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Et voilà, mes parents ont encore déménagé ! Il va falloir tout recommencer. Nous emménageons dans un village plus important que celui d’où l’on vient. J’espère au moins que la bibliothèque aura un choix plus large.
Pour l’école, ce sera la même galère. À force de changer de ville, j’ai remarqué que les enfants sont pareils partout. Chaque classe a ses pestes. Côté filles, celles qui passent leur récréation à inventer des histoires et des embrouilles, celles qui créent des clans et des frontières entre ces clans. Côté garçons, il y a toujours un ou deux bagarreurs, à croire qu’ils ont du poison qui alimente leur cœur à la place du sang. Ils ne viennent pas à l’école pour apprendre, mais pour jouer des poings. Ils sont généralement suivis par un groupe sans opinion qui se met avec le plus fort sans réfléchir. Ceux-ci, individuellement, ils peuvent être sympas, mais dès qu’ils rejoignent la bande, ils deviennent horribles. Parfois, il y a un ou deux élèves différents. Des enfants qui utilisent leurs neurones et leur cœur avant de juger. Le problème, c’est qu’ils sont longs à repérer. Ils passent inaperçus et sont peu influents dans la classe.
Même si je me fais le plus discret possible, débarquer avec l’étiquette « Nouveau », c’est se faire remarquer. Je vais devoir subir tous les tests habituels, supporter les moqueries, les méchancetés, me faire tabasser au moins une fois. Maman va encore s’inquiéter. Pour rien, car elle ne peut pas m’aider, plus m’aider. Elle est dépassée par la situation.
Depuis longtemps, je réclame de suivre l’école à la maison par correspondance. Je promets d’être sérieux et studieux.
— Non, il n’en est pas question ! Et puis… et puis, tu dois te frotter à la vraie vie ! Vivre hyper protégé ne te rendrait pas service, affirme mon père.
J’aimerais le voir dans la cour de récréation subir la bêtise de mes chers camarades !
En plus, je suis plutôt bon élève et ce n’est pas pour arranger mon cas en classe. C’est ma force, j’aime apprendre. Pendant que les autres s’amusent à tuer des monstres sur une console ou sur l’ordinateur, moi, je lis ou je réfléchis. Quand ils sont fiers de leurs baskets à la mode, moi, je choisis les moins chères et demande un livre en échange.
— Tu ne fais pas d’efforts pour t’intégrer ! C’est peut-être bien, les jeux vidéo ? suggère ma mère.
— Moi, ça ne me plaît pas !
Espérons que dans cette école, je rencontrerai une fille ou un garçon – je préférerais que ce soit une fille – moins borné que les autres. Un enfant qui regarde au-delà de mon visage.
Et il y a la maîtresse. Sera-t-elle sensible à mon cas ou au contraire s’arrangera-t-elle pour m’oublier, éviter de me voir ?
— J’ai eu un rendez-vous avec la directrice. Je lui ai expliqué de quoi tu souffres. Elle a l’air bien, cette femme, m’informe ma mère.
Mais je ne souffre de rien ! Enfin si, de la méchanceté et de la bêtise des autres. De leur peur aussi. C’est leur regard qui est douloureux, pas cette anomalie.
La maîtresse va-t-elle décider de faire un discours à toute la classe ? Discours ou pas, cela ne fera pas de différence. Il en restera toujours au moins un qui se moque totalement des explications données, celui dont le jeu préféré est de chercher querelle aux plus faibles et aux plus timides.
Bien sûr, je n’ai pas de copain. Il faudrait que j’aille dans une classe d’aveugles. Là, ils me ficheraient la paix. Les quelques fois où j’ai cru que quelqu’un m’appréciait un peu plus que d’habitude, j’ai vite compris que cela lui valait des remarques ou des menaces de la part des autres.
— C’est simple : c’est lui ou c’est nous.
Je n’ai jamais été choisi.
Demain, c’est la rentrée. Je sais que je vais passer une mauvaise nuit à faire des cauchemars. Maman me dira :
— Tout va bien se passer, mon chéri.
Tu parles !
Dans la cour, les autres me dévisagent et chuchotent entre eux. Je me place dans le rang, en dernier.
Dans la classe, je repère deux places au fond. Alors que je me dirige vers la première, le garçon assis à côté pose son cartable sur la chaise en me jetant un regard agressif. Des cheveux clairs assez longs, une frange qui cache presque ses yeux si sombres. Derrière, ça ricane. J’ai compris. Je m’éloigne. Je m’apprête à m’asseoir sur l’autre chaise libre, mais la fille me fait « Non » de la tête.
— La place est réservée, m’annonce-t-elle.
Tout est normal, je suis habitué. Il ne reste qu’un seul siège libre, juste au premier rang.
— Viens près de moi, me demande la maîtresse.
Elle va leur parler. Comme j’aimerais disparaître ou devenir invisible, m’éclipser par une fente du plancher… Elle me fait monter sur l’estrade à ses côtés et pose une main sur mon épaule.
— Je vous présente Vivien.
Je maudis mes parents de m’avoir donné un tel prénom. Je me demande ce qu’il leur est passé par la tête ce jour-là !
— Je veux vous parler de sa particularité afin que tout soit clair, que ce ne soit pas un sujet de moquerie pendant l’année.
Elle rêve !
Tous les élèves me fixent comme si j’étais un animal de foire ou un extraterrestre. Je ne sais pas si je dois afficher un sourire poli ou au contraire rester impassible.
— La tache qui commence sur la nuque, remonte vers l’oreille et déborde sur la joue, de couleur rouge violacée, est ce qu’on appelle un angiome. On dit souvent « tache de vin ».
Silence lourd comme une pierre.
— C’est une maladie. Ce n’est pas contagieux.
Le « Ce n’est pas contagieux », c’est pour les parents, pour qu’ils n’interdisent pas à leurs enfants de jouer avec moi.
— Avez-vous des questions ?
Non. Aucun doigt ne se lève. Pourtant, je suis sûr que certains voudraient m’interroger. Peut-être le feront-ils plus tard ?
Maintenant, ils savent.
Jusqu’à la récréation, je garde le nez sur mon cahier. Je sens des regards peser sur mon dos.
Au premier rang comme moi, une fille m’adresse un sourire timide. C’est Lola. Elle semble sympa. En tout cas, elle est jolie. J’adore sa chevelure noire, sa frange nette. Ses yeux d’un vert transparent sont lumineux.
Ce matin, nous avons sport. Aïe, aïe, aïe ! Ce n’est pas ma matière préférée. Je n’aime pas courir, je déteste les jeux de ballons et en plus, je suis maigre. Gringalet, comme dit mon grand-père. Les caïds de la classe vont tout de suite comprendre qu’ils n’ont rien à craindre de moi.
Le soir, Maman ne peut s’empêcher :
— Alors, cette première journée ?
Sans attendre ma réponse, elle enchaîne :
— La maîtresse leur a expliqué ?
— Oui, oui.
— C’est une bonne chose, non ?
— On verra.
Je n’ose pas lui dire que je suis sûr d’avoir quand même des ennuis. Je ne veux pas lui faire de peine. Elle se sent déjà tellement responsable.