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Avant-propos

Qui peut le plus, peut le moins. Traduisons : Qui a pu écrire un livre et le faire éditer peut, sans trop de mal, bien s’en sortir pour nombre de tâches d’écriture, dont certaines auront peut-être un caractère professionnel. Car écrire un livre, cela suppose tant de pratiques, de réflexes, d’habitudes, de volonté, de courage et d’abnégation que l’itinéraire de l’écrivain constitue toute une école d’apprentissage. Dans le présent ouvrage, nous nous intéresserons donc essentiellement à une écriture orientée vers l’édition. Car nous considérons comme acquis que, si on a été édité, on est désormais en mesure de rédiger un bon rapport, et même (pourquoi pas ?) un article de presse (sous réserve de remarquer qu’il existe un style journalistique). On peut, sous cette condition, s’adonner convenablement à bien d’autres pratiques d’écriture.

Bien sûr, on ne peut affirmer brutalement qu’un romancier sera automatiquement un bon nouvelliste ou un bon journaliste. Ou encore qu’il pourra, s’il devait le faire, se tirer de n’importe quel travail d’écriture avec plus d’aisance que quiconque. Non. Néanmoins, force est de constater qu’écrire un livre est une conjonction de tant de dispositions, qu’il serait plutôt étonnant de voir un écrivain demander de l’aide (hors aspect purement professionnel dans certains cas) pour la rédaction d’un texte dont la qualité et la lisibilité ne requièrent qu’une bonne maîtrise de la langue.

D’abord, pourquoi un livre comme celui-ci, qui se donne des allures de vouloir offrir des recettes pour se faire éditer ? On connaît l’éternelle polémique : apprend-on à bien écrire, et l’écriture n’est-elle pas quelque chose d’inné ? Le talent est-il une qualité que l’on acquiert ? Attrape-ton le génie de la plume par la pratique assidue d’ouvrages sur l’écriture ?

Si cette polémique a la vie dure, c’est bien parce que l’on a affaire à un dialogue de sourds. Personne n’a jamais dit (et nul ne pourra prétendre) qu’on peut devenir écrivain juste en lisant des livres consacrés à l’écriture. Partir de rien et, un jour, voir son ouvrage en vitrine dans une librairie, cela suppose du travail intérieur, beaucoup de travail intérieur, et souvent du talent, mais surtout… de la solitude.

Cette dernière exigence est, hélas, l’obstacle qui se dresse face au projet d’un très grand nombre de candidats à la reconnaissance par la plume. Un beau jour, ils se mettent à table, une belle histoire dans la tête, une page blanche sous les yeux, un crayon entre les doigts. Puis, dès qu’ils se penchent pour commencer, surgissent mille questions dont le poids vient peser sur leur volonté, des questions sans réponse. Tout simplement parce que le monde de l’écriture et de l’édition, même s’il est là autour de nous, ne se montre au public que dans les librairies et les bibliothèques.

C’est là qu’un ouvrage comme celui-ci trouve son sens : accompagner l’effort de celui qui désire, muni de la seule volonté de cristalliser une histoire dans un livre, du temps pour le faire, se trouve aux prises avec de multiples questions dont chacune exige une réponse sans laquelle l’écrivain néophyte s’achemine vers un angoissant amoncellement de lettres de refus d’éditeurs.

Alain Berthelot

CHAPITRE 1

AUTOUR DU TRAVAIL D’ÉCRITURE

LE CADRE DE TRAVAIL

Trouver un coin tranquille pour écrire ne va pas toujours de soi, sauf pour ceux qui vivent seuls. Les écrivains, sur la question, ont acquis depuis toujours la réputation d’êtres solitaires. Pascal n’écrivait-il pas, dans ses Pensées : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre » ? Le problème prend une tout autre dimension lorsque vous avez une famille et des enfants en bas âge. Prenant un long congé de maternité, certaines femmes font le projet de faire d’une pierre deux coups : élever leur enfant et écrire un livre qui les obsède depuis longtemps. Chemin faisant, elles s’aperçoivent que cela n’est aisé que si elles font appel à une nourrice qui prend chez elle Bébé pendant que le mari est au travail, et que les autres enfants sont à l’école. Elles pourront alors vraiment s’isoler et écrire en toute quiétude.

Cas extrême, bien que courant. En deçà, la cohorte des gens rêvant d’un ouvrage publié est impressionnante et, parmi les écueils rencontrés, la difficulté de disposer d’un lieu calme de travail figure en bonne place. Le projet d’écrire, la volonté de le faire sont pourtant là, qui s’intègrent dans les réalités quotidiennes (présence constante de la famille, d’amis, de collègues) et ne peuvent pas se concrétiser sans un cadre de travail approprié.

Certaines personnes sont incapables de se concentrer, ne serait-ce qu’une minute, à côté d’un appareil de musique, d’une télé en marche, d’un chat qui ronronne ou d’un chien qui est susceptible de se mettre brusquement à aboyer. Il leur appartient alors, s’ils désirent écrire sérieusement, de s’arranger pour trouver un endroit adéquat avant de commencer à écrire. Si vous vous savez incapable de rester à côté d’un poste de télévision sans être tenté de voir ce qui s’y passe, le plus sage serait de vous en éloigner. De même si vous ne pouvez pas supporter jusqu’à ce bruit caractéristique des réfrigérateurs qui sont branchés.

Et si, localement, malgré toute la diplomatie déployée il s’avère impossible de trouver un arrangement pour vous créer cet univers intérieur de travail alors que vous avez projet, volonté et temps, songez à trouver ce coin ailleurs. A condition, encore une fois, d’avoir du temps pour écrire. Et ça, c’est un autre problème.

LA DISPONIBILITÉ

Le tout n’est pas de disposer d’un coin calme pour pouvoir écrire. Il faut aussi, et surtout, en avoir le temps. La très grande majorité des gens qui portent en eux un projet d’écriture ont une activité professionnelle qu’ils exercent à plein temps. Et peut-être même ce dilemme constitue-t-il, selon un certain principe lié aux situations contrariantes, le stimulant principal. A l’intéressé(e), alors, de mettre en place une gestion astucieuse de son temps pour insérer la pratique de l’écriture dans sa vie et dans son quotidien.

Mais comment, après une pleine journée de travail, même dans son coin calme, vous mettre à écrire, sachant que le jour d’après, dès le saut du lit, il faudra que vous vous tourniez vers une autre journée de travail ? Dans ces conditions, les seules occasions restent les fins de semaine et les vacances. Les vacances, justement. Vous résoudrez-vous aisément à changer, à l’occasion des vacances, une occupation par une autre aussi prenante que l’est l’écriture, au lieu d’aller vous changer les idées ailleurs en prenant du bon temps ? Tout dépend, bien évidemment, du sérieux que vous accordez à votre projet d’écriture. Qui veut aller loin ménage sa monture, dit-on. Si vous voulez pouvoir écrire, il faut que vous vous en donniez le temps, malgré vos occupations habituelles, et en intégrant astucieusement l’agréable à l’utile. La joie que procure l’activité d’écrire est une joie qui se paie en retour : par l’effort, les privations, et par bien des sacrifices.

Certains grands écrivains qui se consacrent entièrement à leur œuvre, tels Robert Sabatier et Michel Ragon, déclarent gérer leur temps avec rigueur et méticulosité. Quant aux gens qui, n’ayant encore jamais publié d’ouvrage, doivent difficilement (souvent douloureusement) prélever du temps dans leur vie pour écrire, il conviendra qu’ils gèrent ce projet non pas comme quelque chose de facultatif (dès lors qu’ils ont commencé à écrire), mais comme une sérieuse entreprise individuelle à mener à bien, coûte que coûte. Il n’est pas possible d’écrire un ouvrage susceptible d’intéresser un éditeur et, partant, le public, sans lui consacrer beaucoup de temps et d’effort.

Enfin, une méthode pour tirer le maximum de profit de vos vacances, étant entendu que vous désirez les utiliser au mieux pour écrire, c’est de les entamer en ayant déjà jeté les bases du travail à accomplir. Être encore à vous interroger, au début des vacances, sur la forme et le genre (roman, essai, etc.) à donner à votre futur ouvrage, alors que vous auriez pu le faire longtemps à l’avance, c’est diminuer considérablement vos chances d’épuiser votre temps libre avec un bon résultat littéraire. Vous pouvez avoir, tout au long de l’année, établi le synopsis de votre livre, l’avoir peaufiné plusieurs fois, en avoir discuté avec conjoint et amis pour y déceler les faiblesses et les imperfections ; vous pouvez même l’avoir commencé et avancé de façon significative. Dans ce cas, tout le temps disponible sera utilisé à rédiger, à avancer, à se rapprocher de la fin (sinon de l’atteindre) de votre histoire.

Si vous êtes un travailleur acharné, avec 7 pages par jour et pour un mois de vacances, vous pouvez revenir muni de plus de 150 pages (en soustrayant les jours de vide, de fatigue et de sortie avec la famille), ce qui peut bien correspondre à un livre.

Donc, si vous êtes vraiment décidé à écrire, vous pouvez toujours le faire, même si vous exercez une profession à plein temps. Il faut seulement bien tenir votre sujet, et avoir la ferme volonté de réaliser votre rêve. Cette volonté de parvenir à vos fins sera votre meilleur partenaire, qui vous donnera des idées pour contourner les difficultés qui paraissent, disons-le, infranchissables aux yeux de ceux qui hésitent devant l’effort à déployer.

L’AUTODISCIPLINE

Au lycée, à l’université, lorsque les professeurs dirigeaient plus ou moins notre travail, notre succès n’était pas pour autant garanti. Leur assistance nous aidait à placer des repères dans notre emploi du temps (devoir à remettre tel jour, étude de tel chapitre jusqu’à la page x, laisser tomber tels paragraphes inutiles, etc.), nous simplifiant nos études d’une certaine manière. Plus tard, quand nous décidons d’écrire un livre, nous sommes loin de ce contexte. Nous nous attaquons cette fois à une entreprise solitaire, considérablement plus ardue, où nous n’avons aucun professeur, aucun camarade assis à côté de nous et qui nous stimule par son acharnement au travail. Nous n’avons rien de tout cela. Nous avons même très peu de chance d’avoir à notre portée un écrivain auprès de qui nous irions demander conseil.

Notre seul bagage, c’est notre expérience de lecteur de livres, que nous allons devoir utiliser pour en écrire un autre ! Car il s’agit d’écrire un livre sur le modèle de l’un que nous avons pu lire et qui nous a plu. D’ailleurs, nous poursuivrons notre travail d’écriture sans cesser de lire d’autres livres, beaucoup d’autres. Lire, quand on écrit, c’est comme faire des exercices physiques quand on veut avoir un corps souple. Sait-on toujours que les écrivains sont de grands consommateurs de livres ? Certains avouent ne plus pouvoir écrire s’ils ne devaient plus lire leurs auteurs favoris.

Tout ceci pour dire que notre seule école, pour nous qui nous lançons dans l’écriture, activité solitaire par excellence, c’est la pratique des livres. Mais, bien évidemment, il ne suffira jamais de pratiquer les autres auteurs. Condition sans doute nécessaire, elle sera loin d’être suffisante.

Sans une rigoureuse discipline personnelle, il n’est guère possible de rédiger un texte de roman ou de nouvelle qui soit vraiment achevé, même aux yeux de son propre auteur. S’il y a un domaine où le hasard n’intervient pas, c’est bien celui-ci. Encore moins la chance !

L’autodiscipline ? Un nombre important de sollicitations extérieures tenteront constamment de vous éloigner de votre table de travail. Il s’agira d’y résister, de garder le cap, de continuer à amasser les pages, de garder le fil de votre histoire, de ne pas fausser compagnie à vos personnages. Vous ne pourrez y parvenir qu’en sachant repousser une violente envie de sortir pour des motifs futiles, refuser (courtoisement) une invitation qui tombe dans votre période de fertilité littéraire. Il s’agira de vous lever à 4 heures du matin pour vous mettre au travail, si vous écrivez mieux le matin que le soir, ou de vous coucher tard, à minuit ou à 1 heure du matin si c’est le contraire. Il s’agira de prendre une tasse de café pour chasser un état de somnolence au moment où vous progressez dans une phase de votre histoire, au lieu de vous laisser tomber sur le canapé et vous endormir, au risque de ne savoir où vous en étiez avant la pause.

Votre autodiscipline ira encore plus loin. Sachant comment votre alimentation influe sur votre esprit, sur son agilité, et l’importance qu’elle revêt dans la santé de tout travailleur sédentaire (en particulier de celui qui travaille toujours assis), vous ne pourrez plus vous permettre de vous nourrir n’importe comment. Si on connaît les aliments qui alourdissent, ceux qui se digèrent mal, on ne pense pas toujours à les éviter. Cela demande aussi une certaine dose d’autodiscipline.

APPRENDRE A TAPER A LA MACHINE

Que vous écriviez pour être publié ou pour votre propre plaisir, la dactylographie, autrefois réservée aux secrétaires et à certains écrivains, s’est généralisée et, pourrait-on ajouter, démocratisée. Pour pas cher, on peut désormais trouver, même d’occasion, des machines à écrire donnant des textes de très bonne qualité. Si vous êtes un écrivain qui se cherche encore, il ne serait pas sage de tomber dans la polémique qui oppose la plume à la machine à écrire. Certains grands écrivains peuvent se permettre d’opter pour leur stylo auquel ils restent affectivement attachés, parce qu’ils gagnent assez bien leur vie pour pouvoir s’offrir les services d’une secrétaire qui retape leur texte manuscrit. Car aucun éditeur, de nos jours, n’envisagera même de lire votre texte s’il n’a pas été dactylographié. A moins qu’il n’ait rêvé que c’est le prochain Goncourt…

Il y a aussi les traitements de texte. C’est souvent qu’on entend des gens exprimer (parfois avec véhémence) leur désintérêt pour ces programmes de dactylographie et de mise en page électroniques. Lorsqu’on essaie d’aller plus loin dans la discussion, on est surpris de s’apercevoir que ces “antitraitements de texte” n’avaient encore jamais essayé cette technique d’écriture, et que leur position dérive davantage de la peur de l’informatique que d’une déception suite à une pratique de la chose. Faux problème. Si vous avez vraiment essayé d’abandonner la plume pour le clavier et si cogiter devant un écran qui reluit vous perturbe définitivement, là on peut vous comprendre. Avant de fantasmer sur le manuscrit de votre livre devenu célèbre, et manuscrit coté tant de milliers de francs, il faut auparavant l’avoir publié, ce livre !

Quand il ouvre l’enveloppe contenant votre manuscrit, l’éditeur s’attend à trouver un texte lisible, propre, bien organisé, qui ne lui posera strictement aucun problème au plan de la graphie. Il ne se livrera jamais à une étude graphologique pour savoir s’il y a un écrivain qui sommeille en vous et qui a besoin d’être révélé au public. Ce qu’il va faire, et vous vous en doutez, c’est se mettre à lire pour essayer de prendre connaissance de votre histoire et de sa qualité littéraire. Si le déchiffrage de votre texte est pénible, vous voilà d’emblée avec un sérieux handicap, car le pauvre éditeur n’a pas reçu seulement votre texte, mais plus d’une centaine dans le mois !

Apprendre à taper à la machine est un investissement que vous ne regretterez jamais. Si vous n’avez pas de quoi vous offrir une machine à écrire, songez à emprunter celle d’un(e) ami(e) mais, encore une fois, vous en trouverez certainement une d’occasion qui vous donnera satisfaction. Ouvrez les journaux gratuits qui pullulent dans toutes les villes aujourd’hui, vous trouverez une annonce de machine à vendre pour moins de 350 F. A peine plus chère qu’un livre.

LIRE, LIRE, LIRE

Lire beaucoup non seulement constitue pour l’esprit un exercice de mise en forme (comparable, encore une fois, au sport pour la forme physique), c’est aussi un moyen d’enrichir son vocabulaire et de s’habituer à la pratique des mots pour exprimer clairement sa pensée, comme le font les grands écrivains. Tout lire, ratisser large : livres, journaux, magazines… Tout ce qui est fait avec un certain soin, ou qui est susceptible d’instruire ou de renseigner. Et on sait comment, de nos jours, l’offre est pléthorique ! L’une des plus belles richesses de la pensée humaine, et des moins onéreuses, est l’accès à la lecture, à la lecture au long cours. Dans quelle ville, quel village n’existe-t-il pas aujourd’hui une bibliothèque ? Combien vous coûtera, pour un an, une carte de bibliothèque ? A peine plus que le prix d’un quotidien ! Et elle vous donnera droit aux prêts de disques, cassettes, microfilms et, si vous ne trouvez pas assez de calme chez vous pour travailler, vous pouvez venir lire tranquillement à la bibliothèque et, à certaines heures, écrire aussi. Ce pourrait être tout un art que de savoir utiliser ces services. Car il y en a beaucoup plus qu’on ne le sait, et qui résident dans la formation et les compétences des bibliothécaires. Ceux-ci connaissent la plupart des écrivains, leurs livres qu’ils ont lus et dont ils pourront vous dire l’essentiel, séance tenante. Voudrez-vous savoir, en vue de vous documenter, quel penseur a écrit sur tel sujet qui vous occupe ? Avant de vous égarer dans les encyclopédies, interrogez votre bibliothécaire. Vous saurez, au moins, vers quelle encyclopédie vous diriger.

PARLER DE L’ÉCRITURE

Le centre du monde ne réside pas en nous. Cette assertion à allure de banalité mène, à bien y regarder, au cœur de l’écriture. Le fait qu’un auteur soit satisfait de ce qu’il conçoit et écrit garantit-il que cela intéressera les autres ? Non, bien évidemment. La raison en est simple : on est toujours plus indulgent envers soi-même et tout ce qui en émane, qu’envers les autres et ce qu’ils créent.

A nos amis et bonnes relations, faisons volontiers part de nos projets d’écriture, n’hésitons pas à en discuter avec eux et surtout, tenons le plus grand compte de ce qu’ils en pensent (sans renoncer, bien sûr, à notre personnalité). Si deux ou trois avis convergent sur un point, vous serez bien obligé de reconnaître qu’il y a là matière à revoir. Mettons-nous avec d’autres personnes pour former un groupe de discussions et de débats littéraires, où chacun apportera ses projets sur lesquels les autres donneront, sans complaisance, leurs sentiments et leurs critiques constructives. Voilà une manière de progresser vite tout en évitant de se faire trop d’illusion sur son propre travail.

UN DICTIONNAIRE ET UN THESAURUS

S’il existe deux livres pratiques qu’un écrivain devrait avoir à portée de la main, ce pourrait être un dictionnaire et un bon thésaurus. Nombre d’écrivains, même des plus célèbres, avouent avoir souvent des problèmes d’orthographe. Si vous hésitez sur celle d’un mot, prenez votre dictionnaire et vérifiez. Si vous avez déjà utilisé dix fois le mot « bon » dans un même chapitre, vous avez besoin d’ouvrir votre dictionnaire des synonymes où vous trouverez, comme équivalents : « agréable », « délicat », « excellent », « exquis », « fin », « superfin », « supérieur ». Mots parmi lesquels vous choisirez celui qui se rapproche le plus de votre contexte.

Consultez un bon libraire (il existe encore des libraires passionnés de littérature qui vous donneront d’excellents conseils) ou un bon bibliothécaire pour savoir quel dictionnaire et quels thésaurus correspondent à vos besoins. Ne basez surtout pas vos choix sur les prix. Consentir un effort important à ces plus qu’indispensables outils de travail se révélera, à moyen et long termes, être un bon investissement.

CHAPITRE 2

LA DISPONIBILITÉ INTÉRIEURE

LA PASSION DU PARTAGE

Pourquoi écrit-on ? Mieux, pour qui écrit-on ? Pourquoi et pour qui, voilà ce qui nous place au cœur du problème. La grande majorité des gens qui écrivent le font non seulement pour être lus, mais aussi pour gagner de l’argent (en France, il est tabou d’évoquer cette dernière démarche). Le contenu d’un écrit étant l’un des reflets les plus exacts de la personnalité de son auteur, la tendance de celui-ci à s’ouvrir aux autres humains ne peut que se révéler à travers ses textes. Si, dans la vie, il a le sens du dialogue, du partage et de la communication, s’il s’ouvre aux autres et se passionne de partager avec eux les expériences fortes de sa vie, ses écrits auront toujours un parfum, un zeste de ces qualités. N’avez-vous jamais rencontré des écrivains dont vous avez lu les livres ? Chez cette race de personnes on retrouve toujours, comme dans ce qu’ils ont écrit, ce constant souci de faire accéder le lecteur à ce qu’ils ressentent et perçoivent, à travers leur façon d’agencer mots et phrases, de la façon la plus fidèle possible.

On écrit donc, avant tout, pour être lu. Si quelqu’un prétend échapper à cette règle et s’il est de bonne foi, celui-là ne sera jamais un écrivain. L’écriture n’est pour lui qu’une thérapie et, dans ce cas, ce qu’il écrit n’est rien d’autre qu’un journal intime. Il y a bien des écrivains de renom qui affirment ne pas penser aux lecteurs quand ils écrivent. Ils ne parlent pas honnêtement. C’est un moyen de se protéger contre un éventuel échec littéraire : « Si tel livre n’a pas bien marché, c’est parce qu’il était écrit pour moi-même. Le public n’a pas bien reçu le message qui, de toute façon, ne lui était pas destiné. »

Quant à l’écrivain néophyte qui, après avoir fini d’écrire son histoire, doit commencer à courir les maisons d’édition, la question ne se pose même pas. Les éditeurs, à la recherche de nouveaux talents, ne pourront le remarquer que si son texte s’adresse au plus large public possible. Aujourd’hui, un écrivain doit faire ses preuves dès son premier livre. Aucun éditeur ne prend plus le risque financier de publier un auteur au génie incertain en attendant sa maturité. Ce n’est pas que, dans cette profession, on répugne à investir dans les moyen ou long termes, c’est plutôt que l’édition coûte cher. Et puis, par-dessus tout, le public qui fait la décision en fin de compte est un être trop imprévisible. C’est la raison pour laquelle les auteurs qu’on publie aujourd’hui sont ceux qui savent quoi et comment écrire, et dès leur coup d’essai !

Une saine pratique de l’écriture, enfin, est de savoir partager notre vision du monde, et d’avoir assez de passion dans l’élan qui nous pousse vers les autres pour rendre attachant, à leurs yeux, notre univers intérieur. Plus qu’une simple envie d’écrire, cela nécessite tout un engagement vis-à-vis de l’homme tout court.

LA SENSIBILITÉ (A LA CONDITION HUMAINE)

Parler aux gens, les écouter, nous passons tous notre temps à ça. Mais c’est si automatique et à ce point inhérent à nos réflexes que nous n’y prêtons plus attention. On ne devient pas brusquement écrivain avec la sortie de son premier livre, pas plus que le jour où on a saisi crayon et papier pour commencer ce livre. On devient écrivain parce qu’on l’était déjà dans l’âme, parce qu’on s’intéressait déjà à l’homme, à la nature. Soit cinq personnes ayant vu un même film. Si vous recueillez leurs impressions sur ce film, vous serez surpris de constater que les commentaires dépendent des individus. Chacun a vécu les différentes scènes du film en fonction de sa personnalité. Autrement dit ce qui importe, en fin de compte, ne sera pas tant le sujet que la manière de le rendre.

Avoir une histoire, quel que puisse être son intérêt, et pouvoir la rédiger sur la longueur d’un livre, n’est pas essentiel. C’est la façon de le faire, le souffle (unique et inimitable) qui s’en dégagera, qui lui donneront une dimension universelle. L’une des plus grandes qualités de l’écrivain, c’est sa capacité à se construire automatiquement une intrigue à partir des scènes les plus insignifiantes de la vie quotidienne.

J’ai à ce sujet une anecdote édifiante. Un jour, je rends visite à une dame à laquelle me lie une vieille amitié. Elle veut me faire lire un bout du journal de son dernier voyage en Grèce. Ayant moi-même visité ce pays quelques années plus tôt, j’ouvre son carnet à vrai dire sans grand enthousiasme, le feuillette au hasard. Mais les mots : « Café de la discorde » m’accrochent soudain. Je lis alentour et, sans plus pouvoir m’arrêter, je dévore les dix pages suivantes. De quoi s’agit-il ? A Santorin un touriste avait, en s’accordant une dernière tasse de café avant de quitter l’île, provoqué un grave incident. Ce café, pris au dernier moment hors de l’hôtel qui accueillait le groupe dont il faisait partie, mènera le groupe au port dix minutes après le départ du bateau qui appareillait pour Paros. Contraint d’attendre encore neuf heures sur place, on avale vite sa colère ("après tout, c’est les vacances !", écrit mon amie), organise une ultime découverte de l’île.

C’est un regard neuf que nos voyageurs portent maintenant sur l’île. Et la plume de mon amie, elle, de me montrer un autre Santorin et surtout, un autre site archéologique que j’avais pourtant visité dans sa partie est, plus grouillant du passé antique de la Grèce, plus vivant, presque des images en couleur ! J’ai eu l’impression de mieux explorer les lieux à travers les dix pages du carnet que lorsque, cinq ans plus tôt, je marchais sur les lieux.

Donc, l’art de bien écrire se jauge aussi et surtout à notre capacité à faire revivre, par la plume, ce que nous avons vu ou entendu. Et cette démarche est semblable à celle du peintre qui, paysage dans la tête ou sous les yeux, travaille à le reproduire par le pinceau. Si un tableau reflète l’état d’âme, la personnalité du peintre, un texte reflète ceux de son auteur. Et, tant il est vrai que le peintre est libre d’interpréter ce qu’il voit à sa guise (ajouts, retraits), tant l’écrivain aura toute latitude à enjoliver sa matière brute selon sa sensibilité propre.

CHOISIR UN SUJET A VOTRE PORTÉE

Commencer l’écriture sur un thème difficile, susceptible de vous dépasser ou simplement de vous décourager après seulement quelques heures de travail, c’est gravement compromettre votre avenir littéraire. L’évidence, c’est de choisir un sujet qu’on maîtrise bien, dans lequel on sera capable de faire des investigations dans un délai raisonnable. Il est question ici, définitivement, de bien connaître ses limites. Ne tentez surtout pas l’impossible, il n’existe pas de meilleur moyen de disperser vos talents et, finalement, de vous sous-estimer. Avez-vous une belle histoire à écrire, à romancer ? Visez avec précision son axe central, collez-y le plus près possible et écrivez, écrivez jusqu’au bout. Vous serez sans doute rejeté par les maisons d’édition, cela ne fait rien. Revenez en arrière, traquez les lacunes, apportez autant de soin que possible : sur le fond, sur la forme. Le réalisme, ici, sera votre qualité maîtresse.

Votre sujet doit aussi mûrir en vous, et cela demande du temps. En y pensant régulièrement, en engrangeant notes, idées, coupures de presse relatives à votre thème, vous finirez par avoir l’impression que l’histoire existait déjà, et que votre travail ne consistera qu’à la transcrire. C’est pendant cette phase d’investigation que vous saurez vraiment si le sujet est à votre portée. Ce travail, presque de fourmi, vous permettra de cerner de près les éléments essentiels sans la présence desquels vous risquerez de faire un travail incomplet, et d’aller du général au spécifique.

LA PASSION DES MOTS

Quand un passionné de la pêche passe devant un magasin d’articles de pêche, il ne peut guère s’empêcher de ralentir devant la vitrine. Ce qui accroche en premier un bibliothécaire quand il pénètre dans une librairie, c’est le rayon des nouveautés. On peut pousser à l’infini la liste des liens de cause à effet entre une passion et les comportements qu’elle induit. Si nous avons des prédispositions pour l’écriture, cela se mesurera par le plaisir que nous trouvons dans notre pratique des mots. On peut difficilement imaginer quelqu’un voulant pousser son écriture vers la perfection, qui ne soit aussi un passionné des mots.

Ce type de rapport aux mots, tout comme celui qui, en cas d’amour, lie un individu à un autre, grandit et atteint un point tel que les phrases, les locutions et leurs rythmes finissent par hanter celui qui s’investit vraiment dans l’écriture.