Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Sophie et Didier.
Arsène Barbaluc s’étira longuement. La journée précédente avait été fatigante, mais l’inauguration du Sainte-Hélène avait été un succès. Il était content pour ses amis Geoffrey et Hélène Trubert. Il les connaissait depuis de nombreuses années. Cela faisait presque trente ans qu’il côtoyait Geoffrey au sein de l’équipe du Gastronome Français. Ils avaient commencé tous deux comme inspecteurs gastronomiques, puis Geoffrey avait accepté de devenir rédacteur en chef du mensuel Le Gastronome, complément indispensable du guide pour tout passionné de cuisine. Lorsqu’ils étaient encore célibataires, les deux hommes avaient “mené la vie”. Ils ne comptaient plus les nuits de fête, les conquêtes féminines et les gueules de bois matinales. Puis Arsène avait rencontré Judith et Geoffrey s’était marié avec Hélène.
Il y avait toujours des fêtes, mais elles étaient différentes et… plus calmes.
À cette évocation, Arsène Barbaluc esquissa un sourire. Il se leva et ouvrit les volets de sa chambre. Il frissonna. Pour un mois de mai, l’air était frais. Le ciel bas sur Guérande laissait échapper une petite bruine désagréable. En face, le parking était presque désert. Comme à son habitude, il passa sous la douche d’abord tiède puis froide. Alors qu’il se rasait, il pensa à Judith restée à Paris, qui devait se préparer pour aller à son travail. Dimanche prochain, elle le rejoindrait et ils partiraient pour deux semaines de vacances en Bretagne puis en Irlande.
Les liens entre Arsène Barbaluc et Geoffrey Trubert s’étaient encore resserrés après leur aventure du côté d’Aix-en-Provence1. Cette aventure avait bien failli coûter la vie à Geoffrey Trubert qui avait gardé depuis une légère claudication. Alors quand, il y a un peu plus d’un an, le rédacteur en chef du Gastronome lui avait expliqué qu’il avait décidé de changer de vie, Barbaluc avait été surpris et un peu triste.
Geoffrey et son épouse avaient décidé d’ouvrir un hôtel-restaurant à Guérande. C’est Hélène qui connaissait la région depuis son enfance et avait fait les premières recherches. C’est elle qui avait trouvé cette vieille bâtisse en pierre du XIXe siècle, à deux pas des remparts et de la porte Saint-Michel. En quelques mois, sous la houlette d’Hélène, ils avaient transformé les bâtiments en un hôtel de charme de très bon niveau. Geoffrey s’était occupé de la partie restaurant.
Arsène Barbaluc avait été très heureux que son ami fasse appel à lui pour les derniers réglages et l’établissement définitif de la carte. Il avait au cours de ces derniers mois fait plusieurs allers et retours entre Paris et Guérande.
Le patron du Gastronome Français, André Gibon avait même accepté de donner à son plus fidèle inspecteur gastronomique deux semaines de congés supplémentaires afin qu’il aide Geoffrey. Lui-même était venu, deux jours avant l’inauguration, prêter main-forte. Il n’était reparti que la veille au soir pour Paris. Ainsi la semaine précédant l’inauguration du Sainte-Hélène, Arsène Barbaluc avait pu être à côté de ses amis.
Arsène Barbaluc, tout en s’habillant, repensa à cette première journée. Le restaurant avait affiché complet et quelques chambres étaient déjà occupées. Ce dimanche s’annonçait sous les meilleurs auspices. « Finalement », pensa l’inspecteur gastronomique, « Geoffrey ne s’est peut-être pas trompé… Sa chef semble être à la hauteur. »
Arsène Barbaluc avait eu un peu de mal avec Magali Krommel. La jeune chef danoise recrutée par le patron du Sainte-Hélène, avait un peu dérouté l’inspecteur gastronomique. Sa manière de cuisiner, ses choix, sa façon de diriger sa brigade l’avaient surpris.
Mais il devait bien reconnaître que les résultats étaient là. Alors qu’elle n’avait pas trente ans, elle avait déjà un joli savoir-faire et une belle marge de progression.
1 Voir Le calisson jusqu’à la lie, même auteur, même collection.
Alors qu’il refermait sa chambre, il entendit bougonner au bout du couloir. La femme de ménage semblait de méchante humeur.
— Alors Sabine, vous n’avez pas l’air dans votre assiette, ce matin ?
— Il y a encore des traces près de la porte du grenier, affirma Sabine Maloye en désignant le couloir opposé. C’est pareil presque tous les matins. À croire qu’il y a quelqu’un qui se promène la nuit dans les combles.
— Qui voulez-vous qui se balade la nuit dans le grenier ? Je ne vois pas Geoffrey ou Hélène s’adonner à ce genre d’activité.
— Oh, pour ça non ! Moi je crois que c’est le fantôme du hippie qui s’est fait assassiner dans la maison d’à côté.
— Bien sûr ! Et l’Ankou va venir vous chercher une de ces prochaines nuits, se moqua Barbaluc.
Sabine Maloye se signa en bougonnant et remit en marche son aspirateur.
Au bas de l’escalier, Arsène Barbaluc tomba sur Geoffrey Trubert.
— As-tu pris ton café ? lui demanda le patron du Sainte-Hélène.
— Non.
— Je t’accompagne, un petit noir me fera du bien aussi.
Ils s’étaient installés dans le coin bar. Trubert s’activait devant le percolateur. Barbaluc sortit des tasses.
— Tu as l’air réjoui, ce matin, s’amusa Trubert.
— C’est ta femme de ménage qui m’amuse.
— Laquelle ?
— Sabine Maloye.
— Je ne l’imaginais pas en comique troupier.
— Elle est persuadée qu’il y a un fantôme dans le grenier.
— Encore ! Cela fait deux fois qu’elle me raconte ces âneries. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi super-stitieux, d’aussi crédule. Je suis certain qu’elle y croit, en plus !
— Mais je n’ai pas compris qui était ce fantôme.
— Ian Lister-Jones. Il habitait la maison voisine. Celle qui a un mur mitoyen avec la nôtre. Il a été assassiné en début d’année. D’après les gendarmes, c’est un cambriolage qui a mal tourné.
— J’y suis. Tu m’en as parlé. C’est l’ancien leader du groupe Myst of Dreams ?
— Exactement.
— Je me souviens que, quand j’étais jeune, j’aimais bien…
— …Moi aussi, je pense même que j’ai dû “emballer” sur certains de leurs succès. Mais tu sais, depuis quelques années, leurs vieux tubes sont de nouveau à la mode. C’est étonnant comme les jeunes d’aujourd’hui s’intéressent à la musique des années soixante-dix et quatre-vingts !
— Tu le connaissais ? l’interrogea Barbaluc en sirotant son café noir sans sucre.
— Bonjour bonsoir, pas plus que ça. C’était un homme discret, qui menait une vie tranquille. D’après ce que je sais, il était malade. Un cancer, je crois…
— Et l’assassin a été retrouvé ?
— Pas à ma connaissance. D’après un des gendarmes dont j’ai embauché les filles…
— Qui ça ?
— Lætitia et Amélie Le Gouer. Eh bien, d’après leur père, il s’agirait d’une bande nantaise. Mais pour le moment, ils n’ont rien de sérieux. À mon avis, ils n’ont pas classé l’affaire, mais j’ai l’impression qu’ils ont mis l’enquête en veilleuse. Veux-tu un autre café ?
— Avec plaisir.
La voiture du restaurant entra dans la cour. Magali Krommel et son adjoint revenaient du marché. De loin, la jeune femme leur fit un signe de la main. Le percolateur lâcha sa vapeur. Trubert poussa une tasse de café brûlant vers l’inspecteur gastronomique en fredonnant une mélodie.
— Ça c’est des Myst of Dreams.
— C’était bien quand même, soupira Arsène Barbaluc en repensant à sa jeunesse. J’aurais bien aimé le connaître, ton Ian Lister-Jones.
— Je pense qu’on aura le reste du groupe à partir de ce soir à l’hôtel.
— Comment ça ?
— Tu imagines que le règlement de l’héritage d’un tel personnage ne doit pas être chose aisée. Le notaire les réunit à partir de demain. Ils débarquent ce soir.
— Combien sont-ils ?
— Une petite dizaine, ils m’ont réservé huit chambres et le petit salon pour dîner, toute la semaine.
La matinée fut agitée. La femme du sommelier téléphona pour informer que son mari avait été hospitalisé dans la nuit pour une péritonite aiguë. Geoffrey Trubert n’eut pas d’autre solution que de demander à son ami Arsène de le remplacer. Barbaluc avait les connaissances nécessaires tant sur le vin que sur la manière de le servir. Sans compter qu’il avait participé activement à la création de la cave. Le temps de s’acheter un costume adéquat, il en emprunta un à Julien Tacconais, le chef de rang qui avait à peu près sa corpulence.
Finalement, le déjeuner se déroula parfaitement bien. Après des premières minutes particulièrement stressantes, Arsène Barbaluc s’en sortit très bien et réussit à se détendre. Le Sainte-Hélène afficha complet et plusieurs clients désirèrent féliciter la chef qui, à la fin du repas, vint faire le tour des tables.
Le dernier client parti, Geoffrey Trubert rassembla toute l’équipe et leur offrit une coupe de champagne.
— Mes enfants, si nous continuons comme hier et ce midi, notre avenir est assuré. Une nouvelle fois, je lève ma coupe à notre travail… mais je vous préviens, ce ne sera pas champagne chaque midi. Là, c’est juste un encouragement.
Geoffrey avait toujours su créer un esprit d’équipe. Cela avait déjà été le cas quand il était devenu rédacteur en chef du Gastronome. Une nouvelle fois, il avait su donner une âme à son entreprise. Hélène et lui s’étaient disputés devant Barbaluc quand Trubert avait décidé que son équipe, y compris le chef de rang et ses serveurs, devaient être présents à temps plein, un mois avant l’ouverture. Il ne s’était pas trompé. L’équipe était déjà rodée.
Quelques rires s’ajoutèrent au sourire quand Geoffrey se tourna vers Barbaluc, le verre levé.
— À toi aussi, mon cher Arsène. En tant que sommelier, tu ne t’en es pas trop mal tiré et ta main n’a pas tremblé.
— J’ai perdu au moins trois kilos…
— Maintenant, quand tu jugeras un sommelier, tu le verras d’un œil différent, ironisa Hélène Trubert. Je n’ose imaginer un client qui te fasse un reproche.
— Je ne crois pas… commença l’inspecteur gastronomique, agacé car interrompu par des voitures qui pénétraient sur le parking du Sainte-Hélène.
— Les affaires reprennent, lança Geoffrey Trubert en s’éloignant avec sa femme pour accueillir les nouveaux arrivants.
Chacun finit sa coupe et repartit vaquer à ses occupations.
Magali Krommel et Arsène Barbaluc regardaient par la baie vitrée les héritiers de Ian Lister-Jones débarquer. En passionné d’automobiles qu’il était, Arsène Barbaluc admira la Lynx Eventer immatriculée en Grande-Bretagne, qui manœuvra pour se parquer à côté de sa vieille Volvo. Un homme, mince, de grande taille, les cheveux blancs sur les épaules, la soixantaine et à l’allure de dandy en descendit. D’un geste machinal, l’homme chercha à défroisser son costume à la coupe impeccable.
Il fit le tour du break de chasse Jaguar pour ouvrir la portière à une femme du même âge, grande et char-pentée.
— Je crois qu’il s’agit de Peter Buckland, le batteur qu’on surnomme Linus, annonça Magali Krommel.
— Vous le connaissez ?
— Mon père est fan des Myst of Dreams.
— Quel âge à votre père ?
— À peu près le vôtre, je pense…
— C’est-à-dire ?
— Cinquante-trois ans.
Arsène Barbaluc fit la moue. Il avait tendance à oublier ses cheveux grisonnants et son âge.
— Celui qui descend de la BMW c’est Pascal Bacconière, dit Helmer, le guitariste. Lui composait la musique et Lister-Jones les paroles.
— Vous êtes une véritable encyclopédie.
— Je n’ai pas eu le choix. Depuis que j’ai dit à Daddy que les Myst of Dreams allaient séjourner à l’hôtel, j’ai eu droit à leur vie en long et en large, soupira Magali Krommel en levant les yeux au ciel. J’ai ordre de faire signer des autographes et si jamais je ne les lui envoie pas…
Pascal Bacconière, petit, râblé, totalement chauve, les yeux cachés par des lunettes noires rondes, ouvrait le coffre pour que le personnel de l’hôtel puisse prendre les bagages. Il était accompagné de deux femmes. La première, belle femme d’une soixantaine d’années, avança avec prestance, faisant crisser ses talons sur le gravier de la cour. La seconde prit le bras de Bacconière. Une petite femme, un peu boulotte, au visage grave et triste. Un autre couple les rejoignit.
— Et eux ?
— Je ne sais pas. Je ne connais que les musiciens.
— Ils ne sont pas que deux tout de même…
— Non, il y avait Lister-Jones, le chanteur guitariste, Pascal Bacconière, guitariste et clavier, Peter Buckland, le batteur, et Régis Jeantot, le bassiste qui est mort d’une overdose à la fin des années quatrevingt-dix.
À côté des classiques berlines allemandes modernes, le regard de Barbaluc fut attiré par une superbe Mercedes Pagode parfaitement restaurée. Un homme d’une quarantaine d’années, cheveux légèrement grisonnants, de taille moyenne, presque maigre, en sortit nerveusement. Pantalon clair et moulant, chemise cintrée, petite sacoche en bandoulière, il houspilla le groom qui n’allait pas assez vite à son goût.
— C’est qui cette caricature ?
— Je ne sais pas. Ce n’est pas un musicien, précisa Magali Krommel.
Dans l’après-midi, Arsène Barbaluc s’éclipsa pour aller chercher deux costumes afin d’assurer sa mission de sommelier. Pour le soir, Geoffrey s’occuperait de la salle et Barbaluc et la jeune Tamara Sandaire seraient mis à la disposition unique du petit salon qu’occuperaient les héritiers de Ian Lister-Jones. Arsène Barbaluc trouvait finalement la situation amusante. Être sommelier et voir comment tous ces excentriques du show-biz se comporteraient, ne manquait pas d’intérêt.
L’inspecteur gastronomique cravacha sa vieille Volvo jusqu’à Saint-Nazaire. Une fois au centre-ville, il appela Judith. Il lui raconta la situation. L’imaginer en sommelier amusa beaucoup celle-ci. Elle lui donna quelques conseils pour ses emplettes que, de toute manière, Barbaluc ne suivrait pas. Dans une boutique du centre-ville, il trouva son bonheur. Expliquant sa situation, il réussit le tour de force de se faire livrer ses deux costumes retouchés pour le lendemain soir.
Il était encore tôt. Arsène Barbaluc décida de faire un détour par Le Croisic. La bruine avait cessé. Un peu de ciel bleu déchirait le gris du ciel. Il passa par La Baule et longea sa plage de sable fin. Annonçant l’été, les appartements du front de mer commençaient à ouvrir leurs volets. Dans quelques semaines, les parasols et les serviettes de plage envahiraient le sable. L’air sentirait bon la crème solaire, les beignets et autres chouros.
Il traversa Batz-sur-Mer, puis prit la route côtière. Il lui sembla que de nouvelles constructions avaient encore vu le jour, grignotant un peu plus une Côte Sauvage qui n’avait plus de sauvage que le nom. Sur le sentier des douaniers, quelques retraités entretenaient leur forme en joggant tranquillement. L’océan était gris, une houle d’ouest battait tranquillement le granit. Le rocher de l’Ours surveillait le large. Rien n’avait changé depuis sa dernière visite.
Arsène Barbaluc s’arrêta devant La Rose des vents. Il frissonna en regardant l’hôtel-restaurant aujourd’hui à l’abandon. Avec son ami, l’officier de police Michèle Archambaud, ils y avaient mené une enquête criminelle délicate et dangereuse. Cela faisait longtemps. Même le bistrot qui leur avait servi de quartier général avait disparu. Rasés, les bâtiments avaient été remplacés par une superbe villa fermée onze mois de l’année. Barbaluc fit quelque pas autour de la propriété et laissa vagabonder ses pensées. Il aurait bien dîné avec le lieutenant de police. Malheureusement, elle était en vacances quelque part dans les Cyclades.
L’inspecteur gastronomique abandonna ses souvenirs et entra dans Le Croisic par l’avenue Saint-Goustan. Une petite barque tanguait et luttait contre la marée montante qui s’engouffrait dans le chenal de Pen Bron. Il s’installa à la terrasse d’un café du quai de la petite chambre. Un petit vent de nord-ouest le poussa à relever le col de son manteau. C’est la Mercedes Pagode qu’il remarqua en premier. Un peu plus loin sur le quai, Arsène Barbaluc repéra le propriétaire de la voiture de sport, avec le musicien chauve. Comment Magali avait dit qu’il s’appelait ? Il ne retrouva pas le nom. Les deux hommes étaient avec un troisième dont Arsène Barbaluc ne pouvait voir le visage. Les cheveux châtains et longs, portant santiags vertes et blouson américain à l’effigie de l’université de Stanford. La discussion semblait animée.
L’arrivée d’un bateau dans le port détourna l’attention d’Arsène Barbaluc. Quand il tourna la tête vers les trois hommes, ils avaient disparu. Il jeta sur la table quelques pièces de monnaie.
Le soleil couchant enflammait les quelques nuages qui s’attardaient dans le ciel de Guérande. La salle à manger du Sainte-Hélène affichait complet. À la porte du petit salon, Geoffrey Trubert accueillait par leur nom les héritiers de Ian Lister-Jones. Tamara Sandaire assurait le service du petit salon et Arsène Barbaluc se tenait légèrement en retrait. Avec attention, ils enregistraient les patronymes des clients. Geoffrey Trubert leur avait demandé de personnaliser au plus leurs rapports avec ces clients qui avaient réservé le petit salon pour toute une semaine.
Le premier à se présenter fut l’excité à la Mercedes Pagode, répondant au nom de Samuel Isotta. Sa voix haut perchée, sa manière d’essayer de capter l’attention, sa façon de donner sa pochette qu’il portait en bandoulière à Tamara sans un mot, irrita immédiatement Arsène Barbaluc.
Monsieur et madame Bacconière le suivirent de peu. Monsieur et madame Beauge-Bellorge se présentèrent quelques minutes après le guitariste des Myst of Dreams. Puis ce fut le tour de madame Bacconière. Arsène Barbaluc s’étonna de réentendre ce nom de famille. La dame, très élégante dans un tailleur chocolat, s’installa à côté du guitariste.
— Alors mon frère, es-tu bien installé ?
— Parfaitement. Même Clara trouve la chambre parfaite.
— C’est une chance, commenta Danièle Bacconière en dévisageant sa belle-sœur qui baissa la tête.
Le dandy et Françoise Mauzier qui voyageait avec lui, firent attendre les autres quelques minutes. L’inspecteur gastronomique sourit en examinant Peter Buckland, le batteur du groupe. Toujours impeccablement habillé dans un costume gris trois-pièces, chemise blanche et cravate aux couleurs d’un probable club londonien. Ses chaussures de luxe étaient parfaitement cirées. Il portait une barbe de trois jours, soigneusement entretenue et de longs cheveux blancs, négligemment lâchés sur les épaules. Ses mains manucurées portaient des bagues à chaque doigt, excepté au pouce. « Un vrai personnage », s’amusa l’inspecteur gastronomique.
— Toujours en retard, mon cher Linus, lança Samuel Isotta.
— Comme je te l’ai toujours expliqué, mon cher Sam, le talent doit toujours se faire attendre. C’est pour cela que tu es toujours le premier.
Samuel Isotta rougit et Martine Beauge-Bellorge toussota.
— Allons, les enfants, lança Pascal Bacconière. Nous sommes ici pour rendre hommage à Ian et solder son héritage suivant ses dernières volontés. Nous allons avoir pas mal de moments à passer ensemble, poursuivit le musicien. Essayons de faire que cela soit un bon moment.
Geoffrey Trubert éclaircit sa voix, leur souhaita la bienvenue, leur annonça que Tamara et Arsène seraient à leur service et quitta le petit salon. Tamara distribua les cartes pendant que Barbaluc proposait un apéritif. Il y eut des jus d’ananas, de tomate, un Daïquiri, un Martini.
— Qu’avez-vous comme whisky ? demanda Peter Buckland.
— Nous en avons plusieurs, Monsieur. Irlandais, écossais…
— Écossais bien sûr. Avez-vous des Highlands ?
— Parfaitement, Monsieur. Est-ce qu’un Old Pulteney 20 ans d’âge vous satisferait, Monsieur ? interrogea Barbaluc.
— Parfait.
Barbaluc abandonna Tamara, le temps de préparer la commande. Quand il revint, la discussion entre les convives allait bon train. L’ambiance s’était détendue. Dans un grand éclat de rire, Pascal Bacconière racontait comment Ian Lister-Jones s’était retrouvé au poste de police après avoir assommé un douanier lors de leur première tournée en Amérique du Nord.
— C’était en quelle année ? demanda Samuel Isotta.
— En 1971, tu n’étais même pas né.
Arsène Barbaluc déposa le verre de whisky devant Linus.
— Excusez-moi, mais je ne vous ai pas demandé un verre… mais une bouteille.
L’inspecteur gastronomique le regarda, un peu surpris.
— À table, je ne bois jamais d’eau ni de vin. Fidèle à mon pays, je ne bois que du whisky. Apportez-moi votre bouteille d’Old Pulteney, je vais m’en occuper. Au fait, cette salle est non-fumeurs ?
— Tout à fait, Monsieur.
Linus grogna et se leva pour aller fumer à l’extérieur.
En entrée, ils servirent trois carpaccios de saint-jacques au gingembre, trois feuilletés de homard et sa purée d’artichauts et deux cassolettes de tellines au pineau des Charentes. Si Isotta et Françoise Mauzier acceptèrent et se félicitèrent du verre de pineau que leur proposa Barbaluc pour accompagner leurs tellines, il conseilla aux autres un rully. Rond et à la fois ferme, il possède la chair pour accompagner les saint-jacques. Arsène Barbaluc se désespéra de voir Linus déguster son feuilleté de homard avec de grandes lampées de whisky. Décidément, il ne comprendrait jamais les Britanniques sur la gastronomie ! « À croire qu’ils n’ont pas de palais ou que leur nationalisme exacerbé les pousse aux pires idioties culinaires ! » pensa Arsène Barbaluc.
— Je crois que Ian aurait apprécié ce carpaccio de saint-jacques, lança Danièle Bacconière.
— Il n’aimait pas les crustacés, je te le rappelle, répondit Martine Beauge-Bellorge.
— Quand il était avec moi, il les aimait, rétorqua la femme à l’élégant tailleur chocolat.
— C’est possible, mais quand moi je l’ai récupéré, il était tellement imbibé d’alcool et dépendant aux drogues en tout genre qu’il n’avait plus de goût.
Tamara qui portait sur un plateau les couverts, les laissa tomber à terre. Barbaluc l’aida à les ramasser. Elle quitta le petit salon pour les changer.
— Quelle gourde je fais !
— Ne t’inquiète pas ! Cela arrive ! Ils sont tellement énervés qu’ils ne se sont aperçus de rien.
— Peut-être que Ian était alcoolique mais au moins, avec moi, il faisait la fête…
— Parce que tu crois…
— Moi, il ne m’a jamais trompée, l’interrompit Danièle Bacconière que tous appelaient Reine.
— Reine, cela suffit ! coupa son frère.
En toussant, Linus se versa un nouveau verre de whisky. « Entre le whisky et le tabac, il va pas faire de vieux os, l’Angliche ! » pensa Arsène Barbaluc.
Il y eut ensuite des bars de ligne au sel de Guérande, des gratins de langoustines, des brochettes de homard et ananas ainsi que deux carrés d’agneau aux épices torréfiées. Arsène Barbaluc adorait la manière dont la chef préparait son agneau. C’était divin. En rouge, Barbaluc leur servit un saint-émilion grand cru de 2001, château Pavie, qui apporta sa richesse aromatique. Une pure vermeille. Pascal Bacconière sembla particulièrement l’apprécier. Pour ceux qui décidèrent de poursuivre au blanc, il leur proposa un Chassagne Montrachet qui se mariait particulièrement bien avec le bar de ligne.
Une nouvelle fois, Barbaluc remarqua la main de Peter Buckland qui se glissait sous la table et se promenait sur la cuisse de sa voisine, Françoise Mauzier. Il nota qu’il faudrait aussi commander une provision d’Old Pulteney. Buckland avait sifflé la moitié de la bouteille. Le dîner se poursuivit dans une drôle d’ambiance. Il était évident que certains sujets devaient être évités. Une nouvelle fois, Reine et Martine Beauge-Bellorge s’étaient accrochées et lorsque le mari de cette dernière avait voulu intervenir, Reine, la sœur du guitariste, l’avait traité de parasite. Il avait fallu tout le tact de Pascal Bacconière pour ramener le calme.
À une seule reprise, le testament de Ian Lister-Jones avait été évoqué, alors que Tamara remportait le plateau de fromages. Personne n’avait voulu s’engager sur ce sujet. Barbaluc avait tout de suite senti une tension s’installer. Immédiatement, Samuel Isotta avait relancé la discussion sur le bon vieux temps.
Chacun semblait presser de quitter le petit salon. Les desserts et les cafés furent expédiés. Alors que chacun se levait de table, Linus prit la parole et leva son verre de whisky.
— Je propose que nous levions notre verre en mémoire de Ian mais aussi de Régis qui, le premier, quitta les Myst of Dreams.
Chacun s’exécuta en silence, Martine Beauge-Bellorge s’essuya une larme au coin de l’œil, sous le regard noir de Reine.
Le Sainte-Hélène avait retrouvé son calme. Une grande partie de l’équipe prenait une légère collation. Tamara Sandaire s’excusa auprès de Barbaluc de sa maladresse.
— Il n’y a pas de problème, cela arrive.
— Mais l’agressivité qui régnait entre eux m’a mise tellement mal à l’aise ! J’étais stressée.
— L’ambiance était si mauvaise que ça ? demanda Hélène Trubert.
— Il faut reconnaître qu’ils sont gratinés. On les sent prêts à s’écharper à la première occasion.
— Mais en fait, quels sont les liens qui les relient entre eux ? interrogea Magali Krommel en plantant sa cuillère dans un opéra.
— Tamara, tu me corriges si je me trompe, mais avec tout ce qu’ils ont raconté, nous pouvons dresser un tableau assez précis.
La jeune femme fit un signe de tête.
— Il y a Samuel Isotta. C’est le plus jeune. Si j’ai bien compris, il est le manager du groupe. Il était un peu le secrétaire particulier de Ian Lister-Jones. Il est arrivé dans le groupe alors que celui-ci était en phase descendante. Pascal Bacconière, c’était le guitariste et le compositeur du groupe. Il est aujourd’hui le leader accepté de la bande. Il est marié à Clara, cette femme effacée, au visage triste, qui n’a pas pris la parole une seule fois. Je crois qu’ils ont deux fils…
— Non, un fils et un petit-fils, précisa Tamara Sandaire.
— À la droite du guitariste, il y avait la sœur du guitariste, reprit Arsène Barbaluc. Danièle Bacconière, que tout le monde appelle Reine. Elle a été la première femme de Ian Lister-Jones. Elle a connu les débuts, la gloire et la déchéance. Ils n’ont pas eu d’enfant et, quand Lister-Jones l’a quittée, elle a sombré dans la dépression. Elle paraît très proche de son frère.
Une des serveuses déposa un plateau chargé de cafés.
— Ensuite, poursuivit l’inspecteur gastronomique, il y a le couple Beauge-Bellorge. Martine a été la seconde femme de Ian Lister-Jones. Ils ne sont pas restés longtemps ensemble. En secondes noces, elle a épousé Bernard Beauge-Bellorge, un brave type qui, à la maison, n’a pas son mot à dire…
— Ça c’est sûr, pouffa Tamara Sandaire. J’espère pour lui que, dans son travail, il a plus de poigne.
— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda le patron du Sainte-Hélène.
— À ce que j’ai compris, il est patron d’une petite entreprise. J’ai surpris une conversation téléphonique, rougit la jeune serveuse.
Geoffrey Trubert passa paternellement sa main sur les frêles épaules de son employée.
— Enfin, Peter Buckland, le batteur mythique des Myst of Dreams, plus connu sous le nom de Linus. Un personnage haut en couleurs, qui ne se mêle pas des discussions et paraît regarder les autres se déchirer avec amusement. Dernière des convives, Françoise Mauzier, sa compagne.
— Ce n’est pas sa compagne. Ils ont chacun une chambre, annonça Hélène Trubert.
— Madame Trubert a raison. C’est moi qui ai apporté ses bagages jusqu’à sa chambre et elle a téléphoné à son mari devant moi.
— Autant pour moi, s’excusa Arsène Barbaluc qui se garda bien de raconter les mains baladeuses de Linus sur les cuisses de madame Mauzier. Chacun a le droit à sa vie privée…
— Quel est le lien entre Françoise Mauzier et les Myst of Dreams ? questionna avec curiosité Magali Krommel.
— Je pense qu’elle devait être attachée de presse ou quelque chose comme ça. Je n’aimerais pas avoir leur vie. Elle me paraît bien compliquée, conclut Tamara Sandaire.
Arsène Barbaluc s’énervait contre les réseaux de télécommunications. Son mobile ne passait pas. L’inspecteur gastronomique sortit dans le couloir et alla jusqu’à l’escalier pour pouvoir joindre Judith. Il était tard, mais sa compagne n’était pas du genre à se coucher tôt. Il resta un bon moment en ligne avec elle. Il lui raconta le succès du Sainte-Hélène, avant d’em-brayer sur leurs futures vacances.
De nouveau dans sa chambre, il se coucha avec un bon roman. Dans le silence de la nuit, il entendit une porte s’ouvrir, tousser puis frapper à une porte. « Je parierai bien pour Linus qui va rejoindre Françoise Mauzier », s’amusa Arsène Barbaluc. Alors qu’il venait d’éteindre, il entendit de nouveau des pas dans le couloir. Par curiosité, comme souvent, chez lui, il se leva et entrebâilla sa porte. Il ne vit personne mais entendit le bip-bip caractéristique de la carte magnétique sur la porte d’entrée de l’hôtel. Alors qu’il s’apprêtait à regagner son lit, il entendit une nouvelle fois le bip-bip.
Arsène Barbaluc se réveilla en sursaut. Au loin, les sirènes des voitures de pompiers et de la gendarmerie hurlaient. Il s’extirpa de son lit et ouvrit sa fenêtre. Il ne voyait rien, mais il lui sembla que le bruit venait de la vieille ville. Il attendit un peu, mais la fraîcheur de la nuit le poussa à rejoindre son lit. Il entendit de nouveau des mouvements dans les couloirs de l’hôtel. Il jeta un œil à sa montre : 2 heures 45.
— Il y a un nombre de mouvements dans cet hôtel ! marmonna-t-il.
— Ce n’est plus de mon âge !
Barbaluc avait bien du mal à émerger. Il dut rester un long moment sous la douche. Il se coupa en se rasant, ce qui ne lui arrivait pratiquement jamais. Il était en retard. Agacé, il s’habilla prestement et descendit à l’office. Tout le monde était rassemblé. Un gendarme était au centre de toutes les attentions.
— Qu’est-ce qui se passe ? chuchota Barbaluc à l’oreille de Magali Krommel.
— Il y a eu un meurtre cette nuit. On a retrouvé le corps d’un homme étranglé dans les douves des fortifications. C’est un type qui promenait son chien qui l’a découvert.
— Où ça ?
— Boulevard de l’Abreuvoir, à deux pas de la place du 8 mai 1945, précisa un des aides-cuisiniers.
— Mais qu’est-ce que fait là le gendarme ? s’étonna Barbaluc.
— C’est le père de Lætitia et d’Amélie.
— Ah oui, j’avais oublié…
Voilà l’explication des sirènes entendues la nuit dernière.
Le gendarme porta sa tasse de café à ses lèvres. Ses yeux étaient cernés et sa barbe naissante grisait son visage. Il avait l’air fatigué. Geoffrey demanda à chacun de reprendre son travail. Seul le patron du SainteHélène et Barbaluc restèrent avec le militaire. Geoffrey Trubert fit les présentations.
— Vous reprendrez bien un petit noir ?
— Ce n’est pas de refus.
— Avez-vous une idée du meurtrier ? demanda Barbaluc.
Le gendarme fit signe que non avec la tête.
— Vous le gardez pour vous, mais ma hiérarchie est persuadée qu’il s’agit d’une agression homophobe. Et en pleine période du mariage pour tous, ça va nous mettre dans une belle merde, si vous me permettez l’expression.
— Pourquoi dites-vous qu’il s’agit d’un acte d’homophobie ?
— La victime est homosexuelle. Il ne s’en cachait pas et s’assumait pleinement. C’est du moins ce que les premiers éléments de l’enquête nous ont montré.
— Il a peut-être été agressé pour d’autres raisons… proposa Geoffrey Trubert.
— Il a aussi été mutilé. On lui a coupé les organes génitaux avant de l’étrangler et de le balancer dans les douves, lâcha le gendarme Le Gouer.
Barbaluc et le patron du Sainte-Hélène restèrent sans voix.
— Entre l’affaire de cette nuit et le meurtre de Lister-Jones, l’image de la ville va en prendre un coup. Juste avant la saison estivale, ce n’est pas bon, soupira Le Gouer.
Les deux amis se resservirent un café. Ils dissertaient quelques instants sur cet événement morbide, quand ils furent interrompus par Sabine Maloye.
— Comment allez-vous ?
— Bien, monsieur Trubert, mais il y a de nouveau des traces dans le couloir qui se situe en dessous du grenier, assura la femme de chambre.
Le patron du Sainte-Hélène soupira.
— Je vous promets, j’irai voir, répondit-il de guerre lasse. Il doit y avoir des bestioles au grenier et, comme il est mal isolé, la poussière passe au travers. Dès que les finances me le permettront, je vais aménager tous les combles.
— Tu veux déjà t’agrandir ? interrogea l’inspecteur gastronomique.
— Cinq ou six chambres de plus, ce serait bien. En attendant, Sabine, je ne veux plus entendre vos histoires de fantômes, de revenants ou de spectres. On est d’accord ?
La femme de ménage ne dit rien et tourna les talons.
Comme la veille au soir, Tamara et Arsène Barbaluc étaient au service exclusif du petit salon. Cette fois-ci, les héritiers de Ian Lister-Jones débarquèrent par petits groupes.
En fin d’après-midi, Pascal Bacconière avait demandé à ce que l’on prépare du champagne pour l’apéritif.
Lorsqu’enfin, ils furent tous rassemblés, le guitariste des Myst of Dreams fit tinter sa coupe avec un couteau. Quand le silence se fit, il toussota pour éclaircir sa voix. Non sans émotion il leva son verre.
— Eh bien voilà, nous y sommes ! Avec la mort de Ian Lister-Jones, nous enterrons non seulement un ami mais aussi, pour certains d’entre nous, notre jeunesse. C’est aussi la fin définitive des Myst of Dreams. Alors je vous propose de lever notre verre à Régis, parti trop tôt, à Ian, à nous !
Chacun leva sa coupe de champagne et garda le silence quelques instants.
C’est Linus qui rompit le silence en posant sa coupe et en demandant à Barbaluc de lui servir un verre de single malt.
— Histoire de se nettoyer la bouche ! provoqua le musicien.
— J’aurais une petite question… lança Martine Beauge-Bellorge. Pourrait-on revenir sur les clauses du testament de Ian. Je trouve cela tellement compliqué !
— Je ne vois pas ce qu’il y a de compliqué, persifla Reine.
La seconde femme de Lister-Jones piqua un fard, elle allait répondre lorsque son mari lui prit la main.
— Je trouve que c’est une très bonne idée, approuva Pascal Bacconière. Moi aussi, je voudrais être certain d’avoir tout compris. Ainsi, s’il y a des précisions à demander, nous pourrons le faire auprès du notaire dès demain. Je propose que Samuel qui, en tant qu’agent, est celui d’entre nous le plus rodé à ces pratiques, se charge de nous résumer les dispositions testamentaires prises par notre ami.
Samuel se rengorgea avant de sortir de sa pochette un petit carnet en cuir bleu ciel, qu’il ouvrit.
— En fait, c’est assez simple. En ce qui concerne les droits d’auteur qui courent sur l’ensemble de la production musicale des Myst of Dreams, ils seront partagés en parts égales entre Linus, Pascal et ses deux épouses Reine et Martine.
Reine bougonna à voix basse. Barbaluc qui était juste derrière elle, ne réussit pas à comprendre ce qu’elle disait entre ses dents.
— Pour ses biens immobiliers et ses placements bancaires, continua Samuel Isotta, qui s’élèvent à un peu plus de six millions d’euros auxquels il conviendra d’ajouter le prix de vente de sa maison, Ian avait décidé la répartition suivante : 25 % à Peter Buckland, 25 % à Pascal Bacconière, 15 % à sa première épouse, c’est-à-dire à Reine, 15 % à Martine, sa seconde épouse, 10 % à Françoise Mauzier et 10 % à moi-même.
Les regards d’Arsène Barbaluc et de Tamara Sandaire se croisèrent. Leurs yeux semblaient dire que cela faisait de bien belles sommes.
Après avoir trempé ses lèvres dans sa coupe de champagne, Samuel Isotta reprit la parole :
— Enfin, pour le contenu de la maison et les effets personnels de Ian, il s’agit de s’assurer d’un partage équitable entre nous. Ce qui ne nous intéressera pas, sera vendu et viendra s’ajouter à la somme précédemment citée et sera partagé, comme je l’ai déjà indiqué. Je précise que, comme nous l’avait indiqué le notaire, il faudra quelques jours pour que le tri des papiers et de la maison de Ian soit fait. Dès demain, nous devons commencer ensemble cette tâche.
— Cela ne va pas être une mince affaire ! grinça Reine.
— En attendant, nous pourrions passer commande, coupa Pascal Bacconière.
— Vous y croyez à cette histoire qu’a raconté le notaire ? interrogea Samuel Isotta.
— Quelle histoire ?
— Que Ian l’avait appelé, quelques jours avant d’être agressé, pour prendre rendez-vous afin de rédiger un nouveau testament.
— Je ne vois pas pourquoi il mentirait, commenta Clara Bacconière en découpant délicatement un fagot d’asperges.
— Moi je crois que cela est vrai, explosa Reine. Je suis certaine que Ian voulait rééquilibrer ses donations.
— Notamment à l’avantage de ses ex-épouses, renchérit Martine Beauge-Bellorge.
— Pour une fois que vous êtes d’accord entre vous ! ne put s’empêcher de lancer Françoise Mauzier, l’attachée de presse.
— Oh, toi, la sainte-nitouche, je ne comprends même pas qu’il t’ait couchée sur son testament !
— Reine, voudrais-tu te calmer, s’il te plaît ? demanda son frère.
— Cela t’est facile, toi, tu vas toucher une belle somme.
— Enfin, les choix de Ian peuvent se comprendre. Il a privilégié ceux qui avaient participé à faire sa fortune, tenta d’expliquer Samuel Isotta.
— Et nous, on ne compte pas ? C’est pas Pascal et Linus qui le supportaient au quotidien !
— Martine a raison. Ce n’est pas vous qui le récupériez complètement ivre ou pire, totalement à l’ouest, le nez blanc de poudre ! Ce n’est pas vous qui le torchiez quand il se vomissait dessus !
Personne ne répondit.