Iman Eyitayo
L’antichambre des souvenirs
Livre 1
© Editions Plumes Solidaires
©Editions Plumes Solidaires
Auteur : Iman Eyitayo
Illustration de couverture : Fotolia
Couverture : Iman Eyitayo
ISBN : 9782954948263
©Tous droits réservés pour tous pays
Février 2015
À tous ceux qui cherchent leur voie,
un sens à leur existence,
une justice dans ce monde,
Du haut des antichambres,
j’ai appris que la seule vérité
n’est autre que l’équilibre.
Glimel.
If I die Young
© The Band Perry,
The Band Perry, Republic Nashville, 2010.
All we are
© Matt Nathanson,
Some Mad Hope, Vanguard Records, 2009.
« If I die young, bury me in satin
Lay me down on a bed of roses
Sink me in a river at dawn
Send me away with the words of a love song… »
If I die young – The band perry
Je serre Alex contre moi pour noyer mon chagrin. Ses caresses m’empêchent de pleurer, son odeur me rassure et ses baisers me disent qu’envers et contre tout, il m’aime. Il a sa façon bien particulière de me toucher, de me stimuler jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Il me demande alors si je le veux et comme d’habitude, je rougis en lui répondant que oui. Il exauce mon souhait et me prend avec douceur. Je l’enlace de toutes mes forces et me cale sur son rythme jusqu’à accéder au plaisir. Je suis essoufflée lorsque je renonce enfin à sa chaleur pour reprendre peu à peu une respiration normale.
Je regarde mon réveil, il est sept heures et demie.
— Il est tard, chéri. On va encore être en retard.
— Hmm OK, poupée. J’y vais en premier ?
— Oui, vas-y.
Alex se lève et se rend dans la salle de bains sans me regarder. Il ne me regarde plus aussi souvent qu’avant, presque comme si le faire était devenu douloureux. Rien de plus normal quand on sait que je suis celle qui l’empêche d’avoir une famille. Y penser me donne d’ailleurs envie de vomir. Je cours aux toilettes pour me soulager. Le bruit de la chasse d’eau alarme Alex, qui hurle depuis la salle de bains :
— Ça va ? Tu vomis presque tous les matins, tu ne penses pas que…
— Non. J’ai déjà vérifié.
— Ah… tu devrais consulter quand même, tu couves peut-être quelque chose.
— J’avais prévu d’y aller ce matin.
Je m’essuie et jette un coup d’œil à mon reflet. Même si je reste grande et de corpulence moyenne, mon visage s’est un peu arrondi ces deux dernières années, mes joues ressortent davantage et mes cheveux roux-orangé ont tellement poussé qu’ils me tombent dans le dos. Je les attache en queue-de-cheval et vais machinalement préparer le petit-déjeuner.
Je voudrais crier, mais je ne le fais pas. Alex a raison de se poser des questions, j’ai tous les symptômes. Seulement, depuis qu’on m’a annoncé quatre années plus tôt que j’étais stérile, les faux espoirs n’ont fait que nous détruire à petit feu. J’ai tout de même voulu vérifier dans un énième regain d’espoir, mais le résultat a encore été négatif. J’ai pleuré seule dans la salle de bains et n’en ai parlé à personne… jusqu’à ce matin.
Le plateau-repas prêt, Alex descend et je prends mon tour de salle de bains. En une demi-heure, nous sommes prêts et quittons la maison, sans oublier de nous lancer le fatidique « Bonne journée », qui ne trahit que de la politesse. Pas de baiser, pas de mots d’amour, rien de tout ça. Notre couple tient encore, mais la routine et le vide créés par l’absence d’enfants ont pris le dessus. Parfois je me dis que sans le sexe, nous ne serions plus que l’ombre de nous-mêmes.
J’efface une petite larme lorsque j’arrive devant la clinique Sainte-Thérèse du dix-septième arrondissement à bord de ma petite Clio rouge. Je grogne pendant une demi-heure, le temps de trouver une place pour me garer, puis j’enfile mes gants et me présente à l’accueil.
— Je suis là pour voir le docteur Linka, s’il vous plaît.
— Vous avez rendez-vous ?
— Non, mais j’ai appelé sa secrétaire hier soir et elle m’a dit que je pourrais la voir entre deux rendez-vous ce matin.
— Oh oui, vous devez être Madame Bell ! On m’a informée que vous pourriez la voir à 9 h 45 seulement.
— Merci, j’attends.
J’appelle immédiatement le cabinet pour les prévenir de mon retard et je sors de la clinique pour aller boire quelque chose de chaud. Je finis par tomber sur un café sympa près du métro et m’y installe. Je commande un cappuccino que je savoure en intérieur, lis quelques revues sur ma tablette et retourne à la clinique pour 9 h 30.
Je prends place dans la salle d’attente et regarde la neige s’entasser sur les rebords de fenêtres. Il ne fait pas très froid pour un mois de décembre à Paris, mais les chutes de neige sont sans précédent. Les routes de l’Île-de-France étant de plus en plus recouvertes de verglas, je dépends de ma tablette pour suivre l’évolution de la circulation et m’adapter en conséquence. Alex a pour sa part choisi de ne prendre que les transports par ce temps, choix que je n’ai pu me résoudre à faire. Je déteste les transports en commun comme la peste. La foule, les odeurs, les bousculades, l’énervement général, le stress, la course après le métro et l’impression en arrivant au travail qu’on a couru un marathon sous la pluie… non merci. Après avoir une fois passé dix minutes dans le noir, collée à un petit pervers en manque sans pouvoir me dégager, je me suis acheté une voiture. On ne me la refera pas.
— Madame Bell ? Dana Bell ?
Je me lève à l’appel de la secrétaire et la suis. Je me retrouve rapidement en face de mon médecin, à qui j’explique mes récents symptômes. Elle est peu surprise vu le nombre de fois où cela s’est produit ces dernières années et me demande machinalement si j’ai bien fait un test de grossesse au cas où. Sa question m’exaspère mais je lui réponds posément par l’affirmative. Elle demande alors à faire quelques vérifications en rajoutant que ce n’est sûrement rien de grave. Je me soumets à tous ses tests avec détachement, jusqu’à ce qu’à l’échographie, la main du docteur Linka se fige.
— Qu’y a-t-il ?
— Je… c’est impossible…
— Qu’est-ce qui est impossible ?
Je me redresse et ce que je vois me fait trembler à mon tour. L’image dévoile une masse, une masse assez diffuse mais identifiable. Un bébé ! Il – ou elle – bouge au rythme d’un bruit que je devine être celui des battements de son cœur. Je ne peux alors m’empêcher de verser des larmes, aussi bien de tristesse que de joie. Cela fait quatre ans qu’on m’a annoncé que je n’aurai jamais d’enfants, quatre ans que j’ai vainement attendu un miracle. Alex a évoqué l’adoption l’an dernier mais j’ai refusé. Je n’acceptais pas l’idée d’être incapable d’enfanter, de ne pouvoir donner une descendance à mon mari et être une femme à part entière. Face à mes nombreux échecs, j’étais récemment prête à changer d’avis. Et voilà qu’on m’annonce que mon attente a payé ! Est-ce que malgré tout, mon rêve se réalise enfin ?
— Je… je suis enceinte ? Je… comment est-ce possible ? Je suis stérile et le… le test était négatif !
— C’était sans doute un faux négatif, finit par lâcher le médecin qui semble tout aussi choquée que moi. En tout cas, il n’y a aucun doute possible, vous êtes bien enceinte, et de trois mois en plus !
— Je... trois mois ? J’ai… j’ai bien vu que mes règles étaient absentes, mais elles sont tellement irrégulières que je n’ai pas relevé. Mon Dieu… mon Dieu… je n’y croyais plus !
— Il faut croire qu’Il aura finalement entendu vos prières, sourit-elle avant de me donner une liste de choses à faire et ne pas faire, ainsi qu’une série de rendez-vous que je me dois d’honorer pour qu’il n’arrive rien au fœtus.
J’avoue avoir vaguement écouté tant la nouvelle m’a estomaquée. Je sors un peu sonnée de la clinique, mais aux anges.
Une fois dans ma voiture, je souris malgré moi et je ne résiste pas à l’envie d’appeler immédiatement mon mari. Le téléphone sonne plusieurs fois et je tombe sur sa boîte vocale. Je lui annonce d’une voix chantante que j’ai une excellente nouvelle et qu’il devrait décrocher au plus vite. J’allume ensuite la radio dont j’apprécie la musique un instant puis j’hésite à rentrer pour célébrer la nouvelle avec un énorme pot de glace, devant la saison trois de la série « Once Upon a Time ». J’ai téléchargé l’épisode onze en version originale hier – oui, je sais que ce n’est pas bien – et ai hâte de le voir !
Après un long conflit interne, je finis par choisir la raison. Et puis, ce n’était pas une journée à passer seule, super série télé ou pas. Je démarre alors ma Clio en direction de Vélizy.
Après dix minutes de route, je suis encore en ville lorsque mon téléphone sonne. Un coup d’œil me signale qu’il s’agit d’Alex. Je souris de nouveau mais je m’interdis de lui parler avant le prochain feu rouge. Une fois à l’arrêt, je le rappelle et tombe sur son répondeur. Ce concours de circonstances m’aurait énervée en temps normal, mais en cette belle journée de décembre, mon humeur est au beau fixe. J’attends.
Alex me rappelle en entrée d’autoroute. J’hésite à décrocher en pleine conduite, mais je ne peux résister à l’idée de lui annoncer. J’active le haut-parleur pour rester prudente :
— Poupée ? Qu’est-ce qui se passe ? Ça avait l’air urgent à ton message !
— Ça l’est, chéri. Devine ce que le médecin a dit !
— Je ne sais pas… que c’est rien de grave, je suppose ? Tu as l’air de bonne humeur.
— C’est mieux que ça, je suis enceinte !
Il y a un silence de l’autre côté du combiné.
— Comment ça, enceinte ?
Il se fiche de moi… ou quoi ?
— Euh… enceinte comme enceinte. Tu connais une autre définition pour ce mot ? Écoute, en tout cas, tu avais raison pour mes nausées matinales ! Ça fait déjà trois mois !
Alex dit quelque chose que je n’entends pas à cause du cinglé derrière moi qui klaxonne pour que j’avance plus vite. Je ne réagis pas et incite Alex à répéter :
— Je disais… tu n’as pas dit ce matin que tu avais vérifié ?
— Si, si, mais c’était un faux négatif, ça m’a induite en erreur. L’échographie montre vraiment quelque chose, et son… son cœur bat ! Je te jure que ce n’est pas une blague !
Un autre silence s’immisce entre nous. Cette fois-ci, il me paralyse.
— Alex ? Chéri, tu es là ? Dis-moi que tu es là !
Le connard derrière moi klaxonne de nouveau. J’ouvre ma vitre et lui hurle qu’on est sur une pente, qu’il y a des voitures devant moi et que je ne peux pas aller plus vite que la musique. Je la referme ensuite et reprends ma conversation :
— Tu es sur la route, poupée ?
— Oui, je vais au boulot. Mais tu ne dis rien… tu n’es pas heureux ?
— Si, si ! Je suis juste sonné, tu comprends ? Je ne m’attendais pas à…
Un nouveau klaxon. Je perds patience. Je demande à Alex d’attendre et j’ouvre ma fenêtre pour apprendre les bonnes manières à mon voisin de derrière.
Les Parisiens sont d’une impatience, c’est pas croyable ! Des fois je me dis que même les chiens sont plus disciplinés !
J’entends alors des cris de panique et je vois la voiture derrière moi, aidée par un camion glissant dangereusement sur du verglas, foncer sur moi.
Une forte douleur à la tête m’arrache très vite à cette vision. Je heurte violemment le volant pendant que les tonneaux s’enchaînent. Je n’ai aucune idée de ce qui se passe autour, mais les violents impacts meurtrissent mon corps dans un océan de douleur.
Sous le bruit des vitres qui se pulvérisent, je finis par entendre des hurlements et des alarmes de pompiers. Les éclats de verre me déchirent la peau mais je n’ai plus mal. J’entends Alex qui hurle mon nom de l’autre côté du combiné. Je regarde mon téléphone, intact, plongé dans une mare de sang et j’ai un dernier rictus : je n’aurais jamais pensé qu’un smartphone puisse survivre à un tel impact.
Une odeur désagréable, qui me rappelle celle de l’hôpital, me chatouille les narines lorsque je reprends connaissance. J’essaie d’ouvrir les yeux mais je n’y arrive pas. J’entends alors la voix des infirmiers qui essaient de relancer mon cœur. Il bat pourtant, il bat si fort que je me demande comment ils peuvent le manquer. Les bruits et sons se mélangent bientôt et je n’entends plus que mes propres pulsations. Boum, Boum… Boum. J’ai très vite l’impression que leur fréquence ralentit.
Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce que je suis en plein rêve ? Suis-je en train de mourir ? Je prends peur et essaie de me raccrocher à quelque chose de familier. Alex ! Où est-il ? Pourquoi je ne l’entends pas ? Vais-je le revoir ? Et mon bébé ? Va-t-il mourir aussi ? Pourquoi le devrait-il ? Que m’est-il arrivé ?
Au prix d’un immense effort, je finis par me calmer et m’efforce de me remémorer ce qui s’est passé. J’étais au téléphone avec Alex lorsque j’ai ouvert ma fenêtre pour insulter un chauffard. Ensuite, j’ai heurté le volant et… un flash, le reste ne me revient pas.
J’essaie encore une fois d’ouvrir les yeux. Sans succès, je me focalise par instinct sur les battements de mon cœur, mais même ce son se met à disparaître peu à peu. Lorsque je pense avoir sombré totalement, j’entends Alex qui m’appelle. Il crie mon nom comme si sa vie en dépendait. Est-ce qu’il est là, à côté de moi ? J’aimerais pouvoir lui répondre, mais je n’arrive même pas à ouvrir les yeux, alors parler…