JOURS DE SOLEIL

Claire Mazard

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© Le muscadier, 2017
48 rue Sarrette – 75685 Paris cedex 14
www.muscadier.fr
info@muscadier.fr

Directeur de collection : Christophe Léon
Couverture & maquette : Espelette
Photographie de couverture : © Denis Ismagilov/123RF
Conversion numérique : Mariane Borie

ISBN : 979-10-90685-90-1
ISSN : 2493-6170

Table des matières

1. Jean-Paul dit “Pape”

2. Le vieux Tunisien

3. Partout dans le monde

4. Irénée

5. Le pizzaïolo

La collection

L’auteure

Jean-Paul
dit  Pape

trait

DakarVol n° 12023 heures 30
Enregistrement porte B

— Pas trop tôt, murmura Audrey devant le panneau

Elle saisit la poignée de sa grosse valise à roulettes.

L’aéroport d’Orly était presque désert. Les deux derniers vols pour la nuit venaient d’être annoncés, celui de Dakar et celui de Barcelone. Tous les voyageurs en partance pour Dakar, comme Audrey, se dirigèrent vers la porte B. Des Français, pour la plupart. Quelques Africains aussi, habillés en boubou.

Audrey et Mathias, comme les autres passagers, d’un pas soutenu, traversèrent l’immense hall, valises derrière eux. Ils durent encore attendre, debout, dans la file.

Enfin, ce fut leur tour. Ils donnèrent leurs passeports, leurs billets et déposèrent leurs valises sur le tapis roulant. Elles pesaient à elles deux 10 kilos. Audrey sourit. Pour leur séjour au Sénégal, ils n’avaient emporté que des affaires d’été – shorts, tee-shirts, etc. Ainsi que de nombreux sacs vides, qu’ils comptaient remplir de souvenirs. Au retour, leurs bagages se révéleraient beaucoup plus lourds.

— Bagages à main ? interrogea l’hôtesse d’enregistrement.

Ils montrèrent leurs bagages aux dimensions requises pour la cabine. Dans ces sacs, ils gardaient l’appareil photo, les cachets de quinine, leur trousse de toilette.

— Embarquement salle 16.

Il commençait à se faire tard. La fatigue, ajoutée à l’impatience et à l’énervement, était perceptible.

Salle 16.

Derrière la paroi en verre, l’avion était là. Véritable requin qui va nous avaler, songea Audrey. Et s’il explosait en plein vol ? Pour se distraire, elle observa les gens assis autour d’eux. Beaucoup de touristes, en couple comme eux, ou avec des enfants de cinq à quinze ans. Vacances scolaires de la Toussaint. Eux n’avaient pas encore d’enfant, ils en profitaient pour voyager. Amener des enfants dans un pays comme le Sénégal, est-ce judicieux ?

Ils durent de nouveau attendre. Audrey attrapa son téléphone portable, tapota :

Il y a beaucoup de Blancs, tu ne trouves pas ? On ne va tout de même pas en Afrique pour voir tous ces Blancs.

Assis à côté d’elle, Mathias entendit le bip. Il lut le SMS et tapota à son tour :

Pour sûr.

Il sortit le Guide du routard.

Ils avaient passé de nombreuses soirées à préparer leur voyage. Ils avaient lu et relu le Petit Futé et Lonely Planet. Le Guide du routard présentait l’avantage de plonger le voyageur directement dans l’ambiance du pays.

Pour eux, pas question de visiter en touristes lambda. D’être accueillis dans un hôtel par une flûte emplie d’un jus de fruits insipide ou d’un ersatz de champagne. Pas question d’être emprisonnés dans un car à devoir écouter un guide accroché à son micro. Un car qui déchargeait les touristes devant des échoppes bien précises où les vendeurs les attendaient pour les délester de leur argent.

Mathias et Audrey tenaient à côtoyer les indigènes. Indigènes, le mot, même s’il a pour définition « natifs du pays », ne véhicule-t-il pas une connotation colonialiste ? songea Audrey.

Leur amie Nicole leur prêtait sa maison près du village de Warang. « Vous ne serez pas déçus », leur avait-elle dit. « Vous visiterez le Sénégal dans les meilleures conditions et au plus près de la population. Je vous garantis un séjour simple, agréable et culturel. »

Pour l’occupation de la maison, elle leur demandait un dédommagement de dix euros par jour. Leurs nuitées – ils devaient rester une dizaine de nuits – ne coûteraient guère plus qu’une seule nuit dans un hôtel. « Pape, un ami africain, vous aidera, si vous le voulez. Il vous attendra à l’aéroport. Et il vous fera visiter le Sénégal comme jamais vous n’aurez l’occasion de le faire. Son prix est très correct… »

— Les numéros de 1 à 100 sont invités à se présenter à l’embarquement.

— C’est nous !

Ils glissèrent leurs billets dans le tourniquet, s’engouffrèrent dans l’antre du requin.

— Dans trois heures trente, nous serons à Dakar...

* *
*

Audrey se décrispa. Par le hublot, elle aperçut les lettres lumineuses :

AÉROPORT INTERNATIONAL LÉOPOLD SEDAR SENGHOR

Le vol s’était déroulé sans problème et l’avion avait atterri sans encombre.

Enfin, le dépaysement si attendu.

Il n’y avait pas de passerelle comme à Orly pour les conduire à l’intérieur de l’aéroport. Ils descendirent donc les marches. La chaleur humide leur tomba dessus. Et la nuit tropicale.

Derrière les parois de verre, beaucoup de Sénégalais, agglutinés comme des poissons dans un filet, attendaient le déversement du requin.

Formalités de sortie : à nouveau passeports, billets, coups de tampon. Puis attente pour les bagages.

Le tapis roulant se mit en route tel un énorme serpent. Il passa, repassa, d’abord désespérément vide. Puis des bagages apparurent. Comme sur ressort, chaque passager lui arrachait sa valise dès qu’il l’apercevait. Bientôt, celle de Mathias surgit. Il se plaça pour la saisir au vol. Celle d’Audrey toujours pas. Nous avons pourtant enregistré ensemble ? Enfin, sa valise orange, bien reconnaissable, apparut.

Ils sortirent de la pièce, entrèrent dans l’aéroport proprement dit. Bien visibles, les préposés aux tour-opérateurs brandissaient leur pancarte. 6835.png, Marmara-Club_Logo.jpg, logo_Framissima.jpg.

Décidés, rassurés, des passagers fonçaient vers eux.

Soudain, ils la virent, hissée au-dessus de toutes les têtes : la pancarte Amis de Nicole. Ils s’avancèrent.

— Nous sommes les amis de Nicole.

Le Sénégalais, « un Noir noir », comme dit Muriel Robin, très grand, en boubou blanc, leur serra la main.

— Audrey et Mathias.

— Moi, Jean-Paul, mais on m’appelle Pape. Comme l’ancien pape, Jean-Paul ii. Vous me suivez ?

Sur le parking, Pape s’arrêta devant une vieille guimbarde.

— Si vous voulez bien prendre possession de votre carrosse... Mieux, de votre papamobile