Mathilde de Jamblinne
Mes joyeuses années au pensionnat
À Pascaline, à qui j’ai toujours promis un livre !
C’est après six années au pensionnat et le recul de presque dix ans que j’ai décidé de retranscrire ici mes plus beaux souvenirs.
Ce livre ne constitue en aucun cas un « catalogue » de pensionnats et, bien qu’ayant recueilli tous azimuts des témoignages, je ne prétends pas non plus décrire des réalités valables pour tous les établissements. Basé en grande partie sur mon expérience dans un pensionnat de jeunes filles, il se veut rassurant, informatif et, je l’espère, un peu drôle.
S’il peut, d’une quelconque manière, rassurer des parents ou des jeunes, leur donner l’envie de vivre cette expérience, j’en serai ravie. Quoi qu’il en soit, je vous souhaite à tous une très agréable lecture !
Février 2003, j’ai à peine 11 ans. Le repas de famille touche à sa fin et, alors que tout le monde sort de table progressivement, mes parents me regardent dans les yeux : « Serais-tu tentée de faire tes études au pensionnat ? » Ouf… Heu… Le pensionnat ? Vraiment ?
J’ai en tête ces mots, tirés de la Guerre des boutons (que je connaissais par cœur et que j’adorais) : « Si tu continues à ne pas être sage, je t’envoie au pensionnat ! » Dois-je donc y voir une menace ? Moi qui avais justement l’impression d’être un peu trop sage… Un délai de réflexion m’est accordé, mais très vite je comprends qu’il faut choisir au plus vite. En effet, la soirée portes ouvertes est prévue à la fin du mois et la liste d’attente est longue ; si je tiens (ou, autre alternative plus réaliste, comme mes parents tiennent) vraiment à entrer au pensionnat l’année prochaine, nous n’avons pas le temps de trainer, d’analyser la situation et de lister les avantages et les inconvénients trop longtemps. Tout au plus, j’ai une semaine pour prendre une décision qui changera radicalement ma vie. Qui dit mieux ?
C’est de cette manière que je fus embarquée, petite jeune fille, un peu malgré moi et avec pour seul argument « mais, tu sais, tous les gens que l’on connait ont adoré cette expérience et ils en gardent de très bons souvenirs » dans une aventure qui se terminera en toute logique le 30 juin 2009, j’ai survécu aux six années de pensionnat, je ne suis pas partie avant la fin, une certaine fierté. Je n’avais pas vraiment eu le choix, j’étais pourtant sage et… je n’ai jamais douté de l’amour que mes parents me portaient.
Février 2013, dix années se sont écoulées, dix ans depuis la fameuse « presque décision », et l’envie de coucher sur papier ce qu’elle a pu engendrer me prend. On organise les traditionnelles retrouvailles, on échange nos souvenirs, on rit, on se surprend à la nostalgie. À cette époque, nous avons vécu un tiers de notre existence ensemble, ce qui représente six années chargées en émotions, ça nous parait important.
Je n’écris pas uniquement un livre de souvenirs, j’aimerais ici aussi retracer brièvement l’histoire du pensionnat, faire le point sur son état actuel (car oui, il est encore « à la mode », il s’est même beaucoup modernisé !), mais aussi faire rêver les moins casaniers d’entre vous avec les pensionnats les plus célèbres de l’Histoire… et de la littérature !
Mais surtout, surtout, évacuer une idée vieille comme le monde et trop souvent entendue, idée qui peut briser plus d’un adolescent : si vos parents décident de vous envoyer au pensionnat, ce n’est absolument pas parce qu’ils ne vous aiment pas… bien au contraire !
Contrairement aux idées reçues, le pensionnat ne voit pas son expansion à cause de l’éloignement de l’école et du domicile, bien au contraire. Les écoles étant, pour la plupart, paroissiales, elles se trouvaient donc, de cette façon, à proximité du domicile de leurs élèves : tout le monde fréquentait l’école dite du village et rentrait chaque soir dans ses pénates, aider dans les champs ou au ménage. En revanche, la formation professionnelle immédiate, chez un maître, voit, dès le Moyen-Âge, les prémisses de nos pensionnats modernes. Les maîtres accueillaient en effet chez eux leurs apprentis, et ce pour une semaine, un mois, une année ou le temps complet de l’apprentissage, sans retour au domicile. C’est également, et pour les mêmes raisons, que l’université, qui était au départ une école de formation professionnelle des clercs, va être la source d’implantation des pensionnats. À partir du XIIIe siècle, l’université de Paris crée de nombreuses congrégations permettant aux étudiants de se loger, de se nourrir et de se blanchir afin d’être plus proches de leur lieu d’étude. Ces congrégations deviendront à partir du XVIe siècle les fameux « collèges ». Progressivement, ces collèges « voleront » à l’université ses enseignements et l’ensemble des cours y sera dispensé, l’université ne se contentant plus que de certifier les grades : bacheliers, licenciés… Au XIXe siècle, l’université est réinventée et redevient un lieu total d’enseignement, il est donc difficile de délimiter la notion de pensionnat.
À partir du XVIIIe siècle, l’idée que le pensionnat ne se limite qu’à la formation professionnelle ou universitaire commence à changer, en parallèle à la place de l’enfant au sein de sa propre famille. Ce changement est mis en avant par Rousseau, lorsqu’il pose la question de savoir si oui ou non un enfant doit être élevé par une nourrice en lieu et place de ses propres parents. S’il parait évident que ce débat est houleux, il n’empêche qu’une grande partie des familles bourgeoises continue d’envoyer ses jeunes filles au couvent et ses fils dans des collèges et des lycées privés, en gardant la logique de délégation de l’éducation à des institutions extérieures à la famille. Malgré l’esprit des Lumières et les refontes intellectuelles, on peut également considérer que les XVIIIe et XIXe siècles sont des siècles au cours desquels les « élites » (entendez par là les riches bourgeois et les nobles pas tout à fait dépossédés) tentent de se débarrasser de leurs enfants le plus possible sans hésiter une seule seconde à confier leur éducation – que celle-ci soit religieuse, scolaire, professionnelle ou même encore amoureuse ou sentimentale –, au soin de quelques professeurs et éducateurs externes à la vie de famille. Les pensionnats deviennent alors les lieux où s’effectue cette prise en charge, en dehors du noyau parental, quel que soit le parcours scolaire de l’enfant, qui n’est plus systématiquement et directement plongé dans le milieu professionnel.
Le pensionnat a donc, dans l’imaginaire collectif, une vision négative : il est considéré comme un lieu dans lequel des parents délaissent, pour ne pas dire « abandonnent », leurs enfants au profit d’une éducation qu’ils n’ont ni le temps ni l’envie de leur prodiguer. Les « désastres » causés par cette vie « hors du monde » sont esquissés dans la littérature, comme nous le démontrent les célèbres exemples des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos (un de mes livres de chevet) où la jeune Cécile sort tout ingénue et naïve du couvent dans lequel elle était enfermée jusqu’à ses 16 ans, mais également de La Guerre des boutons de Louis Pergaud, un roman dans lequel le pensionnat est clairement l’endroit que fréquentent les « racailles » du village, ou encore d’Olivia de Dorothy Bussy (sous pseudonyme), qui met en scène la relation particulière entre une adolescente en mal d’amour parental et son enseignante dans un prestigieux pensionnat anglais. Néanmoins, un grand avantage du pensionnat est souvent souligné : le pensionnat, s’il est bon, permet un développement personnel du jeune, il lui donne une identité, un corps, une existence, lui permettant d’appartenir à une communauté et d’affirmer sa personnalité au sein de celle-ci. C’est pour cette raison que peu de pensionnats accueillent des élèves du primaire, des jeunes de moins de 12 ans : c’est principalement durant l’adolescence que le jeune peut s’affirmer et se constituer comme personne à part entière. C’était le cas par l’apprentissage d’un métier dans le parcours professionnalisant, ce le sera par la connaissance de soi-même dans le parcours secondaire traditionnel. Le pensionnat devient donc un lieu privilégié dans lequel peuvent se créer de fortes amitiés, comme c’est généralement le cas dans les universités. Il acquiert une dimension identitaire, bien plus qu’une école secondaire « normale ».
L’histoire du pensionnat est donc liée à l’histoire de l’enseignement professionnel, dans un premier temps, mais également à l’histoire sociale et à l’attitude des familles face à leurs enfants. Néanmoins, il reste évident que pour les enfants issus des milieux plus populaires, qui avaient donc accès sans soucis à l’école paroissiale du village, le pensionnat intervient en cas de dérives conduisant à la délinquance que les parents ne peuvent plus maitriser, contrairement à des professeurs, aptes en raison de leur formation et sévères par leur caractère, qui parviennent à les contenir. Cette troisième histoire du pensionnat, comme lieu d’enfermement (car il s’agit plus de cela que de lieu d’éducation, il faut le reconnaitre), commence dès le Moyen-Âge avec l’émergence des hospices et des prisons, les hôpitaux étant des lieux consacrés à l’enfermement des plus jeunes enfants, et ce, jusqu’au XIXe siècle, ère des colonies pénitentiaires, destinées à réhabiliter les jeunes délinquants. Ses établissements, fleurissant partout en France, étaient fondés sur des principes idéalistes : ils cherchaient à rééduquer les jeunes délinquants en les faisant travailler la terre ou en mer, c’est selon. Néanmoins, ils ont pour triste réputation d’être les ancêtres des bagnes pour enfants. Le célèbre écrivain Jean Genet séjourna de 1926 à 1929 dans la colonie pénitentiaire de Mettray, dans l’Indre-et-Loire, pour ne donner qu’un exemple. Il y est « incarcéré » pour fait de vagabondages, fugues et vols à répétition ; c’est certainement de là que lui vient ses idées de soumission et de domination de la hiérarchie virile.
C’est durant les années 60 que le pensionnat est remis en question et attire de plus en plus souvent de vives critiques. En effet, ces années voient l’arrivée d’une culture et d’une économie de l’enfance et de l’adolescence : la place accordée dans la société à cette tranche de la population devient de plus en plus importante et l’adulte se met à l’écoute à la fois de ses envies et de ses désirs, au détriment parfois d’un intérêt nouveau et pas forcément en faveur du parent. La mixité est l’une des caractéristiques principales de cette école et petit à petit, l’école des filles et l’école des garçons fusionnent en une seule et même école ; le pensionnat, par nature non mixte, devient donc difficile à maintenir, du moins tel quel. Les adolescents revendiquent également des modes de vie et des libertés que des adultes responsables et stricts ne sont plus à même de leur offrir, simplement parce qu’elles leur paraissent totalement ahurissantes : libération des mœurs, bravade des interdits… Le passage de la majorité de 21 ans à 18 ans en 1974 complexifie encore plus la relation entre les adolescents et les adultes… qui sont dès lors plus jeunes ! Tous ces problèmes remettent en question la position de l’enfant, ainsi que celle de l’adolescent, au sein de la société au sens large et de sa propre famille au sens plus restreint. La capacité des parents à assumer leurs responsabilités traditionnelles est également remise en cause, et le pensionnat comme lieu de refuge est pointé du doigt.
C’est au couvent que se fait l’éducation des jeunes filles de la bonne société, les nobles et les bourgeoises, au XVIIIe siècle. Elles y sont coupées du monde extérieur et soumises à la plus stricte discipline afin de devenir des « délices de la société par leurs charmes et leur esprit ». Leur éducation est surtout basée sur les connaissances pratiques de la couture et du ménage et sur la religion, dans le but d’en faire des épouses et des mères agréables de compagnie, à la conversation abondante, mais pas aussi instruites que les hommes, qu’elles ne pouvaient jamais égaler. La littérature a toujours un petit peu exagéré les rôles des couvents, en en faisant les lieux de tous les scandales et des faits les plus étranges : complots mis en place par des hauts dignitaires de la Cour, lieux de rencontres de sociétés secrètes et de sectes, messes noires, enlèvements et viols, assassinats et bien pires encore (il suffit de lire le Marquis de Sade pour s’en rendre compte !). La réalité était évidemment assez loin de ces fantasmes, mais certains évènements peu catholiques se sont quand même bel et bien produits au cours des siècles puisque les couvents, en tant que lieux clos et confinés, apparaissaient comme des endroits isolés dans lesquels pouvaient se dérouler en toute liberté des activités que l’on aurait voulu dissimuler au reste du monde. Certaines personnalités de la Cour royale, le roi en premier, avaient la possibilité de venir se retirer au couvent quand bon leur semblait pour une retraite ou se ressourcer. Cet avantage était dû non seulement à leur rang, mais également aux donations qu’elles faisaient aux mères supérieurs afin d’aider à l’éducation des jeunes filles. Ces visites, aussi fréquentes soient-elles, avaient tendance à déranger la belle et parfaite petite organisation mise en place dans les couvents et déclenchaient le plus souvent des intrigues, sinon amoureuses et sentimentales, politiques. Je vais tenter maintenant de décrire au mieux la vie des jeunes filles dans ces honorables institutions au XVIIIe siècle, c’est-à-dire au temps des Philosophes des Lumières, des amours libertines et malsaines, des voyages en carrosses à travers l’Europe, à l’époque de la féérie de la Cour de Versailles et de ce qu’elle inspirait de bon aux jeunes filles, mais aussi à celle où l’étiquette et le « qu’en dira-t-on » régnaient en maitre, loin devant l’éducation et l’esprit.
En premier lieu, il faut savoir que n’est pas admise au couvent qui veut. Plus un établissement est côté, et plus les critères de sélections sont élevés. Ils sont en général basés sur la santé des futures pensionnaires ainsi que, bien entendu, sur la richesse et le rang de leurs familles: la santé, car aucune institution ne souhaite voir ses classes décimées par une épidémie quelconque (les moyens médicaux étant, à l’époque, bien moins importants qu’aujourd’hui) et la richesse pour une question évidente de prestige. La fourchette des tarifs pratiqués dans ces établissements varie plus ou moins de 100 à 1000 livres par an (ce qui équivaut à l’heure actuelle à un prix situé entre 1660 et 16600 euros par an) et reflète la différence entre ceux qui accueillent les filles de nobles riches et ceux qui reçoivent des filles de plus basses extractions, même si tout est relatif au vu des plus bas prix d’une année au couvent. Il y a un grand fossé entre des couvents comme celui de Ste Anne à Paris dont les tarifs oscillent entre 250 (4150 euros) et 450 livres (7470 euros) et où les filles sont logées dans des dortoirs de trente lits et ceux comme celui de l’Abbaye de Penthemont, également située à Paris, où les tarifs vont de 600 (9960 euros) à 1000 livres et dont les pensionnaires possèdent chacune leur propre chambre ainsi qu’une domesticité particulière. Dans les couvents où l’on accepte des filles riches et pauvres, on prend bien soin de ne pas les mélanger: leur emploi du temps est fait de manière à ce qu’elles ne puissent jamais se rencontrer afin ne pas susciter de jalousies et que chaque «type» de clientèle ait l’impression d’y être seule, mais aussi pour ne pas qu’elles puissent se lier d’amitié entre rangs « différents ».
Les pensionnats accueillant beaucoup de jeunes filles sont ceux dans lesquels les uniformes sont le plus souvent imposés pour des raisons de facilité, il était donc plus simple que tout le monde soit vêtu de la même manière. Les coupes et les couleurs des tenues varient énormément d’un établissement à l’autre. Elles ont toutefois en commun de devoir couvrir toutes les parties du corps, afin de ne pas laisser entrevoir la moindre partie de chair et d’éviter non seulement les agressions de la météo sur la peau, mais également les tentations des visiteurs temporaires. Les pensionnaires du couvent Sainte Elisabeth, à Paris, portent un habit noir tout simple, presque semblable à celui des sœurs Celles de Notre Dame, un costume bleu, quant à celles de Maison Royale, elles portent des robes de cour noires, mais sont entièrement vêtues de blanc lorsqu’elles rentrent chez leurs parents durant des périodes de « vacances » scolaires, assez aléatoires, ou pour des occasions particulières (décès d’un membre de la famille, par exemple). À Saint Joseph, on porte des robes de couleur différentes de celles des soeurs, pour s’en distinguer, mais taillées de la même manière, c’est-à-dire assez grossièrement et ne permettant pas d’affirmer réellement sa féminité.
À Port Royal, les pensionnaires sont libres de se vêtir à leur convenance à condition que les habits portés soient simples et dépouillés de tout ornements, en étant au couvent, elles faisaient en effet une sorte de vœux de pauvreté dans le sens où il leur était demandé de ne pas exposer aux yeux de tous la richesse de leur vie « à l’extérieur ». Il existait néanmoins un costume fait d’un fourreau de serge blanche à queue traînante et à manches courtes qui laissait le cou découvert, costume qu’elles n’étaient pas obligées de porter, bien que cela soit vivement conseillé lors de visites importantes. Un voile blanc était posé sur leurs cheveux. Les soeurs, quant à elles, portent un habit blanc, mais au XVIIIe siècle, il est remplacé par l’habit noir, moins seyant, mais moins salissant, ce qui était primordial à l’époque : l’habit devait être pratique et ne devait pas forcément mettre en avant celles qui avaient fait vœu de chasteté. Dans la plupart des cas, les jeunes filles se devaient de prendre soin de leurs affaires en les lavant, les repassant et les reprisant au besoin : cet entretient faisait parti de l’enseignement dispensé, y compris pour les demoiselles de sang noble, puisque toutes aspiraient à être de bonnes épouses, qu’elles aient par la suite ou non des domestiques. La coquetterie était plutôt mal vue, voire combattue: les miroirs étaient en général interdits et il était demandé aux pensionnaires de s’habiller et se déshabiller le plus vite possible afin d’éviter toute indécence ou incitation au narcissisme. En réalité, le froid qui régnait dans les dortoirs mal chauffés obligeait les filles à se déshabiller très rapidement pour ne pas geler sur place. Les ornements de toutes sortes étaient pour la plupart interdits, éventuellement pouvait-on porter au cou des chapelet ou autres petites croix en or, mais aucun signe de richesses extérieur ne devait venir troubler l’habillement. Les coiffures étaient des plus simples, une jeune fille qui prenait soin d’elle était considérée comme une coquette, c’est-à-dire une séductrice, ce qui, en principe, ne servait pas à grand chose dans des institutions dont la population était quasi majoritairement féminine.