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Paris
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ISBN : 978-2-39009-131-8 – EAN : 9782390091318
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À ma chienne Douchka,
l’irremplaçable…
Chiens, chats, singes, panthères, lions, dauphins, perroquets, canards, souris et quelques autres ne succomberaient-ils pas volontiers, eux aussi, au culte de l’image, à des rêves de gloire et à l’irrésistible attrait de la célébrité ?
Ils sont nombreux au sein du monde animal à avoir fait la démonstration éblouissante de talents artistiques dont on ne les aurait jamais crus capables.
Dans les foires comme au cirque, au cinéma comme à la télévision ou dans la publicité, ils ont révélé d’authentiques dons de comédien, souvent au point de voler la vedette à leurs partenaires humains, soudain réduits à un rôle de faire-valoir.
Rintintin, Cheetah, Lassie, Flipper et compagnie ont amplement confirmé qu’ils étaient des acteurs à part entière et qu’ils avaient leur place parmi les plus grandes stars de l’écran, rivalisant avec elles dans le coeur d’un très large public.
Depuis toujours, les animaux nous fascinent
Sans remonter au temps des grottes de Lascaux, bandes dessinées, graffitis et, plus tard, dessins animés se sont depuis longtemps inspirés de l’univers animalier pour alimenter cet élan spontané de sympathie qu’éveillent en nous les comportements drôles ou insolites de ceux que l’on appelait autrefois nos "frères inférieurs" (une dénomination qu’on hésite à utiliser aujourd’hui).
De Mickey Mouse à Eliott le Dragon, de Donald Duck à Félix le Chat, de Milou de Tintin au Chat de Geluck, de Woody Woodpecker à Bugs Bunny, de Bambi à Dumbo l’éléphant volant, pour n’en citer que quelques-uns, d’habiles dessinateurs ont su tirer parti de ce bestiaire inépuisable, revu et corrigé par leur humour et leur imagination.
Combien de ces animaux, savamment caricaturés, n’ont-ils pas enchanté notre enfance, suscitant nos rires ou nos attendrissements ? Et jusqu’à l’âge adulte n’avons-nous pas gardé la nostalgie de ces moments de bonheur et d’émotion que nous ont procurés tous ces chers héros de nos BD ?
Quand on leur demande gentiment...
Mais la concurrence ne s’est pas fait attendre. C’est, bien sûr, l’avènement du cinéma et de la télévision qui a permis à leurs homologues en chair et en os de partir à la conquête d’une gloire universelle. En gagnant leurs galons de vedettes, ces animaux-stars s’affirmaient du même coup aux yeux des producteurs et réalisateurs comme des valeurs sûres au box-office.
De l’ancêtre Rintintin, ancien héros de guerre avant de devenir héros de western, à Rex, chien flic, digne successeur de l’inspecteur Derrick, en passant par Croc-Blanc, seigneur du Grand Nord, ou Lassie la fidèle, l’infatigable chienne colley, la gent canine a sans doute été la première à s’illustrer sur les écrans depuis les débuts balbutiants du cinématographe.
Dans la foulée de ces premiers héros à quatre pattes allaient s’engouffrer presque tous les descendants de l’Arche de Noé, prêts à nous entraîner dans leurs pittoresques tribulations.
Des bêtes de scène
Du lion rugissant de la Metro Goldwyn Mayer à Clarence le lion qui louche, de Willy, l’orque en péril, à Flipper le dauphin facétieux, sans oublier Cheetah le chimpanzé-fétiche de Tarzan, Hollywood s’est révélé presque d’emblée comme une étonnante pépinière de comédiens avec ou sans pattes, à poils ou à plumes, terrestres ou aquatiques, qui n’avaient pas besoin de la parole pour exprimer leurs sentiments, séduire les foules… et faire fortune.
La capitale du cinéma a très vite compris tout le parti qu’elle pouvait tirer de la puissante séduction que le monde animal exerçait sur les spectateurs, mais aussi de l’étonnante bonne volonté dont faisaient preuve certains animaux exceptionnels à se faire complices de tous les rôles qu’on leur proposait.
Oui, quand on le leur demande gentiment – parfois avec un peu d’insistance, il est vrai – nos amies les bêtes semblent ne rien pouvoir refuser à l’homme. Elles se transforment alors volontiers, pour notre plus grand plaisir, en véritables… bêtes de scène.
Quand la publicité fait la bête…
Les publicitaires ne se sont pas privés non plus de recourir à ce support idéal pour promouvoir leurs produits.
Qui mieux qu’un chat, par exemple, peut vanter les mérites de ses croquettes ? Un éléphant pour prouver la solidité d’un objet ?
C’est désormais prouvé : quand la publicité fait la bête, elle gagne à tous les coups. Rien de tel qu’un animal pour faire passer un message commercial. Dans l’imagerie populaire, consciemment ou non, presque chaque animal est associé à un concept plus abstrait. Il peut rendre tangible des choses invisibles : le berger allemand incarne la fidélité et l’intelligence, le lévrier afghan incarne l’élégance, le chat, incarne la souplesse, le lion, la force, le singe, l’imitation, le guépard, la vitesse, la colombe, la paix, le serpent, la tentation, le panda, la fragilité de la nature,…
« Les animaux, reconnaissent les annonceurs publicitaires, suscitent facilement la sympathie du public qui se trouve, du même coup, plus réceptif et moins méfiant quand nous lui délivrons notre message. L’innocence de l’animal, sa sincérité, son charisme, sa faculté de capter sans effort l’attention effacent toute arrière-pensée chez le spectateur, rendant ainsi nos arguments plus convaincants. Le principal atout d’un animal, c’est qu’il ne peut mentir, ce qui rejaillit sur notre crédibilité ».
Bien sûr, nos jugements à l’égard du monde animal font la part belle à un certain anthropomorphisme. On imagine sans peine que nos amies les bêtes partagent nos sentiments humains, créant ainsi entre eux et nos besoins ou nos désirs une sorte de complicité. Il paraît en tout cas évident que les animaux se prêtent volontiers au jeu et qu’ils aiment partager un certain nombre de nos activités.
On peut tout vendre avec un animal
Si on peut décidément tout vendre avec un animal, devenu un médiateur privilégié, gardons néanmoins à l’esprit que l’homme peut manipuler son image pour la faire coïncider avec ses propres fantasmes.
Le tigre qui sort d’un moteur pour suggérer la puissance d’une certaine marque d’essence ou couché stoïquement sur un tapis pour souligner le silence d’un aspirateur qui tourne autour de lui ; le chimpanzé qui dessine avec application pour faire vendre des cahiers d’écoliers, l’éléphant qui piétine une imprimante pour affirmer la solidité de la marque, le porc-épic qui vante une pommade épilatoire, des otaries à la peau luisante qui font valoir l’efficacité d’un savon, le mouton à la laine soyeuse qui évoque la douceur d’un papier hygiénique, voilà, certes, des exemples assez impressionnants mais qui recourent bien souvent à de savants trucages (surtout à l’époque de l’image virtuelle).
Chaque fois néanmoins, l’animal ajoutera de la valeur au produit, et, par son apparition répétitive, il parviendra à s’identifier à une marque et à devenir son logo.
Sa seule image suffira à renseigner le public et à le mettre en confiance. D’autant plus que les animaux utilisés à cette fin sont toujours recrutés soit pour leur photogénie, soit pour la sympathie qu’ils inspirent. Certaines firmes portent même carrément le nom d’un animal : La Vache qui rit (fromage), Chat Noir (café), Le Chat (lessive) ou Jaguar (voiture)…
Chiens pour hommes, chats pour femmes ?
Si les espèces sauvages ont la cote pour présenter certains produits spécifiques, les chiens restent les animaux favoris des annonceurs. Les chats venant en seconde position.
Les uns et les autres entrent souvent dans la composition de petites scènes familiales représentant les divers aspects de la vie quotidienne et de ses besoins ménagers.
Les chiens, paraît-il, représentent des valeurs plus masculines et seront ainsi plus fréquemment associés à des marques d’automobiles, de chaussures, de boissons sportives, de nourriture vitaminée. Les chats, d’une symbolique plus féminine, seront davantage utilisés pour mettre en valeur des ustensiles de confort, de bien-être, du parfum et d’autres objets élégants et raffinés.
Comme on le voit, les animaux ont encore un bel avenir dans le show-business. Leur image soigneusement valorisée n’a pas fini de nous séduire, même si elle se fait un peu trop souvent complice de ceux qui veulent nous vendre des choses dont nous n’avons pas toujours besoin.
C’est probablement le lion le plus célèbre du monde.
Sa carrière de star se perpétue depuis près d’un siècle sans donner le moindre signe d’essoufflement. Chacune de ses apparitions à l’écran ne dure pourtant qu’une poignée de secondes, mais cela aura suffi à lui valoir une notoriété impérissable. Jamais le roi des animaux n’aura été ainsi porté au pinacle.
Il ne fallait pas moins que le roi des animaux pour devenir l’icône emblématique de l’une des plus importantes compagnies cinématographiques du monde, fleuron de l’univers hollywoodien : la Metro Goldwyn Mayer.
Ce qu’on ne sait pas toujours, c’est que ce sont pas moins de sept lions différents qui se sont succédé au fil du temps dans ce rôle d’ambassadeur médiatique d’un empire du cinéma qui a pourtant connu au cours de son histoire bien des bouleversements.
Une devise et un logo
La MGM existe depuis 1924. Elle est née de la fusion de trois sociétés préexistantes : la Metro Pictures Corporation (créée en 1915), la Goldwyn Pictures Corporation (créée en 1917) et Louis B. Mayer Pictures (créée en 1918).
La « Metro Goldwyn Mayer », fraîchement constituée, se choisit pour premier patron un certain Marcus Loew, homme d’affaires très influent, déjà propriétaire de plusieurs salles de cinéma dans tous les États-Unis. Pour alimenter la programmation de ses salles de spectacle, Loew doit évidemment faire appel à une production cinématographique de plus en plus substantielle. Ce qui, pour ses partenaires, constitue évidemment du pain béni puisque le premier souci des producteurs de films est d’assurer leur distribution.
Bien partie pour devenir le géant hollywoodien que l’on connaît, la nouvelle société se cherche une devise et un logo. La devise choisie – « Ars gratia Artis » (l’Art est la récompense de l’Art) – est inscrite sur le ruban déployé en forme de couronne autour du logo. Quant au logo lui-même, il s’imposa très vite. L’une des trois compagnies fondatrices, la Samuel Goldwyn, possédait déjà, depuis 1917, sa propre mascotte : un lion adulte, tout en chair et en muscles, affectueusement surnommé « Léo le lion ».
Ce concept fit presque d’emblée l’unanimité.
Un lion qui ne rugit pas
L’idée originale de ce logo vivant revient au créateur publicitaire Howard Dietz, un ancien membre de l’équipe athlétique de l’université de Columbia, baptisée « Les Lions » et dont le chant de guerre avait pour leitmotiv : « Rugis, Lion, rugis ! ». C’est là qu’il puisa son inspiration.
Le premier lion qui fut enrôlé par la Metro, dès son inauguration en 1924, s’appelait Slats. Il était né au zoo de Dublin cinq ans plus tôt. Entraîné par son dompteur personnel, Volney Phifer, il apparut pour la première fois à l’écran en début de générique du film muet He Who Gets Slapped (Larmes de clown, en français) : c’est l’histoire d’un savant qui se fait voler le fruit de ses recherches à la veille de son discours devant l’Académie et qui, dégoûté, refait sa vie dans un cirque, se reconvertissant en clown.
Bien sûr, Slats, pour ses débuts à l’écran, s’abstenait de rugir puisque le cinéma n’était pas encore sonore. Il se contentait de montrer son profil léonin en secouant paresseusement son impressionnante crinière, d’un air plutôt débonnaire. Slats tiendra sa place dans tous les génériques (en noir et blanc et muets) de la Metro Goldwyn jusqu’en 1928.
A-t-il dévoré son dompteur ?
Beaucoup de rumeurs circulèrent à l’époque sur les méfaits dont ce fauve se serait rendu coupable, mais il semble bien qu’aucune d’elles ne doive être prise au sérieux. On a raconté notamment qu’au cours d’un tournage dans un entrepôt, Slats, qui se tenait jusque-là calme et silencieux, posant sur son piédestal devant les caméras, se mit soudain à rugir et à donner des signes de nervosité. Deux cambrioleurs, qui avaient l’habitude de venir cacher leur butin dans ce hangar, s’étaient malencontreusement introduits dans le bâtiment au mauvais moment. Slats bondit de son tréteau et fit subir à l’un des malandrins un sort funeste, tandis que son comparse battait précipitamment en retraite pour tomber dans les bras des policiers, arrivés juste à temps pour le tirer d’un mauvais pas. L’histoire paraît cependant avoir été inventée de toutes pièces. Mais c’est le genre de canular que le maître du suspens, Alfred Hitchcock, aimait colporter, lui qu’on pouvait surprendre à l’occasion, assis tranquillement, cigare aux lèvres, devant la cage du fameux lion.
Encore moins crédible est cette pseudo-information – qui eut pourtant la vie dure dans la presse locale – qui prétendait que Slats avait dévoré son dompteur et deux de ses acolytes. C’est peu vraisemblable dans la mesure où ce félin n’avait qu’un seul dompteur, Volney Phifer, déjà cité, qui emmenait partout « son » lion avec lui dans sa caravane, au gré des tournages et qui survécut longtemps (jusqu’en 1974) à la mort de son lion préféré.
L’homme qui rendait les lions doux comme des caniches
Phifer mérite au passage un coup de chapeau. Il provenait des milieux du cirque et fréquentait depuis l’enfance les animaux les plus dangereux qu’il parvenait à rendre doux et dociles comme des caniches.
C’est d’ailleurs lui qui dirigea le refuge, construit en 1919 dans la banlieue de Hollywood, qui abrita (jusqu’en 1942) la plupart des animaux sauvages utilisés au cinéma, notamment dans les films de Tarzan. Phifer prit sa retraite en 1970. Slats était mort (de vieillesse) en 1936. Son maître le fit enterrer dans sa ferme californienne, sous un bloc de granit. Il planta un sapin sur sa tombe, car il voulait, disait-il, « que l’esprit de son lion reste enfermé dans les racines de cet arbre ».
Dès 1928, il fallut chercher un successeur à Slats, devenu trop vieux. Jackie fut choisi pour sa ressemblance avec son prédécesseur. Seul un public très attentif pouvait se rendre compte du changement. Mais ce rajeunissement de la mascotte coïncidait aussi avec un événement majeur dans le monde du septième art : l’avènement du cinéma parlant. Avec White Shadows in the South Seas (Ombres blanches pour le titre français), le premier film sonore produit par la MGM, en 1928, Jackie devenait le premier lion à faire entendre son rugissement aux spectateurs. L’enregistrement eut lieu en studio à l’aide d’un gramophone, dans un studio complètement construit et aménagé autour de sa cage.
Greta Garbo et le lion : un instant de frayeur
On raconte que ce premier enregistrement fut assez mouvementé, le lion démolissant d’un coup de patte tous les micros qu’on tendait vers lui. Ce ne fut pas non plus une mince affaire d’obtenir sur commande la prestation sonore pour laquelle on l’avait engagé. Le lion s’était tout d’abord contenté d’un faible grognement. Son dompteur, Mel Koontz, dut le titiller un peu pour qu’il donne de la voix et produise enfin le rugissement souhaité. Mais il fallut encore un certain temps avant que le fauve daigne incliner la tête et montrer son meilleur profil à la caméra, car il s’agissait de cadrer son image au centre du ruban-logo portant la fameuse devise de la MGM. Tout ce travail de synchronisation et d’ajustage se révéla assez délicat.
Quand la jeune actrice suédoise Greta Garbo arriva à Hollywood en 1926 pour y commencer une carrière américaine, elle dut se plier à une série de photos promotionnelles. On l’invita à poser aux côtés de Jackie, le nouveau lion-mascotte de la compagnie. Des clichés montrent
l’actrice assise, dans une attitude pétrifiée, sur une chaise à côté du lion qui la dévisage… d’un œil gourmand.
Un grand moment d’émotion pour la jeune star, même si le dompteur se trouvait à proximité…
Aux côtés de Tarzan
Jusqu’en 1956, Jackie apparut aussi en tant qu’ « acteur » dans une bonne centaine de films en noir et blanc, en particulier dans la série des Tarzan aux côtés de Johnny Weissmuller. Quelques scènes de combat au corps à corps avec le fauve se déroulèrent sans problème sur le plateau et l’on ne déplora aucune victime à l’occasion de ces simulacres de lutte à mort. Il faut rappeler que la plupart des tournages de cette époque avaient lieu à l’intérieur des studios, en présence du dompteur. La jungle de Tarzan était en carton-pâte. Le lion prêta aussi son effigie à plusieurs dessins animés produits par la Metro Goldwyn Mayer.
De l’avis de son propriétaire, Jackie n’était pas un lion particulièrement beau, mais il avait du caractère. Et même un mauvais caractère, surtout avec les autres félins. Pourtant, lorsqu’une petite chatte de gouttière vint un jour accoucher d’une nombreuse progéniture dans un coin de sa cage, Jackie se mit à lécher affectueusement de sa langue humide et rapeuse la ribambelle de chatons.
La carrière à l’écran de ce lion numéro 2 se prolongea quelque temps à titre posthume puisque Jackie apparut encore au générique de plusieurs films après avoir succombé à une crise cardiaque, en 1935, au zoo de Philadelphie où il avait pris sa retraite. Verdict de l’autopsie : excès de cholestérol. Sa fin définitive reste toutefois quelque peu nébuleuse. Sa dépouille aurait été confiée à un taxidermiste de Los Angeles qui aurait vendu sa peau à un musée du Kansas.
Un lion chanceux : il survit à un crash aérien
Jackie, après 28 ans d’apparition à l’écran, avait pourtant bien mérité – de son vivant – le surnom de « Lion le chanceux » (« Leo the lucky »). Au cours d’un de ses nombreux déplacements, le petit avion qui l’emmenait de San Diego à New York s’écrasa en plein désert d’Arizona. Le pilote s’étant laborieusement extrait de l’épave put constater que le lion était miraculeusement indemne, toujours prisonnier de sa cage coincée dans la carlingue. Il lui abandonna de l’eau et des provisions avant d’errer lui-même pendant quatre jours dans le désert à la recherche de secours. En reprenant contact avec la civilisation, l’aviateur put constater que les dirigeants de la Metro, avertis de l’accident, s’inquiétaient davantage de la santé du lion que de la sienne.
Mais la chance de Jackie se manifesta à bien d’autres occasions. Il avait déjà survécu à deux collisions de train, au naufrage d’un bateau, à un tremblement de terre et à une explosion survenue dans un studio.
Au cours de ses dernières prestations, qui coïncidaient avec l’apparition du cinéma en couleur (au début des années 30),
une version provisoire de son logo fut colorisée de façon artisanale. Toutefois, l’avènement imminent du Technicolor obligera bientôt la Metro Goldwyn Mayer à remettre son logo au goût du jour et à lui donner de véritables couleurs.
Des lions qui ne font pas le poids
Dès 1927, Telly, le lion numéro 3, était entré à la MGM comme figurant ou doublure. Au cours de cette phase expérimentale que traversait le cinéma, il servira surtout à étalonner les premiers bouts d’essai en couleur sur pellicule bichrome. La diffusion de ce nouveau logo provisoire se limitera à quelques courts-métrages et dessins animés, jusqu’en 1932.
Déjà, un quatrième lion (de remplacement), nommé Coffee, était engagé en alternance avec Telly pour prêter son image à des essais de colorisation plus poussés sur des pellicules trichromes. Mais la carrière de Coffee, comme celle de Telly, sera de courte durée, car, par manque de charisme, ni l’un ni l’autre ne réussira vraiment à s’imposer. C’est ce qui explique que les producteurs de la Metro recourront encore un bon bout de temps à l’ancien logo de (feu) Jackie, en noir et blanc ou couleur sépia.
Seule nouveauté apportée par ces deux lions transitoires : ils accepteront de rugir trois et même quatre fois d’affilée, alors que Jackie, plus paresseux, se mettait à bâiller après son deuxième rugissement, estimant en avoir assez fait. Chaque lion semble en effet avoir sa manière personnelle de moduler ce cri guttural si particulier, qui fait trembler tous les animaux de la jungle.
Enfin un lion qui rugit en Technicolor
Exit Telly en 1932 et Coffee en 1934. Place à Tanner, le numéro cinq, qui marquera d’une empreinte beaucoup plus forte son passage à la Metro.
Tanner est le lion qui annonce les grosses productions en Technicolor et bientôt en cinémascope de la compagnie : il personnifie l’âge d’or du cinéma hollywoodien, avec des succès aussi retentissants que Le Magicien d’Oz, Autant en emporte le vent ou La Tunique. (Notons au passage que les films en couleur ne deviendront d’une qualité satisfaisante qu’à partir de 1960).
Tanner, dressé lui aussi par le dompteur Mel Koontz
(le même que pour Jackie), passait pour un lion de mauvaise humeur, car il grognait presque tout le temps… sans qu’on le lui demande. Peut-être que le star-system ne lui convenait pas. Tous les lions ne rugissent pas forcément de plaisir. Tanner fit pourtant une carrière longue de 22 ans au sein de la Metro (de 1934 à 1956). Il avait fini par faire partie des meubles.
Un lion intérimaire
Le sixième lion engagé par la firme fut baptisé George. Signe distinctif : il avait une crinière beaucoup plus fournie que ses prédécesseurs. On enregistra avec lui deux clips différents pour les futurs génériques. Dans la première version, le lion rugissait d’abord en tournant la tête à droite, puis face à la caméra. Dans la seconde, le lion rugissait en dressant la tête vers le ciel. Mais George ne devait pourtant assurer qu’un modeste intérim de figurant pendant un peu moins de trois ans, car il allait être rapidement éclipsé par l’acquisition d’un véritable seigneur de la jungle (jungle qu’il n’avait pourtant jamais vue !) : Leo le Lion, celui qui tient toujours la vedette à l’écran depuis janvier 1957 et qui se confond désormais avec la légende de la Metro Goldwyn Mayer.
Un lion pour l’éternité
Léo est né aux Pays-Bas, au zoo d’Arnhem. C’était le plus jeune lion jamais engagé par les studios de la MGM. Une bête magnifique, bien que sa crinière avait encore besoin de s’étoffer un peu, mais, avec lui, une sorte de boucle était bouclée. Son nom de « Léo » recouvrait et résumait désormais tous les lions ayant défilé sous les sunlights de la compagnie. C’était déjà, on l’a dit, le nom du premier lion-mascotte d’une des trois sociétés fondatrices de la MGM et qui était à l’origine de la création de la célèbre firme cinématographique, dont le lustre aujourd’hui (fusions et rachats obligent) s’est quelque peu terni.
Mais l’écho des rugissements de ces sept fauves successifs qui ont marqué l’histoire de la MGM résonnera encore longtemps au fond des salles obscures ou sur nos écrans de télévision, comme une marque de fabrique indélébile.
Restera pour les cinéphiles scrupuleux la petite histoire d’un logo qui aura subi au fil des années un certain nombre de retouches, qu’elles soient légères ou plus prononcées, entre versions muette, sonore, en noir et blanc, colorisée, en Technicolor, épurée, stylisée, numérique ou intégralement en 3D stéréoscopique.
Même la devise de la MGM aura été modifiée entre-temps : le « Ars gratia Artis » est devenu moins poétiquement « Metro Goldwyn Mayer/United Artists » en 1981, date du rachat de la Metro par United Artists.
Tout est parti d’une histoire vraie. À l’origine, c’est d’abord l’aventure d’un homme, Anthonie Marinus Harthoorn, un vétérinaire hors du commun.
L’homme est né en Hollande mais a passé toute sa jeunesse en Angleterre. Officier commando pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut l’un des premiers à sauter en parachute sur Arnhem, lors de la reconquête des Pays-Bas par les troupes alliées. Démobilisé, il reprend ses études vétérinaires aux universités d’Utrecht et de Hanovre où il obtient une spécialisation dans les maladies et traumatismes affectant les animaux sauvages.
Muni de ce diplôme un peu particulier, il se rend au Kenya et en Tanzanie. C’est là qu’il étudie les effets des drogues sédatives qu’on administre aux grands mammifères de la jungle quand on veut les capturer, les soigner ou les ausculter. Il se rend très vite compte que cette méthode n’est pas sans risque et sans inconvénient.
Il invente le fusil à fléchettes
C’est alors qu’il met au point une invention qui va révolutionner le métier des soigneurs de fauves : le fusil à tranquillisant, le M-99, qui propulse à distance des fléchettes anesthésiantes contenant un produit (l’éthorphine hydrochloride) capable d’endormir l’animal sans le tuer, une sorte de « seringue volante ». Cette technique allait désormais permettre de soigner plus confortablement des animaux dont l’approche s’avérait difficile ou dangereuse : éléphants, rhinocéros, buffles, grands félins…
La méthode s’est aujourd’hui généralisée dans le monde entier et largement utilisée par tous ceux qui sont chargés de soigner, de déplacer ou de capturer des mammifères de grande taille, en particulier dans les réserves africaines. Cette technique du « pistolet tranquillisant » est aussi employée occasionnellement pour la surveillance médicale des animaux urbains dont la capture est malaisée, ainsi que dans les parcs animaliers et jardins zoologiques.
Ce fusil à fléchettes soporifiques a surtout permis d’assurer sans risque les contrôles sanitaires d’une faune peu disposée à se soumettre à des contrôles vétérinaires, mais également de placer sur certaines espèces animales des puces électroniques pour surveiller leurs déplacements, ou encore
d’assurer leur transport vers d’autres territoires de chasse ou vers des dispensaires quand il y a nécessité d’une intervention chirurgicale. Et cela, tout en limitant dans une large mesure les effets de stress, fréquents avec l’ancienne manière de procéder qui consistait à piéger l’animal avant de lui administrer des doses – souvent trop massives – d’anesthésiant. Ici, les animaux sont simplement « endormis ».
Les doses de chaque fléchette sont ajustées à la taille et au poids de l’animal et à la durée de l’intervention médicale.
L’avocat des éléphants et des rhinocéros
Lorsque le Dr. Harthoorn s’est installé, à l’aube des années 60, au Kenya avec sa femme, Suzanne Art, également vétérinaire, il s’est rapidement aperçu des menaces qui pesaient sur ce sanctuaire de la faune sauvage, exposé en permanence aux exactions des braconniers.
Le couple décide alors d’ouvrir un orphelinat-clinique pour animaux dans la banlieue de Nairobi, avec ce credo de protéger la nature sous toutes ses formes et de rendre consciente la population africaine locale de la richesse irremplaçable de son patrimoine.
Tony Harthtoorn est ainsi devenu le principal défenseur des éléphants et des rhinocéros, dont les effectifs continuent à diminuer à vue d’œil. Il est à la fois l’avocat et le médecin d’une faune sauvage en grand péril.
Les héros de Daktari
Au début des années soixante, un producteur américain de cinéma et de télévision, Ivan Tors, est venu passer ses vacances au Kenya. Il y rencontre Tony et Susan et découvre en même temps l’étonnante organisation de leur orphelinat pour animaux.
Il a aussitôt le déclic professionnel. N’y a-t-il pas là matière à un film original ? Le producteur a sans doute été spécialement impressionné par la cohabitation harmonieuse qui règne entre les pensionnaires de ce refuge. Il ne peut s’empêcher de tomber sous le charme de Clarence, ce lion dont la particularité est de loucher, et du chimpanzé Judy, qui semblent former une paire inséparable, car le Dr. Harthoorn opère dans sa clinique autant les lions que les chimpanzés, auxquels il apporte notamment les soins ophtalmologiques appropriés.
Dès 1965, le film Clarence, le lion qui louchait sort sur les écrans américains. Le succès est tellement énorme qu’il sera très vite décliné – sous le titre Daktari – en une série de quatre-vingt-neuf épisodes de 50 minutes pour la télévision. Avec les mêmes acteurs que dans le film pour assurer la continuité.
Une faune unique et vulnérable
Daktari (qui veut dire « docteur » en swahili : un titre honorifique et respectueux décerné au Dr Harthtoorn par la population indigène) tournera pendant des années sur tous les petits écrans de la planète pour le plus grand plaisir des petits et des grands spectateurs.
Le scénario s’inspire directement de la vie du Dr. Harthoorn et de son épouse dans leur refuge kenyan. Quelques noms ont été changés, quelques personnages accessoires y ont été introduits, mais la philosophie de base est toujours présente : la nécessité de préserver une nature sauvage contre tous ses prédateurs, sauvegarder une faune unique et très vulnérable, lutter impitoyablement contre les braconniers, la corruption des autorités locales et les amateurs de safari capables de payer des fortunes pour
s’offrir dans leur salon une tête de buffle, une peau de léopard ou des défenses d’éléphant.
Le monde à travers les yeux de Clarence
Ce qui séduira évidemment les téléspectateurs, ce sont les innombrables péripéties auxquelles sont mêlés Clarence, ce lion qui louche, et son impertinente partenaire, la guenon Judy.
On retiendra notamment cette prouesse de la caméra subjective qui nous fait découvrir l’univers de Daktari à travers la vision déformée de Clarence. Un effet spécial qui nous permet d’entrer dans la tête de ce lion pas comme les autres.
Le scénario adopté diffère peu de la réalité. Le décor est planté – fictivement – en Afrique de l’Est, dans un centre d’étude du comportement animal, dirigé par un autre docteur vétérinaire : Marsh Tracy. Quand une tribu indigène vient annoncer à ce dernier la présence inquiétante d’un lion dans les parages, il se rend aussitôt, avec sa fille Paula, à la rencontre du fauve. Ils s’aperçoivent alors que le félin souffre d’un sérieux handicap visuel, un strabisme qui le rend inapte à la chasse. Le père et la fille emmènent avec eux ce lion un peu désemparé, qui se révèle aussi inoffensif qu’un mouton. Et c’est le début d’une grande amitié qui va lier tous les pensionnaires de ce refuge aux allures d’Arche de Noé, car, comment ne pas craquer pour ce lion aussi câlin qu’une grosse peluche et devant les facéties de cette guenon espiègle, entourés de tout un petit monde à la fois sauvage et familier ?
Cinéma et politique ne font pas bon ménage
Bien sûr, cinéma et politique ne faisant pas toujours bon ménage, quelques aménagements ont dû être apportés au film et à la série télévisée. L’Afrique ayant cessé d’être accueillante comme jadis, le tournage s’est déroulé (contrairement à ce que l’on aurait envie de croire) à quelques dizaines de kilomètres de Hollywood, au sein d’un ranch pour animaux sauvages, propriété du dresseur Ralph Helfer.
On s’est contenté de glisser dans le film quelques images d’archives d’une Afrique authentique. Certaines scènes ont même été tournées en intérieur, dans des studios à Miami.
Disons en passant que le sort du Dr Harthtoorn a également subi les aléas de la politique en Afrique. Au moment de l’indépendance du Kenya, le vétérinaire fut déclaré persona non grata et prié de déménager. Il alla s’installer en Afrique du Sud où il poursuivit jusqu’à sa mort, en 2012, ses activités de docteur-miracle au profit de la faune locale.
Au risque de perdre quelques illusions…
Au risque de vous enlever encore quelques illusions, précisons, si besoin est, que le lion Clarence, comme la guenon Judy, mis en vedette sous les projecteurs, ne sont pas les animaux originaires du refuge du Dr Harthtoorn.
Le Clarence de cinéma est un véritable lion-acteur, né dans le célèbre refuge californien d’Africa-USA, où sont élevés, logés et dressés la plupart des animaux qui font carrière à l’écran.
Clarence n’aura pas survécu longtemps à la gloire.
Le « lion qui louche » est mort à sept ans et demi, alors qu’il avait pris sa retraite dans l’Illinois pour raisons de santé.
Il souffrait de maux d’estomac chroniques et succomba à un empoisonnement du sang. Il aura pourtant tenu jusqu’au bout des quatre-vingt-neuf épisodes son rôle de lion gentil et nonchalant, qui a séduit des millions de spectateurs et qu’on aurait tous aimé avoir comme compagnon de jeu.