps, et qu’à l’instar du venin de serpent, elle peut être consommée sans danger.
À partir de cette étude du curare, l’intérêt de Lénine pour le poison grandit. Il y vit un moyen d’intimidation psychologique susceptible d’effrayer ses ennemis tout en envoyant aux autres un message parfaitement clair : personne n’était à l’abri de sa silencieuse et mortelle efficacité.
En 1921, il créa le Laboratoire Numéro Un, situé au coin de la fameuse et redoutée Lublianka. C’est là que la Tchéka (le futur KGB) commença à développer une déplaisante série de poisons. Ceux-ci pouvaient être incorporés à la nourriture ou être inoculés par un assassin anonyme dans une foule. Plus tard, en 1978, dans une rue de Londres, un poison mortel sera injecté à l’aide d’un parapluie dans la jambe de Georgi Markov.
Comme cela avait été prouvé dans le cas de Lénine, aux prises avec ses supposés assassins, les armes à feu et les bombes n’étaient pas fiables, alors qu’une toxine efficace, destinée à une seule personne, ne ratait jamais sa cible. Une mort qui faisait trembler tous ceux qui vivaient assez longtemps pour s’en souvenir.
L’héritage de Kaplan grandit pour devenir un laboratoire d’une taille considérable, dirigé par le Dr Grigory Mairanovsky, le premier homme à se voir affublé du nom de Docteur Fatal, un sobriquet inventé par Staline en personne.
Dépendant directement de Lavrentiy Beria, le bras droit du Petit père des Peuples, Mairanovsky produisit d’épouvantables toxines à base de curare, thallium et ricin, toutes prévues pour occasionner des décès longs et pénibles. D’autres, plus clandestines, devaient produire des symptômes suggérant la crise cardiaque, chez des victimes vis-à-vis desquelles le Kremlin souhaitait rester blanc comme neige.
Entre 1930 et 1945, ces produits furent régulièrement testés sur des prisonniers de la Lublianka. Pendant que les Russes siégeaient au procès de Nuremberg, ce type d’expérimentation fut supprimé, ou fortement diminué, au cas où quelque chose transpirerait, et que l’on estimât qu’ils étaient dans l’incapacité de juger les nazis pour ce genre de crimes, alors qu’eux-mêmes les pratiquaient sur une grande échelle.
Staline mourut en 1953 d’une soudaine et massive hémorragie cérébrale après une fête donnée par Beria, qui fut soupçonné d’avoir utilisé un produit du laboratoire « Kaplan ». Quoi qu’il en soit, Beria tenta de s’emparer du pouvoir, mais finit un peu plus tard avec une balle dans la tête.
Accusé d’avoir stocké des produits chimiques dans des conditions dangereuses, ce qui constitue un bel euphémisme, Mairanovsky en savait suffisamment pour garder un profil bas pendant son procès, et accueillit de bonne grâce le verdict qui le condamnait à dix ans de prison.
Relâché en 1961, il tenta de faire carrière dans la nouvelle administration Khrouchtchev, à qui il adressa une lettre lui demandant un poste important. Peut-être son séjour en prison lui avait-il affaibli le jugement au point d’oublier la nature de l’homme auquel il s’adressait. Pour plaider sa cause, il rappela à Khrouchtchev quelques anciennes faveurs « discrètes » que lui et ses préparations lui avaient rendues. Deux jours après que sa lettre fut arrivée au Kremlin, Mairanovsky fut découvert mort des suites d’une « crise cardiaque ».
Revenons à Lénine. Il décida finalement de faire extraire la balle par des spécialistes allemands, en avril 1922. L’opération fut suivie d’une série d’accidents vasculaires cérébraux qui l’emportèrent finalement en janvier 1924. On peut donc estimer que le tueur, quel qu’il soit, avait fini par avoir sa cible.
En ce qui concerne la mort de Sverdlov, elle est toujours entourée de mystère et est encore aujourd’hui considérée comme secret d’État. Selon la version officielle, il mourut le 16 mars 1919, victime de la grippe espagnole qui ravagea le monde après la Première Guerre mondiale. Officieusement, il était présent à l’usine Morozov la nuit du 16 mars pour un autre grand rassemblement ouvrier. À un moment particulièrement chaud du débat, un assistant manifesta sa désapprobation à ses déclarations en lui assénant un grand coup de clé à molette sur le crâne, le tuant sur le coup.
Kaplan, sans aucun doute, a dû éclater de rire dans son paradis communiste.
Johann Georg Elser apparaissant curieusement calme, relaxé, sans entrave
et sans blessure pendant son interrogatoire par la Gestapo,
après l'explosion du Beer Hall de Munich.
Tuez le führer
L’importance donnée à la tentative d’attentat perpétrée par Claus von Stauffenberg donne l’impression que celle-ci était peut-être la seule du genre. Cependant, nombreux furent ceux qui avaient tenté leur chance avant l’Opération Valkyrie, et von Stauffenberg ne serait pas le dernier.
Hitler n’était pas le genre homme à susciter la sympathie, même dans sa vie privée, mais certains, comme le colonel Heinz Brandt, allaient, à l’insu de leur plein gré (ainsi que cela se dit quelquefois) sauver le dictateur des poseurs de bombe, non pas une, mais deux fois.
Le premier à tenter sa chance fut Johann Georg Elser (1903-1945), un charpentier d’Hermaringen, dans le sud-ouest de l’Allemagne. Il avait flirté avec le parti communiste, prétendant être antinazi pour des raisons morales.
En 1939, il annonça à sa famille et à ses amis qu’il allait se retirer pendant quelque temps dans un monastère en Suisse. Au lieu de cela, il embarqua dans un train pour Munich avec l’intention de faire sauter Hitler qui devait assister aux commémorations annuelles de la brasserie du Burgerbrau, décor du célèbre putsch manqué du 8 novembre 1923.
Tirant profit de ses talents de charpentier, Elser devint un habitué du Burgerbrau, où il se cachait dans un placard à l’heure de fermeture, pour en sortir et travailler toute la nuit. Il creusa et consolida une sorte de tunnel sous le plancher, vers un point situé derrière le pilier placé à côté la tribune de l’orateur, où son engin explosif devait être installé.
La guerre qu’il craignait tant avait été déclarée le premier septembre. À ce moment, Elser avait fini son travail de sape au cœur du pilier, désormais prêt à accueillir la bombe censée expédier Hitler au paradis des dictateurs.
Il existe une controverse relative à l’heure à laquelle le détonateur avait été réglé et celle où Hitler quitta la scène. D’après Elser, la bombe devait exploser à 9 h 20, heure à laquelle il devait être normalement occupé à terminer la diatribe qui concluait la célébration annuelle. Pour des raisons qui varient selon les commentateurs, Hitler écourta sa péroraison et sortit dix minutes avant l’explosion, au lieu de rester et vider force bières en compagnie de ses vieux camarades.
Au contraire, c’est escorté par son habituelle escouade de voyous en uniforme qu’il traversa rapidement la foule de ses adorateurs, et sortit de l’établissement. Le programme prévoyait un discours beaucoup plus long, et l’habituelle avalanche de « sieg » et de « heil » avant qu’il ne descende du podium, et se mêle à la foule de ses affidés qui avaient participé au putsch de 1923.
La raison officielle donnée pour expliquer cet événement écourté était que le brouillard avait cloué au sol tous les vols à destination de Berlin et que, sollicité par des problèmes urgents, Hitler s’était hâté pour ne pas manquer le dernier train. Mais comme Hitler avait l’habitude d’immobiliser trains, avions et automobiles jusqu’à ce qu’il décide de l’heure du départ, ce type d’explication ne convainc guère.
Il existe également une controverse concernant l’annonce qu’Elser avait été arrêté à proximité de la frontière suisse, une demi-heure avant que sa bombe n’explose. Elle tua huit personnes et en blessa des douzaines d’autres, y compris le père d’Eva Braun. De plus, Elser était déjà en route pour le QG de la Gestapo, pour y être interrogé plusieurs heures avant que l’attentat ne fût rendu public.
William L. Shirer (1904-1993), auteur d’Ascension et Chute du Troisième Reich (1960), était en poste à Berlin à ce moment, et il écrivit dans son journal en date du 9 novembre 1939 :
Douze minutes après qu’Hitler et toutes les grosses légumes du Parti quittent la Brasserie Burgerbrau à Munich la nuit dernière, une bombe a explosé à 9 h 9 dans le hall, tuant sept personnes et en blessant vingt-six. La bombe avait été placée dans un pilier voisin de l’estrade où Hitler venait de parler. S’il était resté douze minutes et une seconde de plus, il aurait certainement été tué. L’endroit d’où il parlait était recouvert par près de deux mètres de débris.
Personne ne connaît encore l’identité de l’auteur de l’attentat. La presse nazie hurle qu’il s’agit des services secrets anglais. Certains prétendent que Chamberlain l’a commandité.
La plupart des correspondants étrangers trouvent à l’incident un petit parfum d’incendie du Reichstag. Les années précédentes, Hitler et les pontes du parti nazi étaient restés après le discours pour parler du bon vieux temps avec leurs camarades et siffler de nombreuses bières.
La nuit dernière, ils ont quitté la brasserie ventre à terre, laissant les camarades s’empiffrer seuls.
La prétendue tentative d’assassinat va sans aucun doute souder l’opinion publique autour d’Hitler, et attiser la haine contre l’Angleterre.
Il est curieux que le journal officiel du parti nazi, le Vôlkische Beobachter, soit le seul quotidien qui ait relaté l’affaire ce matin. Un ami m’a contacté ce matin pour m’informer qu’il avait écouté la radio à minuit cette nuit, mais toutes les radios officielles et les censeurs ont nié le fait. Ils prétendent qu’il s’agit d’une simple rumeur.
Le 10 novembre, le capitaine Alfred Naujocks (1911-1966) était en route pour la Hollande, alors non occupée, pour kidnapper une paire d’agents anglais opérant à proximité de la frontière. Lors de ce qu’on appela l’« Incident de Venlo », Naujocks ramena en Allemagne le capitaine Sigismus Payne Best et le major Richard Stevens. Ils y furent accusés d’être les agents traitants d’Elser, et le suivirent rapidement au camp de concentration de Sachsenhausen, avant d’être transférés à Dachau.
Shirer n’était pas le seul à penser que toute cette affaire n’était qu’un coup monté avec Elser, sciemment ou pas, lequel n’aurait été rien d’autre qu’un pantin dont les ficelles étaient tirées par Himmler, qui lui-même n’agissait qu’avec l’assentiment d’Hitler.
Planifiés ou non, l’attentat du Burgerbrau et le rejet de sa responsabilité sur les gnomes de Westminster unissaient le peuple allemand derrière son bien-aimé Fùhrer. Et avec en prime la possibilité de clouer les Hollandais au pilori en qualité d’hôtes bienveillants envers les activistes antinazis allemands, justifiant par ailleurs l’invasion de leur pays.
Le plus curieux de cette histoire est que Elser, Payne Best et Stevens survécurent dans les camps de concentration, au lieu de finir pendus à des crocs de boucher, sort réservé à ceux qui attentaient à la vie d’Hitler.
Ce fut particulièrement le cas d’Elser, qui au lieu de payer sa tentative au prix fort, paraît avoir bénéficié de privilèges particuliers. Il était autorisé à porter des vêtements civils, occupait de spacieux quartiers, recevait une bonne et abondante nourriture et autant de cigarettes et de bouteilles de bière qu’il souhaitait, et tout ceci à côté de l’accès aux plaisirs de la chair. On lui construisit également un établi, et il reçut ses outils de charpentier pour passer le temps.
Stevens est plus difficile à retrouver dans le chaos de la guerre, mais Payne Best (1885-1978) survécut pour écrire « L’Incident de Venlo » en 1950. Il y donne le compte-rendu de la captivité d’Elser, qui dura jusqu’au 9 avril 1945, date à laquelle il fut fusillé sur ordre d’Himmler. Bien qu’il soit exact que beaucoup de ces « mises au point » ont été organisées par Himmler pendant les dernières semaines du conflit, tout le monde n’est pas prêt à accepter qu’Elser connût une pareille fin. Il est ici hors de propos d’explorer le labyrinthe des théories de la conspiration, et ceux que cela intéresse peuvent se référer sur le net à Georg Elser, soi-disant tué à Dachau pendant une attaque aérienne, site qui fournit un résumé d’un article très détaillé tiré des archives retrouvées à Dachau.
Il comprend les révélations de Payne Best et d’autres, et en particulier celle du révérend Martin Niemoller, qui sont convaincus qu’Elser était au mieux un pantin nazi, au pire l’acteur consentant d’une sinistre farce.
La majorité de la vingtaine de tentatives ourdies pour assassiner Hitler émane de ses propres généraux, qui semblaient tellement désireux de se débarrasser de lui que c’est un miracle qu’il ait survécu aussi longtemps. Différents plans naquirent et furent contrecarrés par le sort. En 1943, l’Orchestre Noir, comme l’on désignait les conspirateurs de haut rang, semblait définitivement écœuré par le comportement de plus en plus dément de leur chef dans la conduite de la guerre. Aussi, quand le Maréchal von Kluge apprit qu’Hitler venait lui rendre visite le 13 mars 1943 à Smolensk, sur le Front de l’Est, lui et le général-major Henning von Tresckow décidèrent qu’il ne devait pas retourner vivant à Berlin. Abandonnant l’idée de le tuer eux-mêmes pendant le repas, ils restèrent assis en souriant, puis ils souhaitèrent bon voyage à tout le monde. Spécialement au colonel Heinz Brandt, à qui ils remirent une bombe entourée de papier-cadeau, déclarant qu’il s’agissait de deux bouteilles de Cointreau à remettre au général-major Helmuth Stieff à Berlin.
Brandt prit le paquet puis, imaginant que le destinataire voudrait peut-être déguster l’alcool bien frappé en le recevant, il décida à la dernière minute de ne pas garder le colis dans la cabine, mais de le placer dans les soutes de l’avion. Là, non seulement l’alcool gela, mais également l’acide destiné à la mise à feu, empêchant la bombe d’exploser.
Quand la nouvelle parvint à Smolensk de l’arrivée d’Hitler sain et sauf à Berlin, Tresckow prit en toute hâte un avion pour arriver, après une course folle, à retrouver son paquet avant qu’il ne soit ouvert par Stieff.
C’est à nouveau Brandt qui fit échouer la célèbre tentative du 20 juillet 1944 de von Stauffenberg. Il avait déposé un porte-documents rempli d’explosifs aux pieds d’Hitler et de Brandt dans le bunker appelé la « Tannière du loup ». Brandt, désireux d’avoir une meilleure vue de la carte qu’Hitler étudiait, déplaça la mallette derrière un pied de la massive table de bois, ce qui protégea le Führer lorsque la bombe sauta. Le pantalon d’Hitler et sa veste avaient été soufflés par l’explosion, pour le laisser debout, choqué, blessé par les nombreux éclats, de la fumée sortant de ses cheveux et de ses sous-vêtements. Brandt perdit une jambe dans l’attentat, et devait mourir quelques jours plus tard. Reconnaissant, Hitler le nommera général-major à titre posthume.
Notons que le portrait de von Stauffenberg, dressé par Tom Cruise dans le film Walkyrie, sorti en 2008, essaye de conforter le mythe d’une Allemagne nazie résistante, et de prouver que les membres de l’Orchestre Noir étaient des patriotes honnêtes, opposés aux délires d’Hitler et de la bande de psychopathes qui l’entourait.
Le von Stauffenberg de Cruise évoque avec force déclarations généreuses le sort des Juifs et la boucherie qu’est la guerre. En réalité, l’homme se moquait comme d’une guigne des Juifs et des hommes qui mouraient par millions. Après l’invasion de la Pologne, il écrivit à sa femme que les Polonais étaient une « populace de Juifs et de bâtards » destinés à « vivre sous le knout ». Il évoque également le fait que les utiliser comme travailleurs forcés fera des miracles pour l’économie allemande.
Pour un aristocrate de haut rang, le principal reproche fait à Hitler était d’être un petit homme de basse extraction, qui avait fait de la conduite de la guerre un cauchemar pour les militaires professionnels.
Les chiffres épouvantables qui apparaissaient sur les bilans des pertes n’étaient jamais que des abstractions pour les membres de l’Orchestre Noir, dont quelques-uns étaient par ailleurs d’enthousiastes criminels de guerre. Aussi, toute évocation de leur ardeur à vouloir débarrasser le monde du diable en personne doit être abandonnée aux bons soins des scénaristes hollywoodiens.
Si telle avait été leur vraie conviction, n’importe lequel d’entre eux aurait eu plus de cent fois l’occasion de lui loger une balle dans la tête. Mais autant ils souhaitaient voir Hitler mort, autant ils souhaitaient eux-mêmes survivre pour s’emparer du pouvoir.
Dès 1943, l’Orchestre était en contact avec les Américains grâce aux bons offices d’un autre héros méconnu, Hans Bernd Gisevius (1904-1974), seul survivant de la tentative du complot de juillet.
Après la débâcle de Stalingrad, fin 1942, personne dans l’Orchestre Noir ne se faisait plus d’illusions sur la manière dont la guerre allait se terminer. Ils décidèrent de rentrer en contact avec les Alliés, ce qui fut fait par l’intermédiaire du Vatican. Une fois en contact direct, le principal interlocuteur désigné fut le diplomate/officier de renseignements Gisevius. L’Amiral Canaris, chef de l’Abhwer et « premier violon » de l’Orchestre avait réussi à le faire nommer vice-consul à Berne, qui était par un heureux hasard l’endroit où se trouvait Allen Dulles, étoile montante de la jeune OSS, qui allait se transformer en CIA en 1947.
Dulles fut parfaitement clair : personne n’irait jamais s’asseoir à une table de négociations tant qu’Hitler, ou tout autre cinglé de son acabit, serait aux commandes. Sinon, la guerre allait continuer et les bombardements s’intensifier jusqu’à ce que l’Allemagne soit renvoyée à l’âge de la pierre, et forcée de capituler sans condition.
Ce n’est que la ferme déclaration de Dulles sur ce sujet qui conduisit l’Orchestre à planifier l’élimination physique du Fùhrer, de Goering, d’Himmler et de quelques autres.
Si Dulles avait exprimé la volonté américaine de négocier avec Hitler une fin honorable au conflit, l’Orchestre aurait alors dressé autour de l’horrible petit homme un tel rempart d’acier que personne, ayant partagé leurs intentions précédentes, n’aurait eu la moindre chance de toucher un seul de ses cheveux.
Dulles avait peint une cible sur la tête d’Hitler, et accordé les violons de l’Orchestre de telle façon qu’ils n’avaient pas le choix.
Dulles et Gisevius furent suffisamment prudents pour réduire leurs tête-à-tête au strict minimum, Berne grouillant alors d’espions nazis. L’intermédiaire qu’ils choisirent fut la « pétulante », si l’on peut dire, Mary Bancroft (1903-1997), une intellectuelle qui s’ennuyait et qui trouvait dans l’espionnage son lot d’émotions fortes.
Très attachée aux plaisirs du lit, Bancroft était déjà la maîtresse de Dulles quand il l’envoya rencontrer Gisevius en tant qu’agent de liaison, et elle sauta rapidement de lit en lit avec les lettres et les dernières nouvelles d’Allemagne.
Après la guerre, Gisevius fut le témoin vedette du procès de Nuremberg, particulièrement lors de l’audition de Goering, avant de publier « To the bitter end » (1946), traduit en anglais par Bancroft, dans lequel il créa un séisme au pays en traitant les Allemands de menteurs quand ils affirmaient être dans l’ignorance des atrocités commises en leur nom.
Mary continua à séduire des hommes en grand nombre, entre autres Cari Gustav Jung et le réalisateur et acteur Woody Allen, ce qui a certainement provoqué l’une ou l’autre déprimante conversation sur l’oreiller.
Dulles resta à la tête de la CIA jusqu’à ce que John Kennedy soit déçu par la CIA en général, et par Dulles en particulier, après le fiasco de la baie des Cochons en avril 1961. Obligeant Dulles à démissionner en septembre de l’organisation qu’il avait créée, JFK déclara qu’il voulait « briser la CIA en mille morceaux et la jeter en l’air pour qu’elle se disperse aux quatre vents ».
Dulles et Mary étaient tous deux des amis de la riche, et politiquement engagée, famille Payne. Dès la fin des années 20, Mary en particulier était une amie intime de Ruth Forbes Paine-Young dont le fils, Michaël, et sa femme Ruth Hyde Paine furent, en 1963, les bienfaiteurs d’un couple bizarre, Marina et Lee Harvey Oswald, à qui ils offrirent même l’hospitalité. Ce fut Ruth qui, grâce à son carnet d’adresses bien rempli, trouva à Lee Harvey Oswald un boulot bien pépère dans un dépôt de livres à Dallas...
Yakov Yurovsky, l’homme qui massacra les Romanov,
photographié dégustant une tasse de thé.
L'homme qui tua
les Romanov
Le 15 juillet 1891, Yakov Yurovsky, âgé de 13 ans, rejoignit la foule d’habitants de sa ville natale de Tomsk (Sibérie occidentale) partie acclamer le Tsarévitch, le futur Nicolas II, paradant dans les rues à bord d’une troïka multicolore. Yurovsky déclara : « Je me souviens combien l’héritier avait belle allure, avec sa barbe brune bien soignée. Arrivé à ma hauteur, il me regarda et me Jit un signe de tête. »
Vingt-sept ans plus tard, Yurovsky allait diriger le peloton d’exécution qui fusilla le Tsar Nicolas et toute sa famille.
Membre d’une fratrie de dix enfants, Yakov éprouva un profond ressentiment quand son père le retira de l’école et le mit en apprentissage auprès d’un horloger local, pour y apprendre un métier et ramener un peu d’argent à la maison.
Ce ressentiment était encore bien présent en 1897 quand, à l’âge de 19 ans, il mena la première grève ouvrière que Tomsk n’ait jamais connue. Après que la grève eut été brisée, et que la police tsariste eut catalogué Yurovsky comme dangereux agitateur, toutes les portes se fermèrent devant lui à Tomsk, sans aucune chance de pouvoir retrouver son ancien travail. Il décida de quitter la Sibérie, et pour savoir où aller, il fit appel à la bonne vieille méthode consistant à planter une épingle dans une carte après avoir fermé les yeux. Quand il les ouvrit, le sort avait désigné Iekaterinbourg.
Puisque le destin avait décidé ainsi qu’il serait au bon endroit quand les circonstances l’exigeraient, Yurovsky voyagea jusque-là, s’y maria et s’installa dans une existence perturbée d’agitateur bolchevique. Quand la révolution survint, son zèle fut récompensé par une nomination de commissaire politique local. Il était le choix évident pour prendre le contrôle de la « Maison à destination spéciale », comme les communistes l’appelaient, quand les Romanov y furent gardés en captivité. Il venait d’avoir 40 ans et était alors un enragé antitsariste qui avait déjà du sang sur les mains.
Avant que les bolcheviques ne mettent définitivement les mains sur les rênes du pouvoir des Romanov, l’éphémère Gouvernement provisoire d’Alexandre Kerinsky (1881-1970) demanda à la France et à la Grande-Bretagne d’offrir l’asile au Tsar déposé et à sa famille, sentant que le temps approchait où les bolcheviques allaient l’emporter.
La Première Guerre mondiale faisait encore ses ravages, et la Tsarine Alexandra étant connue pour être une sympathisante de l’Allemagne, la France répondit non. L’administration britannique et le Premier ministre David Lloyd George, favorables à cette idée, répondirent par un « oui » provisoire. Après tout, le Tsar était le cousin de Georges V et sa femme une petite-fille de la Reine Victoria. Alors, pourquoi pas ?
Georges V éprouvait d’autres sentiments. Pour des raisons jamais expliquées, il informa Lloyd George que ses parents ne devaient pas être autorisés à entrer dans le pays sous aucun prétexte. Quand les nouvelles de leur triste fin arrivèrent en Angleterre, le roi Georges V n’estima pas que c’était là une raison suffisante pour gâcher sa journée, et l’empêcher d’assister au match de cricket au Lords. Chaque famille a ses problèmes, semble-t-il.
Quand les événements se précipitèrent, Kérensky s’envola pour Paris, abandonnant la Russie et la famille royale à la peu probable miséricorde des bolcheviques. Le 22 avril 1918, les Romanov se retrouvèrent sous la garde d’une brute, membre de la Police secrète, nommé Vassili Yakolev, qui reçut l’ordre d’extraire la famille de son lieu de détention à Tobolsk (capitale historique de la Sibérie) et de les ramener à Moscou. Mais les activités de l’Armée blanche tout au long de la route du convoi obligèrent les responsables à changer d’itinéraire.
Après avoir étudié les plans, Yakolev décida qu’il était préférable de les amener à Iekaterinbourg, à la Maison Ipatiev, placée sous la responsabilité du commissaire Alexander Avadeyev, dont les mœurs auraient fait rougir de honte un néanderthalien.
Yakolev et les Romanov arrivèrent sur place le 30 avril. Il en confia la responsabilité à Avadeyev, qui fit de la vie de ses prisonniers un enfer. Quand il n’était pas occupé à voler leurs biens personnels, il faisait payer aux habitants du cru une entrée pour assister à leurs repas, rajoutant habituellement une couche au spectacle en dansant ivre autour de la table et en volant la nourriture dans leurs assiettes, sous les hurlements de satisfaction des spectateurs.
Il y a quelques raisons pour lesquelles Avadeyev fut remplacé par Yurovsky. Pas seulement parce qu’il était un ivrogne auquel on ne pouvait pas se fier, mais surtout parce que ses hommes étaient tous des Russes, et que Lénine avait des doutes sur leur volonté d’exécuter les ordres quand viendrait « le moment ». Celui-ci devenant imminent, les Russes seraient-ils prêts à franchir le pas ou bien refuseraient-ils ?
Non seulement Yurovsky était un bolchevique pur jus, mais il était de plus à la tête d’un détachement de mercenaires hongrois lesquels, Lénine le croyait, n’éprouveraient aucun état d’âme à exécuter la famille royale. Du côté positif également, on considérait que si les exécutions provoquaient une réaction violente parmi la population, toute cette affaire pouvait être imputée à une bande de voyous étrangers, sur lesquels le Kremlin n’avait aucun contrôle.
En ce qui concerne ce qui se passa cette nuit-là, qui d’autre que le meurtrier est mieux à même de le raconter ?
Ce qui suit est le résumé du rapport que l’on suppose avoir été envoyé par Yurovsky après que tout fut consommé, mais celui-ci contient un surprenant anachronisme, qui indiquerait une contrefaçon, mais qui pourrait également signifier un ajout écrit par certains souhaitant garder les détails clairs.
Dans la première phrase, il fait référence à Sverdlovsk, ceci constituant un changement d’identité imposée à Iekaterinbourg en 1924 afin d’honorer le chef bolchevique Yakov Sverdlovsk (1888-1919), qui transmit à Yurovsky les instructions de Lénine de massacrer les prisonniers. Cependant, comme indiqué, il pourrait s’agir d’une simple mise à jour du texte destinée à éviter toute confusion aux futurs lecteurs.
« Le matin du 16, je renvoyai Sednev, le garçon de cuisine sous le prétexte qu’il devait rencontrer son oncle à Sverdlovsk. (Cet oncle était en fait déjà mort, mais Yurovsky l’ignorait à ce moment.)
Ensuite, je préparai douze revolvers et dressai une liste de ceux qui devraient tirer, en précisant sur qui. Je m’assurai ensuite que le camarade Filipp Goloschyokin avait pris toutes ses dispositions pour qu’un camion arrive à minuit et embarque les corps pour les enterrer. À 23 h, dans la nuit du 16, je rassemblai le peloton d’exécution sélectionné et leur déclarai que nous avions reçu l’ordre d’exécuter les prisonniers. J’envoyai ensuite des instructions aux gardes à l’extérieur et à l’intérieur du bâtiment, les prévenant de ne pas s’en faire s’ils entendaient des coups de feu et leur donnant l’ordre de ne quitter leurs postes sous aucun prétexte.
Le camion arriva avec du retard, aux environs de 1 h 30, après quoi je donnai l’ordre de réveiller les prisonniers et de les emmener dans la pièce préparée dans la cave, en leur indiquant que des troubles proches pouvaient compromettre leur sécurité s’ils restaient dans les étages. Il fallut près de quarante minutes pour que tout le monde soit habillé et regroupé.
Chaque homme du peloton avait sa cible désignée, et l’affaire aurait dû se passer rapidement, mais tout tourna mal.
Alexandra se plaignit qu’il n’y avait pas de chaises, et l’on en amena quelques-unes pendant que les dernières dispositions étaient prises. À ce moment, ils ne montraient aucun signe d’appréhension.
Quand je revins dans la pièce, Alexandra était assise, et Anna Demidova (sa dame d’honneur) également ; les filles étaient debout sur leur gauche. Alexis était assis sur une autre chaise, avec son père et le docteur Botkin devant lui, le cuisinier et les autres derrière.
Je déclarai rapidement à Nicolas que les représentants du Soviet des Travailleurs avaient demandé leur exécution, et je tirai sur lui, après quoi une fusillade désorganisée éclata. La pièce était plus petite que prévu. Certains membres du peloton, qui n’avaient pas pris leurs positions désignées, en face de leurs victimes, tiraient n’importe comment depuis la porte du corridor. L’un d’eux tira dans ma main et je ne réussis qu’à grand-peine à faire arrêter le tir. Alexandra et Demidova étaient encore en vie, mais gisaient sur le sol. Aussi furent-elles achevées d’une balle dans le cœur afin de réduire les épanchements de sang dans la cave. Alexis était assis indemne et terrifié sur sa chaise. Je tirai sur lui. Les filles avaient été touchées, mais étaient encore vivantes, et les baïonnettes échouèrent à leur tour. Finalement, nous dûmes leur tirer à toutes une balle dans la tête. Ce ne fut que dans la forêt que je réalisai la raison pour laquelle il avait été si difficile de les tuer. »
En vérité, le peloton d’exécution avait bu pendant des heures avant de descendre à la cave, et Yurovsky n’avait pas tenu compte du fait que les parois étaient en brique. Les balles tirées par des soldats ivres ricochaient dans toute la pièce. C’était une scène de chaos intégral, certains pleuraient, d’autres éclataient d’un rire hystérique, tirant et donnant de grands coups de baïonnettes et de poignards, avant de dépouiller les corps qui gisaient sur le sol.
Après que les morts eussent été confirmées et les objets volés récupérés, tous les corps furent chargés dans le camion du camarade Filipp et j’ordonnai le nettoyage de la pièce. Il était trois heures le matin du 17 quand nous prîmes le départ en compagnie du camarade Pyotr Ermakov, le seul à connaître l’endroit où se débarrasser des corps.
Ermakov (1884-1952), lui aussi ivre mort cette nuit-là, fut celui qui, après avoir massacré un couple de Grandes Duchesses, avait planté sa baïonnette par deux fois dans le visage d’Anastasia avant de la frapper violemment à la tête à de nombreuses reprises. Ce qui rend lamentables les tentatives de fraude d’escrocs qui essayèrent se faire passer pour Anastasia, miraculeusement vivante, auprès de la communauté des Russes en exil.
... La journée déjà bien avancée et, assez fatigué, je demandai au camarade Ermakov si nous devions encore aller loin. Il me répondit que l’endroit se trouvait derrière la voie de chemin de fer, après le village de Koptyaki. Quand nous arrivâmes sur le lieu de l’élimination, les corps furent dénudés afin de les brûler. Comme je l’ai déjà dit, je réalisai alors pourquoi il avait été si difficile de tuer Alexandra et ses filles. Sous ses vêtements, Alexandra était complètement caparaçonnée de chaînes d’or, et les filles étaient tellement recouvertes de précieux bijoux qu’ils avaient littéralement fiait office d’armures. Les joyaux furent rassemblés, les vêtements brûlés, et les corps furent jetés dans un puits de mine.
À partir de là, le rapport mentionne les problèmes de l’élimination des corps, révélant que l’eau du puits les recouvrait à peine. Il fallut les récupérer pour les faire disparaître ailleurs. Certains furent brûlés sur des bûchers avant d’être jetés dans des tombes de fortune ou des mines abandonnées. D’autres furent enterrés dans des trous remplis d’acide sulfurique. C’est un récit sinistre, mais ceux qui souhaitent obtenir plus de détails pourront trouver la version intégrale du rapport de Yurovsky en consultant sur le net le site Vvrww.alexanderpalace.org/palace/yurovmurder.html.
Il s’agit d’un rapport de 3 000 mots qu’il remit en mains propres à ceux qui avaient donné les ordres d’exécution, sur intervention personnelle de Lénine.
Comme c’est souvent le cas quand il s’agit d’un fait aussi honteux, Yurovsky, une fois revenu à Moscou, ne trouva plus personne qui admettait le connaître. Chacun voulait que le travail soit fait, mais personne ne voulait toucher la main du bourreau.
Après quelques années d’isolement, il fut à nouveau accepté, et on lui donna un poste au Ministère des Finances où il gagna rapidement une réputation de traqueur de vols et de corruption jusqu’à sa mort, en 1938.
Le chef d'orchestre mondialement connu, Glen Miller,
avant qu'il l'entre dans la légende.