Ce n’est pas facile à écrire, une préface. Je suis la traductrice française de ce roman coréen, et ce roman est ma première traduction. Écrire une préface donc, c’est poser des mots définitifs sur de longs mois de travail et d’intimité avec un texte. Et traduire ce roman n’a pas été une chose simple. Je me suis aussi beaucoup posé la question de savoir ce qui pourrait vous intéresser, vous, lecteurs, et j’en suis venue à la conclusion qu’il me fallait prendre la parole, la prendre en tant que traductrice qui parle de son métier et de sa première expérience de traduction à ses lecteurs. Peut-être cela vous donnera-t-il quelques clés supplémentaires afin d’appréhender le texte et sa traduction.
Je pense qu’il faut que je vous parle de l’auteur pour commencer… Qui est un sacré personnage ! Park Min-kyu a construit un véritable scénario auctorial autour de la personnalité qu’il décide de montrer en public : il ne sort jamais sans coiffer des lunettes d’aviateur, des lunettes de soleil, ou encore un masque de catch (un sport qu’il apprécie tout particulièrement), que ce soit lors d’une interview télévisée, d’une remise de prix, sur la photo d’un article de journal ou sur le rabat de la couverture d’un de ses romans. Je n’ai pour ma part jamais vu de photos de Park Min-kyu sans l’une de ses fameuses paires de lunettes excentriques. Le jour où il a reçu le prix Hwang Sun-won, il s’est présenté à la cérémonie accompagné de son groupe de musique, dont tous les membres étaient affublés de masques de catcheurs mondialement connus. En guise de discours, c’est un concert qu’il a déclamé. Ce personnage qu’il a créé, il l’exhibe invariablement lorsqu’on le sollicite en tant qu’écrivain. Ainsi lorsqu’il est interviewé, lorsqu’il écrit une postface, lorsqu’il répond à un mail envoyé par la traductrice de son roman en français, il répond toujours de manière à vous décontenancer, répondant sans répondre, suscitant à la fois la surprise et le rire. C’est un auteur très médiatisé, mais aussi très controversé, autour duquel règne une aura de mystère. En effet, on lui reproche souvent de ne pas répondre aux questions qu’il pose, là où la littérature coréenne se doit traditionnellement de trouver des solutions à des problèmes sociétaux, d’être utile et exemplaire. On peut attribuer ce phénomène à l’héritage confucianiste de la littérature coréenne, où c’est la poésie (et en aucun cas la fiction), qui était l’art littéraire le plus élevé. Mais s’il dérange, c’est surtout parce qu’il remet en question les fondements de la société sud-coréenne.
C’est un auteur dit de la « jeune génération », du « postmoderne » à la sud-coréenne, c’est-à-dire tout simplement porteur d’un autre rythme, d’un autre sens de la temporalité, d’une réappropriation du moderne, dans une société où la modernité est arrivée à une vitesse fulgurante et n’a pas été assimilée de la même manière qu’ailleurs. Park Min-kyu se caractérise à la fois par une culture phénoménale, une imagination débridée et un non-conformisme revendiqué. Il s’inspire aussi beaucoup du cinéma, comme beaucoup des écrivains de sa génération, et s’amuse à faire exploser le cadre littéraire, à jouer avec toutes les formes qu’il peut se mettre sous la main et à se les approprier. Il prend aussi une part très importante dans la conception éditoriale de ses livres : dans le roman Ping-Pong, c’est lui qui a dessiné la couverture de l’édition coréenne ainsi que les illustrations. Ce rôle dans l’édition de ses textes lui permet ainsi d’avoir le contrôle sur le discours éditorial qui peut entourer le livre, en supprimant par exemple la notice bibliographique sur la page de couverture, ou encore les éloges critiques compilés à la fin de tout roman sud-coréen. En somme, toutes ces traditions littéraires sud-coréennes contre lesquelles il s’élève avec force. Peut-être peut-on y voir aussi une sorte de continuité avec ses anciens métiers de concepteur-rédacteur dans une agence de publicité ou de rédacteur en chef d’une revue littéraire. C’est d’ailleurs lorsqu’il était rédacteur que, à la suite de la défection d’un auteur qui ne s’était pas présenté avec son texte, Park Minkyu décide de s’isoler et de produire un texte pendant les deux heures qu’il lui reste avant l’impression de la revue. Cet événement marquera sa décision de se consacrer entièrement à l’écriture. Il quitte alors son travail, et c’est sa femme qui subviendra entièrement aux besoins de la famille pendant deux ans et demi.
Traduire Park Min-kyu n’est pas une tâche aisée, car il manie un matériau littéraire très varié : références, jeux de mots, plaisanteries, double sens, jeux typographiques. J’espère pouvoir vous éclairer ici sur la plupart des principes qui ont guidé ma traduction.
Le rythme de l’écriture de Park Min-kyu est particulier : il isole un bout de phrase, suspend un mot, fait chuchoter des dialogues ou des pensées typographiquement, accélère le rythme, puis le ralentit, ce qui rend la lecture à la fois fluide et saccadée, et produit un effet poétique. La syntaxe française doit donc être malmenée, puisque la syntaxe coréenne l’est elle-même. Il fallait donc être sans cesse vigilante et toujours revenir à la phrase coréenne, car il est facile pour un traducteur d’aller vers la facilité. Je dirai même que ce n’est pas qu’une question de facilité, mais qu’en tant que traducteur il faut toujours se faire violence afin que quelque chose d’autre que le texte original ne reprenne pas le dessus.
Une autre caractéristique de l’écriture de Park Min-kyu est la présence d’une forme de systématicité, comme s’il façonnait des motifs, altérés, repris, légèrement modifiés par d’infinies variations tout au long du texte. Ainsi, tous les noms, adverbes, adjectifs ou verbes qui sont employés selon ce schéma sont conservés, comme l’adjectif « évanescent », tout au long du roman. Là encore, il faut garder l’œil ouvert, ne pas minimiser cette systématicité, trouver l’adverbe en français qui saura tenir tous les rôles que l’auteur lui a attribués dans son texte. D’où l’importance des répétitions qui rythment le texte. Cette circularité dans l’écriture, cette systématicité participent à la création d’une véritable cosmogonie. Tous les éléments du réel que l’on peut trouver dans le roman, sont repris, réinvestis et réinventés afin de créer un nouvel univers, propre à l’auteur. Il n’y a rien dans le livre qui ne soit pas détournement, réappropriation ou création : la mise en page, la couverture, les illustrations, la syntaxe, le rythme, la ponctuation, la langue, les mots, les chansons, les films, les publicités, les proverbes et expressions, les livres, certains thèmes (comme le ping-pong), certains personnages connus (Secrétin est un véritable joueur de tennis de table français qui est d’ailleurs toujours vivant, Malcolm X, etc.), les règles (qu’elles soient sociales, philosophiques ou sportives), etc. Dans son roman, Park Min-kyu fait œuvre de véritable démiurge omniscient. La systématicité prend ainsi une part active dans cette réappropriation de la langue. Tout est altéré par l’auteur, et tout ce qui produit un effet doit à mon sens être traduit.
Je me suis aussi attachée à conserver cette indétermination permanente, cette sorte de brume qui entoure les mots, créant un souffle particulier qui justifie dans la traduction la prolifération des pronoms démonstratifs « ce », « cela », « ça », en français, ainsi que l’usage répété du mot « chose ». Car dans le texte original cohabitent un style très parlé et oral, voire « jeune », et un style très poétique, décapant, littéraire. Cette dualité, l’alternance entre le style narratif et les dialogues, sans transition, sans marque typographique comme les guillemets et les tirets, afin d’indiquer le passage d’un état à l’autre, participe à cette perméabilité entre le littéraire et l’oralité. Il fallait donc accentuer l’oralité dans les dialogues.
L’autre point qui me semblait important dans cette traduction était de ne pas vouloir aplanir le texte, il fallait au contraire qu’il conserve tout son relief et toute sa matérialité. Je veux dire par là que, pour commencer, j’ai scrupuleusement conservé la mise en page de l’original (ce qui peut paraître assez évident au premier abord, mais qui ne l’est pas forcément dans toutes les traductions). Ainsi les retours à la ligne, la ponctuation, les illustrations, les paragraphes, ces mots ou segments de phrases qui sont détachés du reste du paragraphe, ces éléments de mise en page qui rappellent parfois la poésie, ont tous été conservés.
Ce que j’ai aussi essayé de mettre en avant dans la traduction, de ne surtout pas gommer, est ce que j’appelle la « trilogie » ou le « trio » que forment les hanja, le konglish et les onomatopées, et qui ont toute leur importance dans cette traduction.
L’écriture est arrivée en Corée par la Chine (comme pour de nombreux autres pays d’Asie), et les caractères chinois sont ainsi devenus le système d’écriture officiel de la langue coréenne, complété par des systèmes de transcriptions de la langue coréenne basés eux aussi sur les caractères chinois (la langue coréenne et la langue chinoise étant diamétralement opposées). Ce n’est qu’en 1446 que le roi Sejong édicte le Hunmin Chôngmûn, ou « Sons corrects pour l’instruction du peuple coréen », un alphabet de vingt-huit lettres, connu de nos jours sous l’appellation « Hangûl », et qui ne comporte plus que vingt-quatre lettres de base. Le roi Sejong aurait édicté cet alphabet à la fois pour faciliter l’accès du peuple à l’écriture, et dans un même temps pour s’affranchir de l’autorité de la Chine. Cependant, ce nouvel alphabet n’a pas connu le succès escompté, et ce n’est que bien plus tard, avec la modernisation et la colonisation japonaise, que la Corée s’est réappropriée son alphabet. Le chinois classique reste la langue officielle jusqu’en 1894. En effet, la Corée a toujours entretenu un rapport très contradictoire avec la Chine, puisque le rayonnement de celle-ci lui conférait une forme d’honorabilité et qu’elle restait malgré tout une source d’admiration. C’est pour cette raison que les lettrés coréens ont pendant si longtemps dénigré l’alphabet coréen, jugé vulgaire. Il est alors devenu l’alphabet des marginaux : femmes, exilés politiques, gens du peuple et originaux, et c’est grâce à eux que l’alphabet coréen a survécu dans l’ombre. Les caractères chinois, communément nommés « hanja » en coréen, sont donc toujours présents dans la langue coréenne, phénomène que l’on peut appeler le colinguisme. Les hanja sont de nos jours utilisés (que ce soit seuls ou accompagnés de la transcription coréenne) dans la presse, dans tous les ouvrages dits scientifiques ou académiques, mais aussi dans la littérature. La présence des hanja dans un texte peut exprimer plusieurs choses et servir plusieurs desseins : ils peuvent avoir une fonction savante et érudite, c’est-à-dire montrer que l’auteur d’un texte est cultivé et qu’il connaît les caractères chinois ; ils peuvent préciser l’étymologie d’un mot lorsque celui-ci est d’origine sino-coréenne, et ainsi lever un doute lorsqu’il y a un risque d’homonymie (dans ce cas ils sont la plupart du temps aussi homographes), ou révéler le sens d’un mot lorsque l’on crée un néologisme ; mais dans un texte littéraire ils peuvent aussi avoir une fonction humoristique (détournement de l’honorabilité que confère la présence de caractères chinois en quelque chose de comique, de grotesque et de pompeux) ; ils peuvent tout simplement aussi avoir pour fonction d’attirer l’attention du lecteur, qui s’arrêtera automatiquement sur le mot un peu plus longtemps s’il y a des hanja ; et en fonction des cas, on peut trouver bien d’autres sens et fonctions à l’utilisation des hanja dans un texte littéraire. J’ai donc décidé de ne pas les occulter mais de les mettre au contraire en avant. Ainsi, tous les caractères chinois qui étaient placés entre parenthèses en accompagnement du mot coréen ont bénéficié d’une police d’écriture différente rappelant la calligraphie, afin de produire l’effet produit par les hanja dans le texte : le caractère ancien et calligraphique de l’écriture chinoise, le caractère érudit, l’intention de retenir l’attention du lecteur, ainsi que le caractère humoristique si le lecteur veut y voir cette dimension. J’aurais pu aussi conserver les caractères chinois tels quels, possibilité sur laquelle j’ai longuement hésité. J’ai par ailleurs conservé les caractères chinois seuls lorsqu’ils étaient utilisés seuls dans le texte, avec une police de caractère similaire à celle utilisée dans le texte (à savoir que certains lecteurs coréens ne connaissent pas forcément tous les caractères chinois, voir aucun, cela dépendant de leur niveau d’éducation et de la politique gouvernementale lorsqu’ils étaient eux-mêmes à l’école). Cependant, le titre du chapitre 11 « Indian Summer • Tennis (tenire) de Table (tabula) • Avènement », m’a posé quelques problèmes, car les caractères chinois présents entre parenthèses ont clairement une fonction étymologique et révèlent la possibilité d’un jeu de mots, comme je l’ai indiqué dans une note. J’ai donc pris le parti de mettre entre parenthèses la racine latine des mots, mais ici, la présence des caractères chinois permettait d’établir un lien entre la planète Ping-pong et la planète Terre, puisque la deuxième syllabe de ces deux mots était liée par la même étymologie, effet que l’on perd fatalement dans la traduction française. Voilà donc les solutions que j’ai pu mettre en œuvre afin de ne pas effacer cette dimension de la traduction, qui me semble revêtir quelque importance d’un point de vue littéraire.
Le second phénomène que je ne souhaitais pas effacer était la présence très importante de mots de konglish dans le roman, c’est-à-dire de mots anglais coréanisés, donc écrits avec l’alphabet coréen et donc prononcés à la coréenne lors de la lecture. J’ai au départ hésité à les conserver, de peur d’effrayer le lecteur et d’alourdir la lecture, mais finalement, je ne pouvais me résoudre à les gommer entièrement de la traduction. Premièrement parce que dans le texte coréen aussi, leur présence peut faire buter le lecteur. D’autre part parce que Park Min-kyu est souvent critiqué pour sa trop grande utilisation du konglish dans ses textes, qu’il est d’ailleurs possible d’interpréter comme une utilisation à caractère critique, une manière de souligner la présence trop importante de la culture américaine dans la société coréenne, et ce même dans la langue. L’utilisation du konglish participe aussi de cet effet d’un style d’écriture qui fait « jeune » et oral, dont j’ai parlé un peu plus haut. J’ai donc conservé les mots anglais, et les ai mis en italique dans la traduction. Cependant, avec le recul je me dis qu’on perd peut-être la dimension comique de la prononciation « à la coréenne », qui aurait pu être mieux mise en avant, en mettant tout simplement les mots anglais en franglish. Si je parle de tout cela, c’est bien pour vous montrer que l’on peut trouver de nombreuses solutions à un problème de traduction, mais que l’important est de ne pas effacer de problème.
La dernière donnée de ce « trio » est la présence des onomatopées. En effet la langue coréenne est riche de nombreuses onomatopées, participant encore une fois de cette oralité évoquée plus haut. J’ai utilisé deux solutions dans la traduction : j’ai retranscrit l’onomatopée telle quelle lorsque je trouvais qu’on comprenait au son ce qu’elle pouvait signifier, et dans le cas contraire j’ai cherché des onomatopées françaises qui pouvaient retranscrire celles-ci. L’idéal aurait été bien évidemment de conserver les onomatopées coréennes, mais les systèmes de transcription du coréen en français existant à l’heure actuelle ne me semblent pas être satisfaisants pour un usage littéraire. Il faudrait donc dans un futur proche créer un système de transcription que l’on pourrait utiliser dans les traductions littéraires de textes coréens. Affaire à suivre… En soulignant cette trilogie dans la traduction, je mets en lumière trois composantes spécifiques de la langue coréenne qui ont à la fois une fonction littéraire et rythmique : la présence séculaire des caractères chinois, celle plus contemporaine de l’anglais, et pour finir celle qui incarne l’une des spécificités de la langue coréenne, qui en fait une langue si chantante : ses onomatopées.
Ce que j’ai pu tirer de cette première expérience de traduction littéraire, c’est qu’en tant que traducteur il est très facile de s’autocensurer et de ne pas s’autoriser des solutions originales. Tout ce qu’il faut faire en réalité, c’est se débarrasser de l’appréhension et de la peur, et arrêter d’anticiper des refus fictifs de la part des lecteurs et de l’éditeur. Ils seront les mieux placés pour le faire eux-mêmes. Lorsque j’ai commencé la traduction de ce roman, j’ai au départ ajouté des guillemets, car à mon sens cela clarifiait et facilitait la lecture. Mais pourquoi rajouter des guillemets puisqu’il n’y en pas dans l’original, que le lecteur coréen se doit lui-même de faire un effort, d’autant plus que le sujet de la phrase est très facilement omis dans la langue coréenne ? D’autant que les guillemets alourdissaient le style, enlevaient une part de son oralité et de sa fluidité. Dans le premier échantillon de la traduction, j’ai constaté quelque temps après que je n’avais pas non plus remarqué les changements de taille de police de certains segments de phrases, et les avait oblitérés, alors que ces variations de tailles produisent un effet : certainement celui d’illustrer visuellement des chuchotements. Il y a aussi eu la question de l’emploi du mot « noir », désignant la couleur de peau d’un être humain, qui m’a posé problème. Il me semblait que la perception du mot n’était pas la même pour le lectorat français et coréen. Que le mot n’était pas chargé de la même manière, n’évoquait pas les mêmes représentations en France et en Corée. Je ne pouvais pourtant pas censurer le mot sous prétexte qu’il pourrait (selon moi) être mal interprété, ou dire quelque chose qu’il ne dit pas. Le mot « noir » dans le roman n’est pas stigmatisant, il est purement descriptif et désigne une catégorie de personnes qui ont connu une forme de marginalisation, ce qui a toute son importance du point de vue du thème du livre. Je l’ai donc conservé et laisse le lecteur y mettre ce qu’il veut, car ce n’est pas au traducteur de décider ce qui doit être dit et ce qui ne le doit pas. Tout ce que je peux faire c’est vous dire que le mot n’a pas la même dimension en coréen et en français.
Une autre difficulté que l’on peut rencontrer à la lecture de ce texte, et que j’ai rencontrée lors de la traduction, c’est ce que l’on pourrait appeler une sorte de « logique coréenne », qui est forcément une logique particulière, car l’on pense toujours différemment dans une autre langue et dans une autre culture, et cette logique est souvent ce qui peut faire obstacle, ce qui peut nous faire buter. Mais laissez-vous porter par le texte et par cette différence, accueillez l’étranger, cette coréanité, et faites-la vôtre, c’est le meilleur conseil que je puisse vous donner.
llustrations – Park Min-kyu
Au milieu d’un terrain vague se trouvait une table de ping-pong. Comment était-ce possible ? C’était comme ça. Et puis il y avait un vieux sofa1, posé négligemment à côté de la table de ping-pong. Avec son cuir tout en lambeaux, il avait des airs de vieille femme. Le sofa changeait sans cesse d’orientation. La plupart du temps il faisait face au sud mais parfois aussi à l’est, et d’autres fois pas tout à fait à l’est. Ce qui était important ce n’était pas l’orientation du sofa, mais l’impression que quelqu’un était venu s’y asseoir. Derrière se tenait un cabinet rouillé et chancelant. Il ne changeait jamais de place, et n’avait aucune raison de le faire, ses portes ne s’ouvraient pas et c’est sans doute pour ça que quelqu’un l’avait abandonné. Je n’y ai jamais vu ni animaux ni oiseaux. Il n’y avait que des avions qui sillonnaient le ciel de temps à autre, un tas de sable et un tas de bois, ainsi que quelques engins de chantier au loin. On peut dire que c’était ça l’écosystème du terrain vague.
À l’extrémité du terrain vague des travaux étaient en cours. C’étaient des travaux pour les tours d’un complexe résidentiel et commercial. Au vu de la profondeur des fondations il s’agissait très certainement d’une immense résidence. Assis sur le sofa, la première chose que nous avons vue, Moaï et moi, c’était le ciel, une immense crane2 traversant le ciel. La crane hissait une structure métallique mesurant plusieurs dizaines de mètres de long. Un paysage dont la vue aurait émerveillé quiconque, pourtant nous n’avons pas été surpris ou crié whaou. Ce n’est pas que nous soyons insensibles, disons simplement que nous avons reçu un peu trop de coups.
Whaou
et dire ça. À quel point faut-il être heureux avant de pouvoir pousser une telle exclamation ? Je me suis demandé, tandis que je fixais la crane qui venait de commencer à se déplacer horizontalement dans un bruit assourdissant. Une douleur aiguë m’a transpercé3, le flanc. Il avait sans doute reçu trop de mauvais coups. Au plus profond du sofa, je me suis lové. Je savais d’expérience que si je me levais trop vite la douleur serait encore plus vive. J’ai fermé les yeux. Criiiii. Sans doute à cause de la douleur le corps de Moaï aussi s’est agité. Les springs du sofa crissaient d’une douleur encore plus vive. C’était au début de l’été, un samedi après-midi.
Whaou
Aujourd’hui, j’ai vraiment reçu beaucoup de coups. Il y a des jours comme ça, où j’en reçois particulièrement beaucoup. Deux ou trois fois par mois, ça arrive à coup sûr. Il n’y a rien à faire. Je voudrais tourner la page mais ce n’est pas une question de volonté. Criiiii. Encore ce bruit métallique. Les springs rouillés du sofa, sont pareils aux bronches d’une vieille femme asthmatique. Moi aussi j’aimerais vieillir vite, et tuer tranquillement le temps en toussant. Si soudain paf je devenais un vieil homme, on ne me ferait pas subir ce genre de chose. Non, si seulement je pouvais vivre jusqu’à quarante ans, ou trente ans, non même vingt ans ce serait bien. Vingt ans. Vingt, ans. Vivre jusqu’à l’âge de vingt ans, est-ce seulement possible ? De grâce, laissez-moi vivre. Un grand et ambitieux rêve.
Moaï et moi nous formons un set. On nous torture en set, on nous appelle en set, on reçoit des coups en set. Les lieux où l’on se fait rouer de coups varient. Tous les jours on reçoit des coups en classe, aux toilettes, sur le toit-terrasse, et ici même dans le terrain vague. Je ne sais plus depuis quand, Moaï et moi en sommes arrivés à considérer tout cela comme notre labeur quotidien. On ne peut pas dire que ce soit un labeur agréable, mais n’ayant jamais connu autre chose je n’arrive pas à savoir si je l’aime ou le déteste. C’est tout, ainsi va la vie. J’ai quinze ans4, mais Moaï, qui a un an de plus que moi, doit sûrement penser autrement. C’est sûr que recevoir des coups en set ne veut pas dire qu’on en parle.
Moaï parle peu. Il a déjà redoublé une fois avant d’arriver dans notre collège. C’est tout ce que je sais de lui. Je ne sais pas s’il avait déjà été bizut dans son ancienne école, mais en tout cas il parle peu. C’est notre professeur principal qui lui a collé ce surnom. Ça alors, c’est leur portrait craché ! Puis il nous a montré une photo de cette île du Pacifique Sud où il y a de mystérieuses statues de pierre5. Ils étaient tous morts de rire. En effet, c’était vraiment la même impression. Le nom de ces statues était Moaï. Moaï, est ainsi devenu Moaï. Chaque fois que je l’entends, je trouve ce nom vicieux.
Mais à ce point-là, c’est quasi mystique non ? Une fois j’ai même surpris une fille dire ça. Vu ma situation je ne devrais rien dire, mais Moaï est un mystère surnaturel – sa tête est colossale. Pourtant ce n’est pas à cause de sa tête qu’on persécute Moaï. Parmi les diverses raisons il y a tout d’abord son argent, le fait qu’il parle peu, une nature de bizut inhérente à son caractère, mais s’il y a bien une raison c’est certainement parce qu’il est doué d’un pouvoir surnaturel. Un pouvoir surnaturel. Il y a quelque temps il y a eu cette émission dont tout le monde a parlé, présentant un pro capable de tordre une spoon d’un simple frottement comme du caoutchouc. Vous pouvez tous y arriver avec un peu de concentration. Et puis sur-le-champ, les téléspectateurs ont informé la chaîne de leur réussite, et le lendemain c’était le chahut dans la classe. Ya, toi aussi essaie pour voir. A dit quelqu’un à Moaï. Cette spoon est devenue la source de son malheur. Oooh. La spoon s’est vraiment tordue comme du caoutchouc. Ya, viens par là. Ch’isu a appelé Moaï. Essaie encore. Et une fois encore, Moaï a tordu la spoon.
Pendant un moment Ch’isu s’est mis à convoquer Moaï dès qu’il s’ennuyait. Toi viens voir par là. C’est toujours moi qui transmettais le message. En général il devait aller dans le repaire de la bande de Ch’isu derrière l’entrepôt, et Moaï tordait de nouveau la spoon. Whaou trop dément ! Parfois on le convoquait même la nuit. Dans un terrain abandonné à côté d’un Seven Eleven6, il devait de nouveau tordre une spoon devant la bande de Ch’isu et leurs nanas. Yihaa. Et tu peux faire ça avec un truc plus grand ? Avec un truc plus grand, il ne pouvait pas. Le don de Moaï les impressionnait de moins en moins. Mais merde tords au moins ta bite. C’est ce qu’a dit une des filles un jour. T’as pas du fric ? A demandé Ch’isu en se recoiffant. Le hasard fait bien les choses, Moaï avait de l’argent plein les poches. Pourquoi t’es venu seul ? A demandé Ch’isu en crachant peuh par terre, lorsqu’il est arrivé le jour suivant à l’entrepôt. Il veut nous… voir. Il y a une grande différence entre il veut te et il veut nous, le but de la convocation n’était vraiment pas le même. C’est ainsi que nous sommes devenus un set.
On prenait des coups ensemble, on se faisait convoquer ensemble, mais Moaï et moi on ne parlait presque jamais. Viens, il veut nous voir. Se cherchant d’une classe à l’autre tête baissée, ses convocations étaient nos seuls échanges et c’était tout. J’étais désolé pour Moaï, mais au début je dois avouer avoir éprouvé de la joie. Disons que c’était comme si j’avais enfin un ami, oui c’est ça. S’il n’y avait pas eu cette histoire, peut-être serions-nous déjà devenus les meilleurs amis du monde. C’est arrivé peu de temps après qu’on soit devenu un set. Plus je regarde ce connard plus je le trouve bizarre. Ce mystère surnaturel – inexpressif, cette tête gigantesque, c’est sans doute ça qui gênait Ch’isu. Tu ressens rien ? Et paf paf il frappait Moaï juste pour voir, mais aucun changement sur le visage de Moaï. Ça c’est vraiment bizarre. Il a tout essayé, même les chatouilles, si bien que la perversité du caïd a repris le dessus. Hi hi hi, toute la bande a commencé à rire. Ya, Clou ! Il a baissé le pantalon de Moaï. Suce ! Au début j’ai hésité mais face au regard transperçant du caïd je ne pouvais qu’obéir (en fait j’avais seulement sa bite dans la bouche). Pourtant ce sont mes larmes qui ont coulé. Le mystère surnaturel gardait toujours le silence alors Ch’isu a haussé les épaules. Laisse tomber. J’abandonne. Après cet incident on ne s’est plus jamais regardé droit dans les yeux. Même si on était un set, c’était comme ça.
Clou7. Moi c’est Clou. C’est ainsi qu’on m’appelle. Toc toc. Si on me regarde de loin quand Ch’isu me cogne la tête on dirait qu’on enfonce un clou, c’est pour ça qu’on m’a collé ce surnom. Ya, Clou ! Quand on me dit ça c’est bizarre, mais je ne sais pas car je n’ai jamais eu d’autre surnom. Si je l’aime bien ou pas, je ne saurais dire. Toc toc. Parfois j’imagine que si j’étais vraiment un clou ce serait bien. Quand j’attends le coup la tête sur le mur, eh bien oui, je prie. La prochaine fois faites-moi renaître en clou. Parce que les clous, semblent ne recevoir dans leur vie qu’un seul coup.
Une fois je me suis vraiment ouvert le crâne. C’est que j’ai reçu un caillou sur la tête, on m’a fait passer un x-ray et j’ai maintenu, c’est juste un caillou, même une fois les x-ray développées j’ai continué à maintenir ma version – puisque je vous dit que c’est juste un caillou. Sur la région que pointait le médecin il y avait pourtant une fêlure comme si on y avait planté un clou. Jusqu’à ce que mon crâne soit entièrement cicatrisé, Ch’isu ne m’a plus frappé. Disons que c’est à partir de ce moment-là, que mes capacités langagières se sont considérablement dégradées.
Je fais partie de la catégorie des bizuts. Je suis faible, peureux, on ne me remarque pas, et je n’arrive pas à étudier. Il n’y a pas une seule chose que je sais bien faire. Y’a rien, à faire. Indifférent, nonchalant, insensible, démuni, et tandis que je me cache la plupart du temps comme une bacteria Ya, Clou ! à cet appel je réagis. Dans un soubresaut, mon corps répond automatiquement. Lorsque c’est la voix de Ch’isu c’est encore pire. J’ai trop la honte. Moaï et moi, c’est en ça qu’on diffère. S’il se rapproche d’une sorte de bailleur de fonds, on peut dire que moi je suis le larbin. Je suis d’un rang inférieur. J’étais humain autrefois, mais je ne peux plus prétendre l’être. En gros, je me situe quelque part entre le clou et l’humain. Ping. Puisqu’il arrive parfois qu’on voie couler mes larmes, je pense pouvoir dire cela.
Le bizutage a commencé lors de ma 2e année au collège. Sans aucune raison. S’il devait y avoir une raison ce serait qu’une fois arrivé dans la même classe que Ch’isu, il m’a remarqué. Il m’a d’abord frappé. Lève les bras. Il m’a asséné une pluie de coups de poing sous les aisselles. Mon visage était intact mais j’ai terriblement souffert pendant des jours. C’était comme si quelque chose comme les ailes de ma vie, qui bourgeonnait jusqu’alors, s’étaient brisées. Quelque chose comme des plumes blanches ou du duvet, tombait à chaque coup. C’était ce genre, d’impression.
C’est comme ça que ça a commencé. Plus personne ne m’a adressé la parole. Non, plus personne ne pouvait. Je suis devenu la propriété exclusive, le larbin, le jouet, la boîte à musique, le MP3 player, l’alarme, l’insecte domestique, le handbag, le sandbag de Ch’isu. Il m’a fallu une année entière pour ne plus prêter attention aux coups. À un moment, c’est bizarre mais je me suis senti en paix. Quand j’ai réalisé que la situation ne pouvait pas empirer, l’inquiétude a disparu. Je ne pouvais rien y faire, et cette vie où plus rien n’importait a débuté.
C’est rien. Les jours où je recevais beaucoup de coups et où j’étais même blessé au visage, je donnais toujours la même réponse. Tu t’es battu ? Je suis tombé. Au début, j’ai gardé le silence par peur des représailles, puis plus tard par peur que ça n’empire. T’es sûr que ça va ? Ça va. Cette vie où plus rien n’importait continuait, mais il y avait un endroit où ça n’allait pas. C’étaient mes ongles.
Les dix ongles de mes doigts sont à moitié déglingués. Plus précisément, c’est parce que, je les rongeais. Crève ! Dès que j’avais envie de tuer Ch’isu, je me rongeais les ongles. Les ongles, personne ne les remarque, et peu importe la souffrance ils ne font pas de bruit. C’est ce côté qui m’a toujours rassuré avec les ongles. Comme tous les parents qui travaillent, les miens n’ont jamais regardé mes ongles une seule fois. T’as quoi aux mains ? Oui c’est Ch’isu qui a remarqué mes ongles brisés comme des débris de porcelaine. Euh, c’est comme ça depuis toujours, j’ai sorti comme excuse, puis peuh il a murmuré en crachant. Toi, tu voudrais pas ma mort par hasard ?
Comment… il a su ?
Après ça j’ai eu encore plus peur du mec. J’ai arrêté de me ronger les ongles. Si je devais parler de Ch’isu, soit j’aurais tellement de choses à dire qu’il me faudrait cent notes pour tout raconter, soit je ne dirais carrément rien, c’est comme ça. Il est contestable que son existence en elle-même soit mauvaise, mais il est certain qu’elle se détachait du lot. C’est ça, à tous points de vue. Tout ce qui sort de sa bouche est appliqué à la lettre. S’il dit qu’il va t’arracher les cheveux, alors les cheveux seront arrachés. S’il dit qu’il va te planter un couteau dans le ventre, alors il le plante vraiment (comme on m’a vite emmené à l’hôpital je ne suis pas mort). S’il dit qu’il va te tuer, alors tout le monde va penser, qu’il va tuer. C’est pour ça que tout le monde, écoute ce que dit Ch’isu.
Le bruit courait que même les caïds du lycée ne pouvaient le défier à la légère. Il y avait aussi une rumeur convaincante selon laquelle les chefs des gangs l’avaient déjà remarqué. Comment dire, c’est parce qu’il avait véritablement ce je-ne-sais-quoi de supérieur aux autres. Quand avait-il bien pu s’entraîner et apprendre à faire toutes ces choses, pour moi c’était incompréhensible. Force et violence, ruse, incitation, pouvoir, exploitation, influence, préservation, réconfort, répression, persuasion, harmonie, manipulation… le mot mauvais ne suffisait pas à le décrire. Par exemple il me gratifiait parfois d’une gentille plaisanterie, ou alors il me demandait sur un ton amicalement bienveillant si j’allais bien. C’était très rare, mais dans ces moments-là ping, je ne pouvais m’empêcher de pleurer. Je ne vois pas d’autre explication, il ne pouvait qu’être doté d’un pouvoir effrayant.
Seuls 2 % des êtres humains dirigent la planète.
Notre professeur principal répétait cela comme une rengaine, et c’est aussi ce que je pense. Quand je regarde Ch’isu, je sais que ce genre d’être humain existe réellement. Ils se présentent aux élections, font des discours, recrutent, établissent des rules – c’est important, je le comprends. Il faut bien que quelqu’un dirige tous ces êtres humains. Je le conçois. Que les 98 % des êtres humains restants se laissent duper, obéissent docilement, se soumettent plutôt que d’agir – c’est ce qui fait tourner la planète. Le problème, ce sont justement les êtres humains comme moi. Les êtres humains comme moi et Moaï. Mais enfin
nous n’avons aucune data. Nous n’avons aucune vitalité, et nous ne sommes pas une force motrice. Nous ne sommes ni omis ni exclus. Jamais nous n’avons émis une quelconque opinion ou un quelconque consentement. Pourtant nous vivons ainsi. Mais enfin
que sommes-nous ?
Ils sont cinq dans la bande de Ch’isu. En comptant les membres peu influents on atteindrait facilement un nombre plus important, mais ce sont ces cinq membres qui en constituent le noyau. Il y a quelque temps une institution gouvernementale a mené une expérience visant à accroître notre force combative, en croisant des chiens avec des hommes. Comme nous ne sommes pas dans un roman de SF ce genre d’expérience ne pouvait pas réussir. L’institut de recherche a fermé ses portes, et pour finir il n’est resté que des bébés hybrides mi-hommes mi-chiens. Ces œuvres ratées ont été vendues à bas prix aux quatre coins du pays. Loin de connaître la vérité, les parents aussi stupides que ces sales hybrides – se sont occupés d’eux comme de la prunelle de leurs yeux.
Les pires ce sont les filles. C’étaient des vieilles nées entre 1910 et 1920, qui avaient amassé une immense fortune après s’être vouées pendant presque un siècle à la prostitution. Vers l’âge de quatre-vingts ans, elles ont vendu leurs biens et se font fait faire des opérations de chirurgie esthétique hightech comme des liftings sur tout le corps – même sur leur chatte – et se font fait passer pour d’honorables adolescentes de quatorze ans sans le sou – ce sont des traînées, voilà tout.
Lèche.
J’ai réellement déjà léché la chatte de l’une d’entre elles (en fait j’ai seulement posé mes lèvres). Celle de la gamine qui malgré le coup de téléphone de Ch’isu a refusé son chantage sexuel prétextant être malade. Ya, Clou ! Il m’a donné son sac et Ch’isu qui était allé la chercher jusque dans son studio a défoncé la porte d’un coup de pied. Je ne sais pas si la fille avait l’air négligé ou malade, mais il lui a vraiment arraché presque tous les cheveux. Ensuite il lui a frappé la tête sans pitié avec une fry-pan qui avait dû servir à cuisiner des tteokbokkis8. Baisse. Une fois le jogging taché de sauce de la fille descendu, il m’a de nouveau forcé à le faire. Lèche. Et puis il a filmé la scène avec son phone.
Entre les jambes écartées de la fille, ça sentait le linge pas lavé depuis 1910.
Pour résumer
voilà le genre d’êtres humains, qu’ils sont. Ce genre d’individus, se cramponnent aux côtés des 2 %. Ils se lavent mal, volent, rackettent, se prostituent, se font maquereaux, menacent, frappent, réclament l’argent d’autrui sans jamais payer de taxes. Le pire c’est qu’ils pensent, appartenir à l’élite des 2 %. Quoi qu’il en soit, ces cons n’ont que de la merde dans la tête.
réveillez-vous, bande d’attardés
Pour diverses raisons le terrain vague, était un espace très utile à la bande de Ch’isu. Pour se cacher et comploter des mauvais coups, je pense qu’il n’y a pas meilleur endroit. Avant comme il y avait un fossé il fallait faire un détour de quarante minutes pour y accéder, mais avec l’arrivée des travaux, des trucks ont comblé le fossé avec de la terre. En tournant après la colline située derrière le collège, on y arrive en dix minutes à peine. Le jour où l’on nous y a emmenés pour la première fois nous avons reçu de violents coups. Nous ne connaissions pas encore le coin où il y a le sofa, mais on s’est fait frapper en set devant le tas de sable. Après le départ de la bande de Ch’isu nous sommes restés allongés par terre un bon moment. Bodom bodom, c’est comme ça que Moaï a découvert le sofa. En allant pisser derrière le tas de bois. Tu fais quoi ? Comme il ne semblait pas avoir l’intention de revenir je suis allé le trouver, la manière dont il était assis donnait le sentiment qu’il était enseveli. Poum, je me suis effondré à ses côtés. C’était un sofa deux places, et je ne sais pas comment c’était possible mais juste en face il y avait une table de ping-pong.
Cette scène reste encore aujourd’hui gravée dans ma mémoire.
La table de ping-pong se trouvait là, et elle semblait être l’essence même du terrain vague et de la planète. C’était un ciel clair d’après la saison des pluies, et c’était le calme avant la tempête. C’est pour cela que les rackets d’un rouge vif et les balles blanches qui traînaient à côté ont attiré notre regard. Et puis, il n’y avait personne.
Tu veux jouer ?
C’était la première fois que j’entendais la voix de Moaï. Ya, Clou