FIRMIN LE BOURHIS
Menaces
3. Pas de paradis
pour les lanceurs d’alerte
éditions du Palémon
ZA de Troyalac’h
10 rue André Michelin
29170 Saint-Évarzec
DU MÊME AUTEUR
Aux éditions Chiron
- Quel jour sommes-nous ? La maladie d’Alzheimer jour après jour
- Rendez-vous à Pristina - récit de l’intervention humanitaire
Aux éditions du Palémon
n° 1 - La Neige venait de l’Ouest
n° 2 - Les disparues de Quimperlé
n° 3 - La Belle Scaëroise
n° 4 - Étape à Plouay
n° 5 - Lanterne rouge à Châteauneuf-du-Faou
n° 6 - Coup de tabac à Morlaix
n° 7 - Échec et tag à Clohars-Carnoët
n° 8 - Peinture brûlante à Pontivy
n° 9 - En rade à Brest
n° 10 - Drôle de chantier à Saint-Nazaire
n° 11 - Poitiers, l’affaire du Parc
n° 12 - Embrouilles briochines
n° 13 - La demoiselle du Guilvinec
n° 14 - Jeu de quilles en pays guérandais
n° 15 - Concarneau, affaire classée
n° 16 - Faute de carre à Vannes
n° 17 - Gros gnons à Roscoff
n° 18 - Maldonne à Redon
n° 19 - Saint ou Démon à Saint-Brévin-les-Pins
n° 20 - Rennes au galop
n° 21 - Ça se Corse à Lorient
n° 22 - Hors circuit à Châteaulin
n° 23 - Sans Broderie ni Dentelle
n° 24 - Faites vos jeux
n° 25 - Enfumages
n° 26 - Corsaires de l’Est
n° 27 - Zones blanches
n° 28 - Ils sont inattaquables
n° 29 - Dernier vol Sarlat-Dinan
n° 30 - Hangar 21
Menaces - T1 Attaques sur la capitale
Menaces - T2 Tel le Phénix
Menaces - T3 Pas de paradis pour les lanceurs d’alerte
Le blog de l’auteur : www.firminlebourhis.fr
NOTE DE L’AUTEUR
La totalité des droits d’auteur des titres de Firmin Le Bourhis est versée à l’action concernant les trois principales maladies neuro-dégénératives que sont Alzheimer, Parkinson et la Sclérose en plaques et autres maladies auto-immunes.
CE LIVRE EST UN ROMAN.
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,
des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant
ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.
Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70/Fax : 01 46 34 67 19 - © 2017 - Éditions du Palémon.
Bibliographie
Le secret le mieux gardé du monde. Le roman vrai des Panama Papers.
Bastian Obermayer & Frederik Obermaier - Le Seuil, 2016.
La Banque. Comment Goldman Sachs dirige le monde.
Marc Roche - Albin Michel, 2010.
La richesse cachée des Nations. Enquête sur les paradis fiscaux.
Gabriel Zucman - Le Seuil, 2013.
Les paradis fiscaux. Enquête sur les ravages de la finance néolibérale.
Nicolas Shaxson - André Versaille éditeur, 2012.
Le scandale de la FIFA.
Andrew Jennings - Le Seuil, 2015.
Sire, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés.
Charles Gave - Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2016.
Nombreux articles de presse, en particulier du Monde, notamment sur les liens entre certaines banques françaises et le cabinet panaméen Mossack Fonseca.
Préambule
Cette enquête est le troisième volet de la série intitulée Menaces dont le premier est Attaques sur la capitale, le deuxième Tel le Phénix. Nous y retrouverons donc des personnages récurrents, tel Jean-Hervé de la Buissonnière, le patron de l’Unité Spéciale Internationale1, organisation informelle créée après les attentats de Paris, Copenhague, Tunis et Bruxelles… Celle-ci peut agir dans le monde entier, avec l’aval du gouvernement du pays concerné, aussi bien contre le terrorisme que contre toutes les mouvances mafieuses ou fondamentalistes religieuses qui se trouvent bien souvent en amont des organisations terroristes. La famille de Jean-Hervé a été décimée par l’attentat de Paris évoqué dans le premier volet de cette série. À l’instar de Simon Wiesenthal, décédé en décembre 2005 après avoir traqué toute sa vie des criminels nazis, il a décidé de consacrer le reste de son existence à une lutte sans merci contre toutes les formes de terrorisme.
Franck Waltersen est son adjoint. Il est l’interlocuteur du patron de la DCPJ2 et du directeur de la DGSI3, de la DGSE4, de la SDAT5 et de toutes les instances policières. Alsacien d’origine, atteint d’une maladie auto-immune qui ne se montre pas trop invalidante pour l’instant et qu’il cache, il est totalement dévoué à son supérieur qu’il admire profondément. Divorcé, il est resté très proche de sa fille Amélie, à laquelle il est profondément attaché.
Frédéric Arthon, quant à lui, est surtout entré en jeu dans Tel le Phénix, après être apparu dans Saint ou démon à Saint-Brévin-les-Pins, roman également publié aux éditions du Palémon. Dans cette intrigue, il avait déjà démontré ses qualités, alliant une rigueur militaire à une grande maîtrise des négociations commerciales. Jean-Hervé de la Buissonnière l’a sorti d’une impasse, aussi va-t-il se donner corps et âme aux missions qui lui seront confiées… Divorcé, il vit avec sa compagne Fabienne Chauvé dont il a un fils.
Le juge Gérard de Kerbonnec de Silijou, issu d’une famille de l’ancienne noblesse bretonne, vit à Paris où il conseille les gouvernements successifs. Il est la conscience juridique de l’USI, cette unité très spéciale, et travaille en étroite collaboration avec le TGI6 de Paris, la DCPJ, la DGSE et les différentes instances internationales comme Eurojust et Europol à La Haye, ainsi qu’avec le directeur du Centre européen pour le renseignement stratégique et la sécurité intérieure.
Pénélope Botz, patronne des services de la sécurité intérieure et du contre-espionnage à Londres7, siège à Thames House. Elle se fait amicalement chambrer par tous les collègues français, car elle porte le même prénom que l’épouse galloise de François Fillon. Elle entretient de très bonnes relations avec Franck Waltersen et travaille en étroite collaboration avec lui.
Le récent Brexit les ennuie beaucoup et le comportement de Theresa May ne les rassure pas complètement, depuis qu’elle a annoncé, le 17 janvier 2017, vouloir une rupture claire et nette en précisant ses intentions à l’égard des vingt-sept. En bref, elle ne veut pas d’un statut de membre partiel ou associé à l’Union européenne pour le Royaume-Uni. Les Anglais à peine remis de leurs émotions, l’élection de Donald Trump aux États-Unis est venue compliquer encore un peu plus la donne, car Theresa May n’a pas caché sa joie lors de cette élection outre-Atlantique et de son côté, Trump se félicite du Brexit et voit d’autres pays suivre.
Mais la France est en train de bouger également, s’alignant quelque peu sur les principaux pays européens, notamment depuis l’élection très nette de François Fillon à la primaire de la Droite et du Centre en France, chacun considérant que des réformes s’imposaient pour relancer le pays et cet homme de droite semblant incarner celui qui pourrait mener les changements nécessaires en France pour le bien du pays et l’avenir de nos enfants. Ce qui n’est qu’une vue partielle de la situation politique, face à la multiplication des candidatures, un membre de la primaire à gauche, plus Macron, plus Mélenchon et plus Marine Le Pen… Pas de quoi se réjouir pour notre avenir…
Charles Jones et Georges Brown, deux amis, outre leurs fonctions officielles, collaborent avec Pénélope Botz, dans la lutte contre les nouvelles formes de terrorisme. Ils s’attachent plus encore à dénoncer les magouilles financières organisées à l’échelle mondiale avec, malheureusement, l’assentiment de nombreux États qui, à l’instar d’un certain ministre des finances français ou de l’ancien ministre du Luxembourg à la tête de l’UE, se dressent en défenseurs de l’ordre mais sont les premiers à ne pas respecter ce contre quoi ils sont censés lutter…
Pour preuve, l’affaire des Panama Papers, ce scandale mondial de la finance offshore dénoncé par un lanceur d’alerte en avril 2016 : plus de onze millions de documents du cabinet Mossack Fonseca témoignaient des opérations financières de comptes ouverts au Panama pour échapper à tout contrôle du fisc. Un comité d’experts fut mis en place pour faire la lumière sur le système financier du pays, mais dans les mois suivants, deux des sept experts de ce comité, l’Américain John Stiglitz, Nobel d’économie en 2001, et le Suisse Mark Pieth, expert anticorruption, démissionnaient en raison de « divergences sur la transparence de leur travail ». Le monde des affaires faisait une pression insoutenable sur le gouvernement du Panama…
Nos deux personnages britanniques veulent s’investir pleinement depuis que Charles Jones a perdu sa fille dans l’attentat de Paris8. Bien introduits dans le monde de la City londonienne, ils apportent une aide précieuse et plus que jamais indispensable dans la conjoncture actuelle, à l’USI. Ils vivent dans le centre-ouest de Londres, à Mayfair, une zone résidentielle et cossue. Tout comme Tony Blair, ils aiment la France comme lieu de destination de leurs vacances, contrairement à Theresa May, semble-t-il.
D’autres interlocuteurs étrangers apparaîtront selon les besoins des enquêtes en cours. Les lanceurs d’alerte apparaissent ici ou là de par le monde, confiant leurs découvertes à des journalistes d’investigation, mais les profiteurs du système offshore veillent, craignant que ne soit débusqué le fait qu’ils spolient, qui le pays qu’il gouverne ou ses électeurs, qui l’entreprise qu’il dirige, qui un parti politique ou une association où il crie haut et fort son intégrité et sa moralité… Ces lanceurs d’alerte sont donc des dangers qu’il faut réduire au silence… coûte que coûte ! C’est le thème de cette nouvelle enquête…
1. USI.
2. Direction Centrale de la Police Judiciaire.
3. Direction Générale de la Sécurité Intérieure.
4. Direction Générale des Services Extérieurs.
5. Sous-direction Antiterroriste.
6. Tribunal de Grande Instance.
7. MI5.
8. Voir Menaces, tome 1, Attaques sur la capitale, même auteur, même éditeur.
Il y a le roman et il y a l’histoire. D’avisés critiques ont considéré le roman comme de l’histoire qui aurait pu être, l’histoire comme un roman qui avait eu lieu.
Il faut bien reconnaître, en effet, que l’art du romancier souvent emporte la créance, comme l’événement parfois la défie.
Edmond de Goncourt et Jules de Goncourt
I
Paris… Au siège de l’USI, vers vingt-deux heures…
Dans la grande salle, exceptionnellement transformée en salle de réception mondaine au cœur même de Paris, ils étaient tous là, avec pour maître de cérémonie Jean-Hervé de la Buissonnière, exceptionnellement accompagné de la belle Marie-Béatrice Durand mais aussi de son fidèle adjoint Franck Waltersen, du fin limier Frédéric Arthon, du juge Gérard de Kerbonnec de Silijou, de tous les patrons des principaux services de l’État en matière sécuritaire et du numéro un du TGI de Paris.
Étaient aussi présents ses collègues belges dont Jonas Janssens, son ami personnel, l’Allemand Klaus Werner, et, bien entendu, ses amis britanniques, Pénélope Botz, Charles Jones et Georges Brown, de même que nombre de collaborateurs dévoués.
Nul doute que certains prolongeraient cette “lourde” réunion de travail ailleurs pour finir la nuit, les lieux ne manquant pas à Paris… Frédéric admirait le couple formé par Jean-Hervé et Marie-Béatrice, tandis que ceux-ci évoluaient dans l’assistance. Il trouvait que Jean-Hervé avait de plus en plus l’allure de l’ancien ministre des Affaires Étrangères puis Premier ministre de Jacques Chirac. Quant à Marie-Béatrice, grande, mince, blonde, élégante et très à l’aise dans ce milieu, elle l’accompagnait parfaitement.
Franck Waltersen semblait heureux d’être là, lui aussi. Frédéric avait l’impression qu’il souffrait moins de ses soucis de santé et que sa claudication avait presque disparu depuis quelque temps ; le fait de s’épanouir dans son travail et donc de subir moins de stress devait y être pour quelque chose…
La soirée battait son plein dans une certaine euphorie, alors que moins d’une heure avant, l’ambiance était plus tendue car le Brexit générait incertitude et malaise, même si les Britanniques présents y étaient farouchement opposés. Mais le peuple avait parlé et le Royaume-Uni devait à présent mettre en place ce choix.
Theresa May avait fait savoir que le gouvernement devait à présent commencer à prévoir comment y faire réellement face, laissant planer depuis ce vote une incertitude et un certain malaise. Theresa May avait annoncé qu’elle mettrait en application l’article 50 de la Convention européenne en mars suivant pour confirmer la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Aussi, dès le 17 janvier 2017, elle annonçait la couleur, ce serait une rupture claire et nette à l’égard des vingt-sept et pas question de statut de membre partiel ou associé à l’Union européenne pour le Royaume-Uni. Ce qui ne semblait pas être l’avis du gouvernement qui souhaitait que le projet lui soit soumis avant.
Sur un autre plan, les Panama Papers avaient commencé à montrer leur secret, si bien gardé jusque-là, montrant une fois encore les failles des systèmes qui permettaient tous les trafics possibles et imaginables de la part de certains dirigeants, que ce soit dans le monde politique, sportif, économique ou celui des dictateurs de toutes sortes qui accumulaient des fortunes colossales subtilisées à leur peuple.
De ce fait même, le Royaume-Uni risquait, plus que jamais, de jouer un jeu bancal, car il prétendait lutter contre le principe des paradis fiscaux mais en même temps, les entretenait au mieux, comme les Îles Vierges britanniques, l’Île de Man ou encore Jersey et Guernesey, avec une City dont d’aucuns craignaient le pire en matière de couverture et de transferts de fonds désormais…
Tout aussi bancal d’ailleurs que celui du Luxembourg où le Premier ministre de 1995 à 2013, Jean-Claude Juncker, devenu président de l’Union Européenne, accusé d’avoir bloqué la lutte contre l’évasion fiscale alors qu’il avait toujours vanté la transparence tandis qu’en réalité, il protégeait farouchement les intérêts financiers du Luxembourg !
Tous profitaient donc du peuple même qu’ils gouvernaient, avec la complicité pour ne pas dire la bénédiction de cabinets d’avocats experts en la matière, de quelques banques, et pas des moindres, et l’asile des paradis fiscaux que chaque pays disait vouloir voir disparaître, mais lorsqu’il s’agissait de prendre des décisions et d’agir dans ce sens, les personnes en mesure de les prendre regardaient ailleurs et n’entendaient rien, se contentant tout au plus de quelques “mesurettes” sans envergure pour y mettre un terme, en sachant pertinemment que ce n’était pas de cette manière qu’ils allaient entraver la marche des choses !
Si bien que les paradis fiscaux n’étaient pas près de disparaître, ils arrangeaient trop de décideurs de toutes sortes, avides de détourner le fisc de leur pays !
Tout autour de la salle, Jean-Hervé de la Buissonnière avait fait imprimer de grands panneaux qui étaient placardés sur les murs et qui anticipaient la rencontre un peu difficile de l’après-midi, question de donner le ton car le thème était la lutte contre les paradis fiscaux, avec pour objectif de tout faire pour arrêter et faire connaître tous ceux qui fraudent pour quelque raison que ce soit.
On pouvait y lire sur l’un : « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance. François Hollande ». Sur un autre : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant, il gouverne. Cet adversaire c’est le monde de la finance. Discours de François Hollande lors de la réunion du Bourget près de Paris ».
Il est vrai que ces propos dataient de quelques années, du début de son quinquennat ! Ainsi, ces panneaux étaient repris à plusieurs endroits, mais en réalité, comme tous les hommes politiques, qu’avait-il fait ?
Chacun cherchait… en vain ! D’aucuns prétendaient qu’il avait oublié cette déclaration pour se consacrer essentiellement à inverser la courbe du chômage… car pendant quatre ans, c’est ce qu’il annonçait chaque année ! Finalement, la cinquième année, à défaut d’obtenir le moindre résultat dans ce domaine, malgré un contexte très favorable, euro compétitif, prix du baril au plus bas, des taux historiquement faibles, tout pour favoriser une dynamique, comme cela se produisait dans nos pays voisins qui surfaient sur cette chance… En France ? Non ! Ce n’était pas le cas, tant et si bien que personne n’était dupe et que son taux de popularité était au niveau de ses performances, c’est-à-dire, très bas…
Au point qu’en fin d’année, il dut jeter l’éponge et annoncer qu’il ne se représenterait pas à la Présidentielle, une première sous la cinquième République ! Il laissa la place à son premier ministre qui se heurta à la primaire de la gauche aux frondeurs du PS, mettant Benoît Hamon en tête devant Arnaud Montebourg, la cacophonie continuait !
À l’USI, la soirée se déroulait bon enfant et chacun avait son idée pour réformer le monde et dire ce qui n’allait pas, les Panama Papers occupaient une grande place des discussions car cette affaire des Panama Papers défrayait l’actualité en révélant au grand jour les exactions de puissants de ce monde qui accumulaient des fortunes colossales, avec la complicité, pour ne pas dire la bénédiction de cabinets d’avocats, de quelques banques – et pas des moindres – et l’asile de ces paradis fiscaux contre lesquels les pays prétendent lutter en se contentant de prendre quelques “mesurettes”.
L’ambiance était détendue ; les discussions allaient bon train et les Panama Papers y occupaient une grande place car chaque participant connaissait au moins une personne concernée par cette affaire, mais une brigade d’avocats zélés devait s’activer depuis longtemps pour blanchir chacun de tout soupçon en lui demandant de jurer, la main sur le cœur, son innocence, exactement comme – vous en souvenez-vous ? – à l’Assemblée nationale, il n’y a pas si longtemps. Ce ministre des Finances français n’avait-il pas annoncé qu’il allait protéger les lanceurs d’alerte ? Pourtant, il n’était pas intervenu quand l’un d’eux avait été condamné par notre voisin luxembourgeois lors du scandale des “LuxLeaks”, pas plus qu’à la révélation des “Offshore Leaks”, des “SwissLeaks” ou des “Football Leaks”…
Vu le rythme où allaient les choses dans ce domaine, Frédéric Arthon avait donc développé de nombreuses relations avec des journalistes d’investigation afin d’obtenir diverses informations.
Ceux-ci, depuis 1997, se regroupaient d’ailleurs de plus en plus au sein d’une organisation mondiale, l’ICIJ9, fondée en 1997 et basée à Washington, pour plus d’efficacité et de légitimité.
Celle-ci était financée par des dons et les plus grands donateurs, comme toujours, étaient des milliardaires américains. Le plus important étant George Soros, mondialement connu, l’acrobate implacable de la finance, le spéculateur qui fit sauter la Banque d’Angleterre en 1992 et rafla un milliard de dollars en pariant sur la chute de la livre sterling. Les médias l’ont évoqué régulièrement depuis, que ce soit du côté du bloc soviétique ou en protecteur des gays roumains, voire encore en défenseur des blogueurs égyptiens et depuis peu, comme champion de la lutte contre l’islamophobie en France et en Europe ! À quatre-vingt-six ans, ce milliardaire américain d’origine hongroise s’insurge actuellement contre les États européens, incapables de gérer les flux des migrants en Méditerranée. Il vient de mettre cinq cents millions de dollars sur la table, soit le quarantième de sa fortune estimée, avec lesquels il compte aider les migrants à prendre un nouveau départ avec sa fondation Open Society qui financera des formations, investira dans des start-up, prendra des participations dans des entreprises créées par des migrants… George Soros est-il un bienfaiteur des réfugiés ? Sans doute pas uniquement, quand on sait que ce spéculateur a ancré sa fortune dans le paradis fiscal de Curaçao…
Il faut dire qu’ailleurs dans le monde, y compris en Europe, et en France en particulier, il semblerait que les milliardaires n’aient pas cette même ouverture d’esprit ni cette même volonté de donner une petite part de leur fortune, même infime ; cela pourrait pourtant tellement faire avancer les choses et leur redonner une image plus positive… Mais de ce côté, il y a encore beaucoup de chemin à faire ! Pour l’instant, ils se contentent de prendre au plus vite le chemin des paradis fiscaux afin de payer moins et de gruger ainsi l’État, plutôt que de mettre la main au portefeuille pour faire avancer une grande cause… comme cela se fait beaucoup aux États-Unis.
Dans la salle, les rires se mélangeaient aux discussions plus sérieuses quand Frédéric Arthon sentit son iPhone vibrer dans sa poche de droite. Il disposait en permanence de deux appareils : l’un, disons normal, dans sa poche gauche, l’autre, crypté et indétectable, dans la droite.
Il consulta brièvement l’appareil et, au vu du code apparent, il sut qui était son interlocuteur. Il fila aussitôt vers un endroit discret, les toilettes situées au fond du couloir, à bonne distance de la salle.
— F.A. à l’appareil.
— …
— D’accord, je pars tout de suite, où se retrouve-t-on ?
— …
— Entendu, je note, je ferai le code et je monterai à ton étage pour t’attendre dans le couloir, devant ton bureau, ce n’est pas très loin d’ici, à tout de suite…
Le jeune homme affichait un air grave quand il rejoignit Jean-Hervé de la Buissonnière et l’isola d’un groupe avec lequel il parlait, laissant Marie-Béatrice Durand poursuivre la conversation avec eux.
— C’est Jérémy Dufort, il vient de rentrer de la BVI10, il veut me voir, il a « du lourd »…
— Ton lanceur d’alerte ?
— Oui. Cette fois, il a récupéré de quoi empêcher de dormir un certain nombre de Français bien sous tous rapports et qui, pour certains, savent même donner des leçons de bonne conduite aux autres !
— C’était prévu ? s’étonna le patron de l’équipe.
— Oui, nous y travaillons depuis plusieurs mois…
De la Buissonnière fronça les sourcils. Aussitôt, Frédéric comprit sa préoccupation.
— Nous passons uniquement ce genre de contacts et d’échanges d’infos par des logiciels cryptés, surtout que, dans le cas présent, c’est très chaud, a priori…
Cela parut soulager Jean-Hervé pour qui la sécurité était devenue une obsession, comme le savait Frédéric.
Une obsession dévorante.
— Où le retrouves-tu ?
— Dans sa boîte, il m’a donné le code pour entrer et je l’attends devant son bureau.
— D’accord, je préfère, il faut éviter les quartiers peu sûrs, tu sais que les lanceurs d’alerte ont beau prendre des précautions, dès qu’ils deviennent suspects ou qu’un doute s’est immiscé sur eux, depuis les Panama Papers, les gros clients de ces paradis fiscaux n’hésitent plus à se couvrir à mort et à payer qui il faut et ce qu’il faut pour supprimer le type et récupérer sa doc… Même s’ils ne sont pas certains, ils ne prennent plus de risque, il n’y a plus de cadeau, et toi, fais gaffe aussi, car les gars qui sont payés pour ce sale boulot ne sont pas à un type près, ils n’ont aucun état d’âme. Ne fais des rencontres de ce genre que dans des endroits sécurisés !
— Je sais, mais ne t’inquiète pas, j’ai encore l’intention de vivre mes vieux jours auprès de Fabienne et de mon petit garçon ! Je file en douce…
— Tu me tiens au courant, peu importe l’heure ! lui intima Jean-Hervé en le suivant d’un regard incrédule.
— D’ac’ !
En quittant la salle, Frédéric Arthon jeta un dernier coup d’œil vers le somptueux buffet dînatoire autour duquel les esprits s’échauffaient et quitta ce raout à regret, mais gonflé à bloc pour retrouver Jérémy, car ce dernier lui avait promis de lui apporter des « tonnes d’infos » qui auraient, à l’échelle de la France, un retentissement semblable à celui des Panama Papers…
Il s’échappa donc très rapidement vers l’ascenseur pour descendre au sous-sol récupérer sa voiture et filer à son rendez-vous.
*
À cette heure, à Paris, ça roulait, il en avait pour un quart d’heure tout au plus.
Aucune difficulté pour se garer à proximité de l’immeuble où se situaient les bureaux de la société pour laquelle Jérémy travaillait. Peu de fenêtres étaient encore éclairées.
Tout le rez-de-chaussée était plongé dans le noir, il se dirigea vers la porte située non loin de l’entrée principale, fit le code délivré par Jérémy, un mélange de chiffres et de lettres, une vibration électrique annonça le déverrouillage.
Jérémy ne devait pas tarder, il se trouvait peut-être en ce moment même au sous-sol en train de garer sa voiture… Là aussi, l’accès était codé.
Il se rendit au troisième étage, s’installa dans un fauteuil du couloir et patienta.
Quelques minutes plus tard, un voisin de bureau de Jérémy s’apprêtait à s’en aller et, remarquant Frédéric, lui demanda ce qu’il faisait là à cette heure.
— J’attends Jérémy, nous avons rendez-vous, il ne devrait pas tarder…
— Vous avez une fontaine au bout du couloir si vous voulez vous rafraîchir et, si je le croise, bien que nous ne soyons pas garés au même niveau de parking, je tenterai de le voir et lui dirai que vous l’attendez…
— Merci, bonsoir.
Un silence de cathédrale s’installa à nouveau ; à peine quelques bruits de portes qui se fermaient derrière les derniers salariés qui s’en allaient, quelque part dans l’immeuble, des pas feutrés, une porte d’ascenseur qui se refermait, et à nouveau le silence.
Trente minutes qu’il était assis et toujours rien.
Il appela Jérémy, mais son portable semblait coupé ou alors il se trouvait dans un lieu où les communications ne passaient pas. Il se rassura en se disant qu’il devait être au sous-sol et qu’il n’allait pas tarder…
Une heure, toujours rien, cette fois, Frédéric décida d’aller à la recherche de quelqu’un, car il ne connaissait pas le code d’accès au sous-sol.
Au deuxième étage, un bureau était encore éclairé, il se présenta, c’était une femme, genre avocate d’affaires, dynamique et avenante dans son complet gris anthracite parfaitement taillé et son chemisier blanc.
Frédéric devina que, derrière une courtoisie affichée, elle avait esquissé un sourire quand il lui avait indiqué qu’il s’inquiétait que Jérémy ne soit pas au rendez-vous qu’ils s’étaient fixé lors d’un récent entretien téléphonique.
— Vous pensez à quoi ? lui demanda-t-elle, surprise.
— Qu’il a peut-être un souci…
Devant l’air inquiet de Frédéric, elle lui proposa qu’ils se rendent au sous-sol vérifier si sa voiture était là, car Jérémy était un type très respectueux des horaires et de ses rendez-vous.
*
Quand ils furent arrivés au deuxième sous-sol, elle l’informa :
— Sa place est située tout au fond, allons-y… Il doit être arrivé, car je vois l’arrière de sa voiture, la BMW X 5 noire là-bas…
Leurs deux visages se crispèrent, Jérémy se tenait au volant, la tête contre le repose-tête…
Ils se précipitèrent vers lui, inquiets de le voir dans cette posture et durent se rendre à l’évidence : il était mort.
La jeune femme poussa un cri d’effroi.
Frédéric voulant croire que son ami vivait encore, même si son corps était criblé de balles, tenta de le réanimer, mais son cœur ne battait plus et déjà le cadavre commençait à se refroidir.
Impossible d’appeler du sous-sol. Ils remontèrent donc vers la sortie du parking et firent ouvrir la porte d’accès pour appeler de l’extérieur les secours qu’ils attendirent près de l’entrée du parking.
La jeune femme, très choquée, était incapable de proférer la moindre parole.
Il s’éloigna un peu pour prévenir Jean-Hervé de la Buissonnière et lui demanda d’alerter Franck Waltersen pour qu’il mette ses copains du 36 au courant, car ce meurtre pouvait être en lien avec une affaire qui remonterait en très haut lieu.
Les services de la Police Technique et Scientifique devaient mettre les meilleurs éléments sur le coup ; le moindre indice devait être collecté et les vidéos de surveillance de l’immeuble et du sous-sol analysées.
Revenir des Îles Vierges britanniques, le paradis fiscal par excellence, avec des fichiers et « du lourd », comme l’avait dit Jérémy, ça n’était manifestement pas sans danger et ça donnait le ton sur ce qui les attendait…
9. Consortium International pour le journalisme d’Investigation.
10. British Virgin Islands – Îles Vierges britanniques.