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ISBN : 978-2-39009-111-0 – EAN : 9782390091110
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Christian Vignol
les + folles histoires Des idoles du rock et de la pop
Jusqu’au début des années 50, nos parents et grands-parents se rinçaient encore les oreilles avec les roucoulades langoureuses de Tino Rossi ou de Luis Mariano, les romances sentimentales d’André Clavaux ou de Jacqueline François.
Les postes de TSF (qui n’avaient pas encore de transistors) débitaient à longueur de journée les rengaines sirupeuses de Line Renaud : Étoile des neiges et Ma cabane au Canada.
Mais le règne de la chansonnette guimauve touchait à sa fin. Les glorieuses sixties se profilaient à l’horizon, qui allaient révolutionner à la fois notre façon de vivre et tout notre univers musical. Les chemises commençaient à fleurir, les cheveux à devenir longs, quitte aux idées à devenir plus courtes.
Rien désormais ne serait comme avant.
En moins d’une décennie, la musique allait perdre sa plus notoire particularité : celle d’adoucir les mœurs. Désormais, elle contribuerait à les bousculer, à lancer des modes nouvelles, à creuser davantage les écarts entre les générations.
Aujourd’hui, la musique ne se contente plus d’accompagner l’évolution de la société, elle veut la précéder.
1953 marque, en France, l’avènement d’une nouvelle race de chanteurs-compositeurs qui vont renvoyer à une retraite anticipée tous leurs prédécesseurs, à l’exception peut-être d’un certain Charles Trenet, poète troubadour intemporel.
C’est l’année où sortent de l’œuf, coup sur coup, des personnalités aussi inédites que celles de Gilbert Bécaud, Georges Brassens et Jacques Brel.
Chefs de file de la nouvelle chanson française, ces trois « B » deviennent d’emblée la coqueluche d’une jeunesse impatiente d’extérioriser sa « fureur de vivre » et d’exprimer la fin d’une longue soumission.
L’heure de la vraie libération des mœurs n’a pas encore sonné mais déjà les chansons des « 3 B » se mettent à souffler un air plus frais, à parler autrement d’amour et de liberté, en ne se privant pas d’égratigner au passage bon nombre de tabous et d’hypocrisies qui tenaient lieu de morale jusque-là. Leur insolence en choquera plus d’un. Mais il n’est bientôt plus possible d’ignorer que le ton a changé. Les chansons ne sont plus innocentes et même ceux qui refusent d’écouter les paroles ne peuvent s’empêcher de les entendre, car elles sont portées désormais par des rythmes bien plus toniques que par le passé, capables de réveiller les plus distraits ou les plus endormis.
À côté d’un incontestable renouveau poétique (les poètes d’aujourd’hui n’ont-ils pas trouvé refuge dans la chanson ?), les textes d’une nouvelle vague de paroliers (comme Louis Amade, Jean-Loup Dabadie ou Pierre Delanoë) annoncent déjà, par de timides audaces verbales, la toute proche révolution sexuelle. Je veux te dire adieu, de Bécaud, et Le gorille, de Brassens, seront pendant quelque temps interdits d’antenne.
Mais c’est incontestablement l’année 1955 qui met le feu aux poudres. Cette année-là va connaître, en effet, une explosion musicale sans précédent.
Tout a commencé avec la sortie du film Blackboard Jungle (titre français : Graine de violence, réalisé par Richard Brooks) qui provoque les premières émeutes de jeunes un peu partout où il est programmé. De ce film sans grande prétention, qui traitait d’un sujet déjà à la mode (la délinquance juvénile, à une époque où les blousons noirs vivaient leur âge d’or), on ne devait retenir que les 180 secondes du générique musical, 180 secondes qui vont secouer les oreilles, faire bouger les pieds et les hanches et mettre la planète en ébullition.
Car il s’agissait ni plus ni moins du célèbre Rock around the clock, qui célébrait la naissance du rock’n’roll . Ce bref orage musical devenait le tempo fétiche de la nouvelle génération, le cri de guerre d’une jeunesse impatiente de se faire entendre.
Crevant tous les plafonds de l’industrie du show-business, Rock around the clock, avec ses 20 millions d’exemplaires vendus, se hissait d’emblée au sommet de toute l’histoire du microsillon, exception faite du record absolu détenu à l’époque par le vétéran Bing Crosby, avec son sempiternel White Christmas (25 millions d’exemplaires vendus). Des chiffres qui seront bien sûr pulvérisés quelques années plus tard par les nouvelles idoles de la chanson.
Sur le moment, le premier surpris d’un tel succès fut l’auteur lui-même, le musicien américain Bill Haley (27 ans) qui dirigeait une petite formation : « The Comets ».
Cet enfant de la balle, au visage poupin et à la mèche en accroche-cœur, avait suivi dès l’âge de 10 ans ses parents musiciens dans tous leurs déplacements. À force de parcourir les États-Unis d’est en ouest et du nord au sud, ses oreilles s’étaient remplies de toutes les sonorités musicales des différentes régions d’Amérique. Il avait été particulièrement influencé par les deux genres dominants : le « rhythm ‘n’ blues », musique traditionnelle des Noirs, et le « country and western », musique folklorique blanche, héritée partiellement du répertoire cow-boy et autres pionniers de la conquête de l’Ouest.
Sous les doigts nerveux de Bill Haley, ces deux musiques, jusque-là diamétralement étrangères, vont se marier – presque par hasard – pour former un cocktail explosif, un rythme entièrement nouveau, qui sera bientôt baptisé « rock’n’roll » (ça roule et ça balance !).
C’est à la fois le début d’un phénomène social sans précédent et le point de départ d’une gigantesque entreprise commerciale, dont le « hit-parade » deviendra désormais le baromètre fiévreux.
Bill Haley ne sera l’homme que d’un seul « tube ». Mais, dans les anthologies, son nom restera associé à celui de « l’homme par qui tout est arrivé ».
Car, en 180 secondes, Bill Haley et ses « Comets » annonçaient déjà tous les musiciens qui allaient suivre et tous ceux qui s’apprêtaient à les imiter. Ils venaient de lancer un style : interprétation fougueuse, notes brèves et répétées jusqu’à créer un climat de tension exacerbée, rafales de guitare dont on joue comme d’une mitraillette, batterie à fond de puissance et surtout la mise en valeur de tout un jeu de scène.
Pour la première fois, en effet, les musiciens ne se contentent plus de jouer de leur instrument, ils en font le partenaire de leurs contorsions, ils le torturent, dansent ou s’accouplent avec lui, allant jusqu’à se rouler par terre pendant leur interprétation. La connotation sexuelle en deviendra de plus en plus évidente.
Bref, la chanson se transformait en un spectacle total, la musique prenait une dimension athlétique, acrobatique, échevelée. Et ce n’était que le début d’une impressionnante surenchère de fantaisie et d’extravagance, dont on ne savait pas exactement où elle s’arrêterait.
Né en 1927, à Highland Park (Michigan), de parents qui le poussèrent à apprendre la guitare pour jouer dans leur église, le jeune Bill avait commencé sa carrière de musicien dès l’âge de 15 ans, dans une petite formation appelée « The Saddlemen ». C’est en 1952 que ce même groupe prit le nom de « Comets » et que son répertoire commença à mélanger la « country music » traditionnelle et le « rhythm’n’ blues ».
En 1954, le groupe est engagé par la firme Decca. Coup sur coup, leurs premiers enregistrements plafonnent dans les hit-parades. Outre l’unique et légendaire Rock around the clock, quelques autres de leurs créations monopolisent les ondes, comme Crazy man, crazy, Rock the joint et Shake rattle and rock.
L’origine de l’expression « rock ‘n’ roll » reste controversée. Selon les uns, elle aurait été lancée par un présentateur de radio – un disc-jockey de Cleveland – qui l’avait reprise d’une chanson peu connue de Bill Haley datant de 1951 : « Rock, rock, rock everybody, roll, roll, roll everybody ».
Pour les autres, et c’est plus probable, la première trace du terme « rock ‘n’ roll » se trouve dans une chanson interprétée, en 1934, par les Boswell Sisters dans le film Transatlantic Merry-Go-Round. L’expression fut reprise en 1951 par le journaliste américain Alan Freed dans son émission radio Moondog’s Rock’n Roll Party.
Bill Haley possédait un son tout particulier. Il employait souvent plusieurs instruments pour retrouver quelques-unes des sonorités des big bands des années 1940.
Au cours de la décennie 60, Bill Haley s’exile en Europe. Il sera rappelé aux States en 1969 pour un concert exceptionnel. À ce moment, le renouveau du rock « pur » l’amène à faire encore quelques tournées aux États-Unis au début des années 70, mais il ne retrouvera jamais le succès passé. Il donne son dernier concert, en 1980, en Afrique du Sud.
Depuis 1975, il vivait retiré dans la vallée du Rio Grande, au sud du Texas. Il refusait de recevoir les journalistes et faisait invariablement répondre qu’« il n’habitait plus à cette adresse ».
La police raconte qu’elle avait retrouvé à plusieurs reprises le musicien errant sur des chemins de campagne, apparemment perdu.
Son décès, en 1980, fut attribué à une cause naturelle. Bill Haley est mort tristement dans son lit, à l’âge de 53 ans, presque oublié, dans la petite ville d’Harlington, au Texas.
De la gloire à l’oubli
Bill Haley avait donc ouvert la porte à toute une génération de jeunes musiciens, tous pressés de s’engouffrer dans son sillage et de s’exprimer à leur tour par le bruit et la fureur.
L’un des aspects les plus frappants de l’avènement de la musique « rock », c’est la soudaine floraison de jeunes talents qui se bousculent pour occuper les premières places. Les préséances seront d’ailleurs difficiles à établir.
De cette révolution galopante, il faut se contenter de rappeler les principales étapes et ne citer que les plus grands noms qui l’ont jalonnée, car beaucoup de ces pionniers de l’âge d’or du rock « primitif » (comme disent aujourd’hui les nostalgiques) ont déjà été engloutis par l’oubli.
Si d’emblée, le rock avait fasciné la jeune et remuante génération américaine à l’aube des années 60, il manquait encore à cette nouvelle musique un porte-drapeau en qui elle puisse se reconnaître à l’unanimité. Il lui manquait ce sex-symbol auquel on peut s’identifier et sans lequel rien ne se vend bien, aux États-Unis comme ailleurs.
C’est ce qui fera bientôt la fortune d’un petit gars du Tennessee, un certain Elvis Presley qui, à défaut d’être
« le premier » (comme certains l’ont prétendu) sera sans doute « le plus grand » de sa génération, le champion toutes catégories qui détient encore aujourd’hui – aux côtés du « roi de la pop music » Michael Jackson – le plus grand nombre de disques vendus : plus d’un milliard dans le monde entier. Mais avant lui, il y eut indéniablement quelques précurseurs de génie…
Flashback
Un petit flashback s’impose.
À la fin du 19e siècle, le panorama de la musique populaire aux États-Unis se présentait sous la forme d’un curieux patchwork. On y rencontrait toutes les sensibilités musicales résultant du brassage continu des différentes influences culturelles et folkloriques, au gré du flot ininterrompu des émigrants.
Les airs de blues du Sud profond (population noire) se mêlaient aux refrains de la « country » des zones rurales blanches et des « hillbillies », des chansons de cow-boys (émigrants de vieille souche, principalement irlandais). Mais on y décelait aussi des rythmes mexicains, des airs de polka et de valse, du boogie et du swing, le tout progressivement marqué par les apports de la musique « western » amenée par les nouveaux émigrants européens.
Cette rencontre de la country et de la musique western allait donner naissance à un genre à part entière, baptisé « country & western », qui a donné à la musique folklorique US ses lettres de noblesse avant de se présenter comme l’ancêtre du rock‘n’ roll.
« Sans le King, aucun de nous n’existerait ». Ce sont en tout cas les paroles textuelles de Buddy Holly, l’un des premiers géants du rock et l’un des talents les plus précoces.
Buddy appartient à cette lignée de musiciens martyrs que leur succès trop foudroyant fera périr prématurément et dans des circonstances dramatiques.
Il a 17 ans à peine quand toute l’Amérique se trémousse sur les rythmes de son Peggy Sue. Mais trois ans plus tard, c’est l’échéance brutale. L’avion qu’il utilise pour se rendre à l’un de ses rendez-vous quotidiens avec ses fans s’écrase dans la montagne.
Eddie Cochran connaîtra la même ascension fulgurante (C’mon Everybody est d’emblée un succès universel) et la même sentence de mort anticipée. Il a 21 ans quand le taxi qui le conduit vers un music-hall londonien s’écrase contre un pylône. Le lendemain de sa mort, son dernier 45 tours prenait la tête du hit-parade avec un titre prédestiné : Trois pas vers le paradis.
Gene Vincent, autre génie maudit de la nouvelle musique et ami du précédent, n’aura pas, lui non plus, le temps de vieillir. De caractère ombrageux et de santé déficiente, il poussera dans ses chansons les cris les plus déchirants du rock naissant. Tournant sa colère contre la terre entière, il apprendra à la jeunesse américaine à rugir son impatience.
« Be-bop-a-lula », son disque fétiche, sera vendu à 4 millions et demi d’exemplaires. Mais, à 36 ans, miné par des souffrances physiques intolérables, il cherchera dans l’alcool un soulagement. Il ne trouvera qu’une rapide déchéance et une mort par délabrement complet.
Son nom reste pourtant associé aux heures pures du rock le plus authentique. Il fut notamment l’un des premiers à doter son spectacle de moyens techniques de grande envergure et à donner à sa musique une dimension orchestrale : vingt guitares électriques et trois batteries. C’était le début de la prodigieuse escalade des décibels.
Le rock les a tous tués
La liste des stars du rock décédées de façon brutale et troublante au faîte de leur carrière est déjà longue. La plupart ont été victimes de leur mal de vivre, de l’alcool ou de la drogue, mais certaines disparitions restent entourées de circonstances suspectes, comme celle de John Bonham, le batteur du groupe britannique « Led Zeppelin », survenue le 25 septembre 1980. La veille de son décès, il avait participé à une soirée très arrosée. Le musicien barbu et moustachu fut retrouvé mort dans un lit, au domicile d’un autre guitariste. Il avait 31 ans.
Bonham était renommé pour ses frasques : il fut le premier à parcourir à moto les couloirs d’un grand hôtel de Los Angeles. Il était aussi le recordman de durée du solo de batterie en concert : 37 minutes. Ses performances lui avaient valu plusieurs surnoms : le « titan fracasseur de batteries », le « Thor du hard rock » ou le « marteleur sourd »… Il est vrai qu’à l’âge de 5 ans, il tapait déjà sur tout ce qui pouvait se transformer en instruments de percussion : casseroles, poubelles, boîtes de conserve…
Le chanteur Malcom Owen, 24 ans, du groupe punk rock « The Ruts », succomba à une overdose d’héroïne, le 14 juillet 1980.
Auparavant, le 3 juillet 1969, le guitariste des Rolling Stones, Brian Jones, mourait à 26 ans dans sa baignoire d’une trop forte absorption de drogues et d’alcool.
Victime également de cette hécatombe : la grande chanteuse américaine Janis Joplin succombait à 27 ans, le 4 octobre 1970. Elle disait : « Je préfère vivre intensément pendant 10 ans que de me retrouver à 70 ans assise sur une vieille chaise devant ma télé ». L’un de ses bras était constellé de piqûres. Dans ses veines coulait plus d’héroïne que de sang.
Autre disparu prématurément : le chanteur des « Doors », Jim Morrison, qui déclarait : « Nous voulons le monde et nous le voulons tout de suite ». Mais c’est dans « l’autre monde » qu’il fit le grand saut, le 3 juillet 1971.
L’ancien bassiste des « Shadows », John Rostill, se suicida en s’électrocutant avec sa guitare, le 26 novembre 1973.
Sans oublier Marc Bolan, la superstar du groupe « Tyrannosaurus-Rex », victime d’un accident de voiture à l’aube du 16 septembre 1977 (sa petite amie Gloria était au volant). Ses amis écriront sur sa tombe en guise d’épitaphe : « Trop beau pour vivre, trop jeune pour mourir, il était le plus grand petit géant du monde ».
La drogue, cette antichambre de la mort, fauchera encore bien des artistes qui flirtaient avec elle : les disparitions de Keith Moon, le batteur des « Who » et Sid Vicious, le bassiste des « Sex Pistols », seront parmi les plus médiatiques.
Le chanteur américain GG.Allin (alias Jésus-Christ Allin), qui n'avait rien d'un saint et dont les performances scéniques ne reculaient devant aucune provocation pornographique ni même scatologique, mourait à 37 ans, rendu fou après avoir sniffé une ultime surdose de cocaïne.
Le sida enlèvera à son tour quelques jeunes talents, dont l’irremplaçable Freddie Mercury, le chanteur vedette de « Queen ».
Jerry Lee Lewis connaîtra une carrière de « rocker » beaucoup plus longue, parsemée d’éclipses et de résurrections.
À l’âge de neuf ans, il peut déjà jouer n’importe quoi, de mémoire, sans l’aide d’une partition. En 1956, un an et demi après ses débuts professionnels, il a déjà vendu plus de 25 millions de disques. Et bien qu’il soit le champion des rythmes fous et des cadences échevelées, son succès ne l’a jamais vraiment essoufflé. L’âge parvient à peine à assagir cet incroyable énergumène.
Lewis atteint le sommet de sa gloire dès l’été 1957 avec un morceau de bravoure au tempo démentiel : Whole Lot of Shakin’ Going on, devenu un classique du répertoire rock.
Pourtant, à première vue, ce J.L.L. ne donne guère l’impression d’être cet homme capable de « faire battre la mesure à une statue de bronze ». Avec son complet veston et sa cravate, ses cheveux blonds frisés, qu’il ne cesse de peigner avec un énorme peigne en vermeil, son accent traînant de sudiste, son physique évoque davantage un petit employé de province qu’une idole internationale.
Mais à peine a-t-il frappé ses premiers accords sur un piano que 15 000 spectateurs se lèvent d’un bon en poussant un « WAAAAAAAH ! » à faire trembler les murs de Jéricho. Commence alors un véritable travail de sape de la part du musicien qui met à rude épreuve non seulement la solidité de son piano, mais surtout la résistance nerveuse de l’assistance. Par un crescendo inlassable, il pousse son public au bord de l’hystérie.
Son surnom de « killer » lui va comme un gant. On ne compte plus les pianos qui ont rendu l’âme sous ses doigts de feu, ses poings ou même ses talons. Le clavier est pour lui le terrain où il peut donner libre cours aux plus extravagantes acrobaties.
Cette frénésie qu’il ne manque jamais de déclencher est d’autant plus frappante que lui-même ne se départit jamais, même au plus brûlant de l’action, d’un flegme et d’une décontraction qui frisent l’insolence.
Tandis que le service d’ordre en vient aux mains avec les hordes de fans déchaînés qui tentent de prendre le podium d’assaut, lui, imperturbablement, continue d’aligner ses notes incendiaires comme s’il se trouvait à cent lieues de tout ce tumulte ou comme un fonctionnaire consciencieux s’acquittant scrupuleusement de son travail de forçat.
Ses cantiques étaient trop « rock ‘n’ roll »
La première vocation de Jerry Lee avait été religieuse. Il voulait devenir pasteur. Mais les cantiques qu’il jouait au piano dans la chapelle de l’Institut biblique de Waxahatchie, où il suivait les cours, ressemblaient tellement à du rock’n’roll qu’on finit par le renvoyer de l’établissement.
Jerry Lee Lewis allait ainsi devenir cet incroyable « puncher » du rock même si, chemin faisant, il se permettra de temps à autre de flirter, au gré des modes et des impératifs commerciaux, avec des ballades plus romantiques du « country western ».
En dépit de sa mise plutôt soignée et de son visage d’éternel adolescent à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession, Jerry a souvent défrayé la rubrique des scandales par les écarts qu’il se permettait dans sa vie privée. Et sa popularité en subit à plusieurs reprises le contrecoup.
Son mariage, en décembre 1957, déclencha une tempête d’indignation dans une Amérique où le puritanisme garde encore des racines profondes. Tout le monde s’interrogeait sur l’identité de cette fillette qui l’accompagnait dans tous ses déplacements. Cette gamine de 13 ans n’était autre que sa femme, et cousine germaine de surcroît.
Devant le tollé général soulevé par cette révélation, Jerry Lee se défendit le plus naturellement du monde : « Nous sommes tous les deux originaires du Tennessee, expliqua-t-il. Et dans le Tennessee, on peut se marier dès l’âge de 10 ans ».
Un jour pourtant, alors que sa notoriété était au plus bas, il loua toute une page d’un journal pour y faire amende honorable : « Je confesse, y avouait-il en guise de préambule, que ma vie est une véritable tornade… »
À maintes occasions, J.L.L. eut maille à partir avec la police. Comme ce jour où les gardes du corps d’Elvis Presley firent appel aux forces de l’ordre pour déloger un Jerry furieux – et peut-être jaloux ? – qui s’accrochait aux grilles de la résidence du « king », à Memphis, en proférant des injures et en brandissant de façon menaçante un calibre 38.
Quand les policiers arrivèrent sur place, le rocker les attendait dans sa voiture, le pistolet sur ses genoux.
C’était la deuxième fois en 24 heures que Jerry avait affaire aux autorités. La veille, il avait été interpellé pour conduite en état d’ivresse. Quelques mois plus tôt, il avait déjà eu de sérieux ennuis après avoir blessé accidentellement un de ses musiciens avec un revolver. « Nous jouions, expliqua-t-il, et je ne savais pas que l’arme était chargée ».
En 1958, alors qu’il se produisait en concert aux côtés de Chuck Berry, une dispute éclata sur scène entre les deux musiciens pour savoir lequel des deux clôturerait le spectacle. L’organisateur ayant tranché en faveur de Berry, Jerry Lee, sans hésitation, mit le feu à son piano !
Mais, chaque fois que sa réputation paraissait compromise à la suite de nouvelles frasques, Jerry Lee parviendra toujours à redresser la situation en sa faveur en offrant à son public un nouveau « tube », comme ce « High School Confidential », qui reste son plus grand succès.
« The Killer », qui a allègrement franchi le cap de ses 80 ans (il est né le 29 septembre 1935), ne désarme pas. Il est toujours ce musicien survolté, fidèle à son image de bad boy, qui fait jaillir des étincelles de son piano et qui ne triomphe de son public que par KO. Bruce Sprinsteen a dit de lui : « Cet homme ne joue pas du rock‘n’ roll. Il est le rock‘n’ roll ».
Avant de signer un nouveau contrat, J.L.L. ne manque jamais de rassurer les organisateurs de la tournée. Sa phrase favorite : « Montrez-moi seulement où est le piano, refilez-moi mon fric et dans moins de 15 minutes, tous ces gens seront en train de hurler, de trembler et de se secouer comme des malades…
Et jusqu’ici, il ne s’est jamais trompé.