Le théâtre français du XVIIIe siècle lègue deux grands noms à la postérité : Marivaux et Beaumarchais (écrivain, poète et dramaturge français, 1732-1799). Les deux hommes, par la voix de leurs valets rusés et effrontés, se répondent aux deux extrémités d’un siècle qu’ils incarnent chacun à leur manière. Contrairement à son homologue plus tardif, Marivaux ne connaît pas les tourments de la Révolution française (1789-1799) et se tient à l’écart des Lumières, même s’il ne manque pas de philosophie.
Dans cette première moitié du XVIIIe siècle, il incarne dans ses œuvres l’esprit de l’après Louis XIV (roi de France, 1638-1715) : celui des salons, de la frivolité, de la conversation brillante. Du reste homme discret dans la vie, très peu de détails nous sont parvenus de l’intimité de celui qu’on disait bon, susceptible et épris d’honnêteté. Venu à la littérature par la mondanité, il écrit jusqu’en 1720 dans des formes diverses, souvent satiriques, qui le font d’abord connaître comme moraliste.
Le théâtre, pour lequel il passera à la postérité, ne l’intéresse vraiment qu’à partir de ses 32 ans. Il trouve alors auprès des Comédiens-Italiens une troupe dont le jeu stimule son écriture, aussi écrit-il le gros de sa production en une vingtaine d’années, relevant le pari difficile de renouveler la comédie après Molière (comédien et dramaturge français, 1622-1673). Quelque peu oublié au XIXe siècle, on a depuis redécouvert sa modernité. Marivaux est aujourd’hui l’un des auteurs français les plus joués, un incontournable classique.
De toutes les œuvres dramatiques de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, représenté pour la première fois le 23 janvier 1730, est encore la plus jouée. Les raisons de ce succès tiennent tout d’abord à l’esprit de la pièce. Éclatante, la langue de Marivaux foisonne de ce bel esprit qui faisait fureur dans les salons et qui sonne toujours aussi plaisamment à nos oreilles.
Mais il n’y a pas chez lui que de l’esprit ; il y a aussi, et surtout, du cœur. Les personnages de Silvia et de Dorante sont touchants et vrais ; ils rejoignent dans nos mémoires les autres couples d’amoureux purs que sont Héloïse et Abélard, Roméo et Juliette, Paul et Virginie, etc. Encore ces couples-là connaissent-ils des amours tragiques, voire pathétiques. Marivaux, lui, entend rendre ses personnages heureux, et nous avec.
Pour nous faire rire – car toujours il faut plaire –, il introduit aussi un contrepoint comique en les personnes d’Arlequin et de Lisette, qui contrefont la cour de leurs maîtres, et se font prendre eux aussi au jeu de l’amour. Enfin, son traitement des rapports sociaux comporte une contestation qui n’est pas sans annoncer les remises en question plus décisives de la Révolution.
On a critiqué Marivaux pour son « marivaudage » : sa langue serait trop précieuse, les sentiments de ses personnages trop alambiqués. Ces critiques pourraient tout aussi bien être des éloges, si l’on veut bien voir dans les mots et les sentiments qu’ils décrivent, les moyens d’une fine analyse de la psychologie humaine telle qu’aucun auteur n’en avait donné jusque-là. À voir une pièce comme Le Jeu, l’impression qui nous reste est celle d’une franche gaieté. On s’y aime, on s’y amuse, on y rit, on y danse. Autant de qualités qui en font ce qu’on peut appeler de nos jours une « feel-good play », un petit morceau de bonheur au goût sucré de Régence (1715-1723).