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Aux habitants de l’ESPACE EN GÉNÉRAL
et à H. C. en particulier
Cette Œuvre est Dédiée
Par un Humble Carré Originaire du Pays des Deux Dimensions
Dans l’Espoir que
Tout comme lui-même a été Initié aux Mystères des TROIS Dimensions
Alors qu’il en connaissait SEULEMENT DEUX
Ainsi les Citoyens de cette Céleste Région
Élèveront de plus en plus leurs aspirations
Vers les Secrets de la QUATRIÈME, de la CINQUIÈME ou même de la SIXIÈME Dimension
Contribuant ainsi
Au Développement de l’IMAGINATION
Et peut-être au progrès
de cette Qualité excellente et rare qu’est la MODESTIE
Au sein des Races Supérieures
de l’HUMANITÉ SOLIDE.

PRÉFACE DE L’ÉDITEUR À LA DEUXIÈME ÉDITION RÉVISÉE, 1884




Si mon pauvre ami de Flatland jouissait encore de la vigueur intellectuelle qui était sienne au moment où il entreprit de composer ces Mémoires, je n’aurais pas besoin de me substituer à lui pour rédiger cette préface dans laquelle il désire, tout d’abord, remercier ses lecteurs et critiques de Spaceland, notre Pays de l’Espace, dont la bienveillante attention a rendu nécessaire, plus rapidement qu’il n’était prévu, une deuxième édition de son œuvre; ensuite demander que l’on veuille bien excuser certaines erreurs et fautes de typographie (dont il n’est cependant pas entièrement responsable); enfin corriger un ou deux malentendus. Mais il n’est plus le Carré d’antan. Des années de détention, et le fardeau encore plus lourd à supporter des sarcasmes et de l’incrédulité générale, ajoutés au vieillissement naturel de ses facultés mentales, ont effacé de son esprit bon nombre d’idées et de concepts, ainsi qu’une grande partie de la terminologie qu’il avait acquis pendant son séjour chez nous. Aussi m’a-t-il demandé de répondre à sa place à deux objections, de nature intellectuelle pour la première et morale pour la seconde.
Voici la première : un habitant de Flatland, lorsqu’il se trouve devant une Ligne, voit quelque chose qui doit lui sembler non seulement long, mais aussi épais (l’objet contemplé ne serait pas visible s’il n’avait pas une certaine épaisseur); et par conséquent il devrait reconnaître (selon ces critiques) que ses compatriotes ne sont pas seulement longs et larges mais également épais (quoique dans une très faible mesure) ou encore hauts. Cette objection est plausible et paraît presque irréfutable pour un habitant de Spaceland au point que, lorsqu’on me la fit pour la première fois, j’avoue que je ne sus y répondre. Mais mon pauvre ami l’a fait, lui, et d’une façon qui me semble tout à fait satisfaisante.
« J’admets », me dit-il lorsque je lui mentionnai cette objection, « j’admets que votre critique a raison en ce qui concerne les faits, mais je conteste ses conclusions. Il est vrai que nous avons à Flatland une Troisième Dimension, inconnue de nous, que l’on pourrait appeler « hauteur », tout comme vous avez, chez vous, à Spaceland, une Quatrième Dimension, pour laquelle vous ne possédez pas encore, de nom mais que j’appellerai « extra-hauteur ». Moi-même - qui ai eu le privilège de séjourner à Spaceland et de comprendre pendant vingt-quatre heures la signification du terme « hauteur » - je reste perplexe à présent devant cette notion et je ne peux plus la saisir ni par le sens de la vue, ni par le raisonnement; elle nécessite de ma part un acte de foi.
« La raison en est évidente. L’idée de dimension implique une direction, implique une possibilité de mesure, implique le plus et le moins. Or, toutes nos lignes sont également et infinitésimalement épaisses (ou hautes, comme vous préférez); par conséquent, elles n’ont rien qui puisse orienter notre esprit vers l’image de cette Dimension. Le « micromètre » le plus « délicat » - dont l’usage a été suggéré trop hâtivement par l’un de vos critiques - ne nous servirait de rien : car nous ne saurions ni que mesurer, ni dans quelle direction le faire. Lorsque nous nous trouvons devant une Ligne, nous voyons quelque chose qui est long et brillant; l’éclat, tout autant que la longueur, est nécessaire à l’existence d’une Ligne; si l’éclat s’évanouit, la Ligne disparaît. Voilà pourquoi tous mes amis de Flatland - lorsque je leur parle de cette Dimension inconnue qui, pourtant, est visible d’une certaine manière dans une Ligne - me répondent : « Ah, vous voulez parler de l’éclat. » Et quand je réplique : « Non, c’est à une véritable Dimension que je fais allusion », ils me rétorquent : « Alors mesurez-la ou dites-nous dans quelle direction elle s’étend. » Ce qui me réduit au silence, car je ne peux faire ni l’un ni l’autre. Hier encore, lorsque le Cercle Suprême (autrement dit, notre Grand Prêtre) est venu visiter la Prison d’État et qu’il m’a rendu sa septième visite annuelle, en me demandant pour la septième fois si je me sentais mieux, j’ai essayé de lui prouver qu’il était non seulement long et large mais également « haut », bien qu’il ne le sût pas. Que m’a-t-il répondu ?
« Vous dites que je suis « haut »; mesurez ma « hauteur » et je vous croirai. » Que pouvais-je faire ? Comment relever ce défi ? J’ai perdu contenance et il est reparti triomphant.
« Cela vous semble-t-il toujours étrange ? Dans ce cas, imaginez que vous vous trouviez dans une situation identique à la mienne. Supposez qu’une personne de la Quatrième Dimension condescende à vous rendre visite et vous dise : « Chaque fois que vous ouvrez les yeux, vous voyez une Figure plane (qui a Deux Dimensions) et vous inférez un Solide (qui en a Trois); mais en réalité vous voyez aussi (bien que vous ne le sachiez pas) une Quatrième Dimension, qui n’est ni la couleur, ni l’éclat, ni quoi que ce soit de semblable, mais une véritable Dimension, dont je ne peux cependant pas vous indiquer la direction et que vous n’avez pas la possibilité de mesurer. » Que répondriez-vous à ce visiteur ? Ne le feriez-vous pas enfermer ? Eh bien, tel est mon destin; et nous agissons aussi naturellement, nous, habitants de Flatland, en condamnant à la détention perpétuelle un Carré coupable d’avoir prêché la Troisième Dimension, que vous, habitants de Spaceland, en expédiant dans vos geôles un Cube coupable d’avoir prêché la Quatrième Dimension. Hélas, combien l’humanité aveugle est prompte à persécuter et comme elle se ressemble d’une Dimension à l’autre ! Que nous soyons Points, Lignes, Carrés, Cubes ou Extra-Cubes, nous sommes tous enclins aux mêmes erreurs, tous esclaves de nos préjugés dimensionnels respectifs. Comme l’a dit l’un de vos Poètes :
« Un coup de pinceau de la Nature rend tous les mondes semblables 1. »
Sur ce point, les arguments du Carré me paraissent incontestables. J’aimerais pouvoir dire de sa réponse à la seconde objection (d’ordre moral, celle-là) qu’elle est aussi claire et cohérente. On lui a reproché d’être misogyne; et comme cette critique lui est adressée, avec une certaine véhémence, par un Sexe que la Nature a mis dans une position de supériorité numérique à Spaceland, je serais heureux de pouvoir la réfuter, s’il m’était possible de le faire en toute honnêteté. Mais le Carré est si peu habitué à notre terminologie morale que je ne lui rendrais pas justice si je transcrivais littéralement les arguments qu’il avance pour sa défense. En ma qualité d’interprète de sa pensée, et pour la résumer, je me bornerai à dire qu’à ce que j’ai compris il a changé d’avis, pendant ses sept années de détention, tant sur les Femmes que sur les Isocèles et les Classes Inférieures. À présent, il se rapproche personnellement des idées de la Sphère, selon laquelle les Lignes Droites sont, sur bien des points importants supérieures aux Cercles. Mais, fidèle à son rôle d’Historien, il s’est identifié (peut-être trop étroitement) aux points de vue généralement adoptés par ses collègues de Flatland et (à ce qu’on lui a dit) même par ceux de Spaceland, qui (jusqu’à une date très récente) ont rarement jugé digne d’attention la destinée des femmes comme celle des masses et ne l’ont jamais sérieusement analysée.
Dans un passage encore plus obscur, il me demande de réfuter les tendances Circulaires ou aristocratiques que certains de ses critiques lui ont naturellement attribuées. Tout en rendant justice aux facultés intellectuelles qui ont permis à un petit nombre de Cercles de préserver pendant plusieurs générations leur suprématie sur l’immense multitude de leurs compatriotes, il croit que l’histoire de Flatland parle d’elle-même, sans nécessiter de commentaires de sa part, et montre que les révolutions ne peuvent pas toujours être étouffées dans le sang. Il pense aussi que la Nature, en condamnant les Cercles à l’infécondité, les a voués en définitive à l’échec.
« Je vois là », ajoute-t-il, « l’application d’une grande loi commune à tous les univers : tandis que la sagesse de l’homme croit œuvrer à un objectif, la sagesse de la Nature le contraint à travailler dans un autre but, très différent et meilleur. » Quant au reste, il demande à ses lecteurs de ne pas supposer que tous les détails de la vie quotidienne à Flatland doivent nécessairement correspondre à ceux de Spaceland. Il espère toutefois que son ouvrage, considéré dans son ensemble, séduira l’imagination de certains habitants de Spaceland et amusera du moins ces esprits modestes et modérés qui - en parlant de choses importantes mais situées en dehors des limites de l’expérience - refusent de dire aussi bien « cela ne peut pas être » que « cela est obligatoirement ainsi et nous savons tout ce qu’il y a à savoir là-dessus ».

PREMIÈRE PARTIE - NOTRE MONDE - FLATLAND




« Prenez patience, car le monde est vaste et large. »

1. De la Nature de Flatland.




J’appelle notre monde Flatland (le Plat Pays), non point parce que nous le nommons ainsi, mais pour vous aider à mieux en saisir la nature, vous, mes heureux lecteurs, qui avez le privilège de vivre dans l’Espace.
Imaginez une immense feuille de papier sur laquelle des Lignes droites, des Triangles, des Carrés, des Pentagones, des Hexagones et d’autres Figures, au lieu de rester fixes à leur place, se déplacent librement sur ou à la surface, mais sans avoir la faculté de s’élever au-dessus ou de s’enfoncer au-dessous de cette surface, tout à fait comme des ombres - à cela près qu’elles sont dures et ont des bords lumineux - et vous aurez une idée assez exacte de mon pays et de mes compatriotes. Hélas, il y a quelques années encore, j’aurais dit « de mon univers » : mais à présent mon esprit s’est ouvert à une conception plus haute des choses.
Vous vous rendrez compte immédiatement que, dans un pays semblable, il ne peut exister rien de ce que vous appelez « solide »; toutefois vous supposerez, me semble-t-il, que nous sommes au moins à même d’opérer visuellement une distinction entre ces Triangles, ces Carrés et ces autres Figures qui s’y déplacent, comme je vous l’ai décrit. Au contraire, nous ne pouvons rien percevoir de tel, au moins avec une netteté suffisante pour nous permettre de distinguer une Figure d’une autre. Nous ne voyons, nous ne pouvons voir que des Lignes Droites; et je vais vous en démontrer sur-le-champ la raison.
Placez une pièce de monnaie sur l’une de vos tables dans l’Espace; et, en vous penchant dessus, observez-la. Elle vous apparaîtra sous la forme d’un cercle.
Mais, à présent, reculez vers le bord de la table en vous baissant progressivement (ce qui vous rapprochera de plus en plus des conditions dans lesquelles vivent les habitants de Flatland) et vous constaterez que, sous votre regard, la pièce devient ovale; enfin, quand vous aurez placé votre œil exactement au bord de la table (ce qui fera réellement de vous, pour ainsi dire, l’un de mes compatriotes), vous verrez que la pièce a complètement cessé de vous paraître ovale et qu’elle est devenue, à votre connaissance, une ligne droite.




Il en serait de même si vous preniez pour objet de vos observations un Triangle, un Carré ou toute autre Figure découpée dans du carton. Regardez-la en vous plaçant de manière que votre œil soit au bord de la table : vous verrez qu’elle cesse de vous apparaître sous la forme d’une Figure et qu’elle devient en apparence une Ligne Droite. Prenons pour exemple un Triangle équilatéral qui représente chez nous un Commerçant appartenant à la classe respectable. La figure 1 vous montre ce Commerçant tel que vous le verriez en vous penchant au-dessus de lui; les figures 2 et 3 vous le montrent tel que vous le verriez si votre œil approchait du niveau de la table ou le rasait presque; et si votre œil était exactement au niveau de la table (c’est ainsi que nous le voyons à Flatland), il se réduirait pour vous à une Ligne Droite.
Pendant mon séjour à Spaceland, j’ai ouï dire que vos marins connaissaient des expériences très semblables lorsqu’ils traversaient vos océans et discernaient à l’horizon quelque île ou rivage éloigné. Des baies, des promontoires, des angles nombreux et de toutes dimensions peuvent découper cette terre lointaine; à une certaine distance, néanmoins, vous n’en voyez rien (sauf, il est vrai, si votre soleil brille sur elle et révèle les parties en saillie ou en retrait grâce au jeu de la lumière et des ombres), rien qu’une ligne uniforme et grisâtre sur la mer.
Eh bien, voilà tout justement ce que nous voyons quand une de nos connaissances triangulaires ou autres s’approche de nous à Flatland. Comme il n’y a chez nous ni soleil ni lumière de nature à produire des ombres, nous ne disposons d’aucun de ces adjuvants qui viennent au secours de votre vue, chez vous, à Spaceland. Si notre ami s’avance, nous voyons sa ligne s’élargir; s’il s’éloigne, elle diminue; mais il est toujours à nos yeux une Ligne Droite; qu’il soit Triangle, Carré, Pentagone, Hexagone, Cercle ou ce que vous voudrez, il n’est pour nous qu’une Ligne Droite et rien d’autre.
Vous vous demandez peut-être comment, dans des circonstances si désavantageuses, nous parvenons à distinguer nos amis les uns des autres; mais il sera à la fois plus judicieux et plus facile de répondre à cette question bien naturelle quand nous en arriverons à la description des habitants de Flatland. Permettez-moi, pour l’instant, de reporter ce sujet à plus tard et de vous dire un mot du climat et des maisons de notre pays.

2. Du Climat et des Maisons de Flatland.




Chez nous, tout de même que chez vous, il y a quatre points cardinaux : le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest.
En l’absence de soleil ou d’autres corps célestes, il nous est impossible de déterminer le Nord à la façon habituelle; mais nous avons notre méthode particulière. Chez nous, une Loi de la Nature fait qu’une attraction constante s’exerce en direction du Sud.; et, quoique dans les régions tempérées cette attraction soit très légère - au point que même une Femme, évidemment supposée bien portante, peut parcourir plusieurs centaines de toises en direction du Nord sans grande difficulté - ses effets sont cependant assez sensibles pour nous servir de boussole sous la plupart de nos climats. En outre la pluie (qui tombe à intervalles fixes et toujours en provenance du Nord) nous est une aide supplémentaire; et, dans les villes, nous nous fions aux maisons dont les murs latéraux sont, bien entendu, généralement orientés vers le Nord et vers le Sud afin que les toits forment obstacle à la pluie qui tombe du Nord. Dans la campagne, où il n’y a pas de maisons, les troncs des arbres font plus ou moins office de guides. Tout compte fait, nous n’avons pas autant de mal que vous pourriez le croire à déterminer notre position.
Néanmoins, dans nos régions plus tempérées, où l’attraction qui s’exerce en direction du Sud se fait à peine sentir, il m’est arrivé parfois, dans quelque plaine désolée où il n’existait ni maison ni arbre qui pût me servir de repère, de me trouver contraint à demeurer stationnaire pendant plusieurs heures d’affilée, en attendant que la venue de la pluie me permit de poursuivre mon voyage. La force de l’attraction est beaucoup plus éprouvante pour les personnes âgées ou affaiblies, et surtout pour nos délicates Femelles, que pour le robuste Sexe Mâle, de sorte qu’un homme bien élevé, s’il rencontre une Dame dans la rue, lui cédera toujours le côté Nord… ce qui n’est pas à proprement parler facile lorsqu’on est pris de court, que l’on ne jouit pas d’une santé excellente et que l’on se trouve dans une région où il est difficile de distinguer le Nord du Sud.
Nos maisons n’ont pas de fenêtres : car la lumière nous arrive également à l’intérieur et à l’extérieur, de nuit comme de jour, en tous lieux et à tous moments. D’où ? Nous l’ignorons. « Quelle est l’origine de la lumière ? » C’était là, jadis, pour nos érudits, une question du plus haut intérêt que l’on se posait fréquemment, et l’on en a cherché la solution à maintes reprises, sans autre résultat que de peupler les asiles de fous. En conséquence, après avoir vainement tenté de restreindre indirectement ces recherches en les rendant passibles d’une lourde amende, la Législature, à une époque relativement récente, les a interdites absolument. Moi - hélas, moi seul à Flatland - je ne connais que trop bien la véritable solution de ce mystérieux problème; mais je suis dans l’incapacité de la rendre intelligible à un seul de mes compatriotes; et l’on m’accable de sarcasmes - moi, l’unique détenteur des vérités de l’Espace, moi qui ai formulé la théorie de l’introduction de la Lumière à partir du monde des Trois Dimensions - comme si j’étais un dément parmi les déments ! Mais trêve de digressions pénibles retournons à nos maisons.
La forme que l’on adopte le plus communément pour la construction des maisons est à cinq côtés, ou pentagonale, comme dans le schéma ci-joint. Les deux côtés Nord, CD, DE constituent le toit et n’ont généralement pas de porte; il y a à l’Est une petite porte pour les femmes; à l’Ouest une autre, beaucoup plus grande, pour les Hommes; habituellement, le côté Sud, ou plancher, n’en comporte pas.





Les maisons carrées et triangulaires ne sont pas autorisées, et ceci pour la raison suivante. Les angles d’un Carré (et davantage encore ceux d’un Triangle équilatéral) étant beaucoup plus pointus que ceux d’un Pentagone, et les lignes des objets inanimés (tels que les maisons) étant plus obscures que celles des Hommes et des Femmes, il s’ensuit que les coins d’une résidence carrée ou triangulaire risqueraient fort d’infliger une blessure sérieuse à un voyageur étourdi ou peut-être distrait qui se jetterait brusquement contre eux; et par conséquent, dès le XIe siècle de notre ère, les maisons triangulaires ont été universellement interdites par la Loi, les seules exceptions étant les fortifications, les poudrières, les casernes et autres bâtiments officiels, dont il n’est pas désirable que le grand public approche sans circonspection.
À cette époque, la construction de maisons carrées était encore admise partout, quoique découragée par une taxe spéciale. Mais, environ trois siècles plus tard, les Législateurs décidèrent que, dans toutes les villes où la population excédait dix mille habitants, l’angle d’un Pentagone était, pour une maison, le seul qui fût compatible avec la sécurité publique et que, l’on n’en pouvait point autoriser de plus grand. Le bon sens de la communauté a secondé les efforts de la Législature et maintenant, même dans les campagnes, la construction pentagonale a pris le pas sur toutes les autres. Ce n’est à présent que de loin en loin, dans certaines régions agraires très reculées et arriérées, qu’un antiquaire a encore quelques chances de découvrir une maison carrée.